COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE
Lundi 11 janvier 2021
La séance est ouverte à dix-huit heures trente.
La commission spéciale procède à l'audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Madame la ministre chargée de la transformation et de la fonction publiques, nous vous souhaitons la bienvenue à l'Assemblée nationale, que vous connaissez bien.
Notre commission mène plusieurs auditions destinées à éclairer nos travaux, et à clarifier le contexte dans lequel nous débattons. À cette fin, et pour déterminer la façon dont le texte serait appliqué s'il était voté tel quel, plusieurs membres de la commission ont souhaité que nous procédions à l'audition de nombreux ministres. Plusieurs articles du projet de loi traitent directement ou indirectement de la fonction publique. À ce titre, votre audition présente un intérêt particulier. Nous procéderons par une alternance de questions et de réponses – la durée de chaque intervention ne pouvant excéder 3 minutes –, que j'ouvre dès à présent.
J'aimerais vous interroger sur la façon dont la fonction publique d'État – et la fonction publique en général – parvient à relever le défi, auquel chacun sait qu'elle est confrontée, de mise en cause de la neutralité et de la laïcité du service public dans l'exercice de ses missions, laquelle procède parfois des agents publics, qui n'acceptent pas les règles en vigueur, rechignent à les appliquer ou même inventent de nouvelles demandes, de nouvelles revendications en matière de neutralité du service public, et parfois d'usagers du service public. Le Gouvernement a inscrit dans le texte des dispositions visant à protéger les agents publics qui y sont confrontés. En quoi le contexte que nous connaissons les rend-elle nécessaires ?
Mesdames, messieurs les députés, chers amis, je vous remercie de m'offrir l'occasion de débattre non seulement du texte lui-même, dont l'article 5 porte plus particulièrement sur mon champ de compétences, mais aussi sur le contexte dans lequel il s'inscrit. Il me semble nécessaire d'élargir la focale, comme vous m'y invitez, monsieur le président. Cela permettra de comprendre en quoi ce texte est d'abord un texte de soutien à la République ainsi qu'aux hommes et aux femmes de nos services publics et de notre administration, qui la font vivre jour après jour.
Il me semble essentiel de s'inscrire dans un double mouvement, tenant compte du devoir absolu, pour les agents publics, de faire respecter les principes de la République, qui est au cœur du statut de 1983, d'une part, et, d'autre part, du droit absolu, en contrepartie, d'être protégés lorsqu'ils les font respecter. Dans chaque administration, la hiérarchie doit donc assurer, de façon très concrète et très opérationnelle, la protection des agents publics. Le texte renforce les moyens consacrés à la poursuite de ces deux objectifs. Il s'agit de donner les moyens d'appliquer les principes républicains à ceux qui font vivre le service public, notamment par le biais de l'article 1er, tout en renforçant réellement leur protection.
J'aimerais donner trois chiffres qui, me semble-t-il, illustrent le contexte dans lequel nous nous trouvons. Tout d'abord, 90 % des agents publics déclarent que la laïcité leur permet de bien faire leur métier, notamment grâce à l'égalité de traitement et à la neutralité qu'elle induit, et qu'ils placent au cœur de leur action. Cela me semble très positif. Toutefois, 30 % des agents publics déclarent avoir été confrontés, soit au sein de leur service, soit de la part d'usagers du service public, à des atteintes à la laïcité, et ce de façon régulière pour la moitié d'entre eux. Enfin – ce chiffre doit nous alerter –, 40 % des agents publics ne se sentent pas protégés par leur hiérarchie, soit parce qu'ils ont signalé des faits auparavant sans que les choses, malheureusement, ne se passent comme ils le souhaitaient, soit parce qu'ils pensent que parler sera sans conséquence sur la façon dont leur hiérarchie les soutiendra.
Nous proposons donc de renforcer non seulement les moyens opérationnels permettant de faire en sorte que les principes républicains soient pleinement et toujours appliqués, et que la République, au fond, ne s'affaisse pas, mais aussi la protection des agents publics. L'assassinat de Samuel Paty, dont je salue la mémoire, démontre l'absolue nécessité de renforcer les dispositions permettant de protéger les agents publics, notamment la saisine du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale par tout fonctionnaire ayant connaissance de faits qui doivent manifestement être signalés et, potentiellement, faire l'objet de poursuites judiciaires, ainsi que leur signalement sur PHAROS (Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements). Appeler au meurtre de quelqu'un, c'est très grave ; appeler au meurtre de quelqu'un parce qu'il est agent public, c'est encore plus grave.
Il s'agit aussi de nous assurer qu'il existe des mécanismes de signalement pour chaque fait. Les dispositions de l'article 5 visent à faire en sorte que la loi du silence – le « pas de vagues », comme certains ont osé l'appeler – cesse, et que les agents chargés de remplir des missions difficiles soient effectivement protégés par leur hiérarchie. Dès le 2 novembre dernier, M. le ministre de l'intérieur, M. le garde des sceaux, Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté et moi-même avons adressé une circulaire aux préfets et aux secrétaires généraux d'administration, qui couvrent le périmètre de l'État, qui leur offre un mode d'emploi permettant d'accorder à tout agent public une protection fonctionnelle à titre conservatoire dès que cela s'avère nécessaire, et réaffirme la nécessité de signaler les faits qui doivent l'être au procureur de la République et sur PHAROS. Nous avons également réfléchi à la façon dont nous pouvons mobiliser les forces de l'ordre pour protéger physiquement des agents publics exposés à un risque de péril imminent.
