Pour vous éclairer tout d'abord sur la nature même du CFCM, celui-ci a été conçu à l'origine, en 2003, comme une structure légère – chacun de ces mots a son importance. C'est ce qu'il a été décidé de créer lors des accords-cadres entre les fédérations musulmanes : un espace de dialogue entre les fédérations et un guichet à travers lequel elles parleraient aux pouvoirs publics. De sorte que le Conseil dispose de très peu de moyens : les fédérations n'y mutualisent pas les leurs. La maison est gérée par un secrétariat, à mi-temps ; elle n'a pas de budget de fonctionnement. C'était voulu, dès le départ. Tout se fait donc au niveau des fédérations, d'où leur importance dans la structure.
C'est ce qui a rendu malaisé d'y instaurer des institutions qui lui auraient donné plus d'épaisseur ; la difficulté à créer le Conseil national des imams est liée à ce point fondamental.
Les fédérations au sein du CFCM, dont la grande mosquée de Paris, ne souhaitent pas que le CFCM les chapeaute. Il n'a pas vocation à fonder des institutions qui superviseraient les activités des fédérations : chacune mène ses activités, et l'on se retrouve pour discuter, harmoniser, se préparer ensemble à dialoguer avec les pouvoirs publics. C'est ce qui explique les frictions : le CFCM est une juxtaposition de fédérations qui ont accepté de travailler ensemble dans les limites d'une structure légère.
J'en viens au Conseil national des imams. La création d'un tel conseil et l'adoption d'une charte des valeurs figuraient dans le programme que j'ai présenté en août 2019 en vue de l'élection à la présidence du CFCM – je vous en transmettrai un exemplaire ; dès 2017, le programme de l'Union des mosquées de France proposait la création d'un Conseil national des imams et aumôniers (CNIA), ainsi que de conseils régionaux et départementaux des imams et des aumôniers. La demande du Président de la République s'inscrit donc dans la parfaite continuité du programme sur lequel j'ai été élu.
Nous avons commencé à travailler sur le projet de Conseil national des imams dans l'idée d'aboutir très vite. Le 10 novembre, les neuf fédérations composant le Conseil français du culte musulman se sont accordées à l'unanimité sur les textes fondateurs dudit conseil, à savoir la déclaration de création, avec ses principes fondateurs, le règlement intérieur et plusieurs fiches techniques, dont des fiches de poste instaurant une distinction entre imam, imam prédicateur et imam conférencier, des fiches d'engagement etc. Nous devions annoncer la création du conseil national le 18 novembre 2020, à charge pour lui de rédiger les documents restants, en particulier un code éthique et déontologique, auquel la charte des valeurs va finalement se substituer.
Avant que l'annonce de la création du CNI ne soit faite et alors que, je le répète, il y avait unanimité sur ce point, nous avons entamé nos discussions sur la charte. Le 8 décembre, j'ai récupéré l'ensemble des contributions des fédérations ; j'en ai fait la synthèse, que j'ai envoyée aux fédérations. Le recteur de la grande mosquée de Paris a jugé que cette synthèse était fidèle aux contributions qui avaient été remises ; aucune fédération n'en a contesté le contenu. En revanche, toutes m'ont adressé des propositions de reformulation, ce qui est tout à fait normal dans le cadre d'une coproduction écrite. Le 15 décembre, nous sommes tombés d'accord sur un texte – validé aussi par le recteur de la grande mosquée de Paris. Ce texte, soit dit afin de rassurer M. Falorni et tous ceux qui se posent la question, comprend les passages évoqués concernant l'islam politique, l'apostasie et l'égalité entre les hommes et les femmes. Vous affirmez que trois fédérations s'y seraient opposées, mais ce n'est pas tout à fait exact. Le texte du 15 décembre a été validé par l'ensemble des fédérations. S'il est vrai que deux d'entre elles ont montré, dans un premier temps, quelques réticences, elles ont fini par l'accepter. La charte aurait dû être adoptée le 28 décembre, mais ayant eu vent de ce que certaines fédérations souhaitaient retravailler quelques points de détail, j'ai annoncé le 27 décembre que d'ultimes amendements pourraient être déposés jusqu'au 30 décembre à midi. À ce jour, je n'ai été saisi d'aucun amendement, ni par la grande mosquée de Paris ni par aucune autre fédération. J'en conclus qu'il s'agissait d'un faux bruit. Une charte a été validée le 15 décembre, et c'est là le seul texte de référence qui existe.
