Intervention de Jean Baubérot

Réunion du lundi 21 décembre 2020 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Jean Baubérot, historien, sociologue, professeur émérite à l'EPHE :

Le premier manquement à la laïcité, madame la présidente, c'est en Alsace-Moselle qu'on le note. Tout le monde s'en accommode parce que cela ne suscite aucune peur républicaine, mais ne s'appliquent là-bas ni la loi Ferry ni la loi de 1905, à savoir les deux piliers de la laïcité en France ! Le projet de loi comprend d'ailleurs de ce fait des articles spécifiquement consacrés au Haut-Rhin, au Bas-Rhin et à la Moselle.

D'autre part, on parle beaucoup des établissements hors contrat et de l'instruction à domicile, mais le principal problème, ce sont peut-être les établissements sous contrat. Des dispositifs ont beau avoir l'air bien cadrés, ils ne sont pas toujours bien respectés. Quand Ségolène Royal était ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, j'étais son conseiller pour la citoyenneté ; j'avais dû me battre contre certains inspecteurs, qui, pour diverses raisons, étaient réticents à inspecter des établissements privés sous contrat – cela pour dire, madame Genevard, que j'ai été moi aussi un acteur social et que je comprends les difficultés que vous pouvez rencontrer.

Dans certains départements, comme la Vendée ou le Morbihan, il est en outre difficile d'accéder à l'école publique. Sans aller aussi loin qu'Alexis Corbière, j'estime donc que le dispositif actuel n'est pas sans poser des problèmes.

Ce dispositif résulte d'ailleurs d'une évolution. Les laïcs ont lutté pour le monopole de l'enseignement, mais ils ont échoué. Il y a eu successivement la loi Debré, la loi Guermeur, les accords Lang-Cloupet, les dispositions de M. Charasse : à force de vouloir mener un combat impossible à gagner et qui divisait jusqu'à leur propre camp, ils ont tout perdu, ou presque. Par exemple, c'est Clemenceau qui a fait échouer en 1903 au Sénat le projet de monopole public sur l'enseignement – c'est à cette occasion qu'on a dit qu'il était un groupe parlementaire à lui tout seul. Et ce n'est peut-être pas un hasard si l'affaire des foulards a pris tant d'importance à partir de 1989 : certains laïcs avaient une revanche à prendre après la défaite de 1984.

Bref, des manquements à la laïcité, il y en a beaucoup, et certains d'entre eux sont tellement entrés dans l'usage qu'on n'y fait plus attention !

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