Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • culte
  • identitaire
  • imam
  • islam
  • mosquée
  • musulman
  • musulmane
  • religion

La réunion

Source

COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Mercredi 13 janvier 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq

La commission spéciale procède à l'audition M. Hakim El Karoui, chef d'entreprise et essayiste.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le bureau de la commission spéciale a souhaité vous auditionner, car vous êtes l'auteur d'un rapport, Un islam français est possible, publié en 2016 en collaboration avec l'Institut Montaigne, et d'un second rapport, La Fabrique de l'islamisme, en 2018. Vous avez créé en 2019 l'Association musulmane pour l'Islam de France, qui a vocation à organiser et à certifier des flux financiers liés au culte musulman. Il nous a paru intéressant de vous auditionner sur le texte pour lequel cette commission spéciale a été créée mais aussi au-delà du texte et de certaines de ses dispositions, dont certaines concernent le financement des cultes.

Il est assez rare qu'un gouvernement et une majorité parlementaire adoptent des dispositions sur le financement des cultes, car c'est un sujet très sensible, pour ne pas dire tabou dans notre pays depuis 1905. On s'y est rarement attaqué. Il convient aussi de prendre en considération le contexte. J'insiste sur ce point auprès des personnes que nous auditionnons : il ne faut pas hésiter à s'exprimer sur ce contexte.

Évidemment, la question de la montée, dans notre pays, des communautarismes, des tentations séparatistes, cette expression ayant souvent été employée par le Président de la République ou par le Gouvernement, des atteintes à la laïcité et de la contestation progressant à divers niveaux, à l'école, dans les entreprises privées et dans les services publics est souvent évoquée. Nous en avons parlé avec les représentants des chefs d'entreprise et des syndicats patronaux, avec les syndicats de salariés et avec les représentants de collectivités locales. Nous sommes intéressés par votre éclairage à ce sujet. Je vous cède donc immédiatement la parole, monsieur Hakim El Karoui.

Permalien
Hakim El Karoui

Merci de me donner l'occasion d'échanger avec vous.

Je vais commencer par un bref propos introductif, comme vous m'y invitez, pour évoquer la situation et ce que la loi peut améliorer, mais aussi ce qu'il reste à faire du côté de l'État et du côté des musulmans et de ce qu'il reste à faire ensemble, notamment entre l'État et les musulmans. En effet, si l'État essaie d'agir, il me semble que les musulmans ne font pas grand-chose, pour diverses raisons. L'idée même d'un travail commun est assez éloignée des esprits. Pourtant, c'est la clé du succès.

En préambule, voici quelques chiffres sur la situation de l'islam en France, et de la France avec l'islam. En l'occurrence, de nombreuses choses fausses sont dites sur l'islam en France. Lorsqu'on interroge les Français sur le nombre de musulmans en France, ils se trompent. Ils estiment en effet qu'il y a entre 25 et 30 % de musulmans en France, soit entre vingt et vingt‑cinq millions de musulmans. Or ils sont plutôt au nombre de six millions en France, chiffre sur lequel les experts convergent. Cependant, ils se répartissent selon une structure par âge très spécifique. Il n'y a quasiment pas de retraités, puisque les musulmans représentent 1 % des retraités français. En revanche, les jeunes musulmans sont nombreux. La structure de la pyramide des âges des musulmans est totalement différente de la structure de la pyramide nationale. La plupart des musulmans arrivés en France au cours des années 1950 et 1960 sont repartis. L'immigration a commencé au cours des années 1950 et se poursuit depuis, avec des soubresauts. Cependant, les personnes de plus de 60 ans sont reparties.

Par ailleurs, la seconde caractéristique de la population musulmane est sa grande jeunesse. Si les musulmans représentent 8 % de la population totale, les jeunes musulmans représentent 12 à 13 % des moins de 25 ans et 14 à 15 % des moins de 18 ans. Cette population, très jeune, est de surcroît très concentrée géographiquement. Les musulmans ont contribué à la reconstruction de la France après la Seconde Guerre mondiale et se trouvent historiquement dans le Nord, où ils sont arrivés dans les années 1930, dans le Bassin parisien, en Île-de-France, dans la grande région lyonnaise, autour de l'arc méditerranéen, et dans quelques grandes villes, Strasbourg, Bordeaux et Toulouse. 90 % de la population musulmane de France se trouve dans ces régions, soit 20 % du territoire. Sa concentration est donc très forte. Dans certaines communes, la population musulmane est majoritaire, notamment chez les jeunes.

Ce constat est fondamental, car le modèle français d'intégration est fondé sur le groupe majoritaire attirant le groupe minoritaire vers lui, en lui demandant de se conformer à ses us et coutumes, tout en tenant une promesse d'universalisme, qui est d'ailleurs souvent tenue. Nous le constatons par le nombre de mariages mixtes, qui est une spécificité française. La proportion des mariages mixtes est en effet élevée. L'intégration, voire l'assimilation, se fait par le mariage. Dans certains cas, cette assimilation est bloquée, parce que le groupe majoritaire se retourne, ce constat étant lié à ce phénomène de concentration. De mon point de vue, la problématique est plus liée à la concentration qu'au nombre.

En matière de sociologie, le discours actuel sur l'échec du modèle français d'intégration me semble convenu. Je pense qu'il ne faut pas parler d'échec, mais de résultats très contrastés. Un tiers de la population musulmane dispose d'un diplôme compris entre bac + 2 et bac + 5. Deux tiers des musulmans sont insérés dans le monde professionnel. Il existe une corrélation très forte entre ce constat et la typologie que l'on peut établir des musulmans. La moitié des musulmans de France sont, en quelque sorte, des catholiques comme les autres. Ils sont croyants, plus pratiquants que les catholiques et plus conservateurs que l'ensemble des Français, comme les catholiques pratiquants. Néanmoins, leur système de valeurs met la religion à la bonne place dans le système républicain. Pour eux, la religion est une affaire privée, qui peut avoir des incidences sur la vie sociale et sur la vie publique, mais il n'y a aucune question relative à la hiérarchie des normes. Ils n'ont pas une vision autoritaire de la religion vis-à-vis de la société ou des autres musulmans.

Le deuxième groupe représente 25 % des musulmans et est essentiellement constitué d'étrangers. Ce sont des gens venant en France avec leurs valeurs, leurs us et coutumes, souhaitant les conserver, mais non les imposer.

Enfin, le troisième groupe, évalué dans mon enquête à 28 % des musulmans, est essentiellement constitué de jeunes, soit 40 à 45 % des jeunes, ce qui traduit une situation fortement préoccupante de mon point de vue. Pour ce groupe, la religion, au-delà de sa dimension spirituelle, s'inscrit dans un projet identitaire, idéologique, voire, pour certains, politique. Le bon mot me semble être identitaire. Or l'identité est première par rapport à la société. Ce sont ces musulmans qui estiment que les valeurs de la religion sont supérieures à celles de la République et qui veulent imposer aux autres musulmans, premières cibles des islamistes, leur vision du monde et de l'islam. Ils vont essayer de faire en sorte que la société compose avec eux, et non eux qui composent avec la société. Face à ce constat, nous avons une vieille organisation, fondée sur l'islam consulaire, soit huit fédérations au Conseil français du culte musulman (CFCM), dont cinq financées par des pays étrangers et trois liées à des mouvements que l'on pourrait qualifier d'islamistes, les Frères musulmans, le Millî Görüş turc et Foi et pratique, complètement dépassés. En effet, les jeunes tentés par l'islamisme sont des jeunes Français. Ce n'est plus une idéologie importée. Ce n'est pas une idéologie financée par les pays étrangers. Le phénomène s'est endogénéisé ; c'est donc un phénomène français. Nous sommes maintenant confrontés à un islamisme français.

Quelles sont les améliorations apportées par le projet de loi ? Quatre chapitres me semblent intéressants. À l'évidence, le projet de loi améliore l'entrave, c'est-à-dire ce qui arrive en bout de la chaîne idéologique : l'extension de la neutralité religieuse au délégataire de service public, le contrôle de l'instruction à domicile, même si, pour des raisons de liberté, on ne va pas pouvoir rendre obligatoire l'instruction à l'école à 3 ans, et le travail autour des associations – agrément, contrôle du financement, amélioration de la capacité de dissolution, exigences de transparence. Ces mesures sont opportunes, mais ne sont pas suffisantes, parce que nous sommes au bout de la chaîne. Le projet de loi améliore également la sécurité, avec le renforcement de la protection des agents publics et la volonté de combattre la haine en ligne. Ce débat commence et est loin d'être clos.

