Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 10h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Je comprends la question de Francis Chouat sur l'exposé des motifs de ce projet de loi, qui a aussi été soulevée par le Conseil d'État. L'exposé des motifs n'a pas de valeur normative, mais il permet de contextualiser les dispositions du texte. Sans doute faut-il l'enrichir ; nous pourrions imaginer des ajouts pour la séance, en s'inspirant par exemple de la communication à l'issue du Conseil des ministres, qui a été à la hauteur de ce que vous évoquez. Je m'intéresse davantage aux dispositions du texte, mais je suis disposé à étudier cette proposition d'ici à la séance publique.

MM. Eliaou et Ravier m'interrogent tous les deux sur les ministres du culte, dans des styles différents – l'un parle des ministres du culte en général, l'autre plus spécifiquement des imams. Deux solutions sont envisageables : soit nous considérons que nous devons maintenir les grands principes de la loi de 1905 ; soit nous considérons que c'est à l'État d'intervenir dans la sélection, la formation, voire le discours des ministres du culte.

Nous avons résolument retenu la première solution : la République ne reconnaît aucun culte, et ce n'est pas le ministre de l'intérieur qui écrit les discours religieux, ce ne sont pas les services du ministère qui sélectionnent les ministres du culte et leur font passer des diplômes pour apprécier leur qualité et savoir s'ils interprètent bien ou mal tel ou tel texte dit sacré.

La seconde solution n'a été retenue qu'une seule fois dans l'histoire du pays : ce fut la constitution civile du clergé, et cela ne s'est pas bien terminé : la coexistence des prêtres réfractaires et des prêtres assermentés avait créé des tensions qu'il ne faudrait pas répéter. Ce n'est pas au ministre de l'intérieur de distinguer les bons et les mauvais ministres du culte.

La difficulté tient à ce que certains ministres du culte, de par l'histoire de leur religion, sont confrontés à des difficultés doctrinales. L'islam est apparu six cents ans après le christianisme tel que nous le connaissons, et la séparation entre les branches chiite et sunnite ainsi que les divisions au sein du sunnisme créent des difficultés d'interprétation. L'islam, comme toutes les religions, est traversé par des débats internes très forts. La question est encore plus difficile dans la mesure où l'islam se pose ces questions alors que les réseaux sociaux, la géopolitique et la mondialisation aggravent les difficultés. Il ne nous revient pas de nous ériger en tuteurs pour expliquer ce qu'est une bonne ou une mauvaise religion. Il est très important de le comprendre, sinon nous allons nous demander sans fin pourquoi nous n'organisons pas le culte musulman. Ce n'est pas du tout l'objet de ce projet de loi ; si nous le faisions, nous changerions de République, à tout le moins de conception de la relation avec les religions.

J'entends parfois un discours, très à droite, selon lequel l'islam n'est absolument pas compatible avec la République, et qu'il faudrait l'interdire. Il faudrait alors sans doute renvoyer les musulmans en Musulmanie, mais la Musulmanie n'existant pas, cela paraît difficile ! Ce discours est démagogique, et surtout, il ne correspond à aucune réalité sur laquelle fonder des décisions.

L'islam est bien sûr absolument compatible avec la République. Beaucoup de musulmans français ou étrangers ont servi la République. Beaucoup sont morts pour elle, parfois dans des conditions particulièrement ignobles pour avoir choisi et la France et Allah contre leur nationalité ou leur terreau de naissance. À commencer par les harkis, qui ont prié leur dieu tout en embrassant le drapeau de la République. Ils ont subi des sévices très graves, alors même qu'ils n'avaient aucun rapport avec le lien direct que certains discours essentialistes prétendent établir entre la France et certaines spiritualités.

Si nous n'avons pas à sélectionner les ministres du culte, il nous revient de dire que nous n'acceptons pas certaines choses qui relèvent de l'ordre public, notion fondamentale dans le droit français. Nous n'avons pas à nous mêler de la sélection de ces personnes en amont, mais nous devons établir ce qu'elles ne peuvent pas dire ou faire sur le sol de la République, quelle que soit leur nationalité.

J'en profite pour compléter la réponse que j'ai apportée à M. Corbière sur les prêtres catholiques : ce texte n'interdit en aucun cas aux étrangers d'être ministres du culte en France, il interdit que des États étrangers les paient directement, c'est différent. Il n'y a pas de discrimination sur le fondement de la nationalité, mais nous ne souhaitons pas que des fonctionnaires payés par des États étrangers soient ministres du culte dans notre pays. Nous pensons que les Français musulmans sont français, comme les Français catholiques et les Français protestants, et nous ne les définissons pas par leur religion. En cela, nous sommes extrêmement conformes à la promesse républicaine telle qu'elle existe depuis la Révolution française.

Il faut que nous donnions aux cultes les moyens de financer les ministres du culte, qu'il s'agisse des catholiques, des protestants, des juifs ou des musulmans. J'en reviens aux dispositions sur les immeubles de rapport, les héritages, le denier du culte ou les dispositions fiscales. Nous sommes presque tous d'accord pour qu'il n'y ait pas de financement public, ni de l'État ni des collectivités, en application de la loi de 1905. Les dispositions spécifiques pour l'Alsace-Moselle et quelques territoires ultramarins constituent des exceptions sur lesquelles je propose que nous ne revenions pas.

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