Je suis honoré de venir travailler avec vous sur ce texte particulièrement important souhaité par le Président de la République. Je reste bien entendu à votre entière disposition pour revenir durant vos travaux si vous le souhaitez.
Cette présentation est pour moi l'occasion de compléter les propos que j'ai déjà tenus en commission des lois ou dans l'hémicycle. Si la commission me le permet, et bien que ce texte soit défendu par le ministre de l'intérieur et la ministre déléguée chargée de la citoyenneté – qui est également à votre disposition pour répondre à vos questions relevant plus spécifiquement des associations et de la citoyenneté –, je ne m'étendrai pas sur les sujets qui relèvent de la compétence du ministre de l'Education nationale, que vous entendrez juste après moi, ou du garde des Sceaux.
L'avant-projet de loi, que nous avons transmis à tous ceux qu'il concerne et au Conseil d'État, a fait l'objet de nombreuses consultations : avec les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat, avec les organisations cultuelles et philosophiques, les élus locaux, ou encore avec les intellectuels amenés à prendre position sur les sujets touchant à la laïcité et aux principes républicains. Ces consultations ne prétendaient pas être exhaustives, même si le but était de comprendre tous les aspects des choses, ni à jeter les bases d'un consensus où tout le monde serait d'accord sur tout ; mais elle a été réelle, et même doublée de la transmission du texte avant même que celui-ci ne soit soumis au Conseil d'État. Vient maintenant le moment évidemment le plus important sur un plan démocratique, celui du travail parlementaire, où je me dois de répondre à vos interrogations.
Ce texte est basé sur la modification, le renforcement, la réaffirmation de cinq sujets essentiels qui touchent à des principes qui fondent notre droit, notre État de droit et notre façon de « faire Nation ».
Le premier est le droit des cultes. Si la République n'en reconnaît ni n'en subventionne aucun, elle ne vit pas pour autant dans l'ignorance des cultes. Le ministre de l'intérieur, chargé des cultes, dispose d'une administration qui travaille quotidiennement avec eux. Notre base juridique est la grande loi de séparation des églises et de l'État, modifiée dix-sept fois mais jamais vraiment remise à jour au regard de ce qu'est devenu notre pays, de ce subtil équilibre entre la liberté de culte, qui est une liberté essentielle, constitutionnelle, et la liberté de croire ou de ne pas croire et d'exercer son culte dans des conditions que permet la République, dans les limites qui tiennent au respect de l'ordre public.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit que nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses : cette formulation traduit un doute, en tout cas une interrogation de la part de ceux qui siégeaient bien avant vous à l'Assemblée nationale. La liberté de culte doit évidemment être chérie, construite et inscrite dans l'équilibre que nous devons chercher : aucun des grands principes de la loi de 1905 n'est remis en cause – la liberté des cultes est garantie, la République n'en reconnaît aucun et ne doit pas les subventionner publiquement –, mais force est de considérer qu'un certain nombre de difficultés se posent, qui tiennent notamment à des financements venant de l'étranger, à l'utilisation du vecteur religieux par des puissances extérieures ou par des idéologies néfastes à la République.
Le principe général de la séparation de la religion et de la politique doit être réaffirmé : c'est le sens des articles qui renforcent le dispositif dit de 1905. Nous aurons l'occasion d'en reparler : c'est un sujet tout la fois passionnant et compliqué, par le fait que nous devons développer le financement national des cultes sans qu'il ne devienne un financement public ou un financement étranger. De tous les commentaires que j'ai pu lire à propos de ce texte, bien peu rappellent que nous avons déjà pris des dispositions en matière de financements des cultes ; mais je suis sûr, puisque j'ai eu à connaître de la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC), que cette question fera débat, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.
Deuxième sujet : le droit des services publics et singulièrement la neutralité politique et religieuse exigée des agents du service public, dans leurs propos comme dans leur apparence.
Nous avons souhaité réaffirmer un certain nombre de principes et parfois écrire clairement dans la loi des dispositions dont on pouvait douter de l'application : ainsi la neutralité doit pouvoir être imposée à tous les agents de l'ensemble des organismes qui, d'une manière ou d'une autre, concourent au service public, par l'intermédiaire de l'État ou de sa protection sociale : cela vaut pour toutes les délégations ou concessions de service public, y compris pour Pôle emploi, les caisses d'allocations familiales ou les caisses primaires d'assurance maladie.