Il me semble que l'on insiste peu sur un troisième volet, qui est pourtant important à mes yeux : l'égalité pour tous. Ce sont les dispositions visant à améliorer le droit à l'héritage, qui était encore assez flou. Dans certains pays du sud de la Méditerranée, notamment les pays musulmans, y compris la Tunisie, le droit à l'héritage n'est pas égal entre les hommes et les femmes. Je me réjouis de constater que les ambiguïtés existant encore disparaissent. Il faut aussi souligner la lutte contre les comportements discriminants. Ainsi, la polygamie était encore tolérée d'une manière ou d'une autre. Elle va être bannie. Je pense aussi aux certificats de virginité, de même que les mariages forcés. Ils n'ont rien à voir avec l'islam, mais beaucoup avec certaines cultures. C'est notamment le cas pour les mariages forcés en Turquie. L'excision est ainsi fréquente dans certains pays subsahariens ou en Égypte. Ces comportements sont encore plus bannis.

Le dernier volet, pour moi le plus important et le plus intéressant, porte sur la professionnalisation du culte musulman. Les autres cultes sont en effet déjà professionnalisés. Ils ont d'ailleurs manifesté un certain mécontentement, car ils craignent que leur organisation se trouve complexifiée par ce projet de loi. Si leur organisation fonctionne bien, ce n'est pas le cas de celle des musulmans. Je pense notamment au financement, qui n'est pas clair. En l'occurrence, ce n'est pas une problématique de financement étranger. Ce dernier représente désormais 10, 15, voire 20 % de l'ensemble du financement du culte musulman. Le financement vient désormais essentiellement des fidèles. L'islam prévoit une obligation caritative. Les fidèles, qui sont croyants et très pratiquants, puisque deux tiers des musulmans sont pratiquants, donnent de l'argent, mais ne savent pas où il va. En effet, la collecte est gérée par des associations loi 1901. Cette collecte n'est pas faite de manière transparente, ni même déclarée de manière transparente. Cette question du financement est essentielle. Il est donc tout à fait opportun de mieux contrôler les associations. Je pense aussi aux associations loi 1901 à objet mixte, aux associations de type 1907 et aux associations relevant de la loi de 1905.

Cependant, les responsables du culte soulignent ce paradoxe : si l'on veut encourager les mosquées à être gérées selon la loi de 1905, il en résulte un renforcement du contrôle des associations relevant de la loi de 1905. L'attrait majeur de la loi de 1905, par rapport à la loi de 1901, reposait sur la défiscalisation, qui n'est pas utilisée, parce que les responsables des associations considèrent que la démarche est trop compliquée ou vivent assez bien le fait de ne pas avoir à déclarer tous les fonds. Je pense surtout qu'il faut appliquer la loi actuelle, ce qui devrait encourager les services fiscaux à étudier plus en détail comment sont financées les associations 1901 ou les entreprises autour de la chaîne du halal, qui est tout sauf transparente, ou comment sont déclarés les fonds des agences de voyages organisant le pèlerinage. Il n'est pas nécessaire de changer la loi, mais uniquement de l'appliquer. Cette volonté suppose que les services de l'État soient plus nombreux ou soient plus orientés. C'est un combat pour l'islam et pour les musulmans de France qui ont droit de voir leurs fonds gérés de manière correcte et transparente comme les autres Français. Il est utile de créer de nouveaux dispositifs législatifs, mais il faut aussi les dispositifs actuels.

Enfin, je pense que, dans ce qu'il reste à faire, l'immense majorité des actions à mener ne sont pas d'ordre législatif. J'ai précédemment évoqué l'immigration. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques le pourcentage d'immigrés est passé de 7,5 à 9,2 % en France en 1982 et 2015, mais il est passé de 15 à 30 % en Seine-Saint-Denis, de 13 à 21 % dans le Val-de-Marne et de 20 à 22 % à Paris. La nouvelle immigration s'est concentrée en Île‑de‑France depuis trente ans. L'immigration elle-même a assez peu augmenté, mais tous les immigrés sont en Île-de-France. Considérant le modèle français d'intégration, lorsqu'on concentre l'ensemble de l'immigration au même endroit, on casse ce processus d'intégration. L'État, c'est-à-dire les maires, les préfets, les bailleurs sociaux, doit gérer cet aspect. Finalement, la géographie de l'immigration dépend de la géographie du logement social.

Concernant le manque de financement de la politique de la ville, j'ai récemment rédigé un autre rapport avec l'Institut Montaigne, intitulé Les quartiers pauvres ont un avenir. Nous avons analysé l'argent public dépensé dans les quartiers de la politique de la ville ainsi que la circulation des flux liés à la protection sociale. Il existe un vieux mythe selon lequel les immigrés viennent en France pour bénéficier des allocations familiales et des allocations chômage. Nous avons montré que la Seine-Saint-Denis, huitième département contributeur au financement de la protection sociale, apparaît comme le dernier receveur. La protection sociale représente 31 % du produit intérieur brut, dont les deux tiers vont au financement des retraites et de la santé des retraités, soit 500 milliards d'euros. Le reste – assurance chômage, revenu de solidarité active, politique du logement – représente une petite partie de ce financement.

Ces territoires accueillent de nombreux jeunes, et peu de personnes âgées. Le dynamisme économique que l'on méconnaît est réel dans ces quartiers tirés par la dynamique des grandes métropoles. Je crois qu'il faut aider ces dernières. On ne perçoit pas combien les immigrés contribuent au financement de la protection sociale, parce qu'ils sont jeunes et parce qu'ils travaillent. Pourtant, on finance peu la politique de la ville, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, et même la politique d'éducation prioritaire. La jeunesse du corps des fonctionnaires conduit à faire le constat d'une dépense négative de l'État lorsqu'il affirme qu'il dépense plus dans ces quartiers.

Enfin, il est essentiel lutter contre les discriminations. La France républicaine repose sur trois promesses : la liberté, l'égalité et la fraternité. L'égalité n'est pas assurée. On ne sait pas comment faire. Il existe des lois, mais elles ne sont pas appliquées. Selon une enquête de l'Institut national d'études démographiques, 40 % des jeunes Français d'origine immigrée souffrent d'un déni de francité. On leur dit qu'ils ne sont pas des Français comme les autres. Il ne faut pas s'étonner qu'une partie non négligeable d'entre eux se tournent vers un autre projet idéologique, l'islamisme. Je pourrais également parler de la destruction de l'appareil industriel, parce qu'on parle beaucoup des enfants d'ouvriers.

Je souhaite que nous revenions dans la discussion sur le rôle du financement, qui me semble essentiel. C'est par la construction d'un système financier que nous allons institutionnaliser le culte musulman. Il faut en outre favoriser l'émergence d'un islam français, reposant sur une théologie et un travail historique et critique, comme d'autres religions l'ont fait, sur un système de formation, reposant sur la bonne théologie, et non sur une théologie importée, et sur un système de salariat pour les imams. Il ne sert à rien de financer la formation d'imams s'ils n'ont pas de travail, ce qui est aujourd'hui le cas. Par ailleurs, il faut assurer une présence sur les réseaux sociaux. Enfin, la société civile musulmane et l'État doivent travailler ensemble. Aujourd'hui, l'État fait très peu en matière de prévention et d'engagement, parce qu'il manque d'interlocuteurs et de partenaires du côté des musulmans.

Il faut laisser les musulmans éclairés qui veulent agir, arrêter de les insulter et de les caricaturer, dans un sens comme dans l'autre. Il existe des gens qui ne veulent pas de l'islam en France. Dès qu'on dit qu'on est musulman, on est qualifié d'islamiste. Il y a en outre des islamistes qui ne veulent pas d'islam éclairé en France : dès que les musulmans éclairés s'expriment, ils rétorquent que ce ne sont pas des musulmans. Il convient d'aimer le débat sur cette question, accepter la complexité et chérir la modération. Merci pour votre écoute.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur El Karoui, je vous remercie pour votre présentation liminaire, très factuelle et éclairante.