S'agissant des pratiques coutumières, ayant déjà été par le passé président du Conseil français du culte musulman, j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur l'excision, les certificats de virginité et les autres pratiques coutumières dégradantes pour les femmes. Elles sont interdites par la religion musulmane, tout simplement parce qu'elles portent atteinte à la dignité des femmes ; or l'égale dignité humaine est un principe fondamental de notre religion. L'égalité entre les hommes et les femmes en découle.
Je m'interroge sur les véritables raisons du retrait du recteur de la grande mosquée de Paris. Il est évoqué une « composante islamiste » à l'intérieur du Conseil français du culte musulman, sans plus de précision, jetant ainsi l'opprobre sur l'ensemble des membres du CFCM. Il est de mon devoir de rétablir les faits et de demander au recteur des explications, afin que cette composante islamiste soit clairement identifiée.
Par ailleurs, s'il s'agit des trois fédérations citées par la presse et par certains députés ici – Foi et pratique, Millî Görüş et Musulmans de France –, elles existent depuis des décennies et font partie intégrante du CFCM ; le recteur a travaillé avec elles et il continue à le faire aujourd'hui encore : il n'a pas rompu ses relations avec elles, il n'a même pas remis en cause les conventions bilatérales établies par le passé. C'est pourquoi je lui demande de clarifier sa position, le motif de son retrait n'étant de toute évidence pas la charte, puisque lui-même admet que le texte en a été validé et qu'il ne remet pas en cause ce qui a été décidé le 15 décembre.
Passons maintenant aux questions portant sur le projet de loi proprement dit.
En l'état du droit, les associations d'intérêt général peuvent administrer des immeubles obtenus par donation. Le projet de loi étend cette possibilité aux associations cultuelles. J'ai dit dans mon propos liminaire que je souhaitais voir supprimer la condition que les immeubles aient été acquis à titre gratuit. Si l'on veut inciter les associations à passer au statut de 1905, il faut permettre aux fidèles de se cotiser pour acquérir des immeubles de rapport qu'ils mettraient en location, le produit de celle-ci permettant, par exemple, de verser un salaire à l'imam. Je ne suis pas opposé à un éventuel plafonnement de cette ressource, ou à un système visant à s'assurer que la mesure est proportionnée au but recherché. Il reste qu'au sein de la communauté musulmane, les anciennes générations disposent de revenus modestes ; il s'agit d'ouvriers agricoles ou du bâtiment, qui n'ont pas pu construire un patrimoine immobilier suffisant pour léguer des biens aux associations. Du coup, des donations gratuites, il n'y en a pas, ou très peu, et la mesure ne bénéficiera pas au culte musulman. En revanche, les fidèles qui se sont cotisés pendant des années pour construire des mosquées, qu'ils ont fait sortir de terre à la seule force de leurs bras, sont prêts à poursuivre cet effort pendant quelques décennies pour doter ces lieux de culte d'une autonomie financière. Je pense que ce serait dans l'intérêt de tous. En outre, cela répondrait à une tradition dans le monde musulman ; sur tous les continents, c'est ainsi que les mosquées fonctionnent : à chacune correspond un bien immobilier, qui en assure le financement. Cette tradition pourrait être aisément adaptée à notre droit dès lors qu'on garde à l'esprit que cela répond à un objectif précis et qu'il ne s'agit pas d'aller au-delà : les associations musulmanes ne se transformeront pas en agences de gestion de biens immobiliers.
Afin d'améliorer la formation des imams en France, ce que je propose, c'est d'associer des formations universitaires aux formations théologiques. Si les personnes qui s'engagent dans une formation de quatre ou cinq années pour devenir imam ne bénéficient pas d'une formation diplômante, on n'attirera pas les meilleurs éléments. Pour avoir des imams titulaires d'un master ou d'un doctorat, qui soient une force de production intellectuelle dans notre pays et tirent vers le haut l'islam de France, il faut leur donner la possibilité de suivre en parallèle un cursus universitaire, qui leur ouvre le statut d'étudiant, avec les prestations qui y sont attachées. Si l'indépendance des universités est un principe désormais établi, il serait bon que les présidents d'université nous entendent sur ce point. Là encore, tout le monde y gagnerait.