COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE
Lundi 4 janvier 2021
La séance est ouverte à onze heures vingt-cinq.
La commission spéciale procède à l'audition de M. Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, et de M. Joël Mergui, président du Consistoire central israélite de France.
Monsieur le Grand Rabbin, monsieur le président, merci d'avoir répondu à notre invitation. Je vous invite chacun à exposer votre position générale quant au projet de loi confortant le respect des principes de la République, avant d'entendre les questions des députés.
Merci de nous entendre à propos de ce projet de loi très important. Puisque nous sommes dans un temps de vœux, permettez-moi de répéter ce que souhaitait un rabbin du XVIIIe siècle, qui me paraît toujours d'actualité : que l'ancien soit renouvelé et que le nouveau soit béni. On pense toujours qu'on fait du nouveau, mais en réalité on essaie de revenir à l'origine des choses… J'ai le sentiment que c'est le cas avec ce projet de loi.
Oui, il faut faire quelque chose. On ne peut pas en rester aux sempiternels cris, rappels à la loi et positions de principe sans se donner un cadre et des arguments juridiques pour pouvoir agir. Dans un autre contexte, on a pu voir à quel point une loi aurait été nécessaire – une loi qui avait été votée ici même, mais qui a été sabrée par le Conseil constitutionnel – pour interdire, empêcher, lutter contre le déversement de haine antisémite qui a eu lieu au moment de l'élection de Miss France. Ce n'est pas forcément une émission que je suis, mais justement : quand la seule chose qui émerge de l'élection de Miss France est la haine contre une candidate qui a eu le malheur de dire que son papa était d'origine israélienne, c'est dramatique.
Si nous n'avons pas les outils juridiques adéquats alors que vous aviez fait le travail nécessaire, alors il faut construire quelque chose. En France, c'est par la loi qu'on construit une volonté collective – peut-être trop, parfois. Mais en l'occurrence, il faut vraiment faire quelque chose ; l'action doit aller au-delà de la parole. Il y a un esprit qui se manifeste depuis deux ou trois ans dans la loi, et le projet de loi dont il est question aujourd'hui me semble intéressant.
Nous avons la loi de 1905, qui est une loi de liberté faite pour traiter de tout ce qui touche au culte. Le judaïsme est quasi-intégralement organisé dans ce cadre pensé par Napoléon et surtout Portalis, avec son modèle consistorial que le président Mergui pilote avec l'ensemble des présidents des consistoires régionaux. Le culte protestant suit également la loi de 1905. Le culte catholique, lui, est dans un autre cadre, celui de la loi de 1907. Mais toutes les associations qui se sont créées ensuite, y compris dans nos cultes de manière très minoritaire, utilisent les dispositions de la loi de 1901 sur les associations pour faire des activités de culte.
Il y a donc un décalage terrible entre les associations qui respectent le principe de la loi de 1905 et ses contraintes particulières, qui pourraient éventuellement être revues, et les associations qui font la même activité sous le régime de la loi de 1901, qui n'ont aucune contrainte, aucune obligation mais en gros les mêmes avantages. On pourrait discuter de tout cela, voir par exemple si le mécanisme de défiscalisation des dons ne pourrait pas être plus avantageux pour le régime de la loi de 1905 que pour les associations loi 1901. Mais s'il y a exactement les mêmes avantages et aucune contrainte, il faudrait être fou pour ne pas basculer systématiquement dans la loi de 1901.
Je dis cela alors que nous-mêmes, au Consistoire, comme beaucoup de communautés en France, avons été obligés de créer des associations loi 1901 pour nos activités sociales. La loi de 1905 en effet, paradoxe incroyable, ne permet pas de s'occuper du social. Qu'on soit juif, catholique, protestant ou musulman, pour toutes les religions, donner au pauvre, s'occuper des personnes en état de faiblesse ou de handicap, est un principe de base. Si l'on considère que ce n'est pas du ressort d'une association cultuelle, il faut se doter d'un autre type d'association pour mener ces actions qui, de notre point de vue, relèvent du culte.
En gros, ce projet de loi permettrait d'assurer une cohérence, ce à quoi je suis favorable, afin que ceux qui acceptent les règles ne soient pas défavorisés par rapport à ceux qui les contournent. D'où le principe du contrôle. Lorsqu'il est question d'un contrôle préfectoral sur l'objet social des associations, il ne s'agit pas pour moi d'un contrôle interne : la police des cultes relève toujours des cultes, évidemment. Mais ce contrôle de l'État me paraît légitime dans la mesure où ces associations ont la possibilité de délivrer des reçus fiscaux, et ont donc une forme de responsabilité.
Le contrat d'engagement républicain me paraît parfait sur le principe. On peut toujours discuter des mots ou des modalités, mais le principe est que quand une association, quelle qu'elle soit, reçoit de l'argent public – et c'est le cas par nature de toutes les associations de France, par le biais de la défiscalisation – elle doit s'engager dans ce contrat républicain. La seule chose qui me gêne est que ce contrat d'engagement semble réservé aux associations cultuelles, alors qu'il devrait être valable pour toutes les associations de tous les secteurs en France. Cette cohérence est nécessaire. J'ai le sentiment que ce principe apparaît dans le projet de loi spécifiquement pour les associations cultuelles, mais peut-être me montrerez-vous le contraire.
Il y a un seul risque dans tout cela, que j'appellerais du fait de mon passé militaire un risque de dégât collatéral : à vouloir encadrer des conduites et des dérives potentielles, on pourrait en arriver à intervenir dans des domaines qui ont toujours bien fonctionné et qui sont au cœur même de la liberté d'exercice des cultes. Il faut être précautionneux sur quelques sujets précis, comme l'enseignement ou la formation des rabbins. Les rabbins sont formés en France pour 80 % d'entre eux. Cette formation est essentielle pour véhiculer le projet du Consistoire : « religion et patrie », qui correspond selon moi exactement à ce projet de loi. Ce dernier vise à préserver la liberté d'exercice du culte tout en assurant un contrôle de l'État, car tout ne peut pas être admis sous prétexte de culte. On a vu des dérives inacceptables. Il ne suffit pas de dire que c'est inacceptable, il faut élaborer des outils juridiques pour contrer ces dérives.
À mon tour de vous présenter mes vœux, puisque nous sommes sans doute une de vos toutes premières auditions de l'année. Nous vous souhaitons beaucoup de réussite dans vos travaux essentiels pour notre pays, particulièrement dans ce moment difficile que nous vivons.
Le Grand Rabbin a résumé nos positions sur le sujet et l'ensemble des réflexions que nous avons eues, ces dernières années et particulièrement ces derniers mois, entre nous au sein du Consistoire mais aussi avec le ministère de l'intérieur et avec le Président de la République. Je voudrais insister sur quelques points généraux.