Nous avons également souhaité que l'État, sans contrevenir au principe de décentralisation et comme d'autres lois lui en ont déjà donné la possibilité, dans le domaine du logement social notamment, puisse affirmer son rôle de vigie républicaine et lutter contre des comportements que certains appellent « communautaristes », d'autres « séparatistes », en tout cas contraires aux principes de la République : ainsi la réservation d'horaires spécifiques dans des salles de sport ou, dans certaines bibliothèques, au classement des auteurs en fonction de leurs affinités sexuelles ou de leur religion supposées. Il appartiendra au préfet, sous l'autorité évidemment du juge administratif, par le biais d'un référé-liberté, comme l'a souhaité le Conseil d'État, d'intervenir et de répondre à ce que nous avons appelé une « carence républicaine ».
Nous n'avons pas voulu étendre le principe de neutralité aux usagers du service public ni à l'espace public, conformément à l'équilibre de la loi de 1905 et au principe de laïcité.
Troisième sujet, le droit des associations. C'est également un droit très important, reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État ; nous souhaitons le renforcer afin de lutter contre ce qu'on appelle le séparatisme, en procédant de deux manières.
Premièrement, les associations n'ont pas à être subventionnées si elles ne respectent pas les principes républicains. Cela renvoie à un décret, que je m'engage, avec la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, à vous présenter au moment de la discussion dans l'hémicycle. La question s'est posée, à laquelle le Conseil d'État a répondu dans un sens favorable pour le Gouvernement : le fait d'être une association ne donne aucunement droit à subvention et n'oblige en rien une collectivité locale ou un organisme public à lui prêter une salle ou du matériel.
Se pose ensuite la question de la dissolution ou de l'arrêt des activités associatives, au sens juridique du terme, lorsqu'elles s'inscrivent manifestement dans un engagement antirépublicain militant. Nous avons proposé un mécanisme de suspension. Le Président de la République a personnellement souhaité que la dissolution des associations soit toujours prononcée en Conseil des ministres, afin de montrer toute l'importance du droit d'association, auquel il ne pouvait être touché que sur décision d'une instance politique de premier plan, ce qui oblige le ministre de l'intérieur à entreprendre toute une série de démarches très sérieuses à l'appui d'une telle proposition.
Nous avons également souhaité élargir un certain nombre de critères de dissolution. Le Conseil d'État est revenu sur certains d'entre eux, et nous avons accepté ses propositions, mais également précisé que la suspension pouvait ne concerner qu'une partie des activités de l'association. Il se peut très bien qu'au sein d'une même association, certaines branches respectent parfaitement les principes républicains et qu'une ou deux autres posent problème. Nous proposons d'être toujours en mesure d'intervenir afin que police républicaine soit faite – sous l'autorité du juge évidemment.
Quatrième sujet : la souveraineté de l'État et la protection de ses agents.
J'ai déjà évoqué la question des financements, notamment étrangers, des lieux de culte ou des organisations dites confessionnelles. Il ne s'agit pas de les interdire ; du reste, la France elle-même finance un certain nombre d'institutions à l'étranger, par le biais de l'État, des collectivités locales, des associations, des organisations non gouvernementales, voire de simples particuliers. Nous voulons seulement les connaître et de les contrôler, c'est assez différent. La religion n'a pas à être un soft power pour un État étranger ; il est légitime de connaître les intentions et les motivations politiques de ceux qui seraient tentés d'investir sur notre territoire.
Même si cela ne figure pas dans le texte, la question se posera évidemment de la fin de la pratique des ministres du culte détachés. Au cours des législatures précédentes, le Parlement avait voté des conventions internationales qui permettaient à des ministres du culte venus notamment du Maghreb ou de Turquie d'exercer en France en étant rémunérés par leur pays d'origine ; à la demande du Président de la République, cela viendra à son terme à partir de 2023, ce qui nous ramène à la question générale du financement du culte en France.
Le cinquième point enfin a trait à l'éducation, en particulier l'instruction à domicile ou dans les écoles hors contrat ; je laisserai au ministre de l'Education nationale le soin de vous en parler.
Je n'entrerai pas dans une revue détaillée de ce projet de loi, qui est un texte de liberté et non de contrainte. Car son but est précisément de libérer des contraintes idéologiques mortifères pour la République et ce qui fait ses valeurs essentielles pour nos concitoyens : la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté de changer de religion, la liberté de s'exprimer, la liberté de vivre dans des lieux neutres où les références ne sont pas seulement de nature idéologique, mais également républicaines, la liberté de savoir qui finance quoi sur le territoire, d'être éduqué, de faire du sport, d'être un citoyen éclairé et pas seulement conditionné par telle ou telle influence familiale ou communautaire.
