Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du lundi 11 janvier 2021 à 18h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques :

Mesdames, messieurs les députés, chers amis, je vous remercie de m'offrir l'occasion de débattre non seulement du texte lui-même, dont l'article 5 porte plus particulièrement sur mon champ de compétences, mais aussi sur le contexte dans lequel il s'inscrit. Il me semble nécessaire d'élargir la focale, comme vous m'y invitez, monsieur le président. Cela permettra de comprendre en quoi ce texte est d'abord un texte de soutien à la République ainsi qu'aux hommes et aux femmes de nos services publics et de notre administration, qui la font vivre jour après jour.

Il me semble essentiel de s'inscrire dans un double mouvement, tenant compte du devoir absolu, pour les agents publics, de faire respecter les principes de la République, qui est au cœur du statut de 1983, d'une part, et, d'autre part, du droit absolu, en contrepartie, d'être protégés lorsqu'ils les font respecter. Dans chaque administration, la hiérarchie doit donc assurer, de façon très concrète et très opérationnelle, la protection des agents publics. Le texte renforce les moyens consacrés à la poursuite de ces deux objectifs. Il s'agit de donner les moyens d'appliquer les principes républicains à ceux qui font vivre le service public, notamment par le biais de l'article 1er, tout en renforçant réellement leur protection.

J'aimerais donner trois chiffres qui, me semble-t-il, illustrent le contexte dans lequel nous nous trouvons. Tout d'abord, 90 % des agents publics déclarent que la laïcité leur permet de bien faire leur métier, notamment grâce à l'égalité de traitement et à la neutralité qu'elle induit, et qu'ils placent au cœur de leur action. Cela me semble très positif. Toutefois, 30 % des agents publics déclarent avoir été confrontés, soit au sein de leur service, soit de la part d'usagers du service public, à des atteintes à la laïcité, et ce de façon régulière pour la moitié d'entre eux. Enfin – ce chiffre doit nous alerter –, 40 % des agents publics ne se sentent pas protégés par leur hiérarchie, soit parce qu'ils ont signalé des faits auparavant sans que les choses, malheureusement, ne se passent comme ils le souhaitaient, soit parce qu'ils pensent que parler sera sans conséquence sur la façon dont leur hiérarchie les soutiendra.

Nous proposons donc de renforcer non seulement les moyens opérationnels permettant de faire en sorte que les principes républicains soient pleinement et toujours appliqués, et que la République, au fond, ne s'affaisse pas, mais aussi la protection des agents publics. L'assassinat de Samuel Paty, dont je salue la mémoire, démontre l'absolue nécessité de renforcer les dispositions permettant de protéger les agents publics, notamment la saisine du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale par tout fonctionnaire ayant connaissance de faits qui doivent manifestement être signalés et, potentiellement, faire l'objet de poursuites judiciaires, ainsi que leur signalement sur PHAROS (Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements). Appeler au meurtre de quelqu'un, c'est très grave ; appeler au meurtre de quelqu'un parce qu'il est agent public, c'est encore plus grave.

Il s'agit aussi de nous assurer qu'il existe des mécanismes de signalement pour chaque fait. Les dispositions de l'article 5 visent à faire en sorte que la loi du silence – le « pas de vagues », comme certains ont osé l'appeler – cesse, et que les agents chargés de remplir des missions difficiles soient effectivement protégés par leur hiérarchie. Dès le 2 novembre dernier, M. le ministre de l'intérieur, M. le garde des sceaux, Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté et moi-même avons adressé une circulaire aux préfets et aux secrétaires généraux d'administration, qui couvrent le périmètre de l'État, qui leur offre un mode d'emploi permettant d'accorder à tout agent public une protection fonctionnelle à titre conservatoire dès que cela s'avère nécessaire, et réaffirme la nécessité de signaler les faits qui doivent l'être au procureur de la République et sur PHAROS. Nous avons également réfléchi à la façon dont nous pouvons mobiliser les forces de l'ordre pour protéger physiquement des agents publics exposés à un risque de péril imminent.

Enfin, si nous nous penchons sur le détail des choses, nous constatons qu'il est nécessaire, afin que chaque agent public se sente outillé pour faire respecter la neutralité et l'égalité au sein du service public, de traiter un énorme enjeu de formation. Il ne s'agit pas de former les gens aux grands débats parlementaires qui ont conduit à l'adoption de la loi de 1905, mais de dispenser une formation pratique. En effet, les atteintes à la neutralité et les pressions que peuvent subir les uns les autres ne sont pas de même nature selon qu'on est membre des forces de l'ordre, à l'hôpital, derrière un guichet municipal ou dans une préfecture. Une formation pratique, assortie d'une forte implication managériale, est nécessaire pour que chacun, dans chaque équipe, ait les bons réflexes, et que ce sujet ne soit pas mis sous le boisseau ni source de gêne, mais soit connu le plus largement possible. Marlène Schiappa et moi-même réfléchissons à la possibilité de dispenser aux nouveaux fonctionnaires, qu'ils soient contractuels ou titulaires, recrutés pour une période plus ou moins courte, dans les fonctions publiques territoriales, hospitalière et d'État, une formation à l'enjeu de la neutralité du service public, incluant une formation pratique, afin que chaque fonctionnaire ait accès à une formation adaptée à son métier.

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