D'abord, ce projet de loi est évidemment nécessaire. Même sans entrer dans tous les détails, il apparaît que des évolutions sont indispensables pour faire face aux difficultés que nous rencontrons ces dernières années.
Ensuite, depuis le début des années 2000, autrement dit depuis la remontée de l'antisémitisme et ensuite du terrorisme en France, nous avons été confrontés à une grande difficulté pour traiter la question : la peur maladive de l'amalgame. On a toujours eu très peur d'identifier le mal. J'étais déjà président de communauté et vice-président du Consistoire au début des années 2000, et je sais combien il était difficile, alors que les synagogues brûlaient, de dire d'où venait le problème, parce que c'était stigmatiser peut-être une partie minime du monde musulman.
Vingt ans après, un des objectifs de ce projet de loi est de lutter contre l'islamisme radical et le terrorisme. Le nom de la loi a été modifié pour en rester à quelque chose de plus général et de plus républicain. Dès lors il faut veiller à éviter le dégât collatéral dont parlait le Grand Rabbin : l'instauration d'un climat de suspicion qui pèserait sur l'ensemble des religions, même celles qui n'ont posé aucun problème au cours de leur histoire et de celle de notre pays. Comment faire, je n'en sais rien, la recette est compliquée. Mais éviter l'amalgame, dire vraiment les choses et ne pas créer un climat de suspicion envers l'ensemble des religions est une équation fondamentale que doit résoudre ce projet de loi.
Je ne parle pas de l'immédiat : au moment où on écrit la loi, on sait ce qui se passe. Je parle du moment où, dans cinq ou dix ans, lorsqu'on aura oublié le contexte, des administrations auront à gérer une nouvelle sorte de relations avec les religions. Si l'esprit dans lequel le travail se fait aujourd'hui est oublié, elles risquent de devenir beaucoup plus pointilleuses avec des religions ou des associations qui n'avaient jusque-là posé aucun problème, et cela par volonté d'équilibre. Pardon, mais je le vis quotidiennement dans mes relations avec les préfectures, avec les mairies, avec nos partenaires : ce qui était jusqu'à présent toléré dans un monde où les religions étaient présentes l'est beaucoup moins aujourd'hui. Le risque est qu'on veuille faire avec les juifs strictement pareil qu'avec d'autres.
J'insiste vraiment sur ce point. Il ne faut pas que le monde musulman se sente stigmatisé dans son ensemble, c'est une évidence. Dans le cadre de nos relations, nous sommes d'ailleurs en train d'expliquer tous les détails du mode de fonctionnement du Consistoire pour essayer d'accompagner l'intégration et l'organisation du culte musulman. Mais il ne faut pas oublier que l'ennemi est le terrorisme et l'islamisme radical, et non l'ensemble des religions. Je vois bien, dès qu'il est question de ce projet de loi, l'inquiétude des conseils d'administration, des communautés, des consistoires, des associations loi 1905 à travers la France qui ont toujours agi selon un modèle démocratique. Ils ne doivent pas craindre que cette loi remette en cause un mode de fonctionnement qui a toujours été exemplaire. J'insiste car au-delà de la loi, il y a son application : il faut compter avec ce phénomène psychologique et faire passer le message à l'ensemble des associations qui se sont distinguées par leur comportement pendant toutes ces années.
Le Grand Rabbin a évoqué les différences de régime. L'idée de départ, il y a quelques années, était d'inciter l'ensemble des nouvelles structures associatives cultuelles à se placer sous le régime de la loi de 1905. Si cela reste l'objectif, se donne-t-on les moyens de le poursuivre ? Autrement dit, est-il plus attrayant d'être dans le régime loi 1905 ou loi 1901 ? Je ne suis pas assez pointu juridiquement pour répondre, mais il peut nous sembler que, faute d'avantage nouveau pour le régime de la loi de 1905, on puisse douter de l'intérêt de le choisir. Soit vous en faites une obligation, ce qui n'a pas l'air d'être le cas, soit il faut un nouvel avantage pour pousser les associations à l'adopter. Il faut réfléchir à cela.
Je souscris pleinement à cet objectif. C'est ce que nous faisons au Consistoire. Il n'y a pas beaucoup de nouvelles communautés juives en France aujourd'hui, leur nombre va malheureusement plutôt en diminuant, mais le conseil d'administration du Consistoire a poussé les quelques associations qui se sont créées ces dernières années à opter pour la loi de 1905. D'ailleurs la loi du Consistoire central, qui est la fédération des communautés de France, ne nous autorise pas à accueillir au sein d'une fédération des associations loi 1901 : toutes celles qui font partie de l'union des consistoires, soit plusieurs centaines de communautés à travers la France, sont régies par la loi de 1905, avec toutes les règles et tous les avantages qui lui sont inhérents.
Je n'ai pas fait d'étude comparative sérieuse et précise entre les modèles de 1905 et de 1901, mais je pense que celui de 1905 devrait être plus attrayant. Nous avons évoqué à de très nombreuses reprises ces dernières années la question de la neutralité de l'État par rapport aux religions. J'ai dit au Président de la République il y a quelques semaines que la neutralité de l'État ne peut pas devenir de l'indifférence vis-à-vis des religions. Ainsi, les cultes souffrent de la crise sanitaire. Les synagogues, les églises, les mosquées, tous les cultes en souffrent, et l'État reste indifférent à ces souffrances. Certains pensent qu'il n'y aurait pas de possibilité d'aide de l'État à cause de la loi de 1905. Mais la loi de 1905 n'interdit pas de poster des militaires, qui sont une aide de l'État, devant les lieux de culte pour les protéger du terrorisme !
C'est pourquoi j'insiste : il faut penser l'avenir. Il faut avoir l'intelligence de dire qu'avec la loi de 1905, on ne peut pas aider le culte, mais qu'on peut aider des structures recevant du public à faire face aux conséquences du covid. C'est une autre façon de voir les choses. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, l'article 6 n'a ni pour objet ni pour effet d'empêcher les associations loi 1905 d'obtenir des subventions pour leurs activités d'intérêt général. La possibilité pour l'État d'aider des associations cultuelles n'est donc pas exclue, lorsqu'il s'agit non pas du culte mais de l'intérêt général.
Je porte cela à votre réflexion parce qu'il ne faudrait pas laisser entendre à ceux qui veulent créer une association que le régime de la loi de 1901 leur laisse beaucoup plus de possibilités. Il faut réfléchir à une forme un peu plus attractive de la loi de 1905. Il y a toujours eu un contrôle de l'État sur les associations qui en relèvent. Puisqu'on veut matérialiser davantage ce contrôle dans les textes, peut-être la défiscalisation prévue pour l'ensemble des associations à hauteur de 66 % pourrait-elle être en contrepartie un peu augmentée pour les associations loi 1905. Je crois vraiment que la loi de 1905 est le bon modèle pour séparer le culte et le reste de la vie associative, mais si on veut la rendre plus attractive il faut se donner quelques moyens.
