COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE
Lundi 11 janvier 2021
La séance est ouverte à huit heures quarante.
La commission spéciale procède à l'audition de M. Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM).
Chers collègues, nous accueillons M. Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous adresse, ainsi qu'aux membres du CFCM et à tous les musulmans de France, mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année.
La commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République a souhaité auditionner le 6 janvier les représentants des six grands cultes en France, notamment parce que ce texte modifie des dispositions relatives à l'organisation des cultes. Un problème de santé vous ayant empêché, monsieur, de vous rendre à l'Assemblée nationale, nous avons souhaité qu'une nouvelle audition soit organisée au plus vite.
Nous l'avons dit aux autres représentants des cultes, le projet de loi confortant le respect des principes de la République est de portée générale, comme du reste tous les textes que nous examinons au Parlement. Ses dispositions visent bien l'ensemble des cultes, même si l'on peut vouloir régler des problèmes qui se posent davantage pour certains d'entre eux.
Je vous donne la parole pour un propos introductif, qui sera suivi des questions des rapporteurs et des orateurs de groupe.
Monsieur le président, je vous remercie de m'accorder cette deuxième chance… Je vous présente, ainsi qu'aux membres de la commission spéciale, mes vœux de santé et de prospérité. Je vous souhaite du succès dans vos travaux, en espérant que cette audition pourra y contribuer.
Mon intervention portera d'abord sur l'exposé des motifs, puis sur le projet de loi lui-même. Je vous ferai part ensuite de la contribution du CFCM.
Dans l'exposé des motifs, il est annoncé que le projet de loi a pour ambition d'« en terminer avec l'impuissance face à ceux qui malmènent la cohésion nationale et la fraternité, face à ce qui méconnaît la République et bafoue les exigences minimales de vie en société, [de] conforter les principes républicains ». Y est également évoqué l'« entrisme communautariste [qui] gangrène […] les fondements de notre société dans certains territoires », et précisé que « cet entrisme est pour l'essentiel d'inspiration islamiste ». Enfin, il est ajouté que « face à l'islamisme radical, face à tous les séparatismes, force est de constater que notre arsenal juridique est insuffisant. Il faut regarder les choses en face : la République n'a pas suffisamment de moyens d'agir contre ceux qui veulent la déstabiliser ».
« Loi contre le séparatisme islamiste », c'est le nom qui restera probablement accolé à ce texte. Rappelons que la loi qui interdit le port de signes religieux ostensibles dans les écoles, les collèges et les lycées publics est appelée par beaucoup « loi contre le foulard islamique », que certains se sont malheureusement saisis de cette occasion pour entretenir la confusion et faire l'amalgame entre islam et extrémisme et que les débats autour de son adoption ont été accompagnés d'une recrudescence des actes antimusulmans.
Nous formons le vœu que l'appel du Président de la République du 2 octobre soit entendu : « Ne nous laissons pas entraîner dans le piège de l'amalgame tendu par les polémistes et par les extrêmes qui consisterait à stigmatiser tous les musulmans. Ce piège, c'est celui que nous tendent les ennemis de la République, qui consisterait à faire de chaque citoyen de confession musulmane un allié objectif parce qu'il serait la victime d'un système bien organisé. Trop facile. »
Le combat contre l'extrémisme se réclamant de l'islam est aussi notre combat. Nous sommes résolument déterminés à user de toutes nos forces. Nos cadres religieux, notamment les imams et les aumôniers, sont en première ligne depuis longtemps. De nombreux jeunes ont pu être sauvés des griffes de l'extrémisme grâce à leurs efforts. Ceux-ci doivent être soutenus et renforcés.
L'idéologie extrémiste a fait le terreau des principaux drames qui ont endeuillé notre communauté nationale ces dernières années. La lutte contre cette idéologie est aussi notre priorité.
Mais avoir choisi de désigner cette idéologie par « islamisme » n'est pas judicieux. Jusqu'aux années 1970, le terme « islamisme » était synonyme d'« islam », comme « judaïsme » et « christianisme » sont synonymes des religions chrétienne et juive. Il désigne désormais une idéologie à combattre, alors que, dans le monde arabo-musulman, il est souvent traduit par « islam ». Ce décalage peut créer de nombreux malentendus. Nous souhaitons que ce terme soit systématiquement suivi des adjectifs « radical » ou « extrémiste », qui marqueraient une certaine distance vis-à-vis de l'islam.
Cette idéologie se nourrit d'autres extrémismes qui gangrènent aussi les fondements de notre société. Faut-il rappeler que le tueur de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, qui a assassiné des dizaines de fidèles de deux mosquées, a déclaré être inspiré par les promoteurs français de la théorie du grand remplacement ? Des adeptes de cette théorie ont été condamnés à maintes reprises pour provocation à la haine, ce qui ne les a pas empêchés de continuer à semer les graines de la division – ce séparatisme doit être également combattu.
Ces dernières années, les forces de l'ordre ont déjoué de nombreux attentats planifiés par des extrémistes se réclamant de l'islam, mais aussi des projets qui visaient les musulmans et leurs institutions, fomentés par des extrémistes suprématistes. Je tiens à rendre un vibrant hommage à ces hommes et à ces femmes qui, au risque de leur vie, nous protègent au quotidien.
De nombreuses dispositions du projet de loi sont utiles pour conforter le respect des principes républicains et ne suscitent pas d'importantes réserves. D'autres inquiètent les responsables de culte, parce qu'elles ne sont pas proportionnées au but recherché. Ces inquiétudes, nous les partageons.
Les dispositions relatives au principe de neutralité dans les services publics – inscription dans la loi du principe dégagé par la jurisprudence selon lequel les organismes de droit privé chargés de l'exécution d'un service public sont soumis à la neutralité, renforcement de la protection des agents chargés du service public, amélioration du suivi par les autorités administratives des personnes ayant fait la démonstration de leur adhésion à des idées ou à des actes de nature terroriste – sont nécessaires.
C'est le cas aussi des dispositions destinées à protéger la dignité de la personne humaine et à garantir l'égalité entre les hommes et les femmes, en s'attaquant aux pratiques coutumières dégradantes – mariages forcés, excision, certificats de virginité. Ces pratiques prétendument musulmanes portent atteinte à la dignité des femmes et sont prohibées par l'islam car totalement contraires à ses principes et à ses valeurs.
Les dispositions visant à lutter contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne sont essentielles, car nous savons que les haineux profitent de l'anonymat et de la force de diffusion des réseaux sociaux pour déverser leur haine en toute impunité.
Les dispositions permettant de s'assurer que tous les enfants de la République bénéficient de l'éducation et de la scolarisation auxquelles ils ont droit sont nécessaires pour les soustraire aux formes d'endoctrinement dont ils peuvent être victimes.
Lutter contre l'ingérence étrangère participe à la sauvegarde de notre souveraineté. Le texte contient des mesures en ce sens ; les dispositions relatives au financement doivent être proportionnées au but recherché. L'amélioration des outils pour lutter contre le financement du terrorisme et l'introduction de mesures de protection des associations contre l'entrisme et les putschs sont utiles.
De nouveaux avantages ont été proposés, comme la possibilité d'administrer des immeubles de rapport et de percevoir des dons éligibles à un taux de défiscalisation plus élevé – j'y reviendrai.
Incontestablement, le projet de loi réaffirme les principes républicains et introduit des outils pour les conforter, en ménageant un équilibre parfois difficile à trouver.
C'est probablement le volet associatif, avec les modifications apportées aux lois de 1901 et de 1905, qui fera davantage débat. Ces dispositions inquiètent les cultes.
Toute modification de la loi de 1905 fait l'objet de réticences. Certes, la loi a été aménagée à plusieurs reprises depuis sa promulgation – ce qui a permis le vote par les parlementaires d'une subvention de 500 000 francs pour la construction de la grande mosquée et la donation du foncier par la ville de Paris. Mais ces modifications n'ont pas remis en cause les équilibres trouvés au début du siècle passé. Depuis, le contexte a changé. Le Gouvernement constate que l'arsenal juridique dont il dispose est insuffisant pour relever les nouveaux défis. Quoi de plus normal que de proposer des ajustements si les équilibres sont préservés ?
