Intervention de Frédéric Sève

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 9h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Frédéric Sève, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) :

Mon propos liminaire se concentrera sur le texte, le contexte et l'articulation des deux éléments.

Les grands principes au cœur de ce projet de loi ont été présentés par anticipation par le Président de la République, lors d'un discours prononcé aux Mureaux le 2 octobre 2020. Nous en retrouvons la teneur dans l'exposé des motifs de la loi.

D'emblée, je précise que la CFDT partage une large partie des constats exprimés dans ce discours, qui sont d'ailleurs anciens. Je ne dis pas que nous n'avons pas raison de les réactualiser et de les réaffirmer, mais ces constats sont effectivement partagés et anciens. Depuis trente ans, c'est le manque de volontarisme politique et de moyens donnés notamment à la politique de la ville ou à la politique d'intégration qui a permis aux organisations porteuses d'un islam radical – puisque c'est de ce sujet dont il est question – ou de logiques séparatistes ou prônant des idéologies au-dessus des lois de la République de prospérer dans certains quartiers ghettoïsés, dans lesquels – je reprends les mots du Président – la promesse de la République n'a pas été tenue. Je pense que c'est bien la nécessité de tenir, sur la durée, les promesses de la République – qui ont été prises en défaut depuis si longtemps – qui doit guider notre réflexion.

Si le constat est juste, les réponses sont en revanche assez incomplètes, ou en tout cas problématiques. Du moins, elles peuvent être incomplètes ou problématiques.

D'abord, s'agissant du contexte, nous regrettons que la question de l'islam en France – qui est tout de même sous-jacente au débat autour de ce projet de loi ou, de manière générale, au débat autour des questions de laïcité – ait tendance à n'être traitée que sous l'angle réducteur de la vigilance vis-à-vis de l'islam radical. Rappelons tout de même – je pense que nous serons tous d'accord – que l'islam est pratiqué dans un cadre légal par une écrasante majorité des musulmans en France, qui ne souscrivent ni de près ni de loin à l'islamisme et n'ont strictement aucun lien avec celles et ceux qui prennent appui sur une pseudo-lecture rigoriste des textes pour justifier des actes délictueux ou criminels. Il convient de le souligner et de le réaffirmer.

Comme je l'indiquais, la CFDT partage le constat et les objectifs de la loi. Toutefois, lorsque nous passons du propos général au détail des mesures envisagées, nos positionnements s'avèrent plus nuancés. Je prendrai trois exemples de ces nuances, qui biaiseront quelque peu la présentation, mais qui sont révélateurs des problématiques que peut poser une telle loi.

Mon premier exemple concerne l'article 1er, imposant la neutralité religieuse aux salariés des entreprises délégataires de service public. La CFDT partage ce principe, qui est déjà reconnu par la jurisprudence. De ce point de vue, son inscription dans la loi ne pose aucune difficulté. Cela dit, l'essentiel du débat concerne les capacités et les moyens que nous nous donnerons pour faciliter l'application de ce principe. En effet, son inscription dans la loi lui donnera de la visibilité, au point de constituer une nouveauté pour de nombreuses entreprises qui, parce qu'elles n'avaient jusqu'ici jamais été confrontées à ce problème, ne l'avaient pas appréhendé.

De fait, nous devons nous attendre à une demande d'aide relative à l'application de ce principe. Ce n'est pas simple, car la jurisprudence demeure assez floue sur ce que signifie, dans une entreprise délégataire de service public, le respect de la neutralité religieuse. De mémoire, la jurisprudence de la Cour de cassation se concentre essentiellement sur les questions vestimentaires, mais il est évident que le sujet ne se limite pas à cette dimension.

Un travail d'explication est donc attendu, qui sera sans doute aussi important – sinon plus – que la lettre de la loi elle-même. De même, des formations et un accompagnement devront être fournis aux travailleurs et aux services des ressources humaines. En tout état de cause, nous devons éviter de laisser les encadrants, les salariés et les entreprises se confronter seuls aux questions difficiles – d'interprétation, d'équilibre – soulevées par cet article. De notre point de vue, c'est sur cet aspect que porte l'essentiel du débat, davantage que sur le texte lui‑même.

Mon deuxième exemple concerne l'article 6 relatif à l'obligation, pour les associations, de signer un contrat d'engagement républicain. Même si nous pouvons en partager l'inspiration, cette obligation ne nous paraît ni opératoire ni nécessaire. Dans le cadre du régime de subvention, les associations sont, de fait, déjà soumises à un certain arbitraire – dans le bon sens du terme – et au contrôle. Nous estimons que cet article ne renforce guère le contrôle des associations et de leurs activités. En revanche, au plan psychologique, il est susceptible de créer une possible pierre d'achoppement avec le monde associatif, comme un élément de soupçon pouvant se révéler assez contreproductif.

Mon dernier exemple concerne l'article traitant de la scolarité obligatoire dès trois ans. Si ce principe validé par le Conseil supérieur de l'éducation est accueilli favorablement par la CFDT, tout l'enjeu réside, à nouveau, dans l'application de ce principe. Réussir l'intégration de 25 000 à 30 000 enfants – peu importe le nombre, finalement – jusqu'ici non scolarisés dépendra nécessairement des moyens mis en œuvre. Je ne parle pas nécessairement des moyens en termes quantitatifs, mais des processus que l'Éducation nationale mettra en place pour réussir cette intégration.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.