Voilà notre état d'esprit général : il faut rendre plus attractive la loi de 1905 ; il faut éviter de créer avec ce projet de loi et les débats qui l'entourent un climat de suspicion à l'encontre de l'ensemble des religions ; il faut trouver le moyen de ne pas stigmatiser l'islam mais de bien dire ce que sont l'islamisme radical et le terrorisme. Enfin, il est urgent de gérer la question des propos tenus sur internet et sur les réseaux sociaux. C'est un mal de notre pays, comme l'a montré le Grand Rabbin en évoquant une des dérives de ces derniers jours.
Merci à tous les deux. Je commence par préciser que l'article 6, et donc le contrat d'engagement républicain, ne vise aucunement les associations cultuelles, qui relèvent du régime juridique de la loi de 1905, par ailleurs réformé par certaines dispositions du projet de loi. Il n'y a aucune ambiguïté sur ce point.
Vous n'avez pas évoqué le passage du système actuel de rescrit administratif à une déclaration par l'association au préfet de sa qualité cultuelle. Cette mesure vous paraît-elle trop contraignante, compte tenu de votre mode de fonctionnement ? Selon la proposition du Gouvernement, la déclaration préalable serait valable pour cinq ans, comme le rescrit actuellement.
La question centrale de la séparation des activités cultuelles et des autres activités est le principe même de la loi de 1905. Des ambiguïtés, vous l'avez soulevé – des brèches, aurait dit Bernard Stirn que nous avons auditionné il y a quelques semaines – ont été ouvertes par le système des associations mixtes, qui relèvent de la loi de 1907. Est-il nécessaire de séparer ces activités, parce que la situation actuelle entraîne de la confusion, qu'elle autorise des structures à développer des projets qui sont parfois à la frontière du théologique et du politique, bref qu'elle s'éloigne du libre exercice du culte tel que nous le concevons en République ?
Enfin, je rejoins parfaitement votre point de vue sur l'attractivité des associations cultuelles de la loi de 1905 : il faut l'améliorer, et renforcer les contrôles sur les structures relevant de la loi de 1907. Pensez-vous que la disposition proposée sur les immeubles de rapport puisse se révéler un élément d'attractivité ?
Ma première question a trait aux dispositions qui vont encadrer le financement étranger des différents cultes en France. À quel titre cela concerne-t-il le culte judaïque ? Que pouvez-vous me dire sur les différents financements de votre culte en France ?
Ensuite, l'article 39 renforce les peines concernant l'incitation à la haine dans les lieux de culte et à leurs abords. J'aimerais savoir de quelle façon vous appréhendez cela et connaître les mesures de contrôle interne qui existent.
Enfin l'article 37 renforce les sanctions en cas de violation des dispositions de la loi de 1905 en matière de police des cultes. J'aimerais savoir ce qui est prévu dans le culte judaïque pour organiser sa police interne.
Mes questions porteront sur le domaine de l'enseignement. En France, c'est l'instruction qui est obligatoire : les parents peuvent choisir que leurs enfants âgés de trois à seize ans soient instruits soit en école publique, soit en école privée sous ou hors contrat, soit en famille. Des dispositifs de contrôle sont prévus pour que chaque site d'enseignement respecte le droit de l'élève à l'instruction, bien sûr, mais aussi les normes minimales des connaissances requises par notre code de l'éducation.
Le projet de loi modifie un certain nombre de dispositifs. La procédure de déclaration de l'instruction en famille, qui date de 1882, va notamment être remplacée par un dispositif d'autorisation délivrée en fonction de motifs édictés par la loi, sans que les convictions politiques, philosophiques ou religieuses des parents puissent être invoquées. J'aimerais vous entendre sur ce point.
Les articles 22 et 23 traitent de la fermeture administrative des établissements privés hors contrat en cas de dérive ou de manquement grave et réitéré à la réglementation. L'article 24 prévoit une condition supplémentaire pour la passation d'un contrat entre une école privée et l'État : l'établissement privé devra démontrer qu'il est en mesure de dispenser un enseignement conforme aux programmes de l'enseignement public ou organisé par référence à ces programmes. J'aimerais vous entendre sur ce point, et bien sûr sur le sujet de l'enseignement privé juif, sous contrat et hors contrat.
Le projet de loi que nous examinons s'attaque au radicalisme religieux, qui a pour ambition de placer les normes religieuses au-dessus des lois de la République. L'enjeu est de lutter contre les divisions et de s'assurer que les principes de la République soient confortés dans toutes les sphères de la société.
L'objet du texte est de préserver la liberté de culte – tous les cultes – et d'améliorer notre arsenal juridique pour mieux prévenir les dynamiques séparatistes, renforcer la transparence des conditions de l'exercice du culte et garantir l'ordre public. Le projet de loi prévoit également de renforcer les peines applicables aux atteintes à la liberté de culte et d'aggraver le délit de provocation prévu par la loi de 1881 lorsque celui-ci est commis dans un lieu de culte.
De nombreux citoyens sont visés par des contenus antisémites en ligne, et le concours Miss France en a été récemment un triste exemple, vous l'avez dit. Selon une étude de l'IFOP, un tiers des Juifs de France se sentent menacés en raison de leur appartenance religieuse. Au nom du groupe La République en marche, je voudrais savoir, messieurs, quel impact ces atteintes ont sur votre liberté d'exercice du culte, notamment s'agissant de la jeunesse croyante. Et, toujours à propos des jeunes, comment trouver selon vous le juste équilibre entre liberté de conscience, appropriation des principes républicains et prévention de la radicalisation ?
En 1905, le législateur a tranché en faveur d'une conception libérale de la laïcité, portée par Jean Jaurès et Aristide Briand, au détriment d'une conception intégrale, portée par Émile Combes. L'irruption d'un islam radical et violent a changé la donne, et il est de plus en plus fréquent d'entendre s'exprimer un discours antireligieux. Pourtant, comme l'a déclaré un membre du Conseil de la laïcité, ce n'est pas la France qui est laïque, mais la République. Par ailleurs, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen consacre le principe selon lequel nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. Craignez-vous que cette loi favorise la montée en puissance d'un discours ou d'une opinion publique hostile aux religions ?
La progression de l'islamisme va de pair avec la montée désolante de l'antisémitisme. Que vous inspire cet état de fait et comment le combattre ? Cette loi risque-t-elle d'y contribuer ? Le comble serait de compromettre la liberté religieuse de ceux qui ne posent aucun problème pour combattre l'islamisme, qui menace la République.