Permettez-moi de partager avec vous quelques observations d'ordre général. L'immense majorité des associations gestionnaires de mosquées sont sous le régime de la loi 1901. Ce régime étant jugé trop libéral, l'idée est de les placer sous un régime équivalent à celui de la loi de 1905 – comme le sont les associations diocésaines de l'Église catholique, dont le statut a été jugé conforme à l'esprit de la loi de 1905 par le Conseil d'État.
Imposer à toutes les associations à objet cultuel de relever désormais de la loi de 1905 serait trop attentatoire aux équilibres qui ont été trouvés. Un autre choix a été fait, qui repose sur plusieurs idées. La première est que le principe de laïcité et l'égalité devant la loi oblige le législateur à voter des mesures applicables à l'ensemble des cultes – une solution concordataire pour l'islam est inenvisageable dans le cadre constitutionnel. La deuxième consiste à imposer aux associations loi 1901 des contraintes équivalentes à celles que supportent les associations relevant de la loi de 1905, sans toutefois les avantages afférents, dans l'espoir d'amener les associations gestionnaires de mosquées à se placer sous le régime de la loi de 1905. La troisième idée, pour anticiper ce passage d'un statut à l'autre, est d'imposer des contraintes supplémentaires à l'ensemble des associations loi 1905. La quatrième est d'organiser des contrôles réguliers, afin de rendre effectives ces contraintes supplémentaires. Bien qu'automatisés en partie, ces contrôles nécessiteront davantage de fonctionnaires. Cela m'amène à la cinquième idée : ces contrôles cibleront essentiellement les associations d'inspiration islamiste – lesquelles nécessitent de nouvelles mesures, comme l'indique l'exposé des motifs.
Toutefois, les cultes considèrent que certaines dispositions sont de nature à limiter drastiquement leur liberté, sans dissuader pour autant les « mauvais élèves ». De son côté, le Gouvernement estime que la protection collective nécessite d'imposer des contraintes, par ailleurs proportionnées. Chacune des positions est défendable – il convient, là encore, de préserver les équilibres établis.
Je ne suis pas ici pour défendre le projet de loi ni pour m'y opposer, et je dois reconnaître avec humilité que la tâche du Gouvernement et des parlementaires n'est pas facile. Je forme le vœu que les auditions et les débats parlementaires permettent de s'appuyer sur des expertises et de faire évoluer le texte, dans l'intérêt de la nation. Toutefois, la loyauté exige que je me fasse le relais des inquiétudes des associations musulmanes, notamment sur le volet associatif. Elles se concentrent sur quelques points.
Les structures associatives, aux moyens réduits, peinent à mobiliser des bénévoles pour assumer leurs missions. Certaines des contraintes prévues par le projet de loi pourraient aggraver cette précarité et faire fuir les personnes les plus intègres, laissant le champ libre aux aventuriers.
Le renforcement des contraintes imposées aux associations cultuelles ou à objet cultuel pourrait être interprété comme l'expression d'une suspicion généralisée. Or ces associations ne sont pas le support habituel des activités de ceux qui veulent déstabiliser la République.
L'immense majorité des associations gestionnaires de mosquées sont placées sous le régime de la loi de 1901 – elles mènent des activités cultuelles, culturelles et sociales. Elles seront désormais considérées comme des associations à objet cultuel et soumises aux mêmes contraintes que les associations relevant de la loi de 1905, sans bénéficier des mêmes avantages. Comme je l'ai dit, cela entraînera des frais de fonctionnement supplémentaires, comme la certification des comptes, une charge financière lourde pour les petites associations.
L'objectif est sans doute d'amener les gestionnaires de mosquées à adopter le statut de 1905 et à créer d'autres supports associatifs pour les autres activités. J'y suis favorable à titre personnel, je l'ai écrit dans mon programme pour l'élection à la présidence du CFCM : cela permettra d'inscrire le culte musulman dans le paysage cultuel français, de gagner en rigueur de gestion pour obtenir la confiance des fidèles et des donateurs et d'avoir droit à certains avantages dont bénéficient les associations cultuelles. Mais l'évolution souhaitée doit être progressive et les délais inscrits dans le projet de loi ne sont pas suffisants. Compte tenu de l'importance de la tâche, il faut en outre un accompagnement par les services de l'État et des collectivités locales.
La perspective de la multiplication des contrôles administratifs des associations à objet cultuel inquiète les associations musulmanes. L'exposé des motifs annonce clairement que le projet de loi cible essentiellement les associations d'inspiration islamiste – permettez-moi de penser que ce n'est pas parmi les associations catholiques, protestantes ou juives que l'on ira les chercher ! Cette crainte est justifiée, et j'ai bien peur que des fonctionnaires zélés ne se mettent à pratiquer à l'encontre des personnes morales des délits de faciès, comme il en existe déjà à l'encontre des personnes physiques. Il faut mettre en place un mécanisme pour que ces pratiques ne s'installent pas.
Les représentants du culte musulman et d'autres cultes jugent insuffisante la réponse apportée à l'article 28, qui prévoit d'autoriser les associations cultuelles à posséder et à administrer les immeubles acquis à titre gratuit – une disposition qui existe déjà pour les associations d'intérêt général, ce qui ne constitue pas une incitation à adopter ce régime. Les générations anciennes de musulmans ont souvent des revenus modestes et n'ont pu constituer un patrimoine immobilier à léguer. Nous demandons la suppression de la condition que les immeubles aient été acquis à titre gratuit, afin que les fidèles puissent doter, grâce à une souscription collective, leurs lieux de culte de biens immobiliers. La rente permettrait d'assumer le fonctionnement des mosquées et de s'émanciper vis-à-vis des financements étrangers.
D'autres demandes des associations, portant sur les baux emphytéotiques administratifs (BEA), la réforme de la caisse d'assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes (CAVIMAC) ou encore la gestion des lieux de sépulture, ne figurent malheureusement pas dans le projet.
Une mesure, que nous avons défendue avec d'autres cultes, vise à aligner le taux de défiscalisation des dons sur celui des dons aux associations d'aide aux personnes en difficulté, en le faisant passer de 66 % à 75 %. Cette mesure, pour le moment absente du projet de loi, aurait un impact positif pour le financement du culte musulman à moyen et à long terme du fait de l'émergence d'une classe moyenne musulmane plus importante.
Engager la procédure accélérée ne permettra pas aux débats parlementaires d'améliorer et de consolider le projet de loi. Dans ces conditions, il serait utile que le texte soit soumis à un contrôle de constitutionnalité a priori. À défaut, la loi pourrait l'être au cours de son application, à la demande des justiciables. Or le rejet pour des raisons d'inconstitutionnalité d'une loi destinée à lutter contre ceux qui sapent les fondements de la République affaiblirait notre État de droit et renforcerait les ennemis de la République.
Vous avez souhaité organiser une large consultation au sujet de ce projet de loi. Vous y associez les cultes, car au-delà de l'impact que ce texte aurait sur leur exercice, le combat contre l'extrémisme est le leur – c'est aussi le nôtre.
Dans le cadre de ce dialogue et de cette concertation, permettez-moi d'exposer brièvement ce que le culte musulman met en place pour contribuer à la lutte contre l'extrémisme se réclamant de l'islam. Le CFCM entend mobiliser davantage les imams et les aumôniers de France pour investir les réseaux sociaux et être à l'écoute des attentes des jeunes – la radicalisation s'opère essentiellement dans l'espace numérique, pas dans les lieux de culte.
