Intervention de Joël Mergui

Réunion du lundi 4 janvier 2021 à 11h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Joël Mergui, président du Consistoire central israélite de France :

À mon tour de vous présenter mes vœux, puisque nous sommes sans doute une de vos toutes premières auditions de l'année. Nous vous souhaitons beaucoup de réussite dans vos travaux essentiels pour notre pays, particulièrement dans ce moment difficile que nous vivons.

Le Grand Rabbin a résumé nos positions sur le sujet et l'ensemble des réflexions que nous avons eues, ces dernières années et particulièrement ces derniers mois, entre nous au sein du Consistoire mais aussi avec le ministère de l'intérieur et avec le Président de la République. Je voudrais insister sur quelques points généraux.

D'abord, ce projet de loi est évidemment nécessaire. Même sans entrer dans tous les détails, il apparaît que des évolutions sont indispensables pour faire face aux difficultés que nous rencontrons ces dernières années.

Ensuite, depuis le début des années 2000, autrement dit depuis la remontée de l'antisémitisme et ensuite du terrorisme en France, nous avons été confrontés à une grande difficulté pour traiter la question : la peur maladive de l'amalgame. On a toujours eu très peur d'identifier le mal. J'étais déjà président de communauté et vice-président du Consistoire au début des années 2000, et je sais combien il était difficile, alors que les synagogues brûlaient, de dire d'où venait le problème, parce que c'était stigmatiser peut-être une partie minime du monde musulman.

Vingt ans après, un des objectifs de ce projet de loi est de lutter contre l'islamisme radical et le terrorisme. Le nom de la loi a été modifié pour en rester à quelque chose de plus général et de plus républicain. Dès lors il faut veiller à éviter le dégât collatéral dont parlait le Grand Rabbin : l'instauration d'un climat de suspicion qui pèserait sur l'ensemble des religions, même celles qui n'ont posé aucun problème au cours de leur histoire et de celle de notre pays. Comment faire, je n'en sais rien, la recette est compliquée. Mais éviter l'amalgame, dire vraiment les choses et ne pas créer un climat de suspicion envers l'ensemble des religions est une équation fondamentale que doit résoudre ce projet de loi.

Je ne parle pas de l'immédiat : au moment où on écrit la loi, on sait ce qui se passe. Je parle du moment où, dans cinq ou dix ans, lorsqu'on aura oublié le contexte, des administrations auront à gérer une nouvelle sorte de relations avec les religions. Si l'esprit dans lequel le travail se fait aujourd'hui est oublié, elles risquent de devenir beaucoup plus pointilleuses avec des religions ou des associations qui n'avaient jusque-là posé aucun problème, et cela par volonté d'équilibre. Pardon, mais je le vis quotidiennement dans mes relations avec les préfectures, avec les mairies, avec nos partenaires : ce qui était jusqu'à présent toléré dans un monde où les religions étaient présentes l'est beaucoup moins aujourd'hui. Le risque est qu'on veuille faire avec les juifs strictement pareil qu'avec d'autres.

J'insiste vraiment sur ce point. Il ne faut pas que le monde musulman se sente stigmatisé dans son ensemble, c'est une évidence. Dans le cadre de nos relations, nous sommes d'ailleurs en train d'expliquer tous les détails du mode de fonctionnement du Consistoire pour essayer d'accompagner l'intégration et l'organisation du culte musulman. Mais il ne faut pas oublier que l'ennemi est le terrorisme et l'islamisme radical, et non l'ensemble des religions. Je vois bien, dès qu'il est question de ce projet de loi, l'inquiétude des conseils d'administration, des communautés, des consistoires, des associations loi 1905 à travers la France qui ont toujours agi selon un modèle démocratique. Ils ne doivent pas craindre que cette loi remette en cause un mode de fonctionnement qui a toujours été exemplaire. J'insiste car au-delà de la loi, il y a son application : il faut compter avec ce phénomène psychologique et faire passer le message à l'ensemble des associations qui se sont distinguées par leur comportement pendant toutes ces années.