L'objet du projet de loi est de renforcer les principes de la République qui fondent notre société. Ils visent à ce que notre République reste bien une et indivisible. Les dérives séparatistes peuvent se trouver partout et toucher un large public, que ce soit dans le service public, l'éducation, les associations, notamment sportives, l'accès aux droits et sur internet. L'objet de ce texte est donc bien d'améliorer notre arsenal juridique pour mieux prévenir contre ces dérives et renforcer la transparence des conditions de l'exercice du culte et préserver l'ordre public. C'est en effet tout l'objet de ce projet de loi que nous interrogeons aujourd'hui.

Dans votre rapport, vous affirmez qu'en raison de la méfiance, de l'ignorance et de l'hostilité croissantes d'une partie de la population, qui menacent notre cohérence sociale, il est indispensable que les musulmans de France mènent une bataille de la connaissance de l'Islam, afin de lutter contre les idées reçues et contre le fondamentalisme. Monsieur El Karoui, comment mener cette bataille auprès de la population dans son ensemble, pour lutter contre les amalgames, mais aussi auprès des jeunes musulmans susceptibles de basculer dans une sorte de radicalité ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie M. El Karoui pour sa présentation tout à fait éclairante.

Pour en revenir stricto sensu à l'objet de ce projet de loi, vous avez raison d'insister sur l'importance cruciale du financement du culte musulman et sur la nécessité d'avoir une organisation plus cohérente, logique et transparente de ce financement. Dans les articles de ce projet de loi relatifs à la question du financement, constatez-vous des maillons manquants ou des aspects vous semblant devoir être complétés, enrichis ou améliorés ? Quel regard précis portez‑vous sur les dispositions juridiques et de contrôle proposées ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite vous interroger sur votre lecture de ce qu'il se passe au sein des associations encadrant des mineurs. Ne faudrait-il pas que les encadrants des associations sportives et culturelles, qui opèrent après l'école, appliquent le principe de neutralité, qui est rappelé dans l'article 1er de ce projet de loi ? Pour la prévention de la radicalisation, ne faudrait-il pas une réponse simple, uniformisée sur le territoire, reposant sur un groupe de suivi qui se mettrait immédiatement en place et réunissant des élus, des enseignants, des membres d'association et des représentants religieux ? Ce dispositif devrait être assez visible et se réunirait dès lors que l'on constate un profil de jeune qui se radicalise.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez quelque peu dressé la géographie des Français de culture musulmane. Vous avez travaillé et produit deux rapports, sur la fabrique de l'islamisme et sur les quartiers populaires. Ma question est la suivante : d'après vous, qu'est-ce qui manque dans le projet de loi que nous devons examiner afin de contrecarrer ce que le Président de la République appelle le séparatisme ? Que manque-t-il comme dimension réparatrice face à certaines fractures que nous constatons dans notre société ? Ce projet de loi ne donne-t-il pas l'impression que la République ne s'appuie que sur des injonctions, des interdits, des motifs d'ordre public, alors qu'elle repose aussi sur des valeurs et des principes positifs de vie en commun ?

Je souhaite également vous poser une question sur la radicalisation, sur laquelle vous avez également travaillé, et sur les moyens qui sont, ou pas, accordés à la lutte contre cette radicalisation. Je pense à la question des sortants de prison et du soutien qui est apporté à la Fondation pour l'islam de France. J'aimerais avoir un éclairage de votre part sur ces différents sujets.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le propos tenu me semble très éclairant et très intéressant. Alors que je ressens une certaine frustration vis-à-vis de certains de nos invités, nous avons des éléments tout à fait intéressants permettant de nourrir la réflexion. Vous considérez que ce texte apporte quelques réponses, mais vous pointez du doigt, à juste raison, l'absence de promesse républicaine réalisée, à la source de nombreux comportements que nous cherchons à faire évoluer, de sorte que le rapport et l'adhésion à la République soient renforcés.

Lors du discours du Président de la République aux Mureaux, dans sa cinquième partie, la politique de la ville avait été évoquée, mais cette dimension est totalement absente du texte dont nous débattons. De mon point de vue, c'est une faiblesse originelle affaiblissant l'ensemble du texte. Précisément, il convient de casser les phénomènes de ghettoïsation et de revenir à ce que disait la commission Stasi en 2013, selon laquelle le communautarisme était plus subi que voulu. Ce texte n'aborde pas cet aspect, ce qui est fort regrettable. D'ailleurs, même la première version comprenait des éléments sur le logement, en matière de mixité. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

Vous proposez des solutions intéressantes : une théologie nouvelle, plus éclairée, le salariat des imams. Cependant, si l'on vous suit, cela induirait une intrusion accrue de la part de la République dans le culte et dans l'islam. Cette conception du rapport aux religions serait très concordataire. Je crois que le législateur n'a pas à se mêler de la théologie. Du moins, je n'ai pas d'opinion à ce sujet. Comment résoudre ce problème, si ce n'est en laissant les musulmans s'organiser eux-mêmes ? Nous avons une petite difficulté à régler.

Il existe désormais 3 500 lieux de culte en France. Nous sommes clairement sortis de l'« islam des caves », qui était une problématique il y a 25 ans. Les fidèles financent le culte, qui s'ouvre. Nous sortons d'une époque où la mixité du statut associatif était liée à l'histoire de l'immigration. Les gens s'organisaient, puis ouvraient progressivement des lieux de culte. Percevez-vous une dynamique positive dans l'évolution du nombre de lieux de culte ?

Vous avez pointé l'évolution identitaire de certains musulmans dans leur rapport avec la religion, mais pouvons-nous avoir un regard sur l'évolution des autres cultes ? N'y a-t-il pas un rapport plus identitaire qu'il y a vingt ou trente ans, pour différentes raisons, comme la perte de confiance dans la République ?

Certaines religions amènent certaines personnes à s'interroger sur le fait d'aller dans un autre pays pour se mettre en conformité avec leurs convictions spirituelles. Percevez-vous cette évolution sociologique, liée à un pourcentage de personnes se disant culturellement musulmanes ? Avez-vous des éléments sociologiques à ce sujet ? Ce phénomène est-il constaté dans d'autres cultes ? Il ne s'agit pas de minimiser le phénomène concernant les musulmans français, mais de l'inscrire dans une perspective plus générale d'une forme de radicalisation de la part de certains fidèles, propre à l'ensemble des cultes. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Enfin, sur la transparence, je suis d'accord avec vous lorsque vous indiquez que l'islam en France est financé par les fidèles. Le mythe des financements étrangers doit être relativisé. Je soutiens votre idée de transparence, laquelle sera bénéfique, mais, concernant l'exemple donné sur le denier du culte, il convient de rappeler que cette opacité est identique dans les autres cultes. Le fidèle qui donne à la messe ou à la synagogue ne sait sans doute pas très bien où va son argent. Cette visibilité sera bénéfique, mais il ne faut pas aller trop loin dans la suspicion.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez parlé d'un repli identitaire et d'une forte sensibilité pour les jeunes face à ce repli identitaire. Cela pose la question d'internet et des réseaux sociaux, à deux égards. D'abord, les réseaux sociaux sont le lieu où s'exacerbe la haine de l'autre, avec des contenus qui touchent un certain nombre de personnes, et les jeunes en particulier en raison de leur religion. Les jeunes ont une difficulté à appréhender la différence entre ce qui constitue le droit légitime au blasphème et la critique interdite de l'autre pour sa religion. Internet est aussi ce lieu où peut se dérouler cet endoctrinement numérique. C'est un lieu de radicalisation. Nous constatons que différents auteurs d'attentats terroristes, ces dernières années, ont été radicalisés essentiellement via internet, devenu un vecteur essentiel pour cela. Parmi les solutions que vous avez présentées, vous avez évoqué une présence massive sur les réseaux sociaux. Qu'envisagez-vous par cela ? Pour notre part, nous envisageons de renforcer les actions de sensibilisation relatives au fonctionnement de cet endoctrinement numérique et au bon usage du numérique dans le cursus scolaire. Pensez-vous que, grâce à l'école, nous pouvons rattraper ces jeunes qui basculent dans ce repli identitaire ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite prolonger les interrogations de notre collègue sur une question souvent évoquée au cours des dernières années : au-delà du nombre de pratiquants des différents cultes, et notamment du culte musulman, existe-t-il des indicateurs permettant de mesurer, sinon un éventuel repli identitaire, au moins une réaffirmation identitaire sous deux angles ? Le premier angle est l'idée qu'après une affirmation identitaire fondée sur le pays d'origine, il y aurait une affirmation identitaire fondée sur la religion. Il en découlerait l'appartenance à une communauté religieuse qui serait un facteur identitaire plus fort que d'autres considérations telles que la nationalité d'origine ou la nationalité française pour des Français convertis. Pour ces derniers, l'identité, avant d'être française ou musulmane, pourrait être musulmane. Cela peut être le cas pour d'autres religions. Avons-nous des indicateurs à ce sujet ? Finalement, nous pourrions constater cette affirmation identitaire par le fait que des personnes se déclarant d'une certaine confession, notamment de confession musulmane, n'étaient pas dans une pratique très affirmée il y a quelques dizaines d'années. Pour la femme, cela peut se traduire par le fait de mettre le voile. Finalement, à population équivalente, la pratique pourrait s'être renforcée chez les personnes de religion musulmane. Nous pourrions avoir le même raisonnement pour les autres cultes.