Enfin, si nous nous penchons sur le détail des choses, nous constatons qu'il est nécessaire, afin que chaque agent public se sente outillé pour faire respecter la neutralité et l'égalité au sein du service public, de traiter un énorme enjeu de formation. Il ne s'agit pas de former les gens aux grands débats parlementaires qui ont conduit à l'adoption de la loi de 1905, mais de dispenser une formation pratique. En effet, les atteintes à la neutralité et les pressions que peuvent subir les uns les autres ne sont pas de même nature selon qu'on est membre des forces de l'ordre, à l'hôpital, derrière un guichet municipal ou dans une préfecture. Une formation pratique, assortie d'une forte implication managériale, est nécessaire pour que chacun, dans chaque équipe, ait les bons réflexes, et que ce sujet ne soit pas mis sous le boisseau ni source de gêne, mais soit connu le plus largement possible. Marlène Schiappa et moi-même réfléchissons à la possibilité de dispenser aux nouveaux fonctionnaires, qu'ils soient contractuels ou titulaires, recrutés pour une période plus ou moins courte, dans les fonctions publiques territoriales, hospitalière et d'État, une formation à l'enjeu de la neutralité du service public, incluant une formation pratique, afin que chaque fonctionnaire ait accès à une formation adaptée à son métier.
Madame la ministre, j'évoquerai l'un de nos amendements, que j'ai présenté à M. le garde des sceaux, qui semble y être favorable. Il s'agit, indépendamment du renforcement de la protection fonctionnelle des agents publics et du signalement de faits au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, d'offrir à leur administration, ou au délégataire d'une mission de service public pour lequel ils exercent, la possibilité de déposer plainte en leur nom. Bien entendu, cette possibilité serait tout à fait exclusive de l'exercice de poursuites judiciaires ou de la possibilité de se constituer partie civile, qui sont difficilement envisageables. J'aimerais avoir votre avis sur cette possibilité, qui permettrait d'apporter à l'agent concerné un soutien fort et surtout visible, distinct d'un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale et du renforcement de sa protection fonctionnelle.
J'aimerais également avoir votre avis sur le champ d'application de l'article 1er, dont certaines dispositions s'appliquent aux personnes placées sous l'autorité hiérarchique du titulaire d'une délégation de service public. Une telle formule est-elle transposable à la fonction publique, par exemple aux collaborateurs occasionnels ou réguliers du service public, dont la jurisprudence peine à définir le statut ?
Il importe que nous soutenions les agents publics qui portent plainte. J'en ai rencontré beaucoup sur le terrain ; la plupart envisagent le dépôt d'une plainte avec réticence. Il faut donc s'assurer que chaque agent public, si nécessaire, porte plainte lui‑même et signale les faits au procureur de la République.
Par ailleurs, il faut mener une réflexion à ce sujet pour que l'administration puisse, avec l'accord de l'agent concerné, faire un acte allant au-delà du symbolique. Lorsque l'agent signale les faits au procureur de la République, la machine judiciaire, pour ainsi dire, se met en branle ; il importe que nous soutenions cette démarche. En l'état actuel du droit, l'application de la disposition proposée serait assez complexe. Certaines structures, telles que les collectivités locales, les opérateurs publics et les établissements publics, sont dotées d'une personnalité morale ; comme telles, elles peuvent porter plainte. S'agissant d'une direction départementale au sein d'une préfecture, dépourvue de personnalité morale, les choses sont plus complexes. En outre, la constitution de partie civile peut soulever certaines difficultés : l'État, dans la salle d'audiences, pourrait simultanément être du côté du procureur et du côté de la partie civile. Les dispositions proposées doivent s'articuler avec celles du code pénal.
En tout état de cause, il nous semble essentiel de protéger véritablement les agents publics, indépendamment d'un éventuel dépôt de plainte et du signalement des faits relevant de l'article 40 du code de procédure pénale. Nous devons nous inscrire dans une logique opérationnelle d'activation de la protection.
S'agissant du périmètre de l'article 1er, j'estime qu'il ne faut pas chercher à inscrire dans le droit ce que la jurisprudence a clarifié. Le présent projet de loi n'a pas pour objet d'aborder des sujets particuliers, tels que la place du voile dans l'espace public. L'essentiel est de nous assurer que quiconque dépend contractuellement et financièrement d'un service public, parce qu'il est délégataire d'une mission de service public, soit astreint aux mêmes obligations de neutralité, de laïcité et d'égalité de traitement que les agents publics. S'agissant des collaborateurs occasionnels du service public, leurs relations avec l'administration ne sont pas encadrées par un contrat, et leurs activités sont ponctuelles. Si elles acquièrent un caractère régulier, elles font l'objet d'un contrat et s'inscrivent dès lors dans le champ de l'article 1er. La jurisprudence à leur sujet est claire. Il s'agit d'une activité ponctuelle, volontaire et bénévole – aucune rémunération n'y est attachée, et très peu bénéficient d'un défraiement. Le projet de loi présente un équilibre correspondant à des besoins réels ; il n'a pas vocation à rouvrir des débats tranchés précédemment.
Madame la ministre, je vous remercie de votre présentation des dispositions relatives à la protection des agents publics contre les pressions, agressions et violences dont ils peuvent faire l'objet, ainsi que contre les campagnes de déstabilisation qui peuvent être lancées à leur encontre sur les réseaux sociaux, dont l'exemple ultime, que nous déplorons et que nous n'oublions pas, est l'assassinat terroriste de Samuel Paty.