Je finirai en rappelant ce que ce texte n'est pas. Il ne vise pas les religions en général, ni une religion en particulier. J'ai lu beaucoup de choses sur ce sujet : toutes sont fausses. Nulle part vous ne trouverez d'attaque ad hominem : la République ne reconnaissant aucun culte, elle ne les distingue pas. Toutes les dispositions de ce texte s'adressent à tous les cultes, sans exception : ce serait du reste mentir que d'imaginer garder les principes de 1905 tout en proposant des textes ad hominem. Certains pays l'ont fait, comme l'Autriche, mais il n'y existe pas de séparation des églises et de l'État comme en France.
De plus, si notre ennemi est, aujourd'hui, l'islamisme politique, il pourrait être différent demain ou après-demain. En 1905, le législateur avait cherché à poser une série de critères laïques pour contrer des attaques idéologiques par la religion, mais il pourrait y en avoir d'autres demain, d'une nature tout à fait différente. Il ne s'agit pas de lutter contre une religion, mais contre une idéologie. Nous n'avons donc pas souhaité intégrer dans ce texte des dispositions visant à organiser les cultes à la place de leurs représentants. C'est à eux qu'il appartient de les organiser conformément aux principes républicains, et ce n'est pas à nous de dire ce qu'est un bon ministre du culte ou le bon fonctionnement d'un culte. Depuis bien longtemps, le ministre de l'intérieur n'a pas vocation à écrire de discours religieux !
Enfin, ce texte ne comporte aucune disposition relevant du code du travail. Les questions de laïcité, de neutralité, du respect des femmes et des hommes, de la dignité de la personne humaine, peuvent certes se poser dans le cadre de relations d'ordre privé, qui relèvent du contrat, de l'organisation de l'entreprise, des rapports entre partenaires sociaux ; ce texte ne touche pas à l'organisation du monde du privé, mais seulement à l'organisation du monde du public, et nous l'assumons comme tel.
Ce projet ne prévoit pas non plus de dispositions concernant l'immigration. C'est un choix délibéré que je revendique personnellement, sous l'autorité du Président de la République. J'entends beaucoup de discours établissant des équivalences entre immigration, islamisme et séparatisme ; rappelons, même si ce texte ne s'attaque pas à la radicalisation et au terrorisme, mais au terreau du terrorisme, que les attentats perpétrés sur notre sol ne sont pas seulement le fait d'étrangers : ils sont, hélas ! bien souvent commis par des citoyens français. Les ministres du culte radicalisés qui font parfois la une des journaux sont souvent des gens nés sur notre sol. La distinction entre des étrangers par nature suspects et des Français par nature attachés aux principes républicains relève d'un propos de facilité. Le lien est pour le moins distendu, ce qui ne veut pas dire que, par ailleurs, il ne faille pas songer à lutter contre l'immigration clandestine ou subie.
Enfin, ce projet de loi ne vise pas davantage à rétablir je ne sais quel équilibre en matière notamment d'urbanisme et de logement – ce point a fait débat. J'ai été maire d'une commune dont les habitants connaissent à la fois les problèmes que nous essayons de combattre avec ce texte et les promesses de la République faites à une ville jeune, issue de l'histoire compliquée de notre pays.
L'urbanisme, la politique de peuplement, le logement, l'immigration, le manque d'éducation, tout cela aggrave évidemment les difficultés existantes. Il est évident qu'un urbanisme mal maîtrisé, une politique de peuplement ignorant la mixité sociale, le défaut d'éducation ou de promesses républicaines fortes, de même qu'une immigration non maîtrisée dans certains quartiers amènent évidemment des problèmes de communautarisme, voire de séparatisme. Mais on ne saurait en conclure que l'urbanisme ou le logement en sont les seules causes. Nous aurons, de même que sur l'immigration et l'égalité des chances, à en débattre à d'autres occasions ; au demeurant, la majorité parlementaire ne doit pas regretter l'énorme effort qui aura permis le redémarrage des dispositifs de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). En tant qu'ancien ministre du budget et des comptes publics, je suis bien placé pour savoir qu'il a fallu attendre longtemps les financements qui permettent désormais de transformer nos quartiers, conformément à la promesse du Président de la République.
En conclusion, je vous présente un texte important, sans doute complexe : il ne se prête sans doute pas à toutes les facilités de langage par le fait qu'il touche à une bonne part de ce qui fait le sens et l'âme de la République, au respect que nous devons à chaque citoyen vivant sur notre sol et à son histoire. Reste qu'il était nécessaire ; j'oserais même dire que c'est un texte d'urgence, qui contient des dispositions que peu de gens ont osé proposer avant nous et qui s'accompagnent d'actes extrêmement forts, conformément à ce qu'a souhaité le Président de la République et à l'action qu'il mène depuis son élection.