En préambule, je remercie mes camarades qui ont déjà répondu à de nombreuses questions, ce qui allègera quelque peu ma tâche.
Je reviendrai d'abord sur les interrogations formulées par M. de Courson. La CFDT tire la très grande majorité de ses ressources des cotisations de ses adhérents. J'ignore d'ailleurs si toutes les autres dotations peuvent être qualifiées de subventions. Pour rappel, jusqu'à une époque récente, la représentativité des organisations syndicales au niveau national était fondée sur la référence à une attitude républicaine durant les heures sombres de notre histoire. Nous avons nous-mêmes souhaité abandonner ce type de référence, en adoptant en 2008 une position commune selon laquelle la représentativité syndicale – et notamment sa légitimité à percevoir des fonds – devait être objectivée et reposer sur des éléments tangibles ne relevant pas de la logique d'appréciation. De fait, si nous devons nous référer à l'histoire syndicale, nous devrions retenir cette nouvelle approche, car nous avons toujours intérêt à objectiver les éléments. À cet égard, comme mes collègues l'ont signalé, je doute que la redondance par rapport à l'existant soit pertinente. En tout état de cause, se référer à des principes moraux – sans connotation péjorative – n'est pas toujours aidant. Mieux vaut nous référer à des éléments aussi objectifs et factuels que possible.
Concernant l'aspect quantitatif des faits, la réponse imparfaite ou insatisfaisante que nous avons formulée ne résulte pas seulement d'une carence statistique ou d'une absence de renseignements. Elle tient surtout à la nature de ce que nous nous efforçons de mesurer. Nous est-il demandé de préciser si nous avons connaissance de salariés porteurs de revendications liées à une pratique religieuse ? Nous est-il demandé si nous avons connaissance de cas où cette revendication pose difficulté et génère des conflits ? Ces revendications revêtent-elles un caractère sectaire ou séparatiste ? De mon point de vue, la difficulté tient principalement du mélange des genres dans cette volonté de recensement des faits. Néanmoins, ce n'est pas parce que les faits problématiques sont rares – je ne suis pas en mesure de les compter, mais nous savons qu'ils existent – qu'ils ne sont pas graves. Nous devons pouvoir donner toute sa mesure au traitement de ces problèmes, sachant que leur rareté ou leur caractère minoritaire n'enlève rien à leur gravité, surtout au plan local. Le meurtre de Samuel Paty incarne typiquement le genre de fait à la fois extrêmement rare – heureusement – et extrêmement grave.
Dans ce contexte, il me paraît problématique de vouloir traiter de manière très générale, en recourant à la loi, des problèmes de nature particulière ou ponctuelle. La réponse est souvent mal ajustée, dans la mesure où la diversité de ces situations appelle des réponses différentes. En lien avec le déséquilibre que nous pointions du doigt, tout ne relève pas de la loi, puisque la qualité de la réponse réside dans la capacité à répondre de manière localisée et spécifique à un problème particulier. Je m'abstiendrai d'en dire plus à ce sujet.
L'on nous a demandé comment aider les agents et les salariés, et de manière générale les travailleurs. En premier lieu, il me paraît nécessaire de ne pas hystériser cette question et de ne pas lui accorder une trop grande dimension politicienne, sachant que ce sont les agents qui, in fine, devront assumer les tensions autour de ce sujet. J'attire d'ailleurs votre attention sur le fait que les travailleurs doivent être en capacité d'accomplir leurs missions sans se sentir obligés de devoir arbitrer entre leur vocation professionnelle et le respect de la loi. Le législateur doit impérativement veiller à cette dimension, pour que les travailleurs ne soient pas contraints de résoudre quotidiennement les contradictions dont nous avons fait état. Tâchons d'alléger leur fardeau dans ce domaine, sachant que la question se pose dans de nombreux secteurs, et plus particulièrement au sein du secteur éducatif.
De ce point de vue, en matière de laïcité, nous savons qu'il existe une question particulière au périmètre de l'Éducation nationale. Un adulte en position éducative ne peut se contenter d'adopter une attitude répressive et rigide. Pour éduquer, il convient d'accepter l'erreur. Tâchons donc de ne pas faire peser une contradiction insurmontable sur le dos de nos enseignants.
J'en profite pour signaler que je revendiquais professionnellement l'autocensure dans mon ancien métier d'enseignant, y compris sur mes opinions personnelles. L'on ne profite pas de sa chaire professorale pour diffuser ses opinions personnelles. De fait, l'attitude professionnelle de l'enseignant suppose une certaine autocensure, qui est bien sûr guidée par l'éducation, et qui ne porte pas sur les principes républicains. En tout état de cause, veillons à ne pas charger inutilement nos agents avec des contradictions et à ne pas empêcher l'exercice le plus serein possible des métiers de l'éducation, de la santé, de la sécurité, etc.
Enfin, si l'on m'interroge sur ma conception de la promesse républicaine, deux éléments me viennent à l'esprit. La République, c'est bien sûr la loi, mais ce ne peut être seulement la loi. La promesse républicaine, c'est aussi la protection sociale, cette promesse que tout le monde tient à tout le monde. Il ne s'agit pas seulement d'une conception structurelle descendante, mais également d'une conception horizontale de la République. Qui doit porter cette promesse ? De mon point de vue, tout le monde doit la porter, et notamment les corps intermédiaires. Si la République n'est pas la chose publique portée en commun, la promesse républicaine ne peut en aucun cas être tenue.