L'article 18 répond à la question. Il complète les dispositions relatives au délit de mise en danger de la vie d'autrui, en portant les peines encourues, s'il est commis au préjudice d'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Toutefois, si de telles protections sont nécessaires pour ceux qui incarnent et représentent l'État ainsi que la puissance publique, il faut également prévoir davantage de mesures d'exemplarité. Mme Élisabeth Moreno nous a dit lors de son audition que les personnes exerçant une mission de service public doivent être un repère permettant d'identifier ce que l'on peut faire et ce que l'on ne peut pas faire. À cet égard, j'aimerais connaître votre avis sur l'un de mes amendements, visant à renforcer les sanctions prises à l'encontre des personnes exerçant une mission de service public, ce qui constituerait une circonstance aggravante, proférant des injures à caractère raciste ou incitant à la haine et à la violence. Je propose une peine de trois ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Nous nous inscrivons dans le balancier des droits et des devoirs de l'agent public, qui n'exerce pas un métier comme les autres. Le statut général des fonctionnaires prévoit explicitement les obligations qui leur incombent dans l'exercice de leurs fonctions, notamment le devoir de réserve, sur lequel nous pourrions travailler. S'agissant de la déontologie des fonctionnaires et de l'exercice de leurs missions, il fixe des règles et prévoit des sanctions disciplinaires. À ce sujet, j'indique que 182 agents publics ont été révoqués en 2018, dont six en raison de manquements aux obligations de laïcité, d'atteintes au principe de neutralité ou de faits de discrimination. Par ailleurs, quarante-huit sanctions disciplinaires ont été prononcées pour de tels actes. L'objectif des dispositions dont je suis plus particulièrement chargée est bel et bien de protéger les agents publics qui en sont victimes.
Dans ce cadre, on peut admettre qu'être un agent public constitue une circonstance aggravante, dès lors que l'on s'inscrit dans l'exercice de ses fonctions, et que l'on traite également tous les agents publics, qu'ils soient dépositaires ou non de l'autorité publique. Au demeurant, le droit pénal comporte plusieurs dispositions en vertu desquelles être un agent public est une circonstance aggravante ; elles offrent une base de travail. La loi du 27 janvier 2017 assortit l'appréciation de certains faits d'une circonstance aggravante, et renforce leur sanction en conséquence, s'ils sont commis par un agent public dans l'exercice de ses fonctions. Il ne me semble pas souhaitable de généraliser cette disposition. Il importe de s'inscrire dans le cadre de l'exercice de ses fonctions par l'agent public. Il importe également – j'insiste sur ce point – d'appliquer cette disposition à tous les agents publics. S'agissant des enjeux de leur protection fonctionnelle, une distinction, au demeurant pas toujours claire, a été opérée entre les agents dépositaires de l'autorité publique et les autres. Nous devons protéger ceux qui assurent une mission au nom de la République et qui la font vivre, quelle que soit sa teneur, quelle que soit leur fonction et quel qu'en soit le lieu d'exercice.
Madame la ministre, j'effectuerai un pas de côté avant d'en venir à la fonction publique. L'article 1er comporte des dispositions relatives aux opérateurs privés délégataires d'une mission de service public. Concernent-elles, par exemple, l'entreprise chargée de moderniser le réseau informatique d'un service public, ce qui lui donne accès aux informations dont il dispose ? Une obligation de neutralité s'applique-t-elle en pareil cas ?
Par ailleurs, vous avez évoqué les sanctions prises contre les agents publics, ce dont je vous remercie. Estimez-vous que le cadre réglementaire doive être modifié afin d'en faciliter l'application ? Il s'agit notamment de protéger les salariés engagés dans le syndicalisme, afin que cette belle mission ne devienne pas un cadre permettant de rompre plus facilement qu'ailleurs avec le respect des principes républicains.
L'article 1er est très clair : tous les contrats entrant dans le champ de la commande publique sont concernés par ses dispositions, ce qui a l'avantage de la simplicité, tout en rappelant clairement que tout contrat implique un engagement financier de l'État, d'une collectivité locale ou d'un hôpital. Dans ce cadre, les obligations sont identiques à celles applicables dans la fonction publique : nous aurions pu mener les activités concernées par nous-mêmes, mais nous les déléguons.
S'agissant des sanctions disciplinaires, elles s'échelonnent de la suspension temporaire de l'agent concerné à sa révocation, en passant par des pénalités susceptibles d'affecter sa carrière et par sa mutation. Le système en vigueur fonctionne bien. Je m'inscris en faux contre ceux qui plaident en faveur de l'automaticité des sanctions disciplinaires, ce qui ne correspond pas à la pratique. Des révocations sont bel et bien prononcées. Le système n'est ni bloqué ni dysfonctionnel.
Toutefois, pour qu'une sanction soit prise, il faut que les faits soient signalés. À cet égard, l'article 5 est essentiel. Nous devons avoir pleinement connaissance des événements qui surviennent au sein de la fonction publique. Pour l'heure, nous portons une attention particulière aux usagers qui font pression sur les agents publics, afin qu'ils fassent l'objet d'un signalement, mais il importe de signaler ce qui se passe à l'intérieur de la fonction publique, notamment les éventuelles atteintes aux principes républicains.