Cette mobilisation nécessite de réorganiser les instances musulmanes et de les doter de moyens pour agir efficacement. La création de conseils régionaux et départementaux du culte musulman permettra de renforcer la proximité et la mobilisation des acteurs de terrain. L'instauration du Conseil national des imams (CNI) et de ses déclinaisons locales permettra d'écarter de l'imamat ceux qui nuisent à cette noble mission et mettent en péril la cohésion nationale. Cette réorganisation permettra aussi de renforcer la formation des imams et des aumôniers et d'harmoniser les pratiques cultuelles en œuvrant en faveur d'une compréhension saine de l'islam, authentique dans sa démarche, contextuelle dans son application et respectueuse de la diversité des opinions. Elle préservera enfin la religion musulmane des dérives et des instrumentalisations politiques et la prémunira contre toute ingérence étrangère.
Les ennemis de la République, nous les vaincrons ensemble, en unissant nos forces, en restant fidèles aux valeurs universelles et au pacte républicain. Dans ce combat, nous pouvons compter sur nos militaires, nos policiers, nos gendarmes, tous ceux qui engagent leur vie pour préserver la nôtre. Nous pouvons compter sur le Parlement pour adopter, dans un esprit de concorde nationale, les mesures nécessaires pour mettre hors d'état de nuire les terroristes. Nous pouvons compter sur le sursaut des familles et du personnel de l'Éducation nationale pour qu'elles s'investissent davantage dans leur mission d'éducation et de transmission des valeurs, à même de préserver nos enfants de la propagande et des prêcheurs de haine. Nous pouvons compter sur nos institutions religieuses pour permettre à chacun de concilier son cheminement spirituel et son engagement citoyen dans la paix et la sérénité, loin de tout extrémisme. Nous pouvons compter sur nos rabbins, nos prêtres, nos pasteurs, nos imams et les guides des autres confessions de France pour s'engager, avec les fidèles, dans le dialogue plus que jamais nécessaire à la cohésion nationale. Nos fois respectives et la fraternité républicaine nous y invitent. Le principe de laïcité, garant du respect de la diversité de nos convictions, nous le rappelle à chaque instant. Nous pouvons compter sur nos femmes et nos hommes politiques pour engager les Français dans un récit national inclusif, en plaçant l'intérêt général devant tout autre. Nous pouvons compter sur nos intellectuels et nos artistes pour faire de la France un grand pays, fier de son histoire, de sa culture, de son rayonnement et de son idéal universel. Nous pouvons compter sur nos médias pour exprimer le meilleur de notre pays et le faire prospérer. Nous pouvons compter sur nos institutions et nos associations, engagées dans la lutte contre toutes les formes de discrimination, afin de renforcer l'unité nationale et d'éviter la division.
Ce combat contre le terrorisme, l'obscurantisme et la haine, nous devons le mener jusqu'au bout. Nous le gagnerons. Notre force immunitaire, c'est notre volonté farouche d'être ensemble ; cette volonté nous donne la confiance dans notre destin collectif et les moyens de résister aux assauts des extrémistes.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation malgré les ennuis de santé dont vous avez souffert la semaine dernière.
J'ai noté votre approche de la notion d'islamisme, dont la terminologie même fait débat. En effet, il est fait mention dans l'exposé des motifs d'un entrisme « d'inspiration islamiste », sans autre qualificatif. Celui-ci est désigné comme l'une des cibles essentielles du projet de loi – ce que la majorité et le Gouvernement assument pleinement. Vous-même, qu'entendez-vous par « islamisme radical » ou par « islamisme extrémiste » ? Quelle est la définition qu'en donne le président du CFCM, garant de la représentation de la communauté des musulmans – si tant est que cette dernière expression ait un sens ?
Nous savons qu'il existe au sein du CFCM des difficultés, des faiblesses – parfois même des dissensions –, qui nuisent à cet outil de représentation, interlocuteur de la puissance publique. Quel rôle le Conseil peut-il jouer dans la régulation et le combat contre la haine, l'obscurantisme, l'islamisme radical – que vous dénoncez ?
Vous avez souligné que le projet de loi avait pour ambition d'imposer aux activités cultuelles exercées par les associations mixtes loi 1901 les mêmes contraintes, notamment en matière de contrôle des comptes, que celle imposées aux associations relevant de la loi de 1905. Comment analysez-vous la confusion de plus en plus grande, et pas simplement au sein du culte musulman, entre les activités proprement cultuelles et les activités culturelles, socio‑économiques, éducatives, parfois caritatives ? Ces dernières peuvent précisément être le support d'idéologies globalisantes, éloignées de l'objectif proprement cultuel, dérivant vers un islamisme que vous désignez comme radical ou extrémiste.
Enfin, vous dites que la disposition relative à la possession et à l'administration d'immeubles de rapport ne va pas assez loin, alors que des membres de la commission spéciale la jugent déjà excessive. Pouvez-vous préciser votre pensée ?
Je souhaiterais vous interroger, en tant que rapporteur pour le chapitre II du titre II et les titres III et IV, sur la police des cultes, mais j'aimerais moi aussi que vous apportiez des précisions sur la disposition relative aux immeubles de rapport ainsi que sur le recours par les associations au BEA pour trouver des lieux de culte et y héberger des activités cultuelles ou mixtes. Je voudrais également vous questionner sur le droit d'opposition de l'administration à des financements étrangers. Dans la mesure où il s'agit d'une modification de la loi de 1905, ce droit ne pourrait s'exercer que sur les activités des associations cultuelles. Pensez-vous qu'il serait utile de l'étendre aux associations relevant de la loi de 1901 ou issues de la loi de 1907, dans le cadre de la police des cultes et pour limiter l'influence d'un État étranger sur le culte ou sur les activités culturelles connexes ?
Je sais que beaucoup a été fait pour améliorer la formation des prêcheurs – depuis 2017, les aumôniers qui interviennent dans les prisons ou les hôpitaux ont l'obligation de valider une formation. Quelles dispositions suggérez-vous d'ajouter, ou de compléter, étant entendu que le Conseil d'État a jugé que cela relevait du règlement et qu'il n'y avait pas forcément lieu de faire intervenir le législateur ?
Enfin, estimez-vous que l'interdiction d'administrer une association cultuelle faite aux personnes condamnées pour des faits de provocation à la haine ou d'infractions à caractère terroriste doive également concerner les associations mixtes ?
En France, l'instruction est obligatoire, la liberté d'enseignement permettant à chaque famille de faire instruire l'enfant à l'école publique, à l'école privée sous ou hors contrat ou encore à domicile. Des dispositifs de contrôle servent à vérifier que chacun de ces modes d'enseignement respecte le droit des élèves à l'instruction et apporte le niveau minimal de connaissances requis par le code de l'éducation. Pour l'instruction en famille, l'article 21 du projet de loi substitue un régime d'autorisation à celui de déclaration préalable aujourd'hui en vigueur. L'autorisation sera délivrée sur le fondement de motifs propres à l'enfant ; les convictions politiques, philosophiques ou religieuses des parents ne peuvent pourront être invoquées. Qu'en pensez-vous ?
Les articles 22 et 23 instaurent un régime de fermeture administrative des établissements privés ne respectant pas la loi, et l'article 24 prévoit que, pour passer contrat avec l'État, un établissement privé doit dispenser un enseignement conforme aux programmes de l'enseignement public. Pourriez-vous dresser un rapide état des lieux des établissements privés musulmans et nous donner votre avis sur ces articles ?
Merci d'avoir souligné les avancées que représente à bien des égards le projet de loi, même si j'ai également entendu vos réserves.
Que penseriez-vous d'une extension des dispositions de l'article 1er au-delà des contrats de commande publique, en respectant la définition des missions de service public donnée par le Conseil d'État, par rapport à laquelle l'article peut sembler en retrait ?
L'infraction créée par l'article 4 vous paraît-elle nécessaire, compte tenu de ce que constatent nos administrations de certaines violences ou menaces visant à obtenir une application différenciée des règles de fonctionnement du service public ?