Beaucoup d'associations de la communauté juive se constituent sur le fondement de la loi de 1901 car elles ont des activités mixtes : cultuelles, mais aussi culturelles et sociales. Ce statut leur permet souvent d'obtenir des financements pour mener à bien leurs actions. La loi de 1905 a l'inconvénient de ne s'appliquer qu'aux associations dont l'objet est exclusivement cultuel. Seriez-vous favorable à l'élargir aux activités connexes des activités cultuelles, pour inciter des associations à se placer sous ce régime ? Je connais le cas de synagogues qui mènent des actions sociales totalement liées à l'exercice du culte.
Les avantages fiscaux attribués aux associations loi 1905 doivent-ils être plus incitatifs pour que des associations loi 1901 adhèrent à ce régime ? Savez-vous si des associations de la communauté juive souhaitent changer de statut ?
Nous avons été un certain nombre à faire en sorte que les dispositions consacrées à la haine en ligne permettent de sanctionner l'antisémitisme sous sa nouvelle forme : la haine d'Israël. Lors du concours de Miss France, c'est lorsque la candidate a annoncé que son père était israélien que la haine à son encontre s'est déversée sur les réseaux.
L'article 6 du projet de loi, consacré au contrat d'engagement républicain, prévoit que les associations devront s'engager à respecter le principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Certaines associations cultuelles demandent régulièrement aux municipalités le prêt d'installations publiques pour l'exercice du culte, en particulier pour célébrer les grandes fêtes religieuses ; la séparation spatiale entre les hommes et les femmes est alors une réalité. À Sarcelles, une association de la communauté juive m'avait demandé la mise à disposition de la piscine, mais les hommes et les femmes n'étaient pas simultanément présents. Je leur ai prêté cet équipement car je ne souhaitais pas pratiquer de discrimination. N'avez-vous pas le sentiment que le contrat d'engagement républicain risque d'interdire le prêt de tels équipements à ces associations qui n'ont jamais posé aucun problème et demandent juste à pouvoir pratiquer leur activité en respectant leurs règles religieuses ?
Le rapprochement du statut des associations loi 1901 et loi 1905 est envisagé afin de faciliter l'adoption du régime de la loi de 1905 par les associations à objet cultuel. Compte tenu de la rédaction actuelle du projet de loi, le culte israélite a-t-il l'intention d'effectuer cette transformation ?
En considération de l'équilibre trouvé en 1905 par la loi de séparation des Églises et de l'État, que pensez-vous de l'obligation de déclaration préalable des associations cultuelles ? N'y voyez-vous pas un système d'autorisation tacite qui pourrait modifier le principe selon lequel l'État ne reconnaît aucun culte ?
Monsieur le Grand Rabbin, monsieur le président du Consistoire, vous avez commencé en indiquant qu'il fallait faire quelque chose ; vous avez parfaitement raison. Nous devons lutter contre la radicalisation religieuse ou politique. Nous subissons, en France, l'islamisme radical. Des réponses doivent être apportées, car rien n'est au-dessus des lois de la République. La foi n'est pas au-dessus des lois de la République. La République reconnaît le droit à la différence, mais pas la différence des droits. La République protège tous les citoyens, leur liberté de conscience, et leur liberté de croire ou de ne pas croire. Je crois d'ailleurs qu'un adage juif prévoit : « la loi du pays est notre loi ».
Dans notre société, depuis une vingtaine d'années, l'antisémitisme a proliféré. Ce nouvel antisémitisme impose que des synagogues soient protégées. Il est difficile de dire que l'on protège la liberté de conscience dans la République quand certains citoyens doivent être protégés du fait de leurs convictions religieuses. L'antisémitisme se rencontre dans un certain nombre de quartiers ou de territoires – beaucoup d'intellectuels, d'universitaires et de spécialistes ont écrit sur le sujet. Certains citoyens de confession ou de culture juive ont quitté l'école de la République pour se protéger de l'antisémitisme. C'est un sujet de société majeur, et le législateur doit comprendre ce qui se passe dans notre société.
Vous avez émis des réserves sur certains points du texte, quelles modifications aimeriez-vous que le législateur y apporte ?
Je suis député français juif, et depuis ma naissance, j'applique le principe « dina demalkhouta dina » : la loi de mon pays est la loi. Monsieur le Grand Rabbin, vous avez fait part de votre crainte des dommages collatéraux, ne cassons pas ce qui fonctionne bien. Annie Genevard l'a très bien dit : les Juifs se sont fondus depuis 2 000 ans dans nos institutions en préservant leurs spécificités telles que l'abattage rituel – la shehita – et la circoncision, tout en acceptant, en aimant et en chérissant la République. Quel plus beau message d'amour que la prière pour la République récitée dans toutes les synagogues chaque vendredi soir ?
Si nous sommes dans la situation que nous connaissons, ce n'est pas à cause du judaïsme ou du christianisme, mais à cause de l'islam radical, responsable de 100 % des attentats en France.
Je suis inquiet de constater que dans le département de Seine-Saint-Denis, il n'y a plus un seul enfant juif dans les écoles de la République. Nous en parlions avec Jean-Christophe Lagarde, député de ce département et président du groupe UDI et indépendants. C'est un échec cuisant de la République, car les enfants juifs se sont toujours intégrés dans ses écoles et les ont chéries, tandis que les membres de la communauté qui souhaitent que leurs enfants aillent dans des écoles juives tout en respectant les valeurs de la République pouvaient le faire.
Je crains que les discussions actuelles ne portent atteinte au fonctionnement harmonieux que nous connaissons depuis des millénaires, à l'exception de la parenthèse de Vichy – certains prétendent que ce n'était pas la France, c'est pourtant le cas puisque ce sont des gendarmes français qui ont arrêté les Juifs.
Pour finir, comme le disait M. Pupponi, certains pensent aujourd'hui qu'être israélien est suspect en soi, et nous avons constaté cette dérive scandaleuse lors du concours de Miss France.
J'ai quatre questions à poser au Grand Rabbin et au président du Consistoire.
Pensez-vous nécessaire de maintenir la distinction entre les activités liées à l'exercice du culte et les autres, telles que l'éducation, l'enseignement ou les actions sociales ? La notion d'exercice du culte n'est-elle pas trop étroite ?
S'agissant spécifiquement de l'enseignement, l'interdiction de l'instruction en famille pour des raisons religieuses prévue à l'article 21 vous semble-t-elle respectueuse des principes républicains ? Quel est votre avis sur le contrôle renforcé de l'enseignement privé hors contrat ?
Les articles 26 et 27 ne présentent-ils pas un risque d'immixtion de l'État dans le fonctionnement des cultes ?
L'adhésion au contrat d'engagement républicain est exigée de toutes les associations qui reçoivent des fonds publics, mais la République n'est pas un contrat. Ne vaudrait-il mieux pas parler d'adhésion aux principes républicains ?