Permalien
Hakim El Karoui

Pour vous répondre sur la question de l'islamisme, je publie bientôt une enquête sur le parcours de mille quatre cents djihadistes, sept cents Européens et sept cents Français, afin de comprendre d'où ils viennent et comment ils se sont engagés, mais aussi leur rapport à la religion. Cette étude s'appelle Les Militants du djihad, portrait d'une génération. En effet, il faut lire ce phénomène comme un phénomène générationnel. Quand on parle d'institutionnalisation du culte, de financement du culte, des imams, du conseil des imams, du CFCM, on ne parle en rien aux jeunes Français de confession musulmane. Ils ne se sentent concernés en rien par ces sujets. La radicalisation ne se fait nullement à la mosquée. Cette dernière est éventuellement le lieu d'accueil de la radicalisation. Les mosquées sont extrêmement surveillées, même si les mosquées liées à la Turquie le sont moins, puisque très peu de fonctionnaires du ministère de l'intérieur parlent le turc. L'enseignement du turc et de l'arabe doit ainsi être renforcé.

Il faut comprendre que nous avons un problème de génération. Il s'agit de la deuxième ou troisième génération issue de l'immigration. L'intégration est en majorité un succès en France. L'intégration des musulmans en France se passe bien en majorité. Cependant, pour une minorité d'entre eux, dont une forte minorité des jeunes, elle ne se passe pas bien du tout. L'institutionnalisation doit être réalisée, mais elle concerne les musulmans de plus de 40 ans ou de 50 ans. Elle est nécessaire, mais elle ne résoudra pas le problème de la radicalisation.

Que faut-il faire pour résoudre ce problème ? Il convient de comprendre ce qu'il se passe. L'islamisme n'est pas une religion, mais une idéologie, qui repose sur une représentation du monde, sur un projet global et sur une relation avec le pouvoir politique, mais c'est aussi une relation avec la religion, fondée sur une lecture ultraconservatrice de cette dernière. Cette idéologie vient donner du sens à des jeunes, dans un moment très spécifique de leur parcours d'intégration ou du parcours d'intégration de leur famille. Lorsque leurs parents sont arrivés, ils étaient des étrangers. Ils ont essayé de travailler, puis de rester. La plupart d'entre eux sont restés, mais pas les plus âgés, qui sont retournés dans leur pays d'origine. Les pensions versées le sont à des immigrés qui sont venus reconstruire la France, qui ont cotisé et qui ont eu droit à la retraite. Ils passent leur retraite dans leur pays d'origine, au Maghreb, en Afrique subsaharienne ou au Portugal. Leurs enfants et leurs petits-enfants ont soulevé une question, puisqu'ils sont Français et nés en France et que leur vie se déroule en France. Cette question ne se pose pas : 94 % des djihadistes partis de France en Syrie sont Français. 90 % d'entre eux sont nés en France. La radicalisation et le djihadisme ne sont donc pas un problème importé, mais un problème français.

Pourquoi la société civile musulmane doit-elle jouer un rôle majeur ? Cette radicalisation repose sur un projet qui donne du sens, l'islam vu par les islamistes. C'est un projet global et totalitaire, quand on parle de Daesh, qui donne du sens à la vie, et qui est lié à ce moment compliqué de l'acculturation. Le jeune considère que ses parents ont passé du temps en France et ont peu à peu quitté leur culture d'origine avec laquelle ils ont néanmoins encore un lien, mais que lui-même n'appartient plus à la culture originelle de ses parents. Lorsqu'il se rend dans son pays d'origine, il est sûr d'être Français. Il n'est plus de ce pays d'origine. Pour les habitants de ces pays d'origine, ces jeunes ne sont plus Marocains, Algériens, Tunisiens ou Sénégalais. Pourtant, une bonne partie de la population française leur affirme qu'ils ne sont pas Français. C'est le fameux déni de francité. Ces jeunes examinent leurs conditions de vie et considèrent donc qu'il y a deux catégories de Français, « nous et les autres ». Ce « nous » est essentiel, puisqu'il clive la représentation du monde, construire dans le séparatisme. Ce dernier commence dans cette idée du « eux » et du « nous. » Si « nous » suivons un projet différent, le projet islamiste, « eux » deviennent dangereux. Ils ne nous respectent pas, ont des mœurs et des coutumes qui ne sont pas les nôtres. Leur société est corrompue et corruptrice. Très vite, ils estiment qu'ils vont devoir lutter contre cette société.

Qui l'affirme ? Ce ne sont pas les imams dans les mosquées ou les fédérations du CFCM, ni même les fédérations proches de l'islamisme, mais de jeunes Français. Je pense que vous ne verrez pas la personnalité actuellement la plus importante au sein de l'islam de France. Il s'agit de l'ancien imam de Brest, Rachid Eljay, qui a 1,8 million de followers sur Facebook. Combien d'entre vous, mesdames et messieurs les députés, peuvent se vanter d'un si grand nombre de followers ? Combien de responsables maniant des idées possèdent-ils 1,8 million de followers ? Rachid Eljay a désormais donné à son discours une dimension centriste. Son discours s'est banalisé, avec son succès. Il a quitté le salafisme. Il est maintenant compliqué de considérer que son discours est islamiste. Peu importe : cela signifie qu'il parle à 80 % des jeunes musulmans en France. En fait, Rachid Eljay propose du développement personnel. Il explique comment être un bon musulman, comment être un bon père de famille, comment être un bon employé, comment ne pas avoir peur en tant que musulman. Il islamise totalement la modernité. Il analyse les questions de la modernité à l'aune musulmane islamique. D'une certaine manière, il n'y a plus de contradiction entre ce qu'il dit et les lois de la République, mais il propose un projet alternatif. Il demeure une zone grise. Son parcours est néanmoins intéressant.

Il existe aujourd'hui une demande d'islam, liée à ce besoin identitaire, mais elle est servie quasi‑exclusivement par un discours islamiste, lequel n'émane pas des mosquées. Ces dernières sont conservatrices, puisqu'elles importent l'islam conservateur du Maroc, d'Algérie, de Turquie ou des jeunes imams français, qui n'ont pas entrepris le travail historique et critique nécessaire. Les jeunes Français apprennent l'islam sur les réseaux sociaux. Ils commencent avec la famille, puis ils se rendent sur les réseaux sociaux, se mettant en rupture avec leur famille. Lorsqu'ils veulent affirmer leur identité islamique, ils estiment que leurs parents ne suivent pas le bon islam et ne sont pas assez musulmans, parce qu'ils ne font pas de leur identité musulmane l'ensemble de leur identité.

Il faut donc être absolument présent partout sur les réseaux sociaux, sur Facebook, sur YouTube, sur Twitter, en mobilisant des outils, un profilage et un discours différents à chaque fois. Surtout, ce n'est pas l'État qui doit s'exprimer. Il s'agit de ne pas s'inscrire dans une approche concordataire et de ne pas faire parler l'État au nom de la religion, de l'islam. Il faut donner les moyens à des Français de confession musulmane de s'exprimer. Pour cela, il faut de l'argent.

