Intervention de Haïm Korsia

Réunion du lundi 4 janvier 2021 à 11h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Haïm Korsia, Grand Rabbin de France :

Oui, la question des principes est essentielle. L'école rabbinique fondée à Metz avait pour vocation d'enseigner aux rabbins à pousser les communautés à faire tous leurs sermons en français. C'était le meilleur agent de francisation d'un judaïsme qui avait ses origines dans le Sud-Ouest, en Alsace ou en Allemagne de l'Est. L'enjeu était de faire en sorte que le Consistoire soit un consistoire français. L'école rabbinique a toujours poursuivi cet objectif après avoir quitté Metz pour s'installer à Paris, puis lorsqu'elle s'est installée à Chamalières, pendant la deuxième guerre mondiale. Elle a défendu la France, ses valeurs et les principes de la République.

Nous faisons en sorte que la pratique du judaïsme soit la plus sereine possible. Si quelqu'un doit partir, ce doit être par choix, non par contrainte. Le choix de chacun doit être libre, dans notre monde totalement ouvert où il est possible d'aller faire ses études en Amérique, au Japon, en Chine, en Australie, en Israël, à l'Université Bocconi ou à la Sapienza. Les étudiants bougent, mais cette mobilité doit être un choix, ils ne doivent pas se sentir poussés dehors. Nous défendons cette vision de la République car chaque fois que la République a été forte, le judaïsme y a eu toute sa place, tandis que chaque fois qu'elle a été fragilisée, le judaïsme a tangué, comme lors de l'affaire Dreyfus. Quand la République est tombée, comme en juillet 1940, malgré le vote courageux de quatre-vingts parlementaires, le sort des Juifs a été catastrophique.

Oui, en Seine-Saint-Denis, beaucoup d'enfants ne peuvent plus aller dans les écoles publiques – j'évite l'expression « école de la République » car les écoles privées sont aussi des écoles de la République. Mais il est vrai qu'en Seine-Saint-Denis, en dehors des Pavillons-sous-Bois et du Raincy, la sécurité n'est plus assurée pour les écoliers juifs. Nous devons nous interroger sur la liberté réelle de choix des écoles pour les parents et les enfants.

S'agissant de la déclaration préalable, la vraie question est de savoir si cette obligation s'appliquera à toutes les associations déjà constituées, ou seulement à celles qui seront créées après la promulgation de la loi. Il n'y a aucune raison de soumettre les associations qui fonctionnent bien à cette démarche, qui semble un peu mesquine. Il est ubuesque de demander aux associations existantes si elles sont profondément républicaines, mais il faudra le demander aux nouvelles associations. Mais puisqu'il y a des dérives, il faut prévoir un contrôle, qui devra être effectif.

L'un des articles du projet de loi impose la certification des comptes des associations, ce qui induit des coûts supplémentaires. Lorsque nous sécurisons des lieux communautaires en installant des caméras et des blindages, l'État ne peut pas nous aider à plus de 80 %, et les 20 % qui manquent peuvent être difficiles à payer pour des associations qui ne vivent pas dans l'opulence et n'ont pas d'immeubles de rapport. Le coût de la certification des comptes représenterait une nouvelle charge assez lourde. En revanche, la déclaration préalable ne me gêne absolument pas.

S'agissant de la brèche ouverte par les associations mixtes, pour reprendre la terminologie employée par Bernard Stirn, il faut trouver un mode d'organisation plus souple. Si tout ce qui se passe dans un lieu de culte est nécessairement considéré comme de caractère cultuel, nous oublierons tout ce qui relève du social et de l'humain. La commémoration de la Shoah est-elle de nature historique ou religieuse ? Lors de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv', un rabbin récite un kaddish : faut-il considérer que c'est une cérémonie religieuse ? Rachi de Troyes, grand commentateur du Talmud qui a vécu de 1049 à 1105, disait : « quand on ne sait pas, regardons comment le peuple fait, et on saura comment faire. » La question des œuvres sociales est importante à régler, mais il faut respecter l'équilibre que nous avons trouvé, qui marche assez bien.

Le financement étranger nous concerne très peu : seules quelques fondations d'Amérique et d'Europe nous aident, et nous aimerions qu'elles le fassent encore plus.