Au nom du groupe La République en marche, je souligne l'importance de cette audition. Le projet de loi, de portée générale, vise à permettre un exercice harmonieux et libre des cultes dans notre société. À cet égard, vous avez eu raison de le rappeler, la radicalisation n'est pas l'apanage d'une seule religion, et la loi concernera tout le monde. Toutefois, on ne peut faire abstraction du contexte. En ce qui concerne les associations dont l'activité est multiple – cultuelle, culturelle, sociale –, on nous a déjà objecté que des outils visant quelques personnes radicalisées pourraient en toucher beaucoup d'autres qui ne le sont pas, mais c'est le rôle de la loi de prévoir ce type de situations, et les associations qui développent un contre-modèle de société sont souvent justement celles qui mêlent ces différentes activités.
Le projet de loi a pour ambition de clarifier et de mieux organiser le financement des religions, pour éviter des apports étrangers excessifs – il s'agit non pas de les interdire, mais de les rendre transparents, et complémentaires plutôt qu'exclusifs. Cela vaut en particulier de la religion musulmane. Le discours des Mureaux et l'action entreprise par le Président de la République témoignent de sa volonté de rompre avec l'islam dit consulaire, mais il reste encore à faire ; l'enjeu est de développer la formation des imams en France, aujourd'hui limitée, et cantonnée à des instituts dont certains sont plus influencés par les Frères musulmans que par la conception majoritaire, afin d'avoir des imams de culture française.
Quelle est votre estimation des besoins financiers afférents ? Le projet de loi y répond‑il ? Sinon, que faire de plus, outre la mesure relative aux immeubles de rapport ? Les associations cultuelles bénéficient d'avantages fiscaux non négligeables qu'il convient de mettre en avant.
On sait les frictions que les projets en cours, en particulier s'agissant des imams, ont suscitées au sein de la communauté musulmane. Votre intervention se fait-elle au nom de l'unité retrouvée et relaie-t-elle le message de l'ensemble des composantes de la communauté ?
Je m'exprime au nom du groupe Les Républicains.
Le Président de la République a annoncé le 18 février 2020 à Mulhouse la fin progressive des ELCO (enseignements de langue et de culture d'origine) et du système des imams détachés ainsi que l'instauration d'un Conseil national des imams, et il a réuni l'ensemble des courants de l'islam de France pour donner suite à ce discours, organiser le culte musulman à partir de valeurs communes et assurer les principes républicains dans le cadre de la création de cette nouvelle instance.
Chacun a dû apporter sa contribution pour élaborer la fameuse charte des valeurs. L'ensemble des composantes s'étaient engagées à remettre la leur sous deux semaines et vous deviez vous-même en faire une synthèse ; mais les contributions se sont fait attendre et se sont ensuite révélées très diverses, pour ne pas dire antagonistes. Trois fédérations – Foi et pratique, proche de la mouvance tabligh, Musulmans de France, l'ex-UOIF, proche des Frères musulmans, et la conférence islamique Millî Görüş (CIMG), d'obédience turque – auraient été particulièrement critiques, rejetant le passage faisant référence à l'islam politique. Or, l'islam politique rejette la laïcité, promeut l'homophobie, l'antisémitisme, la misogynie et ne reconnaît pas les principes fondamentaux de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Elles auraient également refusé que l'apostasie ne soit plus qualifiée de crime et que l'on interdise de stigmatiser ceux qui renoncent à la religion.
De ce fait, la synthèse s'est retrouvée dans l'impasse et le projet de charte des valeurs au point mort : à la mi-décembre, il n'avait toujours pas été présenté. Les différentes influences étrangères, conjuguées à celle des mouvements intégristes au sein de votre culte, ont ainsi malheureusement paralysé la rédaction de la charte. Elles ont été dénoncées par le recteur de la grande mosquée de Paris, qui a annoncé son retrait des travaux dans un communiqué de presse paru le 28 décembre.
Pensez-vous que le travail demandé par le Président de la République soit voué à l'échec ? Quelle est la position officielle du CFCM à l'égard de l'apostasie, dont l'assimilation à un crime doit être fermement condamnée par l'ensemble de vos composantes dans la charte des valeurs ?
J'ai plusieurs questions précises au nom du groupe MODEM et démocrates apparentés. Vous jugez, comme de nombreux représentants des cultes, que le projet de loi ne rend pas assez attractif le statut prévu par la loi de 1905 et proposez notamment, pour remédier à ce défaut, une hausse du taux de déductibilité fiscale des dons et une amélioration de la rentabilité des immeubles de rapport. Seriez-vous d'accord pour que l'on crée en outre un crédit d'impôt au bénéfice des cultes ?
Vous l'avez dit, beaucoup d'associations loi 1901 qui ont une activité cultuelle ont également d'autres activités. Seriez-vous favorable, pour que ces associations puissent passer au statut de la loi de 1905, à ce que celui-ci permette des activités mixtes ?
Beaucoup d'associations loi 1901 relevant de la communauté musulmane bénéficient de financements publics pour leurs activités autres que cultuelles. Pour continuer de les toucher, elles devront, aux termes de l'article 6, signer le fameux contrat d'engagement républicain impliquant notamment le respect de l'égalité entre les hommes et les femmes. Cela peut-il leur poser un problème ?
S'agissant du principe de neutralité, quelle est votre position au sujet des mères voilées accompagnant des sorties scolaires ? Si un article de la loi limitait la possibilité qui leur est donnée de le faire, y seriez-vous défavorable ? Cela pourrait-il poser un problème à la communauté musulmane ?
Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je souhaite vous interroger sur les articles 27 et 30. Le premier instaure une procédure de déclaration préalable des associations cultuelles qui accorde un droit d'opposition aux autorités administratives. Le second crée une procédure de vérification de l'objet cultuel d'une association loi 1905. Pressentez-vous des difficultés à distinguer ce qui, dans l'objet et les pratiques d'une association, est cultuel de ce qui ne l'est pas ? Dans l'affirmative, cela pourrait entraîner un risque d'atteinte à la liberté d'association et à la liberté du culte.
Pouvez-vous revenir sur la question des imams en prison, que vous avez évoquée de façon sibylline ? Le modèle des armées pourrait-il être utilement étendu aux prisons ?
Vous n'avez guère parlé du durcissement de plusieurs mesures de police des cultes, notamment la fermeture administrative des lieux de culte. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Enfin, pourriez-vous nous indiquer ce sur quoi a achoppé l'élaboration de la charte des valeurs républicaines ?
Soyez rassuré : le groupe Agir ensemble ne fait aucun amalgame entre islam et islamisme radical. Nous prenons acte de votre souhait que l'islamisme soit toujours qualifié d'extrémiste ou de radical ; accepteriez-vous également de parler d'« islamisme politique » dès lors qu'il défie les principes de la République ?
Nous notons aussi que le CFCM fait sienne la lutte contre cet islamisme radical ou extrémiste. Êtes-vous favorable à la généralisation de la formation des ministres du culte musulman à la laïcité et aux principes républicains, au sein des armées comme de la société civile ?
Vous avez jugé utiles plusieurs dispositions du projet de loi et, tout aussi légitimement, vous vous êtes inquiété de certaines de ses conséquences, en particulier le risque de précarisation des associations en raison notamment des frais de certification des comptes. Y a-t-il dans le texte d'autres éléments qui vous inquiètent à ce sujet ? Vous avez aussi mentionné le risque de suspicion généralisée envers les associations musulmanes ; en quoi le projet de loi le comporte-t-il ?
Vous avez évoqué la nécessité d'un accompagnement par l'État et les collectivités territoriales du changement de statut associatif auquel incite le projet de loi ; en quoi serait-il utile ?
Au sujet des immeubles de rapport, la mesure que vous préconisez ne risque-t-elle pas de donner lieu à une spéculation immobilière de la part des associations ?
Quel est votre position concernant la défiscalisation des dons ?