Est-ce de l'argent public ? Ce n'est pas possible de l'envisager lorsque le sujet est religieux. Comment faire ? Il faut alors chercher l'argent où il se trouve, en sollicitant les Français de confession musulmane. Il convient de le gérer de manière ouverte et transparente. Telle est l'idée centrale de l'Association musulmane pour l'islam de France, que j'ai créée il y a un an et demi. Quel est son objectif ? Rendre des services à la communauté musulmane lorsqu'elle est en situation de transaction économique, par exemple lorsqu'elle achète un billet pour le pèlerinage ou des produits halal. Il s'agit de réguler le marché, mais aussi d'améliorer la qualité du service rendu par les agences de voyages, dans le cadre du pèlerinage et les relations avec l'Arabie saoudite, qui ne considère pas les agences de voyages françaises de façon très sérieuse. Il convient de s'appuyer sur un régulateur, qui n'est pas financé par l'État. Il prélève une redevance pour le service rendu, mais au lieu de la conserver pour lui, il la rend à la collectivité musulmane.

Prenons l'exemple du halal. En 1993, la mosquée de Paris a obtenu la capacité de distribuer des cartes de certificateur, sur le modèle de ce qui a été rendu possible pour le Consistoire central des communautés juives. L'objectif était que le produit du service rendu pour la viande halal aille au financement du culte, à l'image de ce qui se fait pour le Consistoire central et le Beth Din de Paris. Le problème est que cet argent a été privatisé. La mosquée d'Évry et la mosquée de Lyon ont également demandé leur carte. Je leur ai demandé de publier leurs comptes, mais personne ne l'a fait. Où était cet argent ? Pourquoi le fruit de cette libéralité publique, c'est-à-dire la possibilité donnée par l'État de déroger à la loi commune sur l'abattage animal pour respecter une prescription, est-il privatisé ? La seconde question a été posée à l'État : pourquoi l'État tolère-t-il cette situation ? En quoi est-il compliqué d'agir ? À titre d'exemple, le Consistoire central s'appuie sur un organisme, qui a un monopole de fait, et non un monopole de droit. Pourquoi les trois mosquées ne créeraient-elles pas une association de financement sur la base du produit de cette taxe halal, qui existe déjà de facto ? Il convient de mettre en place un régulateur transparent, qui va publier ses comptes et utiliser l'argent au service de la communauté.

L'objectif est de financer la recherche théologique. On ne peut rien si on ne la change pas et si on importe une théologie conservatrice, traditionaliste et littéraliste qui envahit le monde arabe et musulman. Ce travail théologique est essentiel. C'est la mère de toutes les batailles. Il faut aussi former les imams, sur le fond et sur la forme. Les imams doivent investir les réseaux sociaux. Ils ne doivent pas se contenter d'intervenir dans les mosquées. Il est également essentiel de payer ces imams. Les musulmans, grâce à leur financement, doivent financer un travail théologique de fond. Aujourd'hui, les imams ne reçoivent pas de salaire, ne cotisent pas et sont payés des sommes dérisoires. Certains se tuent à la tâche. Il convient donc de mettre en place un modèle économique de l'imamat. Avant de vouloir instituer un Conseil des imams, il faut réfléchir au financement des imams et à ce qu'on va leur apprendre, donc à ce travail théologique. La clé reste donc le financement.

Les querelles dont nous sommes témoins entre différents représentants des fédérations musulmanes cesseront le jour où une caisse commune sera instituée. En effet, le principe de la caisse commune impose la nécessité de se mettre d'accord pour utiliser l'argent. Si chacun vient avec son argent, lequel peut provenir de pays étrangers ou d'acteurs locaux, la constitution d'une caisse commune obligera les acteurs se mettront à travailler ensemble. Je regrette que le Gouvernement ait consenti autant d'efforts pour constituer un Conseil d'imams, et pas plus pour finir de convaincre le CFCM d'intégrer l'Association musulmane pour l'islam de France. Le CFCM s'y est finalement engagé dans une tribune dans Le Monde, publiée au mois de mars. Nous y sommes presque, puisque le CFCM est venu à la table des discussions et des négociations. Le financement est un sujet clé, qui va permettre d'institutionnaliser peu à peu le culte. Nous sommes loin de la loi. Nous sommes davantage dans le soft power de l'État, qui a un rôle d'encouragement, particulièrement l'exécutif.

Dans le projet de loi, j'observe des mesures intéressantes, mais l'essentiel du sujet n'est pas dans le contrôle des financements. Il en découle la question de la transparence des financements, à laquelle les fidèles ont droit. Elle peut être assurée par la loi, mais doit surtout l'être par des organisations musulmanes.

Pour répondre à Alexis Corbière sur la politique de la ville, je pense que les manques sont considérables en la matière. Je vous invite à lire mon rapport, Les quartiers pauvres ont un avenir. Il a été élaboré dans le cadre d'un think tank techno‑libéral, qui s'intéresse beaucoup aux musulmans et aux quartiers pauvres. Il travaille sur le sujet et a publié un rapport sur les discriminations à raison de la religion. Ce rapport note que l'on dépense peu d'argent dans le cadre de la politique de la ville. De plus, les habitants des quartiers pauvres financent beaucoup la protection sociale du reste des Français. Nous pourrions y consacrer plus d'argent, et nous avons intérêt à le faire. Si nous ne le faisons pas, nous avons des problèmes. Les problèmes commencent par la concentration de l'immigration, et non par son volume, car ce phénomène casse la dynamique de l'intégration. Il faut réfléchir et faire un état des lieux de l'action de l'État dans ces quartiers.

Nous constatons d'ailleurs que, dans ces quartiers, la situation est meilleure que ce que l'on croit, parce que les quartiers pauvres situés à proximité d'une métropole bénéficient d'une dynamique économique extraordinaire. La Seine-Saint-Denis représente 23 % des créations d'emploi en France depuis dix ans et est le quatrième ou cinquième département contributeur à la TVA. On parle pourtant du département le plus pauvre de France, mitoyen de la commune la plus riche de France. Les interactions sont cependant très fortes. L'État réfléchit trop en stock, et pas assez en flux. Il se focalise trop sur le logement et les infrastructures, mais n'investit pas assez sur les habitants, sur l'éducation, sur la santé et sur la sécurité. Il suffit de constater la répartition des forces de police et de gendarmerie par rapport à la pauvreté et par rapport au volume de crimes et délits. C'est dans les quartiers pauvres qu'on trouve le moins de policiers et de gendarmes, mais aussi le moins d'enseignants. Pourtant, dans une classe accueillant 90 % d'immigrés ou de fils d'immigrés, on sait qu'il faudra gérer des problèmes spécifiques.

Nous ne savons pas bien comment procéder. Ce n'est pas qu'une question de moyens, c'est aussi une question de technologie. Comment assurer l'ordre républicain ? Comment faire pour mieux enseigner la langue française, les principes des valeurs de la République ? Je pense que nous devons nous interroger à cette aune.

Quant aux lieux de culte, la situation s'est améliorée, mais il y a plutôt 2 500 lieux de culte musulmans. Cela reste encore en partie des caves et des garages. Je compte 1 000 vraies mosquées, construites pour être des mosquées. S'y ajoutent 1 500 lieux servant de lieux de prière. La dynamique identitaire existe. Nous pouvons comparer les salafistes aux évangéliques. Il s'agit du même public, des mêmes quartiers, avec une grande différence relative au rapport à la violence. Les évangéliques sont essentiellement des Antillais, des Africains subsahariens et des Français de longue extraction. La dynamique est cependant identique. La matière religieuse travaille dans les quartiers populaires, avec une décorrélation totale avec les autres cultes institutionnels, comme les protestants, luthériens et calvinistes, qui rencontrent les mêmes difficultés.

S'agissant de la transparence, je ne souscris pas à vos propos. La transparence est très faible chez les musulmans, mais elle est bien meilleure chez les autres. Le denier du culte est publié et représente 700 millions d'euros. Il existe un système de collecte des dons, y compris en cash.