J'insiste sur l'enjeu de la formation, qui me semble offrir un angle d'approche bien plus efficace que les sanctions, dont le cadre est clair. Entre répression et prévention, il existe un énorme enjeu de formation concrète à des actes pratiques de la vie quotidienne, pour que chacun puisse jauger, et juger, de ce qui est tolérable et de ce qui ne l'est plus. Cette distinction demande beaucoup de doigté, ainsi que de la connaissance, de la pratique et de l'expérience. Marlène Schiappa et moi-même y travaillons. À cet égard, je tiens à saluer le travail du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) dans certaines collectivités locales. Ce travail, objectivement très important, prend du temps. Les formations approfondies proposées par le CNFPT occupent trois ou quatre jours à temps plein. Vous imaginez bien qu'on ne peut pas déployer un tel programme à l'échelle de la fonction publique. Nous n'en devons pas moins avoir une idée très claire des personnels qu'il est nécessaire de former, au premier rang desquels les managers.
Nous réfléchissons à la formation des hauts fonctionnaires sous forme de tronc commun, telle qu'elle a été proposée jadis. Il s'agit de faire en sorte que tous les hauts fonctionnaires de notre pays maîtrisent un même socle de contenus, non seulement théoriques et juridiques, mais aussi pratiques, en matière de respect des principes républicains. Que l'on soit directeur d'hôpital, commandant de police, haut fonctionnaire de l'administration pénitentiaire, préfet un jour, il s'agit de faire en sorte que la haute fonction publique maîtrise un socle commun, s'agissant du respect des principes républicains et de la façon de les faire vivre dans une organisation donnée.
Madame la ministre, j'ai quatre questions à vous poser.
Premièrement, s'agissant du périmètre de l'article 1er, je déduis de l'étude d'impact que les agents de SNCF Réseau en font partie, mais pas ceux de SNCF Mobilités, du moins pas ceux qui n'exercent pas dans les transports express régionaux (TER) et les trains d'équilibre du territoire (TET), ces deux blocs de lignes faisant l'objet d'une concession. Dès lors, comment appliquer les dispositions de l'article 1er à SNCF Mobilités, alors que les mêmes personnels peuvent travailler dans les TER et les TET, ce qui représente entre 15 % et 20 % de leur activité, et ailleurs ? Le problème ne se pose pas pour la RATP, qui est quasi‑intégralement un service public. De même, les offices publics d'habitations à loyer modéré (HLM) relèvent du périmètre de l'article 1er, mais pas les sociétés anonymes d'HLM. On a du mal à comprendre ! Les lignes aériennes subventionnées en font partie, mais pas les autres – pour les correspondances, comprenne qui pourra ! Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Deuxièmement, êtes-vous favorable à l'application de l'article 1er aux collaborateurs bénévoles ? Le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi, l'exclut, en se fondant sur sa jurisprudence. Or ce n'est pas le Conseil d'État qui fait la loi, mais nous !
Ma troisième question porte sur l'article 2, qui étend le champ du contrôle de légalité. Tel qu'il est rédigé, il s'applique aux collectivités territoriales. Êtes-vous favorable, comme l'est le Conseil d'État, à son extension aux organismes sociaux et, plus largement, à tout organisme délégataire d'un service public ?
Ma quatrième question porte sur l'article 3. Êtes-vous favorable à l'extension aux élus locaux de l'accès au fichier des personnes fichées « S » ? Par ailleurs, pourquoi supprimer la mention de leur adresse, dont la connaissance peut s'avérer fort utile non seulement pour les élus locaux, mais aussi pour l'État, notamment les services de police et de gendarmerie ?
Le champ de l'article 1er est délimité par l'existence d'une commande publique et d'une délégation de service public. Cette conception, en dépit des cas limites que vous évoquez, a le mérite de la clarté. Dès lors qu'une personne exerce une mission, qui découle d'une commande publique, et donc d'un financement public, à titre principal, voire exclusif, les obligations sont les mêmes que si elle avait été dans une administration ou un service public.
Cette observation me permet de répondre à votre question sur les collaborateurs bénévoles, qui ne sont pas liés à l'administration par un contrat et ne reçoivent pas d'argent public. Il s'agit de citoyens qui s'engagent à rendre un service ponctuellement. Si tel n'est plus le cas, un contrat est conclu. La jurisprudence sur ce point est très claire.
L'article 2 ne prévoit pas d'étendre le contrôle juridictionnel aux actes des organismes sociaux. Il revient aux tutelles de ces derniers de définir certaines bonnes pratiques.
Les élus locaux se sont toujours vu refuser l'accès direct aux fichiers de renseignement. Cependant, les préfets, les cellules départementales de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire (CLIR) et les instances similaires examinent les dossiers des personnes susceptibles de poser un certain nombre de difficultés en concertation avec les élus locaux. Lorsque j'étais députée de l'Essonne, j'ai moi-même participé à ces réunions. Je ne pense pas qu'il faille ouvrir l'accès aux fichiers à l'ensemble des élus locaux ; en revanche, il est de bonne pratique que les décisions, notamment de surveillance, fassent l'objet d'échanges avec les maires et les élus locaux, dans le cadre de relations opérationnelles de terrain. C'est d'ailleurs ce que le coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme a lui-même entrepris dans un certain nombre de situations. Si nous permettions à tous les élus locaux de consulter le fichier des personnes soupçonnées de terrorisme, nous le rendrions assez peu opérationnel. S'agissant de la mention de l'adresse des personnes fichées, je vous invite à interroger Laurent Nuñez et les services qui gèrent ce fichier.
Le suivi de la radicalisation n'est pas l'enjeu du présent projet de loi. Toutefois, en vertu d'une clause de revoyure, le Parlement devra se prononcer à nouveau sur une prorogation de certaines dispositions de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) avant le mois de juillet. Dans ce cadre, j'aimerais que nous travaillions sur les fichiers de renseignement, sur la communication des informations et sur une saisine plus efficace de la commission créée par la loi SILT permettant d'exclure du service public les agents qui, bien qu'ils ne posent pas de difficultés dans l'exercice de leurs fonctions, font l'objet d'un suivi par les services de renseignement.