Le Grand Rabbin a évoqué les différences de régime. L'idée de départ, il y a quelques années, était d'inciter l'ensemble des nouvelles structures associatives cultuelles à se placer sous le régime de la loi de 1905. Si cela reste l'objectif, se donne-t-on les moyens de le poursuivre ? Autrement dit, est-il plus attrayant d'être dans le régime loi 1905 ou loi 1901 ? Je ne suis pas assez pointu juridiquement pour répondre, mais il peut nous sembler que, faute d'avantage nouveau pour le régime de la loi de 1905, on puisse douter de l'intérêt de le choisir. Soit vous en faites une obligation, ce qui n'a pas l'air d'être le cas, soit il faut un nouvel avantage pour pousser les associations à l'adopter. Il faut réfléchir à cela.

Je souscris pleinement à cet objectif. C'est ce que nous faisons au Consistoire. Il n'y a pas beaucoup de nouvelles communautés juives en France aujourd'hui, leur nombre va malheureusement plutôt en diminuant, mais le conseil d'administration du Consistoire a poussé les quelques associations qui se sont créées ces dernières années à opter pour la loi de 1905. D'ailleurs la loi du Consistoire central, qui est la fédération des communautés de France, ne nous autorise pas à accueillir au sein d'une fédération des associations loi 1901 : toutes celles qui font partie de l'union des consistoires, soit plusieurs centaines de communautés à travers la France, sont régies par la loi de 1905, avec toutes les règles et tous les avantages qui lui sont inhérents.

Je n'ai pas fait d'étude comparative sérieuse et précise entre les modèles de 1905 et de 1901, mais je pense que celui de 1905 devrait être plus attrayant. Nous avons évoqué à de très nombreuses reprises ces dernières années la question de la neutralité de l'État par rapport aux religions. J'ai dit au Président de la République il y a quelques semaines que la neutralité de l'État ne peut pas devenir de l'indifférence vis-à-vis des religions. Ainsi, les cultes souffrent de la crise sanitaire. Les synagogues, les églises, les mosquées, tous les cultes en souffrent, et l'État reste indifférent à ces souffrances. Certains pensent qu'il n'y aurait pas de possibilité d'aide de l'État à cause de la loi de 1905. Mais la loi de 1905 n'interdit pas de poster des militaires, qui sont une aide de l'État, devant les lieux de culte pour les protéger du terrorisme !

C'est pourquoi j'insiste : il faut penser l'avenir. Il faut avoir l'intelligence de dire qu'avec la loi de 1905, on ne peut pas aider le culte, mais qu'on peut aider des structures recevant du public à faire face aux conséquences du covid. C'est une autre façon de voir les choses. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, l'article 6 n'a ni pour objet ni pour effet d'empêcher les associations loi 1905 d'obtenir des subventions pour leurs activités d'intérêt général. La possibilité pour l'État d'aider des associations cultuelles n'est donc pas exclue, lorsqu'il s'agit non pas du culte mais de l'intérêt général.

Je porte cela à votre réflexion parce qu'il ne faudrait pas laisser entendre à ceux qui veulent créer une association que le régime de la loi de 1901 leur laisse beaucoup plus de possibilités. Il faut réfléchir à une forme un peu plus attractive de la loi de 1905. Il y a toujours eu un contrôle de l'État sur les associations qui en relèvent. Puisqu'on veut matérialiser davantage ce contrôle dans les textes, peut-être la défiscalisation prévue pour l'ensemble des associations à hauteur de 66 % pourrait-elle être en contrepartie un peu augmentée pour les associations loi 1905. Je crois vraiment que la loi de 1905 est le bon modèle pour séparer le culte et le reste de la vie associative, mais si on veut la rendre plus attractive il faut se donner quelques moyens.

Voilà notre état d'esprit général : il faut rendre plus attractive la loi de 1905 ; il faut éviter de créer avec ce projet de loi et les débats qui l'entourent un climat de suspicion à l'encontre de l'ensemble des religions ; il faut trouver le moyen de ne pas stigmatiser l'islam mais de bien dire ce que sont l'islamisme radical et le terrorisme. Enfin, il est urgent de gérer la question des propos tenus sur internet et sur les réseaux sociaux. C'est un mal de notre pays, comme l'a montré le Grand Rabbin en évoquant une des dérives de ces derniers jours.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.