Sur les réseaux sociaux, l'école joue effectivement un rôle majeur dans la lutte contre les fake news, contre le complotisme et pour améliorer la capacité d'accès à l'esprit critique. Toutefois, dans la dynamique identitaire, certains acteurs souhaitent le complotisme, parce qu'ils ont une lecture complotiste du monde. Le complotisme est un grand récit, comme l'islamisme. L'islamisme est un récit où les musulmans considèrent être les victimes. De même, le complotisme est un récit où les complotistes estiment être victimes. Il faut déconstruire ce récit, mais aussi proposer un autre discours, d'où la nécessité d'un discours musulman religieux et non religieux pour donner accès à cette culture aux jeunes. 95 % des réseaux sociaux consacrés à l'islam proposent des contenus liés aux Frères musulmans ou aux salafistes. L'État pourrait intervenir sur la partie culturelle et historique. Le temps politique passé, comme cette commission spéciale en témoigne, et l'engagement de tous les partis sont majeurs, de même que le débat médiatique consacré à ce sujet.

L'État doit donc engager des moyens. La Fondation pour l'islam de France est une fondation reconnue d'utilité publique. Elle a reçu une dotation initiale de l'État et un concours de trois entreprises publiques. Elle a reçu 7 ou 8 millions d'euros, mais elle n'a désormais plus d'argent. Le Président de la République a promis que 10 millions d'euros seraient octroyés à la Fondation pour l'islam de France et pour la relance de l'islamologie. Il n'a pas dit sur combien d'années et n'a pas précisé la répartition de ces fonds entre la Fondation et l'islamologie. On ne peut pas avoir dépensé 9 milliards d'euros dans la lutte contre le terrorisme, selon la Cour des comptes, dans le cadre d'opérations extérieures, du recrutement de 2 000 agents à la direction générale de la sécurité intérieure et de l'organisation de concours supplémentaires au ministère de la justice, et ne consacrer que 1 million d'euros par an à la Fondation pour l'islam de France. Le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation ne bénéficie que de 10 ou peut-être 15 millions d'euros consacrés à la lutte contre la radicalisation.

Les moyens publics mobilisés par l'État à la déradicalisation sont donc infimes. J'essaie de contribuer au contre-discours, mais ce financement ne peut pas passer par des moyens privés, parce que les grandes fortunes et les grandes entreprises estiment que ce n'est pas leur rôle. Il faut être présent sur les réseaux sociaux, mais cela suppose d'aider les bonnes volontés. Il convient de faire attention aux prêcheurs de haine, des deux côtés, qui s'efforcent de délégitimer quelqu'un dès qu'il affirme être musulman. Je ne donnerai pas de noms, mais j'ai en tête un certain nombre de personnes produisant un discours dangereux. Le risque est celui de la polarisation, que l'on constate sur les réseaux sociaux, mais aussi dans le débat public. S'il n'y a pas de place pour la modération, qu'il faut chérir, pour un discours musulman éclairé, parce qu'on a le droit d'être musulman en France, il ne faut pas s'étonner que les jeunes souhaitant aller vers l'islam se radicalisent. De même, les musulmans doivent accepter la critique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous indiquez qu'on empêche l'émergence d'un discours musulman autre que radical. Qui empêche cette émergence ? Vous soulignez l'importance d'avoir une parole, mais nous avons l'impression que cette dernière peine à émerger par elle-même. Le CFCM n'est pas considéré comme légitime par une partie des pratiquants ou peine à porter une parole forte en raison de ses querelles internes. Comme l'islam ne repose pas sur la même logique que dans la religion catholique, reposant sur une organisation et un clergé organisés, jusqu'à l'autorité internationale que représente le pape, il n'y a pas de parole autre que les paroles émergeant seules. Comment se fait-il que des paroles autres que radicales n'émergent pas ?

Permalien
Hakim El Karoui

Comme sur tous les sujets, il y a une prime à la radicalité. Le débat se noue autour de celui qui crie le plus fort. Deux exemples soutiennent cette perception : Tarik Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, et Mohamed Bajrafil, qui était imam de la mosquée d'Ivry, qui a démissionné à force d'être attaqué, ont tous deux un contrat de Daesh sur leur tête. Tarik Oubrou ne cache pas son parcours complexe, puisqu'il était salafiste à l'origine et qu'il appartenait aux Frères musulmans. Il accomplit aujourd'hui un travail de réforme, mais de nombreuses personnes ne veulent pas l'entendre, parce qu'ils se fondent sur son parcours. Un prédicateur, un imam, est ce qu'il dit. On peut contester ce qu'il dit, mais il faut l'écouter, et non se focaliser sur la position qu'il exprimait il y a trente ans. De nombreux intellectuels étaient maoïstes il y a trente ans et n'étaient pas de fervents défenseurs du modèle républicain. Ces musulmans ont droit de changer. Ce n'est pas parce que tel ou tel a participé à un événement avec quelqu'un que l'on peut rattacher à la sphère islamiste qu'il est lui-même islamiste. Un tel amalgame relève du maccarthysme. Il convient de laisser de la place à ceux qui essaient de construire, et pas toujours à ceux qui veulent détruire, que l'on trouve dans tous les camps. Je parle de ceux qui haïssent l'islam et des islamistes. C'est un sujet absolument essentiel dans la structuration du débat public et des réseaux sociaux, parce que la visibilité sur les réseaux sociaux est fondamentale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Examiner un tel projet de loi doit nécessairement se faire en le replaçant dans le contexte. Cela a été dit par le président de la commission spéciale. Cette contextualisation ne peut faire l'économie de l'histoire de la place de l'islam en France, en outre‑mer et dans ses ex-colonies, avec une relation a priori séculaire. La loi de 1905 ne fut pas appliquée à l'islam pendant longtemps, parce que cette religion était présente au Maghreb, et notamment en Algérie. Cette relation fut instrumentalisée pour des raisons géopolitiques et pour éviter une contestation des moyens de régulation de l'État français, notamment dans ses rapports avec certains pays musulmans. La question du financement du culte, de sa pratique, des relations avec plusieurs pays étrangers et de l'islamologie a toujours été d'actualité, depuis le début du XXe siècle. Via ce regard historique, ce projet de loi, examiné dans cette commission spéciale, puis dans l'hémicycle, va-t-il dans le bon sens sur certains de ces sujets et de ces dérives ? Quelles en sont les clés de succès ? Le combat contre les dérives doit aussi être celui des Français de confession musulmane. Je souhaite avoir votre avis à ce sujet.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai beaucoup aimé votre maxime « aimer le débat, accepter la complexité », parce que nous sommes sur un sujet éminemment complexe, et « chérir la modération », parce que sans modération, nous n'avons aucune chance de nous comprendre et de faire avancer ce débat complexe.

Vous avez évoqué une minorité de musulmans qui passent à côté de l'intégration. Vous avez évoqué une minorité de jeunes non intégrés. Vous avez parlé d'un islamisme français, d'un islam identitaire, d'un déni de francité, ce qui m'a beaucoup marqué. Je note une inflexion sur ces sujets parmi nos compatriotes de tradition musulmane. Dans une enquête de l'Institut Jean Jaurès, il était fait état d'une adhésion à la loi de 1905 pour 88 % des Français, dont 87 % de Français de tradition musulmane, ce qui est considérable. Sur l'adhésion à la loi de 2004, les résultats étaient un peu différents, puisque 44 % de Français musulmans y adhèrent. Quant à l'adhésion à la loi de 2010 sur la prohibition du voile intégral, 88 % des Français l'approuvent, dont 60 % de Français musulmans. Sur l'étude encore plus récente de l'IFOP, sortie il y a peu de temps, 57 % de jeunes musulmans considèrent que la charia est plus importante que la loi de la République. Ce hiatus entre les jeunes et les moins jeunes musulmans est-il le fruit empoisonné de la tenaille identitaire tentant de mordre le mollet de Marianne ? Cette tenaille est constituée de deux mâchoires, la mâchoire lepéniste, qui s'est emparée de manière inattendue du terme de laïcité pour masquer sa xénophobie, et la mâchoire islamiste.

Le déni de francité est une tradition de l'extrême droite, mais la majorité des Français ne font pas de déni de francité. Nous appartenons à une génération considérant que les Français dont la famille est originaire de l'étranger et nés sur le sol français sont Français autant que vous. Je m'interroge sur le concept de « Français de souche ». Cela n'existe pas. Nous sommes tous de sang mêlé. Se radicaliser au nom d'un déni de francité qui serait porté par une minorité de nos concitoyens, n'est-ce pas être victime de la culture victimaire, qui commence à émerger dans notre pays et qui provient des universités d'Amérique du Nord ?