Vous avez indiqué que l'article 1er s'appliquait clairement à tous les contrats de la commande publique et que tous les cocontractants devront donc respecter le principe de neutralité. Je ne suis pas certain que l'article 1er puisse s'interpréter de cette manière. Considérez-vous qu'une entreprise privée de nettoyage à laquelle il serait fait appel dans le cadre de la commande publique devrait exiger de ses salariés le respect du principe de neutralité même s'ils n'ont aucun contact avec le public ? Une femme de ménage qui nettoierait des bureaux entre 6 et 7 heures du matin aurait-elle l'interdiction de porter un foulard, par exemple ?
Vous avez également évoqué la protection fonctionnelle. Dans le cadre d'auditions menées par mon groupe, l'ensemble des organisations syndicales ont considéré que cette pratique était très peu répandue et très peu portée à la connaissance des fonctionnaires. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait renforcer significativement l'information des agents sur l'existence de ce droit et la facilité d'y recourir ? De nombreux fonctionnaires ont témoigné que leur hiérarchie, notamment leur très haute hiérarchie, se montrait plus réticente à engager cette démarche qu'elle ne les encourageait à en faire usage. Comment faire pour que ce droit soit connu de tous les agents et qu'il soit facile d'y avoir recours ? Il y a quelques instants, nous avons évoqué la possibilité que la hiérarchie elle-même accompagne le salarié et porte plainte en son nom : c'est une bonne idée.
Vous avez indiqué que vous réfléchissiez à une formation des agents au respect du principe de neutralité. Le fait que vous en soyez encore au stade de la réflexion, après tant d'années de discussions, me laisse quelque peu songeur. Il serait temps d'assurer réellement ces formations afin que tout le monde comprenne véritablement de quoi il s'agit.
Vous avez dit que 30 % des agents déclaraient avoir été confrontés à une atteinte au principe de laïcité dans l'exercice de leurs fonctions. Ce chiffre reflète sans doute une réalité, mais comme tous les chiffres qui nous sont cités, il mériterait probablement d'être précisé de manière un peu plus scientifique. Cela dépend notamment de la façon dont est compris le principe de laïcité. J'ai entendu par exemple des agents de La Poste prétendre qu'une femme portant un signe religieux dans un bureau de poste ne respectait pas l'exigence de laïcité. Dans ce cas précis, c'est l'agent qui ne comprend pas cette notion – je rappelle que nous n'avons pas à demander à nos concitoyens d'être neutres. Le beau mot de « laïcité » a été utilisé à tort et à travers, si bien que beaucoup de gens s'y perdent : ils ne savent plus si c'est l'État, le service public ou les usagers qui doivent être neutres.
Le II de l'article 1er dispose : « Lorsqu'un contrat de la commande publique, au sens de l'article L. 2 du code de la commande publique, a pour objet, en tout ou partie, l'exécution d'un service public, son titulaire est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. [...] » M. Poulliat évoquait le cas d'un prestataire chargé d'élaborer le système informatique d'un service public : dans la mesure où il contribue au déploiement d'une politique publique, il est tenu de respecter les principes de laïcité et de neutralité. Cependant, les personnes qui n'assurent pas « l'exécution d'un service public » – comme dans votre exemple, monsieur Corbière – n'y sont pas tenues. C'est l'autorité publique qui écrira dans le contrat si la prestation commandée contribue ou non à l'exécution d'un service public. Le Conseil d'État a très bien encadré cette notion, et nous sommes aujourd'hui tout à fait capables de dire ce qui relève ou non de l'exécution du service public.
J'ai effectivement dit que 30 % des agents publics avaient été confrontés, dans l'exercice de leurs fonctions, à une atteinte au principe de laïcité, et que 40 % ne se sentaient pas pleinement protégés par leur hiérarchie. Il nous semble en effet important de mieux définir ces notions : qu'est-ce qu'une atteinte à la laïcité ? Nous devons former les agents afin qu'ils ne confondent pas la neutralité attendue de leur part avec la liberté laissée aux usagers. Cette formation doit être pratique : il ne s'agit pas de refaire les débats entre Aristide Briand et ses collègues députés de l'époque, mais d'expliquer comment le principe de laïcité s'applique concrètement, en 2021, en France, dans les différents services publics, et de distinguer ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas.
Avec le garde des sceaux, le ministre de l'intérieur et la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, nous avons précisé dans une circulaire du 2 novembre 2020 la manière d'activer plus facilement la protection fonctionnelle, qui est en quelque sorte le miroir des obligations de neutralité et de laïcité. Je suis tout à fait d'accord avec vous : il faut mieux informer les agents dans ce domaine. Nous voulons aller plus loin pour que les administrations soutiennent leurs agents. J'ai engagé un travail avec les organisations syndicales, qui sont très demandeuses en la matière, en vue de réviser la circulaire de 2008 relative à la protection fonctionnelle des agents publics de l'État. Ce travail aboutira dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Comme vous, je souhaite que les agents connaissent mieux le mode d'emploi de la protection fonctionnelle : il faut qu'ils sachent vers qui se tourner et ce qu'ils peuvent attendre d'un signalement, par exemple. Au fil du temps, la protection fonctionnelle s'est surtout concentrée sur les relations entre agents et a un peu négligé la protection des agents confrontés à des difficultés avec les usagers. La fonction publique a parfois eu tendance à se refermer sur elle‑même, mais nous devons absolument nous intéresser à ses relations avec le reste de la société. C'est le sens des discussions que j'ai avec les organisations syndicales, qui y sont tout à fait prêtes, et avec les secrétaires généraux des différents ministères.