À propos de l'antisémitisme abject qui a circulé sur les réseaux sociaux lors de l'élection de Miss France, la loi permet déjà de sanctionner ce genre de propos, et les coupables seront châtiés. Le vrai sujet, c'est l'absence de moyens pour appliquer la loi, pas l'absence de dispositif juridique. La surenchère législative ne règle pas les problèmes, surtout quand on observe que les lois existantes ne sont pas appliquées.
L'article 6 a été évoqué à l'instant par Charles de Courson. La loi de 1905 est libérale dans le sens où elle laisse aux cultes la liberté de leur organisation, à condition que les fidèles respectent la loi, comme tout citoyen. Respecter la loi, c'est une injonction claire, mais demander à toutes les associations – notamment cultuelles – de respecter des principes est plus discutable, et le projet de loi insiste sur le principe d'égalité entre les femmes et les hommes. De nombreux cultes prévoient que les hommes et les femmes soient séparés dans les lieux de culte, et pour d'autres aspects. N'est-ce pas une ingérence, car dans l'esprit de la loi de 1905, la République n'a pas à se mêler de la façon dont s'organise le culte ?
L'article 26 imposera la modification des statuts des associations qui procèdent à la désignation du ministre du culte, à moins qu'elles ne prévoient déjà l'existence d'organes délibérants ayant compétence pour décider de l'adhésion. Il me semble que c'est le cas de vos associations : pouvez-vous me le confirmer ? N'est-ce pas une incompréhension de la loi de 1905, qui impose aux fidèles de respecter la loi mais ne permet pas de fixer une organisation spécifique aux cultes ?
Je suis défavorable à l'article 28 sur les biens de rapport car ce sont les fidèles qui doivent financer le culte. Prenons garde de ne pas transformer les cultes en affaires lucratives.
Au sein de votre culte, certains citoyens français envisagent de quitter le territoire et n'envoient plus leurs enfants dans les écoles de la République, pas seulement parce qu'ils sont victimes d'antisémitisme, mais aussi parce qu'au nom de leurs convictions religieuses, ils ne veulent plus faire partie de la République. Que faites-vous pour y remédier, sachant que ce projet de loi exige que les religions aident ces gens à retrouver confiance en la République ?
Oui, la question des principes est essentielle. L'école rabbinique fondée à Metz avait pour vocation d'enseigner aux rabbins à pousser les communautés à faire tous leurs sermons en français. C'était le meilleur agent de francisation d'un judaïsme qui avait ses origines dans le Sud-Ouest, en Alsace ou en Allemagne de l'Est. L'enjeu était de faire en sorte que le Consistoire soit un consistoire français. L'école rabbinique a toujours poursuivi cet objectif après avoir quitté Metz pour s'installer à Paris, puis lorsqu'elle s'est installée à Chamalières, pendant la deuxième guerre mondiale. Elle a défendu la France, ses valeurs et les principes de la République.
Nous faisons en sorte que la pratique du judaïsme soit la plus sereine possible. Si quelqu'un doit partir, ce doit être par choix, non par contrainte. Le choix de chacun doit être libre, dans notre monde totalement ouvert où il est possible d'aller faire ses études en Amérique, au Japon, en Chine, en Australie, en Israël, à l'Université Bocconi ou à la Sapienza. Les étudiants bougent, mais cette mobilité doit être un choix, ils ne doivent pas se sentir poussés dehors. Nous défendons cette vision de la République car chaque fois que la République a été forte, le judaïsme y a eu toute sa place, tandis que chaque fois qu'elle a été fragilisée, le judaïsme a tangué, comme lors de l'affaire Dreyfus. Quand la République est tombée, comme en juillet 1940, malgré le vote courageux de quatre-vingts parlementaires, le sort des Juifs a été catastrophique.
Oui, en Seine-Saint-Denis, beaucoup d'enfants ne peuvent plus aller dans les écoles publiques – j'évite l'expression « école de la République » car les écoles privées sont aussi des écoles de la République. Mais il est vrai qu'en Seine-Saint-Denis, en dehors des Pavillons-sous-Bois et du Raincy, la sécurité n'est plus assurée pour les écoliers juifs. Nous devons nous interroger sur la liberté réelle de choix des écoles pour les parents et les enfants.
S'agissant de la déclaration préalable, la vraie question est de savoir si cette obligation s'appliquera à toutes les associations déjà constituées, ou seulement à celles qui seront créées après la promulgation de la loi. Il n'y a aucune raison de soumettre les associations qui fonctionnent bien à cette démarche, qui semble un peu mesquine. Il est ubuesque de demander aux associations existantes si elles sont profondément républicaines, mais il faudra le demander aux nouvelles associations. Mais puisqu'il y a des dérives, il faut prévoir un contrôle, qui devra être effectif.
L'un des articles du projet de loi impose la certification des comptes des associations, ce qui induit des coûts supplémentaires. Lorsque nous sécurisons des lieux communautaires en installant des caméras et des blindages, l'État ne peut pas nous aider à plus de 80 %, et les 20 % qui manquent peuvent être difficiles à payer pour des associations qui ne vivent pas dans l'opulence et n'ont pas d'immeubles de rapport. Le coût de la certification des comptes représenterait une nouvelle charge assez lourde. En revanche, la déclaration préalable ne me gêne absolument pas.
S'agissant de la brèche ouverte par les associations mixtes, pour reprendre la terminologie employée par Bernard Stirn, il faut trouver un mode d'organisation plus souple. Si tout ce qui se passe dans un lieu de culte est nécessairement considéré comme de caractère cultuel, nous oublierons tout ce qui relève du social et de l'humain. La commémoration de la Shoah est-elle de nature historique ou religieuse ? Lors de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv', un rabbin récite un kaddish : faut-il considérer que c'est une cérémonie religieuse ? Rachi de Troyes, grand commentateur du Talmud qui a vécu de 1049 à 1105, disait : « quand on ne sait pas, regardons comment le peuple fait, et on saura comment faire. » La question des œuvres sociales est importante à régler, mais il faut respecter l'équilibre que nous avons trouvé, qui marche assez bien.
Le financement étranger nous concerne très peu : seules quelques fondations d'Amérique et d'Europe nous aident, et nous aimerions qu'elles le fassent encore plus.
L'enjeu de l'enseignement, y compris dans les établissements privés hors contrat, est aussi de former des citoyens. Mes enfants vont dans une école où l'on enseigne les valeurs de la République. Et lorsque j'étais dans les armées, je faisais venir les enfants des écoles pour le ravivage de la flamme du Soldat inconnu. Quand ces élèves apprennent la Marseillaise et les chants patriotiques pour cette occasion, on instille une pensée républicaine dans toute l'école. Le judaïsme a toujours fait en sorte que les élèves des écoles sous contrat ou hors contrat soient dans un cadre profondément républicain.
