Intervention de Barbara Pompili

Réunion du vendredi 12 mars 2021 à 14h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Barbara Pompili, ministre :

Je m'attarderai quelques minutes sur la question des moulins. Puisque de nombreux amendements ont été déposés sur la thématique de la restauration de la continuité écologique, qui revient régulièrement dans les débats au Parlement, je souhaite vous rappeler les grandes lignes de notre politique dans ce domaine.

La continuité écologique est un élément majeur pour le bon fonctionnement de nos hydrosystèmes. C'est l'objet de l'article 19 que vous venez d'adopter : il s'agit de permettre, grâce à des conditions correctes, une bonne circulation des espèces aquatiques et le transport des sédiments au sein des cours d'eau. Quand on parle de rétablir la continuité écologique au niveau d'un moulin, cela signifie agir sur son seuil, dans le cours d'eau, et en aucun cas sur le moulin en tant que tel. C'est un patrimoine bâti auquel je suis également très attachée et qu'il ne s'agit pas de détruire.

Quelques chiffres permettent de mieux cerner la situation. Comme l'a dit Mme la rapporteure, l'obligation de restaurer la continuité écologique ne concerne que 11 % des cours d'eau en France – ceux classés en liste 2, pour lesquels il existe une obligation de réduction de l'impact des ouvrages existants. Partout en France, y compris dans les outre-mer, 100 000 obstacles à l'écoulement sont recensés, dont 20 000 situés sur des cours d'eau classés en liste 2. Si de nombreux ouvrages sont déjà « transparents » en matière de continuité écologique ou ont fait l'objet de travaux, il reste nécessaire de restaurer la continuité pour la majorité d'entre eux.

Dans le cadre du plan pour la continuité écologique qui a été élaboré en concertation avec l'ensemble des partenaires – les collectivités, les associations de protection de la biodiversité et les propriétaires d'ouvrages –, nous avons lancé une stratégie de priorisation : 5 000 ouvrages doivent être rendus « transparents » d'ici à 2027. Environ 1 600 seuils de moulins sont concernés, au maximum. Il faut noter, par ailleurs, que les moulins utilisés pour une activité de production hydroélectrique sont exemptés de cette obligation depuis 2017.

L'élaboration des listes d'ouvrages prioritaires a donné lieu à de nouvelles concertations locales en 2020, dans le cadre des bassins. Le plan d'action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique insiste sur la réalisation d'actions concertées et proportionnées, tenant compte des différents enjeux. Rien n'empêche, par exemple, d'augmenter la puissance électrique d'une installation dans le cadre d'un projet de restauration de la continuité écologique.

Il existe plusieurs moyens d'action. L'effacement des ouvrages, c'est-à-dire la suppression du seuil dans le cours d'eau, et non le bâtiment que constitue le moulin – j'insiste sur ce point –, n'est qu'un moyen parmi d'autres pour restaurer la continuité écologique.

J'appelle néanmoins votre attention sur le fait que l'effacement des ouvrages est plus efficace et moins onéreux que l'équipement en passes à poissons. Ces dernières ne font qu'assurer la montaison d'une partie des espèces et ne permettent pas le transport des sédiments. En outre, les seuils gérés ou aménagés continuent à avoir de nombreux impacts, liés à la présence d'une retenue en amont, comme le réchauffement de l'eau, la concentration des sédiments et des pollutions, le remplacement d'espèces d'eau courante par d'autres plus banales, adaptées aux eaux stagnantes, ou la disparition d'habitats diversifiés qui sont associés à la variation du niveau d'eau d'une rivière courante et dynamique.

En gros, quand les sédiments s'arrêtent de circuler, cela change l'écosystème. Leur blocage plus ou moins important dans les retenues d'eau engendre des déficits en aval qui conduisent à des incisions du lit, à des érosions latérales et à des dégâts plus important lors des crues car l'énergie de l'eau n'est plus dissipée par le transport des sédiments et des cailloux.

L'effacement total ou partiel d'ouvrages n'est pas une solution universelle, adaptée à toutes les situations, mais il en résulte d'autres avantages que la seule restauration de la continuité écologique.