Enfin, toujours pour vous rassurer, je ne pense pas qu'un projet de loi comme celui que nous examinons puisse se soustraire à un contrôle de constitutionnalité a priori.
Je m'exprime au nom du groupe UDI et indépendants.
Le retrait du recteur de la grande mosquée de Paris viendrait des réticences de plusieurs membres du CFCM à affirmer le primat de la loi républicaine sur les principes et préceptes religieux. Cela nourrit les inquiétudes quant aux possibilités d'aboutissement de la charte demandée par le Président de la République et démontrant la compatibilité entre l'islam et la République. J'en suis d'autant plus surpris que les musulmans de France que je rencontre régulièrement ne voient aucune contradiction entre l'un et l'autre, contrairement à ce qu'on lit dans la presse qui veut toujours faire sensation, et considèrent en très grande majorité que les principes de la République, comme les principes de l'État dans plusieurs de leurs pays d'origine, passent avant les principes religieux, qui concernent l'intimité. J'aimerais donc que vous nous apportiez des précisions à ce sujet.
Existe-t-il au sein du CFCM des réticences à dénoncer l'islam politique ? À l'opposé de ce qui se dit dans certains milieux islamistes, la laïcité à la française n'est pas hostile aux musulmans : c'est contre la religion catholique qu'elle s'est construite, parce que celle-ci s'immisçait dans le champ politique et voulait y imposer ses préceptes – on retrouve là l'enjeu de l'équilibre entre la loi des hommes et celle qui serait dictée par la religion. Ces éventuelles réticences seraient un problème, car la laïcité est la séparation de la chose publique, dirigée par les citoyens, et de la chose religieuse, régie par les cultes et par ceux qui les suivent.
Concernant la différence entre pratique religieuse et aide sociale au sein des organisations associatives, la religion musulmane a pour spécificité de considérer la charité comme découlant du respect du culte. Or, on l'a vu dans d'autres pays, certaines associations peuvent, sous couvert d'aide sociale, promouvoir une version politique de l'islam qui n'est pas souhaitable en France.
Une dernière question, peut-être plus dérangeante. Bien souvent, les musulmans que je rencontre ne se sentent pas représentés par le CFCM. Son mode d'élection, imposé par l'État lors de sa constitution, favorise les mosquées qui disposent de grands espaces ; en somme, il fait que l'on vote au mètre carré au lieu d'attribuer une voix à chaque citoyen musulman. Vous paraît-il envisageable qu'il soit réformé ? Car rivaliser de mètres carrés, c'est rivaliser d'argent, d'où une lutte d'influence entre puissances étrangères qui nuit au fonctionnement du Conseil comme à sa représentativité. Les musulmans préféreraient choisir eux-mêmes leurs représentants que le faire par délégation selon ce système, assez original en démocratie, qui veut que le vote dépende de la capacité à obtenir des surfaces foncières, c'est-à-dire de la capacité financière.
Comment conforter les principes de la République ? Tel est l'enjeu qui nous réunit. À cette fin, le CFCM s'était engagé à rédiger une charte des valeurs républicaines avant début décembre. Vous vous y êtes personnellement attelé et avez tenté une synthèse des différentes sensibilités de votre organisation ; mais le projet ainsi élaboré, dont plusieurs d'entre nous ont eu connaissance, a visiblement posé problème puisque, contrairement à ce qui avait été promis, la charte n'a toujours pas été approuvée. J'aimerais vous poser plusieurs questions à ce sujet au nom du groupe Libertés et territoires.
Dans ce projet fort intéressant, vous distinguiez très nettement islamisme radical et islam afin de dissiper toute ambiguïté : « Par islam politique, la présente charte désigne les courants politiques et/ou idéologiques appelés communément : wahhabisme, salafisme, doctrine des Frères musulmans, et plus généralement toute mouvance locale, transnationale ou internationale qui vise à utiliser l'islam afin d'asseoir une doctrine politique, notamment parmi celles dont les textes fustigent la démocratie, la laïcité, l'égalité entre les femmes et les hommes ou qui fait la promotion de l'homophobie, de la misogynie, de l'antisémitisme, de la haine religieuse, et plus généralement toute idée ou pensée qui contesteraient, directement ou indirectement, les principes fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. »
Ce paragraphe est remarquable et on ne peut plus clair. Pourtant, trois fédérations membres du CFCM l'ont refusé. Pourquoi ? Pouvons-nous espérer que la future charte sera fondée sur ces mêmes principes ?
Votre synthèse indiquait également qu'il n'était pas possible de qualifier l'apostasie de crime ni de stigmatiser celles ou ceux qui renoncent à une religion. Deux groupes du CFCM se sont opposés à ce passage. Pourquoi ?
Vous rappeliez en outre « l'importance de l'école laïque publique qui doit être préservée des maux qui touchent la société » et précisiez qu'« aucune autorité religieuse ne peut remettre en question des méthodes pédagogiques ». Là encore, deux mouvements s'y sont opposés.
Quand aurons-nous officiellement une charte des valeurs républicaines émanant du CFCM dans son ensemble et correspondant aux principes que vous avez formulés dans ce projet ?
Je prends la parole au nom du groupe La France insoumise.
Je comprends que l'on vous interroge sur le Conseil national des imams, mais votre audition concerne un projet de loi bien précis et ce sujet mériterait une audition séparée.
S'agissant du texte lui-même, le CFCM a-t-il déjà condamné ce que vous décrivez comme des pratiques coutumières contraires à l'islam, mis en avant dans la communication gouvernementale à propos du projet de loi, comme le recours à des certificats de virginité ? Cela aurait le mérite de clarifier les choses.
Vous estimez que le texte n'incite pas à passer du statut loi 1901 au statut loi 1905. Pouvez-vous être plus précis, et rappeler les raisons historiques qui ont poussé à opter pour le premier statut plutôt que pour le second ?
L'article 26, qui modifie l'organisation des associations, notamment lorsqu'elles désignent un nouveau ministre du culte, a été présenté comme un « dispositif anti-putsch ». Quelles en sont les conséquences ? L'instauration de conseils d'administration est-elle banale ou trop tatillonne ? Les fédérations protestantes se sont demandé pourquoi la République se mêlait ainsi de l'organisation des cultes, et je partage leur interrogation. Est-il vrai, comme l'a dit Gérald Darmanin, que des putschs salafistes se produisent à l'occasion d'assemblées générales mal organisées ?
Quel est votre point de vue sur l'article 27, qui instaure un contrôle par le préfet, tous les cinq ans, du caractère cultuel de l'association ? Sera-t-il une source supplémentaire de tracasseries, voire d'arbitraire ?
À l'article 28, pourriez-vous revenir sur le statut des associations ? S'agissant des biens de rapport, je ne suis pas favorable à la modification proposée : une association cultuelle doit s'occuper du culte et non d'acheter et gérer des bâtiments. Or votre propre proposition va encore plus loin en ce sens. Je vois bien l'intérêt de réunir de l'argent dans le cadre d'une association cultuelle, mais je ne souhaite pas cette confusion. Il serait paradoxal qu'un texte de clarification, rompant avec le caractère mixte de certaines associations, incite ainsi au mélange des genres.
Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je vous félicite d'avoir conclu votre propos liminaire en disant que nous vaincrons ensemble en défendant les principes de la République.
Si le projet de loi est d'intérêt général, le cinquième paragraphe de son exposé des motifs parle toutefois d'« un entrisme communautariste […] pour l'essentiel d'inspiration islamiste ». Vous souhaitez que le mot d'islamisme soit qualifié par les adjectifs « radical » ou « extrémiste ». Comme l'a demandé mon collègue, accepteriez-vous également le qualificatif « politique » ?
Ce combat, avez-vous dit, est le vôtre ; parmi les moyens de le mener, vous citez la réorganisation des instances musulmanes et une présence accrue sur les réseaux sociaux. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la réorganisation, compte tenu du fait que l'islam ne prévoit pas de structure nationale hiérarchique ?