Je remercie les parlementaires qui ont rappelé l'adage « dina demalkhouta dina », qui a force de loi. Le génie de la laïcité en France est de faire en sorte que personne n'ait à choisir entre sa foi et sa citoyenneté. Notre système laïque, unique, est parfois moqué à l'étranger, mais je suis allé partout le défendre car la loi intègre la liberté de pratique religieuse – pas uniquement la liberté de conscience. Il faut le préserver car au-dessus de tout, notre communauté est la communauté nationale. Chacun doit se reconnaître dans ce que nous construisons ensemble.
La montée du sentiment antireligieux est un vrai risque. Je vais vous citer un exemple que le député Pupponi connaît bien : les caisses d'allocations familiales refusent parfois les bons vacances des parents qui envoient leurs enfants dans des colonies des Éclaireurs israélites de France – des scouts. Dans le Val-d'Oise, où les autres cultes ont d'ailleurs rencontré le même problème, M. Pupponi a dû intervenir. Pourquoi les scouts, particulièrement altruistes et ouverts, devraient-ils subir l'interprétation de la loi faite par une personne – pas l'administration – qui transforme un système laïque en un système athée ? La laïcité n'est pas l'athéisme. Le Secours catholique fait des choses extraordinaires sans demander un certificat de baptême à ceux qu'il aide. Les cultes produisent pour l'ensemble de la société, et si ce n'était pas le cas, les dons qui leur sont faits ne bénéficieraient pas de la défiscalisation.
S'agissant de la question essentielle de l'égalité entre les hommes et les femmes, qui a été soulevée deux fois, je tiens à y répondre personnellement et à ne pas laisser au président Mergui le soin de le faire, car lorsqu'il a été brillamment réélu, une femme a voulu se présenter contre lui. Certains m'ont dit qu'il ne serait pas normal qu'une femme préside le Consistoire, mais je ne suis pas allé dans leur sens. Dans une association loi 1905, une femme peut être dirigeante ou administratrice. C'est d'ailleurs notre cas : nous avons des vice-présidentes et il est tout à fait possible qu'une femme devienne un jour présidente. Mais il y a une grande différence entre les instances dirigeantes d'une association, qui ne doivent faire l'objet d'aucune discrimination, et la police interne du culte, qui peut seule décider qui dirige l'office et comment s'organise le culte. Je ne vais pas demander pourquoi, dans les magnifiques églises du Pays basque, les hommes sont placés en haut et les femmes en bas – je vous invite à aller voir la superbe nef de l'église de Saint-Jean-de-Luz et ses ex-voto en forme de bateaux pour en avoir la démonstration.
La prière pour la République française prononcée dans les synagogues n'est pas anecdotique mais tout à fait essentielle. Je vous invite à l'entendre ou à la lire – je me permettrai, monsieur le président, de vous en envoyer un exemplaire que vous voudrez bien diffuser au sein de la commission spéciale. Il est important de savoir ce qui se dit dans les lieux de culte car le croyant, quel qu'il soit, essaie toujours de vivre en cohérence avec ces paroles. Il serait peut-être bon que l'on entende aussi cette prière pour la République dans d'autres lieux de culte, ou tout du moins que ce principe y soit repris.
Lorsque le Président de la République et le ministre de l'intérieur nous ont présenté ce texte, j'ai dit que la loi n'avait pas vocation à être contre, mais pour quelque chose. Elle doit défendre, partout, les principes républicains. Nous voulons encourager l'engagement dans la vie associative, le volontariat, le bénévolat, et toujours aller dans le sens du bien commun. J'ai le sentiment que c'est l'objectif de ce projet de loi, et je sais que vous saurez arranger les choses.
L'article 26 confère aux associations cultuelles la compétence du recrutement des ministres du culte, mais cela ne nous affecte pas : nous avons déjà un système très démocratique car le Consistoire central ne fait que valider la décision des associations locales, qui choisissent leur ministre du culte de manière autonome. Quant aux immeubles, si quelqu'un veut en offrir au Consistoire, nous sommes évidemment preneurs !
(Sourires.)
Le grand rabbin a déjà répondu à une grande partie des questions, si ce n'est à toutes. Je répondrai à celles qui portent sur l'antisémitisme et l'état d'esprit des Juifs de France aujourd'hui. On a demandé ce que nous faisions pour donner aux Juifs l'envie de rester en France. Il s'agit là d'une vraie question.
Dans le cadre des différents mandats que j'ai assumés depuis plusieurs années, j'ai toujours dit qu'il y avait moins de Juifs en France aujourd'hui qu'il n'y en avait il y a cinq ans, et qu'il y en avait moins il y a cinq ans qu'il y a dix ans. Cette courbe décroissante s'explique par deux phénomènes : de nombreux Juifs ont quitté la France ces dernières années, mais certains aussi abandonnent leur identité et s'assimilent à tel point que leurs enfants ne font plus partie de la communauté. C'est un phénomène nouveau alors qu'après la Shoah, la croissance de la communauté juive de France était certainement l'une des plus importantes en Europe, notamment du fait de l'arrivée des Juifs d'Afrique du Nord et de certains pays d'Europe de l'Est.
Nous combattons aujourd'hui l'islamisme radical qui, en même temps qu'il atteint notre société, favorise le développement d'une nouvelle forme d'antisémitisme, d'antisionisme et de haine d'Israël. Dans ce contexte, le Parlement s'apprête à voter un projet de loi. On peut voir les choses positivement : comme l'a dit le grand rabbin, ce texte vise à conforter l'esprit républicain et les valeurs de la République. Mais nous ne devons pas perdre de vue qu'il faut combattre précisément l'islamisme radical. J'insiste sur ce point car je ne voudrais pas que les Juifs de France, qui nous interpellent, qui interpellent le grand rabbin et qui nous interpelleront encore davantage lorsque ce texte sera au cœur du débat public, aient l'impression que tout le monde est traité à égalité dans la lutte contre les atteintes portées à la République. Nous devons veiller à rassurer les Juifs de France, à leur donner envie de rester dans notre pays. Nous devons trouver des moyens, notamment financiers, pour assurer leur sécurité dans les quartiers difficiles. Le grand rabbin a évoqué l'aide que l'État nous a apportée pour sécuriser nos lieux, mais il ne faudrait pas oublier les vigiles que nous avons dû recruter et tous les moyens supplémentaires que nous avons dû déployer. Je vous le demande pour l'ensemble des religions, mais plus particulièrement encore pour le judaïsme, qui s'interroge aujourd'hui sur son avenir : il ne faudrait pas que chaque rabbin ou président d'association cultuelle, qui a toujours respecté l'ensemble des règles de notre pays, ait l'impression que le texte qui résultera de vos travaux lui impose des contraintes nouvelles. Cela porterait atteinte à l'état d'esprit des Juifs de France.