Enfin, vous avez indiqué qu'il fallait financer l'imamat. Vous avez précisé dans quelle situation se trouvent les imams en France. Je pose différemment la question soulevée par Alexis Corbière. Financer l'imamat ne revient-il pas à instaurer une forme de concordat ? Que préconisez-vous comme financement ? Je vous remercie.

Permalien
Hakim El Karoui

Sur le dernier point évoqué, il ne s'agit pas de mobiliser de l'argent public pour financer le culte et l'imamat, mais de constituer une caisse centrale, afin de financer la formation des imams et la recherche théologique, mais aussi de lutter contre la xénophobie anti-musulmane, qu'il ne faut pas laisser aux identitaires. À aucun moment, il ne s'agit d'utiliser de l'argent public. L'organisation rendant un service pour le pèlerinage ou pour la régulation du hall procède à des appels aux dons, puis réinvestit cet argent dans la formation. La logique veut que les imams soient financés par les communautés locales. Un complément de salaire peut être versé aux imams. Les charges sociales pourraient être prises en charge par une organisation nationale. Cela permet à cette dernière d'examiner d'assez près la qualité des gens qui reçoivent cet argent. Un complément de financement serait opportun.

Sur la question complexe du processus d'intégration, il convient de rappeler que l'intégration s'est toujours mal passée. Nous en avons une vision idéale, a posteriori, une fois qu'elle a réussi, comme ce fut le cas pour les Italiens, les Belges, les Polonais et les Portugais. Pour ces derniers, d'une certaine manière, le processus n'est pas fini. Dans la réalité de l'histoire, cela s'est toujours mal passé. Le processus a été violent. À Aigues-Mortes, des ratonnades se sont produites contre les Italiens en 1892. Dans la Provence déchristianisée du XIXe siècle, on trouvait que les Italiens étaient trop catholiques. Ils n'étaient pas considérés comme des Français comme les autres. L'intégration à la française est une acculturation très rapide. Elle relève d'un projet universel : « Venez, nous sommes ouverts. Soyez comme nous ! » Si vous contestez cette vision française de l'universel, on va vous en vouloir.

L'intégration « à la française » consiste en une rentrée dans l'atmosphère. Il faut alors se dépouiller de ce qu'on est, pour aller vers un projet universel, extraordinairement attractif de mon point de vue. Cependant, à un moment, on n'est plus ce qu'on était, on est acculturé, mais on n'est pas encore un Français reconnu et identifié. Cette problématique va au-delà de la tenaille identitaire et des théories à la mode, sachant que ces dernières ne concernent pas uniquement les musulmans. Dans la société française, chacun veut affirmer sa différence, et notamment les jeunes. Pour ces derniers, le mot-clé absolu est « respect ». Vous n'avez pas cité une enquête, que vous avez probablement lue, parue début septembre avant l'horrible assassinat de Samuel Paty, où il était demandé aux jeunes s'ils condamnaient l'attentat contre Charlie Hebdo. 20 % des jeunes Français ne le condamnaient pas. Certains l'avaient oublié, mais d'autres estimaient que Charlie Hebdo n'avait pas respecté la religion de l'autre. Cela relève du respect de l'identité et de la spécificité. Il faut trouver un nouveau discours institutionnel, pour éviter un hiatus complet entre la génération qui dirige et ces jeunes Français, qui ne sont pas marginaux. Une grande partie de la jeunesse française est à mille lieues de ces enjeux. La différence est pour eux plus importante que l'unité, et donc l'indivisibilité de la République, qui est une valeur inscrite assez haut dans la Constitution.

Le sujet de l'islamisme des jeunes est intéressant, car il traduit quelque part les transformations de la société française dans son ensemble. Il en découle la façon dont il faut y répondre : présence sur les réseaux sociaux, offre institutionnelle adaptée. Il faut savoir parler aux jeunes. Ces derniers ne lisent pas Le Monde, puisqu'ils utilisent TikTok, Snapchat, YouTube. Ils sont sur ces réseaux et se parlent entre eux, s'enferment entre eux. Il faut trouver le moyen d'aller leur parler et d'utiliser leur langage, avec des jeunes parlant aux jeunes. Sur l'islam, cette démarche est essentielle. L'islam consulaire n'a aucun avenir en France, puisqu'il s'agit de l'islam des personnes âgées.

Quant à l'impact de la loi, je souhaite qu'il soit le plus fort possible. L'essentiel se joue dans la société civile. Il est très important de pouvoir entraver certaines pratiques délictueuses, de contribuer à la transparence du financement. Ce sujet ne sera pas résolu par l'État, mais il peut l'être par des associations musulmanes, ensemble, pour créer cette grande caisse dont nous avons besoin.

C'est une caisse qui finance le judaïsme français, de façon tout à fait correcte. Le financement du judaïsme repose pour moitié sur le produit des redevances casher et pour moitié sur les dons des fidèles, soit un montant de 25 millions d'euros. Le budget du CFCM est de 30 000 euros. Aucun euro n'est destiné à des sujets d'intérêt national au sein des organisations musulmanes. En revanche, il y a beaucoup d'argent lié au halal ou dans les fédérations, qui ne participent pas au pot commun. Pourtant, le produit du halal doit bénéficier à ce pot commun. C'est une évidence.

L'État a accepté la distribution de cartes pour l'abattage rituel destinées aux sacrificateurs, via un décret même si sa sécurité juridique est un peu faible. En tout cas, les cartes peuvent être données ou reprises. Il est permis de déroger à la loi commune pour l'abattage rituel musulman, comme pour l'abattage rituel juif, au nom du respect des croyances. La Constitution de la République respecte toutes les croyances. Dans un cas, celui des juifs, la démarche est centralisée via le Consistoire central. Dans l'autre cas, celui des musulmans, elle est entièrement privatisée, avec une transparence nulle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette démarche est-elle privatisée par des fédérations, par des mosquées, par des entreprises ?

Permalien
Hakim El Karoui

Il convient de distinguer deux éléments dans le cadre du halal : l'abattage lui-même et la certification. Ceux qui font l'abattage assurent aussi la certification, suivant une séparation des œuvres parfois discutable. En l'occurrence, trois mosquées, à Évry, Paris, et Lyon, ont le droit d'émettre des cartes pour des certificateurs, qui seront les salariés de ces mosquées ou des abattoirs. La mosquée de Paris et la mosquée d'Évry donnent des cartes à des professionnels salariés par les abattoirs. Une petite redevance est alors versée pour service rendu. Elle pourrait d'ailleurs être plus importante. Il y a un autre service relatif à la certification. Aucun euro ne va au financement du culte.

Quant à la certification, les mosquées ont parfois constitué des associations qui assurent cette démarche. Certaines entreprises ont également été créées pour faire de la certification halal, ce dont il résulte parfois un débat assez complexe et jésuitique sur ce qui est halal. Cependant, aucun euro n'est destiné au financement du culte. Les mosquées récupèrent le produit pour elles-mêmes, et non pour le financement du culte musulman et pour les sujets d'intérêt national – formation des imams, travail théologique, présence sur les réseaux sociaux.

On ne sait rien sur les chiffres. Ce n'est pas faute de les avoir demandés. Nous ne connaissons pas non plus le montant des dons aux mosquées. L'essentiel du financement des mosquées repose sur les dons. Ces derniers représentent 250 à 300 millions d'euros pour le culte musulman, contre 700 millions d'euros pour le denier du culte catholique. 3 000 mosquées se sont professionnalisées, mais rien n'est consolidé. Aucun euro ne va à des sujets d'intérêt national.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je connais bien le sujet, étant ancien président d'abattoir dans la Vienne et ayant travaillé avec AVS et la mosquée d'Évry. Je suis en réflexion sur ce sujet, sur lequel je souhaite entendre votre avis. Nous constatons une totale opacité dans ce domaine. Vous ne pouvez pas livrer de la viande à des boucheries halal sans passer par ces sociétés. Pour la ville de Paris, si vous ne passez pas par AVS, vous n'avez pas accès aux boucheries parisiennes. Cette société a le quasi-monopole sur l'ensemble des boucheries de la région parisienne.

