Intervention de Émilie Trigo

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 9h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Émilie Trigo, secrétaire nationale de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) :

L'UNSA reviendra d'abord sur le contexte entourant ce projet de loi. Comme certains camarades l'ont déjà rappelé, ce projet de loi fait suite au discours des Mureaux, dans lequel le Président de la République s'attaquait au séparatisme islamiste, à l'islamisme radical, à l'islam radical, soit autant de termes que nous retrouvons dans l'exposé des motifs et dans l'étude d'impact, au sein desquels figurent les notions d'entrisme communautariste d'inspiration islamiste, de confrérie des Frères musulmans, d'arabo‑salafisme. In fine, aucun de ces termes n'apparaît dans le projet de loi. D'une certaine manière, c'est peut-être très positif en termes de stigmatisation. Néanmoins, le projet de loi semble avoir oublié tout un pan des annonces formulées à l'occasion du discours du 2 octobre, à savoir la recherche de cohésion sociale.

À l'UNSA, nous partageons bien évidemment l'intention qui consiste à lutter contre tous les séparatismes, notamment l'islam politique qui vise la destruction de la République et des démocraties. Il en existe d'autres, mais celui-ci doit tous nous rassembler et souder la communauté nationale autour d'un combat commun. Par ailleurs, dans la mesure où nous devons surtout éviter l'écueil de l'amalgame entre islam et islam politique, ce combat doit rassembler tous les républicains, dont les musulmans qui, dans une très large majorité, vivent leur religion en paix en France – il est important de le rappeler. Cette bataille pour la République, l'UNSA y participera. Si nous ne sommes pas, par principe, opposés à ce projet de loi, nous tenons à partager avec vous quelques interrogations, regrets et points de vigilance.

Nous questionnons d'abord la nécessité même d'un projet de loi pour régler les questions qui nous animent. Bien que le discours du 2 octobre ait été prononcé avant l'assassinat dont fut victime notre collègue Samuel Paty, devons-nous adopter des lois dans un contexte encore largement occupé par l'émotion plus que légitime suscitée par celui-ci ?

Par ailleurs, malgré les explications de M. de Rugy, nous regrettons le choix de soumettre un projet de loi touchant la laïcité à une procédure accélérée, considérant qu'il serait préférable de laisser un temps suffisant permettant des débats sereins et apaisés sur un sujet déchaînant traditionnellement les passions.

Nous en appelons également à la vigilance s'agissant de certains articles, à commencer par l'article premier relatif aux services publics et au principe de neutralité. Évidemment, pour l'UNSA, le principe de neutralité des services publics est la règle à respecter. Veillons toutefois à ne pas étendre ce principe plus largement qu'il ne doit l'être, les collaborateurs occasionnels du service public, les personnes participant à une activité d'intérêt général ou un organisme reconnu d'utilité publique n'y étant pas toujours soumis, ce qui est très satisfaisant. Dans la mesure où mes collègues de la FSU se sont déjà exprimés à ce sujet, je ne reviendrai pas sur le débat – pourtant tranché par le Conseil d'État en 2013 – relatif aux parents accompagnateurs de sorties scolaires, que nous ne devons surtout pas rouvrir. J'aborderai en revanche la question suivante : qu'est-il prévu pour les entreprises dont seule une partie des activités relève du service public ? Le régime de neutralité s'applique alors aux employés, en fonction de leurs missions. Comment procéder pour l'appliquer à long terme ?

Concernant les articles 4 et 5 sur la protection des agents publics, je rappellerai que l'UNSA Fonction publique a rendu un avis favorable lors de la présentation de cet article au Conseil commun de la fonction publique. Je m'abstiendrai d'y revenir plus longuement.

Abordons à présent le sujet de l'école. Pour l'UNSA, sa fédération de l'Éducation et son syndicat des enseignants, l'instruction obligatoire à trois ans est une bonne mesure. La limitation prévue pour l'instruction en famille l'était également, mais le nombre déjà très élargi de cas dérogatoires laisse penser que cette mesure n'entraînera finalement que peu de changements, ce qui est dommageable. En effet, l'UNSA considère qu'une autorisation préalable sur projet pédagogique serait le minimum pour pouvoir élargir les motifs dérogatoires à l'instruction en famille. À cet égard, nous tenons à vous alerter sur les enfants en situation de handicap. S'il est évident qu'il doit s'agir d'un motif dérogatoire, n'oublions pas que l'école doit jouer son rôle d'inclusion, ce qui nécessite de donner des moyens de formation au personnel, mais également du personnel ; je pense ainsi aux problématiques d'assistantes de vie scolaire (AVS) manquantes dans les écoles, sachant que de nombreuses familles font le choix de l'école publique pour leurs enfants en situation de handicap.

S'agissant des établissements privés hors contrat, si la loi prévoit de renforcer l'arsenal juridique pour fermer des écoles, elle laisse toujours leur ouverture à un simple régime de déclaration, et non d'autorisation préalable.

Plus généralement, nous considérons que ce projet de loi manque de dispositions en faveur de la mixité sociale, de la lutte contre les discriminations. Nous pouvons notamment regretter que le volet relatif au logement présent dans la première version du texte ait disparu. Le texte manque également de dispositions relatives à la formation des enseignants. L'école ne doit pas seulement faire vivre la laïcité, elle doit aussi la transmettre. Or plus de 90 % des enseignants n'ont reçu aucune formation sur la laïcité et les principes républicains.

Un autre point de vigilance concerne l'article relatif à l'interdiction des certificats de virginité. Sans remettre en cause le bien-fondé de l'intention, l'UNSA considère qu'il s'agit d'une pratique anecdotique, au point que nous ne parvenons pas à trouver de données chiffrées. De fait, nous nous interrogeons sur le bien-fondé d'une inscription dans la loi. Bien souvent, il s'agit de certificats de complaisance délivrés par des médecins dans le but de protéger des jeunes filles qui en font la demande. L'inscription de ce sujet dans la loi interroge donc sur les effets contreproductifs qu'elle pourrait engendrer.

En conclusion, je rappellerai que la laïcité est synonyme de liberté, et qu'elle ne doit pas devenir une source ou une liste d'interdits. Si le texte actuel ne casse pas encore – malgré quelques critiques – l'équilibre de la loi de 1905, nous serons très prudents et attentifs à ce que le débat et les amendements ne viennent pas rompre cet équilibre.

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