La veille de l'attentat de Toulouse, nous avons obtenu l'autorisation de construire le Centre européen du judaïsme, un grand bâtiment de près de 5 000 mètres carrés qui accueille notamment le Consistoire. Imaginez-vous le doute qu'ont pu ressentir les conseillers d'administration du Consistoire au moment d'engager le plus grand projet juif d'Europe en 2012, de commencer les travaux au lendemain des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hypercacher, et d'inaugurer le bâtiment ? Ce projet était notre réponse. Certains Juifs quittent la France, d'autres doutent, des synagogues sont attaquées et nous sommes obligés de nous protéger. J'aurais pu, il y a dix ans, renoncer au plus grand projet de la communauté juive en France, mais nous l'avons mené à bien. Le Centre européen du judaïsme a été inauguré par le Président de la République, bien que toutes les structures de l'État se soient montrées d'une froideur totale lorsque nous avons sollicité des aides, même dans le domaine culturel. Nous avons fait notre part pour essayer de convaincre les Juifs de France qu'ils avaient un avenir dans notre pays. Il ne faudrait pas que le présent projet de loi suscite de nouveaux doutes chez les responsables de la communauté juive de France ou, tout simplement, chez les Juifs de France.
Tout cela est très subtil, très compliqué. La censure de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet a attisé les doutes : voulons-nous réellement combattre l'antisémitisme ? Je crains que dans cinq ou dix ans, les autorités pinaillent contre ceux qui ne créent pas de problèmes au lieu de concentrer leur action sur ceux qui en créent. C'est ce que je ressens aujourd'hui dans mes discussions à tous les niveaux de l'État. J'ai donné l'exemple du Centre européen du judaïsme, aujourd'hui confronté à d'énormes difficultés de financement car on a peur qu'en aidant une structure juive, on doive aider également d'autres structures.
Faut-il différencier, pour les associations loi 1905, les activités cultuelles et les activités non cultuelles ? Il faut comprendre que certaines activités non cultuelles font partie de la vie d'un culte, d'une communauté – pardon d'utiliser volontairement ce mot, je veux parler d'une communauté d'intérêts, d'une communauté de philosophie. Il y a sept ou huit ans, j'ai été obligé de créer le Secours juif pour éviter qu'une administration trop pointilleuse ne retoque les reçus fiscaux correspondant aux dons destinés à aider, dans une synagogue, des personnes en difficulté. Pourtant, n'est-ce pas la vocation d'un culte que d'encourager ce que nous appelons la tsedaka et que d'autres appellent la charité ? Faut-il créer une association à part pour cela ? Ces activités, qui entrent dans le cadre du culte, doivent-elles être déclarées séparément ? C'est à vous de le déterminer.
Le Consistoire est resté très respectueux de la loi de 1905. Pour répondre à une question qui nous a été posée, il est possible que quelques associations loi 1905 soient créées. Quant aux associations loi 1901, il n'y en a pas – ou quasiment pas – qui gèrent un culte aujourd'hui en France. Je ne sais pas si certaines associations loi 1905 deviendront demain des associations loi 1901 ; essayons de l'éviter car ce serait un échec pour la communauté juive.
Prenons le cas d'une communauté religieuse ayant une synagogue, qui a toujours respecté la loi, qui s'organise dans le seul cadre d'une association loi 1905 et qui n'a pas voulu créer d'autre association. Pour la partie non cultuelle de son activité, c'est-à-dire la partie sociale et éducative – l'organisation de conférences ou d'activités ludiques pour les jeunes, par exemple –, devra-t-elle créer une association loi 1901 ? Autorisera-t-on les collectivités locales, qui rechignent à agir en faveur des Juifs de peur de rompre une certaine égalité de traitement, à aider une association loi 1905 pour la partie non cultuelle de son activité ?
Les associations cultuelles assurent la rémunération du rabbin, mais ce dernier exerce-t-il une activité cultuelle quand il réconcilie des couples ou encourage les jeunes à devenir de meilleurs citoyens ? Il faut rentrer dans le détail : tout ce qui concerne la synagogue ne relève pas du culte. Comme les autres lieux de culte, la synagogue est aussi un lieu de rassemblement, où il se passe plein de choses qui n'ont rien à voir avec le culte. Pour ces activités, l'outil existant – l'association loi 1905 – est-il suffisant ou faut-il en créer un nouveau ?
S'il vous plaît, ne défaites pas ce que nous essayons de faire depuis des années. Faites en sorte que les Juifs de France n'aient pas l'impression d'être punis par toutes ces règles nouvelles, instaurées pour résoudre le problème d'un culte qui a engendré une frange marginale, l'islamisme radical. Je suis médecin. Quand j'ai fait mes études de médecine, je n'ai eu aucun problème à demander à mes chefs de service de m'absenter pour le shabbat et les fêtes, ni à demander à mes universités de ne pas passer d'examen le vendredi soir ou le samedi. Si de telles demandes posent problème aujourd'hui, c'est parce qu'on essaie de gérer un nouveau culte qui est en train de s'installer en France. Or je ne suis pas sûr que ce soit en réglementant le culte à l'excès qu'on combatte le terrorisme. Notre objectif est la lutte contre le terrorisme et la radicalisation de l'islam ; pour ce faire, allons-nous contrôler tous les cultes ? Nous devons nous poser cette question pour chacune des lignes que compte ce texte. Mon avis se fonde sur vingt ans d'expérience, de responsabilité et d'analyse.
La question des financements venant de l'étranger ne nous concerne quasiment pas. En la matière, les associations loi 1901 et loi 1905 seront-elles soumises à la même législation ? Il n'est pas question de contrôler l'origine des financements dans le cadre de la loi de 1905 si on ne le fait pas dans le cadre de la loi de 1901, à moins de vouloir inciter chacun à rester régi par la loi de 1901.
S'agissant de l'enseignement, je pense que les écoles juives sous contrat et même les quelques écoles juives hors contrat sont un exemple d'intégration républicaine. Là encore, il ne faudrait pas que ces systèmes scolaires se sentent stigmatisés parce que l'on cherche à éviter des dérives ailleurs.
Pardon d'insister sur ce risque. Chacun connaît ma proximité avec le monde musulman – je suis originaire du Maroc et j'ai des relations quotidiennes avec les responsables du Conseil français du culte musulman (CFCM) –, mais je ne tolérerai pas que le judaïsme, dont les contraintes comme le shabbat ou la nourriture kasher sont plus fortes que celles des autres religions, soit la victime collatérale d'une règle imposée pour lutter contre l'islamisme radical. Je ne voudrais pas que des Juifs intégrés à la société française, ayant envie de continuer à vivre leur judaïsme de façon pleine et entière tout en étant des citoyens exemplaires, subissent une double peine. Il ne faudrait pas que les Juifs de France, en particulier les responsables des structures associatives juives en France, se sentent plus en difficulté.