L'enjeu de l'enseignement, y compris dans les établissements privés hors contrat, est aussi de former des citoyens. Mes enfants vont dans une école où l'on enseigne les valeurs de la République. Et lorsque j'étais dans les armées, je faisais venir les enfants des écoles pour le ravivage de la flamme du Soldat inconnu. Quand ces élèves apprennent la Marseillaise et les chants patriotiques pour cette occasion, on instille une pensée républicaine dans toute l'école. Le judaïsme a toujours fait en sorte que les élèves des écoles sous contrat ou hors contrat soient dans un cadre profondément républicain.

Je remercie les parlementaires qui ont rappelé l'adage « dina demalkhouta dina », qui a force de loi. Le génie de la laïcité en France est de faire en sorte que personne n'ait à choisir entre sa foi et sa citoyenneté. Notre système laïque, unique, est parfois moqué à l'étranger, mais je suis allé partout le défendre car la loi intègre la liberté de pratique religieuse – pas uniquement la liberté de conscience. Il faut le préserver car au-dessus de tout, notre communauté est la communauté nationale. Chacun doit se reconnaître dans ce que nous construisons ensemble.

La montée du sentiment antireligieux est un vrai risque. Je vais vous citer un exemple que le député Pupponi connaît bien : les caisses d'allocations familiales refusent parfois les bons vacances des parents qui envoient leurs enfants dans des colonies des Éclaireurs israélites de France – des scouts. Dans le Val-d'Oise, où les autres cultes ont d'ailleurs rencontré le même problème, M. Pupponi a dû intervenir. Pourquoi les scouts, particulièrement altruistes et ouverts, devraient-ils subir l'interprétation de la loi faite par une personne – pas l'administration – qui transforme un système laïque en un système athée ? La laïcité n'est pas l'athéisme. Le Secours catholique fait des choses extraordinaires sans demander un certificat de baptême à ceux qu'il aide. Les cultes produisent pour l'ensemble de la société, et si ce n'était pas le cas, les dons qui leur sont faits ne bénéficieraient pas de la défiscalisation.

S'agissant de la question essentielle de l'égalité entre les hommes et les femmes, qui a été soulevée deux fois, je tiens à y répondre personnellement et à ne pas laisser au président Mergui le soin de le faire, car lorsqu'il a été brillamment réélu, une femme a voulu se présenter contre lui. Certains m'ont dit qu'il ne serait pas normal qu'une femme préside le Consistoire, mais je ne suis pas allé dans leur sens. Dans une association loi 1905, une femme peut être dirigeante ou administratrice. C'est d'ailleurs notre cas : nous avons des vice-présidentes et il est tout à fait possible qu'une femme devienne un jour présidente. Mais il y a une grande différence entre les instances dirigeantes d'une association, qui ne doivent faire l'objet d'aucune discrimination, et la police interne du culte, qui peut seule décider qui dirige l'office et comment s'organise le culte. Je ne vais pas demander pourquoi, dans les magnifiques églises du Pays basque, les hommes sont placés en haut et les femmes en bas – je vous invite à aller voir la superbe nef de l'église de Saint-Jean-de-Luz et ses ex-voto en forme de bateaux pour en avoir la démonstration.

La prière pour la République française prononcée dans les synagogues n'est pas anecdotique mais tout à fait essentielle. Je vous invite à l'entendre ou à la lire – je me permettrai, monsieur le président, de vous en envoyer un exemplaire que vous voudrez bien diffuser au sein de la commission spéciale. Il est important de savoir ce qui se dit dans les lieux de culte car le croyant, quel qu'il soit, essaie toujours de vivre en cohérence avec ces paroles. Il serait peut-être bon que l'on entende aussi cette prière pour la République dans d'autres lieux de culte, ou tout du moins que ce principe y soit repris.

Lorsque le Président de la République et le ministre de l'intérieur nous ont présenté ce texte, j'ai dit que la loi n'avait pas vocation à être contre, mais pour quelque chose. Elle doit défendre, partout, les principes républicains. Nous voulons encourager l'engagement dans la vie associative, le volontariat, le bénévolat, et toujours aller dans le sens du bien commun. J'ai le sentiment que c'est l'objectif de ce projet de loi, et je sais que vous saurez arranger les choses.

L'article 26 confère aux associations cultuelles la compétence du recrutement des ministres du culte, mais cela ne nous affecte pas : nous avons déjà un système très démocratique car le Consistoire central ne fait que valider la décision des associations locales, qui choisissent leur ministre du culte de manière autonome. Quant aux immeubles, si quelqu'un veut en offrir au Consistoire, nous sommes évidemment preneurs !

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