Nous sommes un certain nombre ici à penser que nous mettons nos pas dans ceux d'Aristide Briand. Si les deux premiers articles de la loi de 1905 étaient de portée très générale, les suivants étaient très techniques et visaient à régler les nombreux petits problèmes pratiques qui se posaient dans le cadre de cette grande ambition. C'est aussi ce que nous voulons faire aujourd'hui.
J'ai bien noté ce que vous venez de dire, madame la ministre, s'agissant des droits et devoirs des agents et de la formation dont ils ont besoin pour mieux assurer leur mission. La loi que nous allons voter fera date dans l'histoire de notre République ; elle vise à prendre en compte une réalité et rendra encore plus impérieuse la réussite de la mission de la fonction publique. Le 10 décembre dernier, vous vous êtes rendue dans mon département pour rencontrer les cadres de l'administration et échanger avec eux sur leur vécu et leurs difficultés.
Ma question, à laquelle j'associe Stéphanie Atger et Caroline Abadie, porte sur la nécessité d'une formation continue : il est indispensable que les agents puissent non seulement parler de la laïcité et des difficultés qu'ils rencontrent à certaines dates fixes, mais également être accompagnés au fil de l'eau, au cours de la réalisation de leurs missions. Cette formation doit porter sur le respect du principe de laïcité tant par les agents eux-mêmes que dans leurs relations avec les usagers. Par ailleurs, quels outils d'évaluation souhaitez-vous mettre en place pour juger de l'efficacité des mesures que nous nous apprêtons à voter ?
Je suis tout à fait d'accord avec vous sur l'importance de la formation, qui ne doit pas être qu'une formation théorique initiale d'une demi-heure au cours de laquelle on se contenterait de lire les principes de la loi de 1905 et les obligations inscrites dans le statut général de la fonction publique de 1983.
Je le répète avec force : la formation que nous voulons déployer doit concerner tous les agents publics et être adaptée tant à la nature qu'au cadre d'exercice de leurs missions. La situation n'est pas la même selon que le fonctionnaire travaille derrière un guichet, en contact direct avec les usagers, ou qu'il traite des dossiers administratifs dans un bureau. La question ne se pose pas non plus de la même façon pour les personnes qui rejoignent le service public et pour les agents qui ont déjà une certaine expérience. Lors de la table ronde organisée le 10 décembre dans votre département, nous avons perçu à la fois les points communs qui ressortaient des expériences des uns et des autres, dans la fonction publique d'État, territoriale ou hospitalière, et les grandes spécificités de certains métiers, notamment à l'hôpital.
La formation continue est tout de même une réalité. Aujourd'hui, 15 % des agents disent avoir été formés « récemment » – ce qui n'a pas la même signification pour tout le monde, j'en conviens. Nous voulons rendre cette formation obligatoire pour les nouveaux entrants et nous assurer que les besoins de formation exprimés sont bien remplis. Nous mettrons en place une sorte de baromètre de suivi mettant en parallèle les besoins exprimés et la réponse apportée.
Nous cherchons à renforcer le rôle des référents laïcité dans les différentes administrations. Ces référents, créés en 2017 par une circulaire d'Annick Girardin, jouent déjà un rôle très important : ils doivent à la fois recueillir les signalements de cas difficiles et contribuer à la résolution de ces derniers, identifier les besoins de formation et s'assurer du bon déploiement des formations organisées. Si les référents laïcité existent formellement, ils sont encore très peu connus par les agents publics : nous devons donc veiller à ce qu'ils soient bien identifiés et à ce que leurs missions soient claires, avant de renforcer leur rôle. Les référents déontologues sont aujourd'hui très bien identifiés, notamment dans le cadre de la prévention des conflits d'intérêts et du renforcement de la transparence : il faut qu'il en soit de même pour les référents laïcité. Sur ces deux sujets, nous devons promouvoir une structure offrant aux agents une voie de recours et surtout un soutien, sans toutefois déposséder les managers de terrain de leur rôle. Ce qu'a fait Jean-Michel Blanquer au sein de l'Éducation nationale doit servir d'exemple à d'autres réseaux et d'autres administrations : un soutien extérieur est nécessaire lorsque les équipes de terrain ne disposent pas de tous les outils et afin d'assurer des formations adaptées aux besoins.
Vous avez évoqué le rôle des référents, notamment des référents laïcité. Serait-il envisageable de généraliser, dans les administrations, l'institution de référents ressemblant aux référents RGPD chargés de la protection des données personnelles ? Ils pourraient non seulement porter à la connaissance des agents le dispositif de protection fonctionnelle, mais aussi recueillir leurs plaintes, le cas échéant, si la disposition permettant à l'administration de porter plainte au nom d'un agent, dont nous parlions tout à l'heure, venait à être adoptée.
En outre, ne faudrait-il pas renforcer l'information des usagers sur les droits des fonctionnaires, sur la protection dont ces derniers bénéficient et donc sur les sanctions auxquelles les usagers s'exposent s'ils transgressent les règles ? Je pense évidemment aux hôpitaux, aux accueils des mairies et à tous les guichets sur le terrain.