Les agences de l'eau financent les différentes modalités d'action, dont l'effacement total ou partiel d'ouvrages, mais pas seulement, au travers de leur onzième programme d'intervention, qui prévoit de mobiliser environ 720 millions d'euros d'aide dans ce domaine.

Je tiens à vous donner, concrètement, quelques exemples des résultats obtenus grâce à la restauration de la continuité écologique. En ce qui concerne l'Orne, la population de saumons a été multipliée par dix en une dizaine d'années lorsque les opérations d'effacement ont été réalisées. On observe un effet similaire sur la Touques. S'agissant de la Vire, on arrive également à mille saumons. Dans le bassin de l'Adour et de ses gaves, l'ensemble des espèces de grands migrateurs présentes en métropole bénéficient des suppressions et des aménagements ciblés d'ouvrages réalisés depuis trente ans. La population de saumons est presque arrivée à un niveau d'autonomie. Quant à la Seine, l'alose est remontée jusqu'à la rivière Oise, au niveau de Noyon, ce qui représente un parcours de 400 kilomètres, grâce aux aménagements réalisés par Voies navigables de France. Il y aurait bien d'autres exemples à citer, au-delà des grands migrateurs.

Je rappelle aussi que la restauration des écosystèmes aquatiques est une dimension essentielle des solutions fondées sur la nature pour favoriser une meilleure adaptation au changement climatique.

Je souhaite maintenant vous apporter quelques éléments sur l'articulation entre la politique de restauration de la continuité écologique et le développement des énergies renouvelables, notamment de l'hydroélectricité, puisque ce sujet présente un intérêt majeur pour certains d'entre vous.

D'une manière générale, comme le rappelle la programmation pluriannuelle de l'énergie, le potentiel hydroélectrique français est déjà largement exploité. Il n'y a quasiment plus d'enjeu majeur en termes d'augmentation de la production au niveau national, même si la production hydroélectrique peut intéresser des acteurs locaux.

Je l'affirme clairement : la continuité écologique n'empêche pas un développement complémentaire de la petite hydroélectricité. Notre approche apaisée vise à ce que cela se fasse dans le respect des enjeux de la biodiversité et de la qualité des eaux.

À titre d'illustration, 24 centrales entièrement nouvelles, représentant une puissance cumulée de 32 mégawatts, ont été autorisées en 2018 dans le cadre des appels à projets pour la petite hydroélectricité qui sont lancés chaque année par le ministère. Par ailleurs, 15 mégawatts supplémentaires ont été obtenus en 2018 – et 8 en 2019 – grâce à l'équipement hydroélectrique de seuils existants, à la remise en exploitation de moulins et à d'autres augmentations de puissance dans les centrales existantes. Vous voyez que le cadre en vigueur permet de concilier la continuité écologique et le développement de la petite hydroélectricité.

En réponse aux amendements, qui visent à exclure la possibilité de supprimer des ouvrages en application des obligations de restauration de la continuité écologique dans les cours d'eau classés en liste 2, je rappelle que c'est une option que nous ne pouvons pas écarter compte tenu des bénéfices environnementaux qu'elle permet d'obtenir. Le plan d'action prône la réalisation d'une analyse au cas par cas afin d'identifier la solution adaptée à chaque situation.

Il faut également souligner que la suppression d'un ouvrage peut découler du choix d'un propriétaire qui ne tient pas à faire face à des charges de gestion ou d'aménagement d'un ouvrage hydraulique qui n'est plus utilisé ou d'une obligation de remise en état d'un site à la fin de l'exploitation d'une installation ou d'un ouvrage autorisé qui serait devenu inutile ou serait abandonné – c'est un cadre général qui existe pour tout ouvrage soumis à une autorisation environnementale.

Enfin, je signale que la Commission européenne vient d'inscrire la suppression des ouvrages inutiles situés dans le lit mineur d'un cours d'eau dans les orientations de la stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité, qui confirme donc l'importance de cette solution.

Vous aurez deviné, en conclusion, que j'émets défavorable à ces amendements.

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