Vous êtes favorable au passage au statut régi par la loi de 1905, bien que vous souhaitiez que ce dernier soit rendu plus attractif. Quels sont les arguments de ceux qui y sont défavorables ?
Enfin, comment se faire une idée aussi objective que possible de la pénétration de l'islamisme radical au sein même des associations loi 1901 ?
Pour vous éclairer tout d'abord sur la nature même du CFCM, celui-ci a été conçu à l'origine, en 2003, comme une structure légère – chacun de ces mots a son importance. C'est ce qu'il a été décidé de créer lors des accords-cadres entre les fédérations musulmanes : un espace de dialogue entre les fédérations et un guichet à travers lequel elles parleraient aux pouvoirs publics. De sorte que le Conseil dispose de très peu de moyens : les fédérations n'y mutualisent pas les leurs. La maison est gérée par un secrétariat, à mi-temps ; elle n'a pas de budget de fonctionnement. C'était voulu, dès le départ. Tout se fait donc au niveau des fédérations, d'où leur importance dans la structure.
C'est ce qui a rendu malaisé d'y instaurer des institutions qui lui auraient donné plus d'épaisseur ; la difficulté à créer le Conseil national des imams est liée à ce point fondamental.
Les fédérations au sein du CFCM, dont la grande mosquée de Paris, ne souhaitent pas que le CFCM les chapeaute. Il n'a pas vocation à fonder des institutions qui superviseraient les activités des fédérations : chacune mène ses activités, et l'on se retrouve pour discuter, harmoniser, se préparer ensemble à dialoguer avec les pouvoirs publics. C'est ce qui explique les frictions : le CFCM est une juxtaposition de fédérations qui ont accepté de travailler ensemble dans les limites d'une structure légère.
J'en viens au Conseil national des imams. La création d'un tel conseil et l'adoption d'une charte des valeurs figuraient dans le programme que j'ai présenté en août 2019 en vue de l'élection à la présidence du CFCM – je vous en transmettrai un exemplaire ; dès 2017, le programme de l'Union des mosquées de France proposait la création d'un Conseil national des imams et aumôniers (CNIA), ainsi que de conseils régionaux et départementaux des imams et des aumôniers. La demande du Président de la République s'inscrit donc dans la parfaite continuité du programme sur lequel j'ai été élu.
Nous avons commencé à travailler sur le projet de Conseil national des imams dans l'idée d'aboutir très vite. Le 10 novembre, les neuf fédérations composant le Conseil français du culte musulman se sont accordées à l'unanimité sur les textes fondateurs dudit conseil, à savoir la déclaration de création, avec ses principes fondateurs, le règlement intérieur et plusieurs fiches techniques, dont des fiches de poste instaurant une distinction entre imam, imam prédicateur et imam conférencier, des fiches d'engagement etc. Nous devions annoncer la création du conseil national le 18 novembre 2020, à charge pour lui de rédiger les documents restants, en particulier un code éthique et déontologique, auquel la charte des valeurs va finalement se substituer.
Avant que l'annonce de la création du CNI ne soit faite et alors que, je le répète, il y avait unanimité sur ce point, nous avons entamé nos discussions sur la charte. Le 8 décembre, j'ai récupéré l'ensemble des contributions des fédérations ; j'en ai fait la synthèse, que j'ai envoyée aux fédérations. Le recteur de la grande mosquée de Paris a jugé que cette synthèse était fidèle aux contributions qui avaient été remises ; aucune fédération n'en a contesté le contenu. En revanche, toutes m'ont adressé des propositions de reformulation, ce qui est tout à fait normal dans le cadre d'une coproduction écrite. Le 15 décembre, nous sommes tombés d'accord sur un texte – validé aussi par le recteur de la grande mosquée de Paris. Ce texte, soit dit afin de rassurer M. Falorni et tous ceux qui se posent la question, comprend les passages évoqués concernant l'islam politique, l'apostasie et l'égalité entre les hommes et les femmes. Vous affirmez que trois fédérations s'y seraient opposées, mais ce n'est pas tout à fait exact. Le texte du 15 décembre a été validé par l'ensemble des fédérations. S'il est vrai que deux d'entre elles ont montré, dans un premier temps, quelques réticences, elles ont fini par l'accepter. La charte aurait dû être adoptée le 28 décembre, mais ayant eu vent de ce que certaines fédérations souhaitaient retravailler quelques points de détail, j'ai annoncé le 27 décembre que d'ultimes amendements pourraient être déposés jusqu'au 30 décembre à midi. À ce jour, je n'ai été saisi d'aucun amendement, ni par la grande mosquée de Paris ni par aucune autre fédération. J'en conclus qu'il s'agissait d'un faux bruit. Une charte a été validée le 15 décembre, et c'est là le seul texte de référence qui existe.
S'agissant des pratiques coutumières, ayant déjà été par le passé président du Conseil français du culte musulman, j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur l'excision, les certificats de virginité et les autres pratiques coutumières dégradantes pour les femmes. Elles sont interdites par la religion musulmane, tout simplement parce qu'elles portent atteinte à la dignité des femmes ; or l'égale dignité humaine est un principe fondamental de notre religion. L'égalité entre les hommes et les femmes en découle.
Je m'interroge sur les véritables raisons du retrait du recteur de la grande mosquée de Paris. Il est évoqué une « composante islamiste » à l'intérieur du Conseil français du culte musulman, sans plus de précision, jetant ainsi l'opprobre sur l'ensemble des membres du CFCM. Il est de mon devoir de rétablir les faits et de demander au recteur des explications, afin que cette composante islamiste soit clairement identifiée.
Par ailleurs, s'il s'agit des trois fédérations citées par la presse et par certains députés ici – Foi et pratique, Millî Görüş et Musulmans de France –, elles existent depuis des décennies et font partie intégrante du CFCM ; le recteur a travaillé avec elles et il continue à le faire aujourd'hui encore : il n'a pas rompu ses relations avec elles, il n'a même pas remis en cause les conventions bilatérales établies par le passé. C'est pourquoi je lui demande de clarifier sa position, le motif de son retrait n'étant de toute évidence pas la charte, puisque lui-même admet que le texte en a été validé et qu'il ne remet pas en cause ce qui a été décidé le 15 décembre.
Passons maintenant aux questions portant sur le projet de loi proprement dit.
En l'état du droit, les associations d'intérêt général peuvent administrer des immeubles obtenus par donation. Le projet de loi étend cette possibilité aux associations cultuelles. J'ai dit dans mon propos liminaire que je souhaitais voir supprimer la condition que les immeubles aient été acquis à titre gratuit. Si l'on veut inciter les associations à passer au statut de 1905, il faut permettre aux fidèles de se cotiser pour acquérir des immeubles de rapport qu'ils mettraient en location, le produit de celle-ci permettant, par exemple, de verser un salaire à l'imam. Je ne suis pas opposé à un éventuel plafonnement de cette ressource, ou à un système visant à s'assurer que la mesure est proportionnée au but recherché. Il reste qu'au sein de la communauté musulmane, les anciennes générations disposent de revenus modestes ; il s'agit d'ouvriers agricoles ou du bâtiment, qui n'ont pas pu construire un patrimoine immobilier suffisant pour léguer des biens aux associations. Du coup, des donations gratuites, il n'y en a pas, ou très peu, et la mesure ne bénéficiera pas au culte musulman. En revanche, les fidèles qui se sont cotisés pendant des années pour construire des mosquées, qu'ils ont fait sortir de terre à la seule force de leurs bras, sont prêts à poursuivre cet effort pendant quelques décennies pour doter ces lieux de culte d'une autonomie financière. Je pense que ce serait dans l'intérêt de tous. En outre, cela répondrait à une tradition dans le monde musulman ; sur tous les continents, c'est ainsi que les mosquées fonctionnent : à chacune correspond un bien immobilier, qui en assure le financement. Cette tradition pourrait être aisément adaptée à notre droit dès lors qu'on garde à l'esprit que cela répond à un objectif précis et qu'il ne s'agit pas d'aller au-delà : les associations musulmanes ne se transformeront pas en agences de gestion de biens immobiliers.