Enfin, vous parliez de la loi SILT. Nos collègues Éric Poulliat et Éric Diard ont rendu un excellent rapport d'information sur les services publics face à la radicalisation. La loi SILT permet justement de déclencher des enquêtes, à la demande de la hiérarchie, si des comportements d'agents intervenant dans des domaines stratégiques sont manifestement incompatibles avec les principes républicains. Seriez-vous favorable à ce que cette possibilité soit élargie à l'ensemble des fonctionnaires ? Par ailleurs, on sait que les responsables hiérarchiques préfèrent souvent utiliser les procédures disciplinaires classiques : leur demandez-vous expressément d'engager systématiquement une enquête administrative lorsqu'ils suspectent des cas de radicalisation ou des comportements inappropriés ?
En cas de manquement d'un agent à son obligation de neutralité constaté dans l'exercice de ses fonctions, le cadre disciplinaire a un avantage : il est bien connu et la procédure peut être engagée très rapidement. La loi SILT permet surtout de s'intéresser à des agents ne présentant aucun signe de radicalisation dans l'exercice de leurs fonctions. Les services de renseignement et la commission créée par la loi SILT doivent travailler ensemble pour que soient identifiées un plus grand nombre de personnes dont la hiérarchie n'a, par définition, pas connaissance des comportements sur les réseaux sociaux ou dans leur vie privée. Nous parlons donc de deux choses différentes : si l'administration devait constater par elle‑même des éléments de radicalisation pour engager la procédure introduite par la loi SILT, alors le dispositif imaginé ne serait pas complètement opérationnel.
Vous m'avez interrogée sur l'information des usagers. À l'hôpital, beaucoup de choses ont déjà été faites. Il est très important de rappeler et clarifier les règles applicables, les rôles et les responsabilités de chacun, qui pourraient d'ailleurs faire l'objet d'un affichage dans les lieux de service public, à l'instar de ce qui a été fait pendant la crise sanitaire avec la charte de continuité des services publics en période de confinement.
Les référents laïcité ressemblent effectivement aux référents RGPD chargés de la protection des données personnelles, mais leur rôle mérite d'être formalisé. Il conviendrait de s'inspirer des référents déontologues, qui forment un réseau animé, partagent des informations et disposent d'une vision générale et complète de ce qui se passe non seulement dans leur administration, mais aussi dans les autres lieux de service public. Il serait également intéressant de créer ce référent laïcité dans les grandes collectivités locales. Tout agent public doit disposer de ce soutien, de cette voie de recours au cas où sa hiérarchie ne remplirait pas pleinement son rôle. Dans la circulaire du 2 novembre 2020 sur la protection fonctionnelle, nous avons d'ailleurs prévu une forme de sanction pour les administrations, managers ou responsables hiérarchiques qui ne rempliraient pas leur rôle de protection des agents.
Merci, madame la ministre, pour la clarté de vos propos. La protection des agents publics est un sujet qui m'intéresse particulièrement. Dans la circulaire du 2 novembre 2020 sur la protection fonctionnelle, que vous venez d'évoquer, vous avez demandé la mise en place d'un suivi systématique des menaces ou des attaques dont font l'objet les agents publics ainsi que des protections accordées. Un premier bilan semestriel devait, me semble-t-il, être dressé pour ce début d'année. Avez-vous eu un retour sur ce sujet ? Si oui, pouvez-vous nous en faire part ? Par ailleurs, estimez-vous pertinent que les outils évoqués dans la circulaire trouvent une traduction législative ? Si oui, pourquoi ne pas profiter du présent projet de loi ?
Nous avons tous en tête la lutte contre la fracturation de la société et la montée des séparatismes. Madame la ministre, le Président de la République vous a confié une mission transversale d'évaluation de la transformation du pays et de suivi de tous les ministères. Quels sont les secteurs dans lesquels la laïcité a vraiment régressé et quels sont ceux qui ont entrepris des plans ambitieux pour la redresser ? Cette évolution fait-elle partie des critères d'évaluation que vous avez définis ?
Plusieurs collègues ont évoqué l'extension du périmètre du service public, qui concerne naturellement les agents publics et les associations délégataires de service public. Incluez-vous dans ce nouveau périmètre les cantines, les stades ou d'autres établissements publics sportifs ou culturels ? Des élus locaux ont posé cette question la semaine dernière.
Je pourrai vous rendre compte de l'évaluation et du suivi semestriels six mois après le 2 novembre 2020. La circulaire ayant été publiée il y a quelques semaines seulement, je ne dispose à ce stade d'aucune remontée. Je vous assure cependant que je suivrai ce sujet. L'article 5 du projet de loi vise à renforcer la procédure de signalement. D'ailleurs, nous n'attendons pas une baisse du nombre de signalements ; une hausse serait une bonne nouvelle car je souhaite que les agents puissent s'exprimer et faire remonter leurs difficultés.
Vous m'avez demandé, madame Florennes, si je jugeais utile de donner à la circulaire une traduction législative. Certaines dispositions doivent bien sûr être renforcées, notamment pour s'appliquer pleinement aux fonctions publiques territoriale et hospitalière. C'est pour cette raison que l'article 5 a été introduit dans le projet de loi : bien que la circulaire du 2 novembre 2020 demande la mise en place d'une procédure de signalement, je n'ai pas le pouvoir de toucher directement aux structures hospitalières et territoriales. S'agissant des référents laïcité, nous réfléchissons à la possibilité d'aller plus loin que la circulaire de 2017, le cas échéant par la voie législative – c'est une discussion que nous pourrons avoir ensemble. Quant à la protection fonctionnelle, il faudrait s'assurer qu'elle s'accompagne bien d'une information au procureur, par le biais d'une plainte ou d'un signalement prévu par l'article 40 du code de procédure pénale. La circulaire du 2 novembre 2020 est d'application directe dans la fonction publique d'État, du fait de la signature des différents ministres, mais pour toucher les autres agents publics, qui doivent tout autant être protégés, nous avons parfois besoin de la loi – c'est pourquoi je me trouve devant vous aujourd'hui.