Je m'interroge sur l'opportunité de créer une taxe sur l'abattage rituel, comme pour le casher. Les sommes considérées sont directement destinées au Consistoire dans le cas du casher. Comment faire pour arriver à une meilleure transparence dans le halal ? Les sommes induites sont loin d'être négligeables, mais nous n'avons aucune idée de leur destination.

Permalien
Hakim El Karoui

Je ne crois pas à la taxe halal au sens de l'impôt d'État, mais plutôt à la redevance. Il existe plusieurs manières de faire. La redevance peut être payée en début de chaîne, lorsque l'État attribue des cartes aux mosquées. Les certificateurs sont liés aux mosquées, d'une manière ou d'une autre. L'État peut exiger, au risque d'un retrait des cartes de certificateur, la transparence des comptes. Les cartes de certificateur sont une libéralité publique. L'État est donc fondé à procéder à des contrôles, puisqu'il s'agit d'associations ou d'entreprises. Le renforcement des contrôles et de la transparence me semble tout à fait intéressant. Nous pouvons d'ailleurs déjà largement le faire. Les acheteurs peuvent aussi se constituer en groupements. La grande distribution peut demander l'institution d'un label, comme cela se fait pour le Beth Din. Ce label de qualité et de transparence sera reconnu. Il m'a été répondu que l'instauration d'un label risquait de contrevenir à des règles européennes de droit de la concurrence, dans la mesure où un monopole se créerait de fait. Les acheteurs peuvent procéder différemment et acheter du conseil de cette caisse centrale de l'islam de France. Quels produits acheter ? Comment la certification et l'abattage sont‑ils réalisés ? Dans ce cas, il n'existe pas de système automatique mis en place.

Enfin, on exporte aujourd'hui beaucoup de viande halal. Cette dernière est devenue un modèle très important pour les abattoirs. Vous le savez très bien, monsieur le député. Dans certains cas, on peut s'accorder avec les régulateurs des pays où on exporte pour que la viande exportée ait été estampillée et contrôlée par le régulateur musulman français, qui, à ce titre, prélèvera une redevance, parce qu'il aura rendu un service. Le produit de cette redevance ne sera pas privatisé, mais placé dans la caisse commune et utilisé pour financer les actions indiquées.

Ce sont donc trois pistes à explorer. S'agissant de la piste initiale, prévoyant une redevance en début de chaîne, l'État devrait s'interroger à ce sujet et exiger la transparence. La deuxième piste intervient en bout de chaîne, avec la grande distribution. Enfin, la troisième piste repose sur les acheteurs étrangers. Dans aucun de ces cas, une taxe fiscale ne s'avère nécessaire. Elle serait en outre complexe à mettre en œuvre, même si nous savons ce que sont les contributions volontaires obligatoires – j'adore les concepts de l'administration fiscale...

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il est vrai qu'elles existent – je vois d'ailleurs Jean-Baptiste Moreau sourire... C'est effectivement le modèle pour les chambres d'agriculture ou pour les chambres de commerce et d'industrie. Cependant, nous reviendrions alors au débat du financement public. Nous avons régulièrement des débats sur le devenir de l'argent prélevé au niveau des chambres de commerce et d'industrie. Les pistes que vous avez évoquées sont néanmoins intéressantes et ne relèvent pas forcément du domaine de la loi. Elles s'inscrivent plutôt dans le contexte d'action.

Permalien
Hakim El Karoui

Mon dernier message s'adresse au CFCM. Je suis exigeant avec lui, parce qu'il existe depuis dix‑sept ans, mais n'a pas fait assez. Les dirigeants ont néanmoins changé. Il y a eu des conflits, mais aussi des bonnes volontés. Je constate également une prise de conscience de l'urgence d'agir. Les dirigeants ont compris qu'ils ne pouvaient pas rester dans leur pré carré institutionnel, loin de la population. Je salue les efforts du président Moussaoui et du recteur de la Grande Mosquée de Paris. Vous avez un rôle politique, pour casser les silos institutionnels, entre les musulmans, entre l'État et la société civile musulmane.

Nous parlions du rôle des associations. Pourquoi les associations musulmanes prospèrent‑elles ? Elles prospèrent parce qu'il n'y a plus d'associations laïques dans les quartiers populaires, parce qu'il n'y a plus l'Église catholique, parce qu'il n'y a plus le Parti communiste. Il y a maintenant les organisations islamistes, qui sont en réseau et ne sont pas hiérarchisées. L'État et les collectivités locales doivent traiter avec de nouveaux acteurs, qui seront des musulmans laïques.

Je conclurai néanmoins mon propos par un message positif. Je constate que la nouvelle génération est bien mieux formée qu'avant et plus consciente de ses responsabilités citoyennes. Or une insertion sereine et paisible de l'islam dans la République est une responsabilité citoyenne. Je vois cette génération qui monte. Je vous le demande collectivement : aidez-la. Aidez-la à prendre la parole, aidez ses initiatives, acceptez une forme d'imperfection. Acceptez que les religieux aient évolué. Ne jetez pas l'anathème. Je pense que la clé du succès réside chez ces musulmans républicains et modérés. Il faut les encourager à s'engager. L'État ne peut pas tout dans ce domaine, comme dans d'autres, et particulièrement dans ce domaine aux frontières du religieux et du politique. Si les jeunes ne perçoivent qu'on peut être Français et musulman, s'ils n'entendent pas un autre discours sur la République et sur l'islam, s'ils n'ont pas accès à des organisations transparentes, que méritent les musulmans en France, le risque va s'amplifier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour vos réponses.

Merci, mes chers collègues, pour votre participation à toutes les auditions de ce jour. Comme vous le savez, il n'y a pas d'audition prévue demain. Des auditions seront encore menées par les rapporteurs, ainsi qu'un travail sur les amendements avant l'heure limite de dépôt des amendements, demain à 17 heures. Nous aurons une dernière série d'auditions vendredi, avec plusieurs intervenants. Cette journée commencera à 9 heures par l'audition de Mme Lucile Rolland, cheffe du service central de renseignement territorial. L'après-midi, nous accueillerons plusieurs intervenants.

Par ailleurs, comme vous le savez, à mesure que nous approchons de l'heure limite de dépôt des amendements, puis de l'examen des articles et amendements en commission se posera la question de l'application de l'article 45 de la Constitution relatif à la recevabilité des amendements. Je ne parle pas de l'article 40, relatif à la recevabilité financière, qui est du ressort du président de la commission des finances. Le Président de l'Assemblée nationale nous a écrit il y a quelques semaines pour nous rappeler les dispositions de l'article 45, qui dispose que tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. Il m'appartiendra, en tant que président de la commission spéciale, d'apprécier la recevabilité des amendements déposés en Commission lors de leur dépôt au regard de cette disposition, conformément à l'article 98, alinéa 6 de notre Règlement. Il s'agit de conserver la bonne tenue de nos débats et d'éviter un travail législatif dégradé. Ces derniers mois, lors de cette législature, plusieurs décisions du Conseil constitutionnel ont conduit à censurer articles dont il a considéré qu'ils n'avaient pas de lien avec le texte. Il ne suffit pas qu'il y ait un lien avec le titre d'un chapitre de la loi, mais il faut le lien soit aussi avec le contenu de chaque article. Comme vous le savez, il n'existe pas de ligne blanche délimitant strictement ce qui est recevable et ce qui ne l'est pas. Je tenais néanmoins à le rappeler.

Enfin, à l'approche de la date limite de dépôt des amendements, je tiens à saluer le fait que nous ayons travaillé dans un bon climat. Ce n'est pas fini, puisqu'une dernière session d'auditions est prévue vendredi, suivie de l'examen des articles en commission la semaine prochaine. Je souhaite que nous puissions continuer dans ce bon climat, qui permet à toutes les opinions, aussi diverses soient-elles, de s'exprimer dans le respect mutuel des opinions, ce qui est le fondement, selon moi, du fonctionnement de l'Assemblée nationale. Je continuerai à y veiller dans tous les aspects de nos travaux.

La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq

Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 17 heures

Présents. – Mme Stéphanie Atger, Mme Lætitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, Mme Anne-Laure Blin, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier‑Bouligeon, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Laurence Gayte, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, M. Sacha Houlié, Mme Anne-Christine Lang, Mme Constance Le Grip, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Mattei, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Stéphane Peu, M. Éric Poulliat, M. François de Rugy, M. Boris Vallaud