Afin d'améliorer la formation des imams en France, ce que je propose, c'est d'associer des formations universitaires aux formations théologiques. Si les personnes qui s'engagent dans une formation de quatre ou cinq années pour devenir imam ne bénéficient pas d'une formation diplômante, on n'attirera pas les meilleurs éléments. Pour avoir des imams titulaires d'un master ou d'un doctorat, qui soient une force de production intellectuelle dans notre pays et tirent vers le haut l'islam de France, il faut leur donner la possibilité de suivre en parallèle un cursus universitaire, qui leur ouvre le statut d'étudiant, avec les prestations qui y sont attachées. Si l'indépendance des universités est un principe désormais établi, il serait bon que les présidents d'université nous entendent sur ce point. Là encore, tout le monde y gagnerait.
Monsieur Moussaoui, je me vois obligé de vous rappeler nos contraintes horaires. Je vous invite à faire preuve de concision dans vos réponses, d'autant que plusieurs collègues ont demandé la parole pour une deuxième série de questions.
Je me plie donc à cette injonction, monsieur le président.
La séparation des activités, j'y suis favorable. J'ai dit clairement que les associations se livrant à des activités cultuelles devaient relever du statut de 1905 et celle assurant d'autres activités du statut de 1901. Le fait d'apporter une aide aux personnes démunies ne me semble pas spécifique au culte musulman : cette dimension est présente dans toutes les religions. Je ne pense pas que ce soit incompatible avec la séparation des activités. Je le répète : il est dans l'intérêt du culte musulman de s'inscrire dans le paysage cultuel.
J'ai déjà exprimé clairement ma position concernant l'éducation. Par manque de moyens de contrôle, des enfants peuvent se trouver dans une situation où ils sont soumis à un endoctrinement. Même si l'on inverse la procédure, en demandant aux associations de solliciter a priori une autorisation et non plus en attendant que le contrôleur se manifeste a posteriori, on aura toujours besoin de contrôles. Les difficultés apparaissent souvent par suite d'un défaut de contrôle ou d'une mauvaise application des lois.
Une question de terminologie, pour commencer : vous parlez d' « islamisme radical » ; je préfère pour ma part l'expression « islam politique », car j'ai du mal à savoir ce qui est radical et ce qui ne l'est pas et, surtout, qui peut en juger. Quelle est votre opinion sur ce point ?
Vous venez d'évoquer un « endoctrinement » des enfants. Avez-vous des propositions concrètes pour lutter contre ce phénomène ? Si je puis me permettre, le CFCM a été un peu « léger » en la matière au cours de son histoire. Comment faire pour que les jeunes musulmans ne soient pas attirés par l'islam politique – ou radical, si vous préférez ce terme ?
L'objet de la disposition du projet de loi relative aux immeubles de rapport est de faire en sorte que les musulmans de France puissent disposer d'une source de financement. Or, vous l'avez démontré, elle risque d'être sans effet. C'est pourquoi je déposerai un amendement visant à ce qu'une partie des revenus des immeubles de rapport de tous les cultes soit répartie entre ces derniers par péréquation, en fonction du nombre de fidèles, de manière que les musulmans puissent eux aussi en bénéficier. J'aimerais avoir votre avis sur cette proposition.
En visite à la grande mosquée de Paris, en septembre dernier, le ministre de l'intérieur s'était engagé à ce que l'on ne recoure pas à la procédure accélérée pour examiner ce texte. Que pensez-vous du fait que cette promesse n'a pas été tenue par le Gouvernement ?
Comment ce projet de loi, initialement destiné à lutter contre le séparatisme, est-il perçu par nos compatriotes musulmans ? Pensez-vous qu'en l'état, il constitue un outil efficace de lutte contre le séparatisme ?
Quelle est votre position sur l'exercice en France d'imams de nationalité étrangère, ayant la qualité de fonctionnaire d'États étrangers et étant rémunérés par ces États ? Faut-il mettre fin à ces accords interétatiques ?
Vous avez décrit les efforts déployés en vue de structurer les musulmans de France, afin que ceux-ci se dotent d'une instance de dialogue avec les pouvoirs publics à l'échelon national et à l'échelon départemental. Pensez-vous qu'il serait bon que des dispositions législatives facilitent leur mise en place ?
Certaines pratiques coutumières – préjudiciables principalement aux femmes – ont beau être interdites parce qu'elles sont contraires à la dignité de la personne, elles peinent à reculer. Quel message adresser aux familles pour que la volonté des femmes soit respectée et quel accompagnement proposer à celles-ci pour leur permettre de persévérer dans leur refus, sans être exclues des familles ?
Aujourd'hui, en France, la menace terroriste est très majoritairement d'inspiration islamiste. Le séparatisme et la volonté de faire prédominer les principes religieux sur les principes républicains sont également très majoritairement issus d'un islamisme politique provenant de mouvances religieuses radicales et de puissances étrangères.
Si j'entends bien que vous souhaitez ne pas être stigmatisés par une loi ou certaines dispositions et si, comme l'a souligné le président de la commission spéciale, la loi, ayant une portée générale, ne cible pas la religion musulmane – bien que son dévoiement extrême aurait mérité d'être mis un peu plus en relief –, pour autant, comprenez-vous, monsieur Moussaoui, que d'autres religions, associations ou courants philosophiques puissent se considérer comme les victimes collatérales d'un texte qui vient réduire leur liberté d'exercice du culte, d'instruction, d'association, alors qu'ils n'ont jamais été impliqués de quelque manière que ce soit dans le séparatisme et qu'ils respectent les lois, les principes et les valeurs de la République ?
Il manque un volet important à ce texte : une obligation de formation aux principes républicains pour les dirigeants d'associations, qu'elles soient cultuelles ou culturelles, pour leurs membres, pour les imams, pour les aumôniers. Pensez-vous que les dispositions contenues dans le projet de loi permettront de lutter efficacement contre la radicalisation religieuse islamiste, l'islam politique et le séparatisme qui en découle ? Dans le cas contraire, qu'y manque-t-il, selon vous ?
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, monsieur Moussaoui, c'est lorsque vous aviez dû affronter la violence politique et physique de M. Sefrioui à la mosquée d'Évry-Courcouronnes.
Vu que le CFCM traverse de nouveau de très fortes turbulences et que vous êtes confrontés de l'intérieur aux offensives de l'islamisme politique, pourquoi n'affirmez-vous pas plus clairement que ce projet de loi contribue à protéger les musulmans républicains des visées politiques séparatistes ? J'ai été un peu choqué par votre comparaison avec le délit de faciès.
Que faudrait-il faire selon vous pour que cette majorité de musulmans, et tout particulièrement les jeunes, ait davantage envie de s'engager pour disputer le terrain aux islamistes ? Comment comptez-vous y contribuer ?
Eu égard à la nature respective de l'islam, qui vit sans intermédiaire, et de la République, qui considère la religion comme une opinion qui doit s'exprimer dans le respect des principes républicains, n'estimez-vous pas qu'une fois que la République a affirmé clairement ce qu'elle souhaite et ce qu'elle refuse, c'est aux musulmans de prendre leurs responsabilités, en citoyens libres et responsables, plutôt que d'entretenir la chimère d'une organisation institutionnelle de l'islam français ?
Ma question porte sur la jeunesse : je voudrais savoir si vous avez connaissance d'une stratégie politique qui s'opposerait aux fondements de la République.
Plusieurs de mes collègues vous ont interrogé sous l'angle des libertés religieuses. Je voudrais pour ma part le faire sous celui de la liberté absolue de conscience, qui prime dans la loi de 1905.