J'aimerais prolonger votre réflexion sur le terrorisme islamiste et l'islamisme radical. À vos yeux, existe-t-il une continuité ou une rupture entre l'islam et l'islamisme radical ? Ce dernier a-t-il une dimension entièrement religieuse ou revêt-il aussi d'autres dimensions ? Le présent projet de loi vous paraît-il situé au bon niveau lorsqu'il s'intéresse à la question des cultes et des religions ?
Je vous remercie, monsieur le Grand Rabbin, d'avoir cité la ville de Metz, où il existe depuis très longtemps une concorde entre les différentes religions et où a été créée l'école rabbinique que vous avez évoquée.
Que pensez-vous de l'article 31, qui étend certaines obligations comptables aux associations inscrites de droit local à objet cultuel d'Alsace-Moselle ?
J'aimerais enfin vous interroger sur le dialogue interreligieux, que vous avez évoqué rapidement tout à l'heure. Quel est l'état des discussions et des échanges que vous avez avec les autres cultes ?
Je précise à nouveau que les associations cultuelles ne sont pas directement concernées par le contrat d'engagement républicain, ou en tout cas par le besoin d'engagement républicain, à partir du moment où elles sont strictement cultuelles – ce qui est majoritairement le cas dans votre culte, comme vous l'avez souligné. Lorsque ces associations éprouvent le besoin d'exercer une action complémentaire dans le champ de la loi de 1901, notamment en matière de solidarité ou de charité, on entre effectivement dans une zone grise, ce qui pose certaines difficultés.
Aux termes de l'article 6, l'engagement républicain consiste « à respecter les principes de liberté, d'égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l'ordre public ». Cette définition pose-t-elle problème ? Pensez-vous qu'elle doive être précisée ?
L'antisémitisme est malheureusement associé aujourd'hui à la haine en ligne. Au-delà des propos récemment tenus à l'encontre d'April Benayoum, qui ont peut-être permis à tout un chacun de prendre conscience de ce phénomène, d'autres affaires d'antisémitisme en ligne se révèlent chaque jour. Vous avez dit qu'il était urgent de lutter contre cette haine en ligne. L'urgence vient-elle d'une exacerbation des propos antisémites, notamment sur les réseaux sociaux, ou d'un effet de saturation ? Comment évolue ce phénomène ?
Je suis bien sûr favorable à une évolution de la législation dans ce domaine, même si un délai de vingt-quatre heures aurait été bien trop long pour faire retirer les contenus contre Mme Benayoum – il faudrait sans doute demander aux plateformes de faire mieux. L'article 18 crée un nouveau délit de mise en danger sur internet par la divulgation d'informations personnelles : cette disposition trouve-t-elle un écho auprès de votre communauté ?
Toutes ces questions sont essentielles. S'agissant de la continuité entre l'islam et l'islamisme radical, je reprendrai les propos de l'une de vos anciennes collègues citant sa grand-mère : « Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup. » Cette question vitale devrait plutôt être posée aux services de renseignement et à l'État, qui doit être capable de suivre ce qui se passe. Il est clair que le flou entretenu donne de la place à des mouvements qu'on ne contrôle plus, notamment dans des quartiers parfois abandonnés. Il faut que la République reprenne toute sa place, en créant par exemple des maisons des associations. Quand on a besoin de quelque chose, on doit se tourner vers l'État et non vers d'autres opérateurs qui ont pu s'imposer. Toutes proportions gardées, l'histoire a montré que les conquêtes militaires devaient s'accompagner d'une conquête des cœurs des personnes. Il faut redonner confiance dans les principes de la République.
Rassurez-vous : grâce à la laïcité, le dialogue interreligieux fonctionne remarquablement. Au niveau local, nous faisons de grandes choses. Nous pouvons bien sûr avoir des points de vue divergents, notamment sur ce projet de loi, ou encore sur la réouverture des lieux de culte après le confinement. Certains cultes se sont battus pour rouvrir, alors que nous avons décidé, avec l'assentiment de l'ensemble du Consistoire, de ne pas rouvrir les synagogues à la Pentecôte. Nous avons considéré qu'une réouverture pour une fête aussi importante, après trois mois de fermeture, nous ferait prendre un risque que nous ne pourrions maîtriser : nous avons donc préféré attendre un petit peu. Malgré ces quelques divergences, le dialogue interreligieux en France est un modèle.
S'agissant de la haine en ligne, j'aimerais d'abord répondre à l'interpellation de M. Corbière. Pour censurer la loi qui porte le nom de Mme Avia, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions prévues étaient disproportionnées. Cet argument m'a fait bondir. Le Conseil constitutionnel ne lit manifestement pas ce qui s'écrit sur internet : si les dispositions votées sont disproportionnées, c'est que nous n'en faisons pas encore assez ! Nous devrions demander aux hébergeurs de contenus combien de modérateurs travaillent en permanence – et parmi ces modérateurs, combien parlent français. Dans l'affaire que vous avez citée, il a fallu signaler chaque tweet sur PHAROS, la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements, alors que les contenus incriminés auraient pu être bloqués en amont. Parlons clairement : ce qui marche, pour les GAFA, ce sont les amendes à l'allemande, d'un montant énorme. Les plateformes parlent un langage économique, et nous devrions faire comme elles. Un ancien ministre de l'intérieur m'avait convié à une discussion avec le numéro trois de Facebook : à cette occasion, j'ai bien compris que ce qui les motive, c'est que nous leur parlions gros sous. Les contenus haineux doivent être retirés immédiatement – Mme Avia a évoqué un délai de vingt-quatre heures, mais elle parlait à l'origine d'une heure – car la rapidité de la diffusion de la haine sur internet et sa viralité constituent une nouvelle donnée.
Je conclurai en appelant votre attention sur les signaux faibles, qui sont porteurs de sens. Je pense par exemple aux examens organisés le jour du shabbat : comment convaincre les jeunes de rester en France pour faire leurs études quand d'autres pays, comme l'Italie, tiennent mieux compte de cette nécessité ? Jusqu'ici, les questions du shabbat et de l'abattage rituel, dont parlait aussi M. Habib, n'ont jamais posé problème. Aujourd'hui, les gens se disent qu'il n'y en a que pour les Juifs… Sommes-nous obligés de remettre sans cesse en question les pratiques religieuses alors que le génie de la laïcité à la française réside justement dans la liberté laissée dans ce domaine ?
La séance est levée à douze heures quarante-cinq.
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République
Réunion du lundi 4 janvier 2021 à 11 heures 15
Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Laetitia Avia, M. Belkhir Belhaddad, Mme Anne-Laure Blin, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, Mme Émilie Chalas, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, M. Éric Diard, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, Mme Annie Genevard, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, M. Meyer Habib, M. Pierre Henriet, M. Sacha Houlié, Mme Anne-Christine Lang, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, Mme Laurianne Rossi, M. François de Rugy, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, M. Guillaume Vuilletet