Merci de nous entendre à propos de ce projet de loi très important. Puisque nous sommes dans un temps de vœux, permettez-moi de répéter ce que souhaitait un rabbin du XVIIIe siècle, qui me paraît toujours d'actualité : que l'ancien soit renouvelé et que le nouveau soit béni. On pense toujours qu'on fait du nouveau, mais en réalité on essaie de revenir à l'origine des choses… J'ai le sentiment que c'est le cas avec ce projet de loi.
Oui, il faut faire quelque chose. On ne peut pas en rester aux sempiternels cris, rappels à la loi et positions de principe sans se donner un cadre et des arguments juridiques pour pouvoir agir. Dans un autre contexte, on a pu voir à quel point une loi aurait été nécessaire – une loi qui avait été votée ici même, mais qui a été sabrée par le Conseil constitutionnel – pour interdire, empêcher, lutter contre le déversement de haine antisémite qui a eu lieu au moment de l'élection de Miss France. Ce n'est pas forcément une émission que je suis, mais justement : quand la seule chose qui émerge de l'élection de Miss France est la haine contre une candidate qui a eu le malheur de dire que son papa était d'origine israélienne, c'est dramatique.
Si nous n'avons pas les outils juridiques adéquats alors que vous aviez fait le travail nécessaire, alors il faut construire quelque chose. En France, c'est par la loi qu'on construit une volonté collective – peut-être trop, parfois. Mais en l'occurrence, il faut vraiment faire quelque chose ; l'action doit aller au-delà de la parole. Il y a un esprit qui se manifeste depuis deux ou trois ans dans la loi, et le projet de loi dont il est question aujourd'hui me semble intéressant.
Nous avons la loi de 1905, qui est une loi de liberté faite pour traiter de tout ce qui touche au culte. Le judaïsme est quasi-intégralement organisé dans ce cadre pensé par Napoléon et surtout Portalis, avec son modèle consistorial que le président Mergui pilote avec l'ensemble des présidents des consistoires régionaux. Le culte protestant suit également la loi de 1905. Le culte catholique, lui, est dans un autre cadre, celui de la loi de 1907. Mais toutes les associations qui se sont créées ensuite, y compris dans nos cultes de manière très minoritaire, utilisent les dispositions de la loi de 1901 sur les associations pour faire des activités de culte.
Il y a donc un décalage terrible entre les associations qui respectent le principe de la loi de 1905 et ses contraintes particulières, qui pourraient éventuellement être revues, et les associations qui font la même activité sous le régime de la loi de 1901, qui n'ont aucune contrainte, aucune obligation mais en gros les mêmes avantages. On pourrait discuter de tout cela, voir par exemple si le mécanisme de défiscalisation des dons ne pourrait pas être plus avantageux pour le régime de la loi de 1905 que pour les associations loi 1901. Mais s'il y a exactement les mêmes avantages et aucune contrainte, il faudrait être fou pour ne pas basculer systématiquement dans la loi de 1901.
Je dis cela alors que nous-mêmes, au Consistoire, comme beaucoup de communautés en France, avons été obligés de créer des associations loi 1901 pour nos activités sociales. La loi de 1905 en effet, paradoxe incroyable, ne permet pas de s'occuper du social. Qu'on soit juif, catholique, protestant ou musulman, pour toutes les religions, donner au pauvre, s'occuper des personnes en état de faiblesse ou de handicap, est un principe de base. Si l'on considère que ce n'est pas du ressort d'une association cultuelle, il faut se doter d'un autre type d'association pour mener ces actions qui, de notre point de vue, relèvent du culte.
En gros, ce projet de loi permettrait d'assurer une cohérence, ce à quoi je suis favorable, afin que ceux qui acceptent les règles ne soient pas défavorisés par rapport à ceux qui les contournent. D'où le principe du contrôle. Lorsqu'il est question d'un contrôle préfectoral sur l'objet social des associations, il ne s'agit pas pour moi d'un contrôle interne : la police des cultes relève toujours des cultes, évidemment. Mais ce contrôle de l'État me paraît légitime dans la mesure où ces associations ont la possibilité de délivrer des reçus fiscaux, et ont donc une forme de responsabilité.
Le contrat d'engagement républicain me paraît parfait sur le principe. On peut toujours discuter des mots ou des modalités, mais le principe est que quand une association, quelle qu'elle soit, reçoit de l'argent public – et c'est le cas par nature de toutes les associations de France, par le biais de la défiscalisation – elle doit s'engager dans ce contrat républicain. La seule chose qui me gêne est que ce contrat d'engagement semble réservé aux associations cultuelles, alors qu'il devrait être valable pour toutes les associations de tous les secteurs en France. Cette cohérence est nécessaire. J'ai le sentiment que ce principe apparaît dans le projet de loi spécifiquement pour les associations cultuelles, mais peut-être me montrerez-vous le contraire.
Il y a un seul risque dans tout cela, que j'appellerais du fait de mon passé militaire un risque de dégât collatéral : à vouloir encadrer des conduites et des dérives potentielles, on pourrait en arriver à intervenir dans des domaines qui ont toujours bien fonctionné et qui sont au cœur même de la liberté d'exercice des cultes. Il faut être précautionneux sur quelques sujets précis, comme l'enseignement ou la formation des rabbins. Les rabbins sont formés en France pour 80 % d'entre eux. Cette formation est essentielle pour véhiculer le projet du Consistoire : « religion et patrie », qui correspond selon moi exactement à ce projet de loi. Ce dernier vise à préserver la liberté d'exercice du culte tout en assurant un contrôle de l'État, car tout ne peut pas être admis sous prétexte de culte. On a vu des dérives inacceptables. Il ne suffit pas de dire que c'est inacceptable, il faut élaborer des outils juridiques pour contrer ces dérives.