Sur le dernier point évoqué, il ne s'agit pas de mobiliser de l'argent public pour financer le culte et l'imamat, mais de constituer une caisse centrale, afin de financer la formation des imams et la recherche théologique, mais aussi de lutter contre la xénophobie anti-musulmane, qu'il ne faut pas laisser aux identitaires. À aucun moment, il ne s'agit d'utiliser de l'argent public. L'organisation rendant un service pour le pèlerinage ou pour la régulation du hall procède à des appels aux dons, puis réinvestit cet argent dans la formation. La logique veut que les imams soient financés par les communautés locales. Un complément de salaire peut être versé aux imams. Les charges sociales pourraient être prises en charge par une organisation nationale. Cela permet à cette dernière d'examiner d'assez près la qualité des gens qui reçoivent cet argent. Un complément de financement serait opportun.
Sur la question complexe du processus d'intégration, il convient de rappeler que l'intégration s'est toujours mal passée. Nous en avons une vision idéale, a posteriori, une fois qu'elle a réussi, comme ce fut le cas pour les Italiens, les Belges, les Polonais et les Portugais. Pour ces derniers, d'une certaine manière, le processus n'est pas fini. Dans la réalité de l'histoire, cela s'est toujours mal passé. Le processus a été violent. À Aigues-Mortes, des ratonnades se sont produites contre les Italiens en 1892. Dans la Provence déchristianisée du XIXe siècle, on trouvait que les Italiens étaient trop catholiques. Ils n'étaient pas considérés comme des Français comme les autres. L'intégration à la française est une acculturation très rapide. Elle relève d'un projet universel : « Venez, nous sommes ouverts. Soyez comme nous ! » Si vous contestez cette vision française de l'universel, on va vous en vouloir.
L'intégration « à la française » consiste en une rentrée dans l'atmosphère. Il faut alors se dépouiller de ce qu'on est, pour aller vers un projet universel, extraordinairement attractif de mon point de vue. Cependant, à un moment, on n'est plus ce qu'on était, on est acculturé, mais on n'est pas encore un Français reconnu et identifié. Cette problématique va au-delà de la tenaille identitaire et des théories à la mode, sachant que ces dernières ne concernent pas uniquement les musulmans. Dans la société française, chacun veut affirmer sa différence, et notamment les jeunes. Pour ces derniers, le mot-clé absolu est « respect ». Vous n'avez pas cité une enquête, que vous avez probablement lue, parue début septembre avant l'horrible assassinat de Samuel Paty, où il était demandé aux jeunes s'ils condamnaient l'attentat contre Charlie Hebdo. 20 % des jeunes Français ne le condamnaient pas. Certains l'avaient oublié, mais d'autres estimaient que Charlie Hebdo n'avait pas respecté la religion de l'autre. Cela relève du respect de l'identité et de la spécificité. Il faut trouver un nouveau discours institutionnel, pour éviter un hiatus complet entre la génération qui dirige et ces jeunes Français, qui ne sont pas marginaux. Une grande partie de la jeunesse française est à mille lieues de ces enjeux. La différence est pour eux plus importante que l'unité, et donc l'indivisibilité de la République, qui est une valeur inscrite assez haut dans la Constitution.
Le sujet de l'islamisme des jeunes est intéressant, car il traduit quelque part les transformations de la société française dans son ensemble. Il en découle la façon dont il faut y répondre : présence sur les réseaux sociaux, offre institutionnelle adaptée. Il faut savoir parler aux jeunes. Ces derniers ne lisent pas Le Monde, puisqu'ils utilisent TikTok, Snapchat, YouTube. Ils sont sur ces réseaux et se parlent entre eux, s'enferment entre eux. Il faut trouver le moyen d'aller leur parler et d'utiliser leur langage, avec des jeunes parlant aux jeunes. Sur l'islam, cette démarche est essentielle. L'islam consulaire n'a aucun avenir en France, puisqu'il s'agit de l'islam des personnes âgées.
Quant à l'impact de la loi, je souhaite qu'il soit le plus fort possible. L'essentiel se joue dans la société civile. Il est très important de pouvoir entraver certaines pratiques délictueuses, de contribuer à la transparence du financement. Ce sujet ne sera pas résolu par l'État, mais il peut l'être par des associations musulmanes, ensemble, pour créer cette grande caisse dont nous avons besoin.
C'est une caisse qui finance le judaïsme français, de façon tout à fait correcte. Le financement du judaïsme repose pour moitié sur le produit des redevances casher et pour moitié sur les dons des fidèles, soit un montant de 25 millions d'euros. Le budget du CFCM est de 30 000 euros. Aucun euro n'est destiné à des sujets d'intérêt national au sein des organisations musulmanes. En revanche, il y a beaucoup d'argent lié au halal ou dans les fédérations, qui ne participent pas au pot commun. Pourtant, le produit du halal doit bénéficier à ce pot commun. C'est une évidence.
L'État a accepté la distribution de cartes pour l'abattage rituel destinées aux sacrificateurs, via un décret même si sa sécurité juridique est un peu faible. En tout cas, les cartes peuvent être données ou reprises. Il est permis de déroger à la loi commune pour l'abattage rituel musulman, comme pour l'abattage rituel juif, au nom du respect des croyances. La Constitution de la République respecte toutes les croyances. Dans un cas, celui des juifs, la démarche est centralisée via le Consistoire central. Dans l'autre cas, celui des musulmans, elle est entièrement privatisée, avec une transparence nulle.