Vous avez parlé d'islamisme radical. Peut-il, selon vous, exister un islamisme autre que politique, radical, intégriste ? Existerait-il un islamisme « tranquille » ? Nous faisons pour notre part parfaitement la différence entre les musulmans, qui veulent vivre en paix en France et que la loi protège, et les islamistes, qui luttent contre la République.
Je déduis de vos propos que la charte des valeurs républicaines est implicitement validée. Par conséquent, pourriez-vous nous la transmettre officiellement ?
Aujourd'hui, 11 janvier, c'est le sixième anniversaire de la marche républicaine. L'islam est-il selon vous compatible avec la liberté de critique et de satire ?
Enfin, certains affirment que le voile est une obligation religieuse ; d'autres estiment qu'il n'en est rien, et qu'il s'agit d'une lecture et d'une application intégristes de votre religion. Quelle est votre opinion sur le sujet ?
Vous avez parlé de l'action bienvenue des imams auprès des jeunes qui se radicalisent. Ne faudrait-il pas renforcer les liens entre les professeurs, les présidents d'associations, les élus et les représentants religieux ?
Oui ou non la charte des valeurs indiquera-t-elle, comme cela est écrit dans le courrier transmis par le recteur de la mosquée de Paris, que par islam politique on désigne « les courants politiques et/ou idéologiques appelés communément : wahhabisme ; salafisme ; doctrine des Frères musulmans […] » ? Confirmez-vous que ces mouvements sont contraires à une pratique du culte musulman compatible avec les valeurs de la République ?
On voit se développer la pratique du voilement de fillettes de 5 ou 6 ans. Considérez-vous qu'il s'agit là d'une pratique coutumière dégradante qu'il conviendrait d'interdire ?
Une précision, tout d'abord, s'agissant de l'expression « délit de faciès » que j'ai employée. Ce que nous craignons, c'est que certains fonctionnaires fassent du zèle et « embêtent », si j'ose dire, les associations musulmanes qui sont de bons élèves, au lieu de réprimer celles qui agissent contre la République. Sur ce point, les choses sont claires : nous estimons que ce projet de loi est nécessaire et utile pour lutter contre ceux qui veulent instrumentaliser l'outil associatif à des fins contraires aux valeurs de la République.
Je le dis et le redis : l'islam accepte volontiers que des critiques lui soient adressées, y compris contre ses fondements, sa croyance, son credo. Il n'est pas incompatible avec la liberté d'expression, qui est un outil fondamental et une valeur importante, y compris pour les musulmans. Ceux de nos concitoyens qui veulent critiquer notre religion, ses fondements, certaines pratiques, ont le droit de le faire en toute liberté. Les musulmans n'ont pas à s'en offusquer ; ils doivent y répondre avec dignité et sérénité, dans le cadre d'un débat intellectuel contradictoire.
Mes frères juifs, catholiques et protestants disent de manière pudique que les effets sur leurs cultes respectifs du renforcement de la loi de 1905 pourraient être considérés comme des dégâts collatéraux. Nous le comprenons. Cela étant, c'est aussi le cas pour l'immense majorité des associations musulmanes, qui œuvrent dans le respect des principes et des lois de la République. Je l'avais dit dans mon programme : le principe d'égalité devant la loi nous oblige parfois à accepter certaines contraintes ou restrictions afin de nous protéger collectivement. La pandémie nous a appris qu'il fallait savoir consentir à des sacrifices collectifs pour sauver les plus vulnérables d'entre nous et répondre aux risques les plus importants.
Si l'on consulte le Larousse ou tout autre dictionnaire de la langue française, on note que jusqu'à la fin des années 1970, « islamisme » était l'équivalent d'« islam ». Ce n'est que par la suite que le terme a pris une autre connotation, en liaison avec l'utilisation de l'islam à des fins politiques. C'est aujourd'hui son sens le plus fréquent.
Faut-il dresser une liste des composantes de cet islam politique, qui inclurait les Frères musulmans, le wahhabisme etc. ? Mais qui ferait-on entrer dans cette catégorie ? Les Musulmans de France, par exemple, disent qu'ils ne sont pas des Frères musulmans, alors que certains les considèrent comme tels. Le choix que nous avons fait, c'est de mentionner l'instrumentalisation de l'islam à des fins politiques sans y adjoindre une liste d'organisations – qui, de toute façon, ne saurait être exhaustive : il faudrait en retirer tout ce qui fait débat ou pourrait susciter la polémique. Cela n'aurait pas répondu au but recherché, qui est de combattre l'islam politique. Il faut le dire clairement : aller à l'encontre des principes de la République, refuser l'égalité entre les hommes et les femmes, rejeter le principe de laïcité… : tout cela n'est pas acceptable. C'est ce qu'affirme le sixième paragraphe de la charte du 15 décembre – le plus long de tous.
Je suis opposé à ce que l'on fasse porter le voile à des enfants. Dès lors qu'une femme a la possibilité de choisir librement la façon dont elle se vêt, cela relève de sa liberté individuelle : chaque femme s'habille comme elle le souhaite. Imposer le port du voile à un enfant me paraît relever d'un endoctrinement contraire au respect de la liberté de l'enfant et de sa construction personnelle
Vous dites, monsieur Ahamada, que le CFCM n'a pas beaucoup agi en matière de lutte contre la radicalisation. Je l'ai indiqué tout à l'heure : le CFCM, en tant qu'instance, est avant tout un espace de dialogue entre les fédérations. En revanche, il est du devoir de celles-ci d'appliquer les recommandations qu'il émet ; et je peux vous assurer que, dans ce domaine, les imams et les aumôniers accomplissent un travail formidable. Il faut avoir à l'esprit qu'un million de personnes se rendent chaque vendredi dans les mosquées : vous imaginez bien que si l'on comptait nombre d'imams radicaux parmi les imams français, ce sont des milliers de radicaux qui sortiraient des mosquées ! C'est grâce au formidable travail des imams que nous avons pu sauver de nombreux jeunes des griffes du radicalisme. Certes, ce n'est pas assez, puisqu'il y a des attentats et que l'on observe des comportements visant à saper la République, mais on ne peut pas dire que le CFCM n'ait rien fait.
Je pense avoir répondu aux principales questions.
Le Président de la République s'est exprimé sur le sujet ; 2024, c'est demain. La question relève d'accords bilatéraux entre États, et j'imagine que les États concernés vont réagir. J'ai déjà déclaré, à titre personnel, qu'il était dans l'intérêt des musulmans de France que soient formés sur place des imams français, des personnes qui sont nées en France, qui ont acquis la culture française, qui ont fréquenté l'école publique et qui sont imbibées des valeurs et des principes de la République ; ce sont eux, les imams de demain. Les imams détachés ne peuvent être qu'une solution transitoire. Cela n'empêche pas pour autant les partenariats, les échanges avec l'extérieur : dans un monde globalisé, les musulmans français ne peuvent vivre en autarcie. Néanmoins, il faut que nous acquérions notre souveraineté, et cela passe par la formation de nos cadres sur le sol national.
Bref, les imams détachés, ce n'est pas l'affaire du Conseil français du culte musulman, c'est celle des États, et je pense que l'État français est dans son droit d'exiger la révision des accords bilatéraux.
La séance est levée à dix heures vingt-cinq.
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République
Réunion du lundi 11 janvier 2021 à 8 heures 30
Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Stéphanie Atger, Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Yves Blein, Mme Anne‑Laure Blin, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Xavier Breton, M. Jean‑Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, Mme Marie-George Buffet, Mme Émilie Chalas, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean‑François Eliaou, M. Christophe Euzet, M. Olivier Falorni, Mme Isabelle Florennes, Mme Laurence Gayte, Mme Annie Genevard, Mme Perrine Goulet, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Anne-Christine Lang, Mme Marine Le Pen, M. Olivier Marleix, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Jean‑Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, M. Patrice Perrot, M. Stéphane Peu, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, M. François de Rugy, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet
Assistaient également à la réunion. – Mme Aurore Bergé, Mme Blandine Brocard, Mme Anne Genetet