Intervention de Frédérique de La Morena

Réunion du lundi 21 décembre 2020 à 15h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Frédérique de La Morena :

La notion de dignité humaine est beaucoup plus large que celle d'égalité, elle ne la recoupe pas. Mais la polygamie, les mariages forcés, les certificats de virginité ne concernent que les femmes : ce ne sont pas les femmes qui ont le droit d'avoir plusieurs maris, ce n'est pas aux hommes que l'on demande de prouver leur virginité, ce sont les femmes qu'on marie de force. Les droits des femmes, leur place, ce qu'il faut faire pour mettre fin à leur soumission ne relèvent pas du concept de dignité humaine, mais de la protection de la femme, principe républicain inscrit dans la Constitution – alors que la dignité humaine n'y figure pas.

Manque-t-il dans le texte des éléments relatifs aux droits des femmes ? S'il a pour seul objet de lutter contre l'islamisme radical, peut-être pas ; s'il a pour vocation, comme son titre l'indique, de faire respecter les principes républicains, alors il y a certainement d'autres notions à y introduire pour défendre les droits des femmes. Toute la question est là : le titre du texte est plus large que ce qui y est traité.

Concernant l'obligation de scolarisation, peu d'enfants en France sont concernés par l'instruction à la maison ; plusieurs lois permettent aux rectorats de la contrôler de près, surtout quand elle implique plusieurs enfants de familles différentes. D'autres États ont imposé une scolarisation obligatoire, proscrivant l'instruction au sein des familles. Il a été objecté à cette disposition le risque de se heurter à la jurisprudence du Conseil constitutionnel si celui-ci faisait de l'instruction au sein de la famille un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Encore faudrait-il que le Conseil constitutionnel considère l'instruction à la maison comme une liberté. Or la liberté d'enseignement présente plusieurs aspects. Il faut le tenter, et on verra bien ! Certes, la loi Ferry offre la possibilité de l'instruction en famille, qui a toujours existé depuis le XIXe siècle. Le Conseil constitutionnel ne pourra, en tout cas, pas s'appuyer sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme pour en faire une liberté.

Le texte lui-même suscite l'interrogation. L'article 21 dispose que « l'instruction obligatoire […] peut […], par dérogation, être dispensée dans la famille ». « Dans la famille », cela veut-il dire « par la famille » ? L'instruction pourrait être dispensée dans la famille par une personne issue de l'éducation nationale, à l'image des instituteurs qui vont enseigner dans les camps de Roms ou dans les prisons, ce qui ne me poserait aucun problème. On retrouve la même formulation à l'alinéa 5.

Puis le 4°, à l'alinéa 12, accorde une dérogation en raison de « l'existence d'une situation particulière propre à l'enfant » – ce libellé très large est la porte ouverte à toutes les interprétations, met à bas la volonté d'interdire l'instruction à la maison et permet aux familles d'invoquer des motifs religieux pour justifier celle-ci – « sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ». Ici, il ne s'agit pas seulement de l'instruction dans la famille, mais bien de l'instruction par la famille.

Je n'ai pas bien compris non plus, à l'alinéa 11, la mention de « l'éloignement géographique d'un établissement scolaire ». Des réseaux se créent quand des écoles sont supprimées dans de petites villes ; est-ce de cela qu'il s'agit ?

Il existe ainsi dans les motifs de dérogation des zones floues qui peuvent être autant de brèches dans lesquelles s'engouffrent les familles. Personnellement, j'estime l'instruction à l'école préférable pour l'épanouissement, l'émancipation, le collectif. On peut admettre des exceptions pour les enfants en situation de handicap, par exemple, mais cela semble contradictoire avec l'inclusion prônée par la loi de 2005 et que l'éducation nationale fait tout pour assurer. Bref, il faudrait revoir les motifs justifiant l'autorisation d'instruction à la maison.

Vous m'avez interrogée sur le catéchisme dans les écoles privées – non pas « libres », car j'aime à penser que l'école publique est libre ! C'est leur caractère propre qui fait qu'elles peuvent proposer la catéchèse. Tant que l'école publique ne la propose pas, cela me va très bien. En outre, je vous rappelle que ce caractère propre a valeur constitutionnelle. D'ailleurs, en son nom, l'école privée peut imposer une obligation de neutralité aux adultes accompagnateurs des sorties scolaires, ce que l'école publique n'arrive pas à imposer du fait de cette même obligation de neutralité. Ainsi un arrêt du tribunal de grande instance (TGI) de Tarbes a-t-il validé le règlement intérieur d'une école confessionnelle catholique qui interdisait le port de tout signe, à tout le monde, tout le temps, et donc même aux parents qui venaient chercher leurs enfants ! L'école publique ne peut pas demander cela. La notion de neutralité est donc encore à travailler.

Pour en revenir au catéchisme à l'école privée, la IIIe République, parallèlement à la création de l'école publique gratuite, légiférait pour la liberté de l'enseignement, qui est une très grande liberté. Ce n'est d'ailleurs pas cela qui pose problème, mais son financement.

S'agissant de l'appropriation de la laïcité par les jeunes, vous avez raison, il faut absolument une éducation, beaucoup plus qu'une sensibilisation au numérique et aux réseaux sociaux, déjà prise en charge par les professeurs, et même les instituteurs. Je ne sais pas s'il faut des références supplémentaires, car c'est le discours qui est important. Ceux qui doivent s'approprier la laïcité, ce sont les enseignants. Un enseignant n'enseigne pas la laïcité, il enseigne la liberté, et il doit le faire de façon laïque. Au lycée et au collège, les adolescents en ont assez qu'on leur parle de laïcité. La loi de 1905 est trop complexe pour qu'ils puissent l'appréhender. En revanche, leur apprendre à être libre, ce que sont la liberté de conscience et la liberté d'expression, et jusqu'où cette dernière peut aller, leur apprendre ce qu'est l'indépendance, c'est l'objectif de l'école. Il faut qu'ils comprennent les registres, à quel titre on parle : ils peuvent se soumettre à la loi de Dieu chez eux, mais, à l'école, ils doivent respecter la loi de l'école. Il faut qu'ils connaissent leurs espaces de liberté et qu'ils sachent qu'ils ont la chance de pouvoir être différents à l'école, chez eux, au foot. Plutôt que de références supplémentaires, c'est une réflexion sur la mission de l'école et sur l'acte d'enseigner – magnifiques sujets ! – dont nous avons besoin.

Quant au blasphème, il n'y a en France ni délit de blasphème – heureusement ! – ni droit au blasphème, car il n'y a de blasphème que pour les croyants. Cela aussi, il faut l'expliquer. La République n'a pas à dire ce qu'est un blasphème, car elle se mettrait alors en position de savoir ce qu'est une croyance. Or cela ne la regarde pas puisqu'il y a séparation de l'église et de l'État. Si un croyant se croit blasphémé, il se croit blasphémé, c'est tout. En revanche, il faut apprendre aux jeunes et aux futurs enseignants quelles sont les limites de la liberté d'expression : bien sûr, tout est critiquable, tout est risible, sauf s'il s'agit d'injurier, de diffamer ou d'atteindre la chose de l'État.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.