Vous m'avez demandé, monsieur Vigier, comment l'application du principe de laïcité a évolué dans les différentes administrations. Il m'est impossible de vous répondre aujourd'hui car je ne dispose pas de baromètre factuel, précis, qui me permettrait de vous communiquer autre chose que des on-dit. En revanche, il me semble très important de regarder au-delà des seuls dépositaires de l'autorité publique et de considérer la situation de l'ensemble des agents publics, en particulier ceux qui sont en contact direct avec les usagers, que ce soit dans les mairies ou dans les autres collectivités. La création, par Jean-Michel Blanquer, d'un conseil des sages de la laïcité dans l'Éducation nationale est une initiative très intéressante et ambitieuse ; si elle a été assez décriée à l'origine, chacun en voit aujourd'hui la valeur et la nécessité. Le ministère de l'éducation nationale est donc, à mon sens, l'un de ceux qui ont fortement progressé dans le respect de la laïcité.
Il ne faut pas considérer l'extension du périmètre du service public en termes géographiques. Nous ne nous intéressons pas aux lieux, mais aux hommes et aux femmes qui font vivre la République, aux agents et aux opérateurs qui exercent un service public. L'article 1er s'applique aux délégataires directs et à tous ceux qui, par la commande publique, exercent une mission de service public. Le cadre est clair. Les collaborateurs occasionnels, bénévoles, ne sont pas concernés.
Il avait été envisagé de prendre en charge les frais d'avocat engagés par les fonctionnaires victimes d'attaques et bénéficiant de la protection fonctionnelle, dès lors qu'ils auraient engagé une action au civil ou au pénal. Cette disposition était importante pour le groupe Agir ensemble : pourquoi ne pas l'avoir retenue ?
Je veux aussi souligner l'importance de la formation des fonctionnaires et agents publics à la laïcité et à la lutte contre les discriminations. Il s'agit non seulement d'éviter la radicalisation de certains d'entre eux, mais aussi de leur donner des outils, des arguments à opposer aux usagers qui peuvent poser des problèmes en la matière.
S'agissant enfin du signalement de la radicalisation au sein de l'administration, quelle coordination allez-vous mettre en place avec les collectivités locales, notamment avec les maires, qui sont en première ligne ? Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur la radicalisation observée dans la fonction publique d'État ? Avez-vous des remontées des collectivités territoriales ?
La protection fonctionnelle, telle qu'elle a été définie à l'article 11 du statut général de 1983, consiste précisément à s'assurer que tout fonctionnaire voie notamment ses frais de justice pris en charge par l'employeur. Ce principe continue de s'appliquer aujourd'hui : si cette disposition n'a pas été réécrite dans le projet de loi, c'est parce qu'elle est déjà pleinement opérationnelle. Pour que les frais de justice soient pris en charge par l'administration, il suffit que cette dernière active la protection fonctionnelle, dont le mode d'emploi doit être connu de tous ; c'est pourquoi j'ai proposé, dans la circulaire du 2 novembre 2020, que la protection fonctionnelle soit déployée à titre conservatoire le plus rapidement possible. La première chose à faire n'est pas d'engager un avocat mais de s'assurer d'être protégé et d'aller porter plainte.
J'ai déjà parlé à plusieurs reprises de la formation. Nous réfléchissons au contenu de cette dernière : elle devrait être constituée d'un socle universel destiné à tous les agents publics et d'un module plus spécifique adapté aux métiers, en particulier si l'agent est en contact avec le public. Marlène Schiappa et moi-même mandaterons très prochainement des personnalités qualifiées pour y réfléchir. Nous étudierons aussi comment intégrer cette formation dans le tronc commun des écoles de service public. Surtout, nous la rendrons obligatoire. Je le répète, le ministère de l'intérieur et mon ministère travaillent de manière très rapprochée sur ce sujet, avec le soutien actif du Premier ministre. Cela ne relève pas de la loi – il n'y a donc pas de raison d'évoquer cette question dans le texte –, mais c'est tout de même très important.
La loi SILT a créé une commission qui peut être saisie lorsqu'une administration a des doutes sérieux sur la radicalisation d'un agent sans incidence sur l'exercice de ses fonctions. Lorsqu'un manquement à l'obligation de neutralité ou au principe d'égalité de traitement est constaté dans le cadre des fonctions de l'agent, les sanctions disciplinaires peuvent aller jusqu'à la révocation. La commission instituée par la loi SILT a été saisie à deux reprises au cours des douze derniers mois ; il conviendrait de rendre sa saisine plus effective, plus efficace, afin qu'elle soit plus proactive et connaisse d'un plus grand nombre de dossiers – sans que ceux-ci aboutissent nécessairement.
Merci, madame la ministre, de vos réponses précises, qui seront très utiles à nos travaux.
La séance est levée à dix-neuf heures trente.
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République
Réunion du lundi 11 janvier 2021 à 18 heures 30
Présents. – Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Émilie Chalas, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Christophe Euzet, Mme Isabelle Florennes, Mme Laurence Gayte, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, Mme Anne-Christine Lang, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. Robin Reda, M. François de Rugy, Mme Laurence Vichnievsky, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet