Intervention de Henri Peña-Ruiz

Réunion du vendredi 15 janvier 2021 à 15h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Henri Peña-Ruiz :

M. le Député a complété la citation parcellaire que j'ai faite de la Rose et le réséda. Ce poème m'émeut toujours autant, je l'ai récité des centaines de fois.

Je reviens à la question de l'école. Souvent, on ne comprend pas ce qu'est l'école. L'enfant a une première vie : la vie dans sa famille. Dans cette vie, on lui fait peut-être passer des représentations, des idées, des croyances, etc. Puis, un jour, il a le droit à une deuxième vie : la vie de l'école. Il est très important que la vie à l'école soit distincte de la vie dans la famille. Donnons à l'enfant le droit à une deuxième vie. Les parents d'élèves indirectement sont les auteurs de l'assassinat de Samuel Paty à qui je voudrais à nouveau rendre hommage. Je lui ai rendu hommage dans des textes parus dans Marianne que j'ai eu du mal à écrire tant j'étais bouleversé. Samuel Paty incarnait la deuxième vie de l'enfant. L'enfant a le droit d'apprendre autre chose que ce qu'il a appris dans sa famille. Ça ne veut pas dire que l'école est faite pour démanteler l'éducation familiale. Elle est faite pour l'intégrer à un horizon plus vaste.

Reconnaissons à l'école l'autonomie par rapport aux groupes de pression de la société civile. C'est fondamental. J'ai appris des tas de choses à l'école que mes parents ne pouvaient pas m'apprendre. Ils étaient issus de l'immigration espagnole. À Pantin, au Pré-Saint-Gervais, à Aubervilliers, ils m'ont appris des choses magnifiques, mais ils me disaient parfois qu'ils ne pourraient pas m'expliquer ce que j'apprenais à l'école.

L'école est une deuxième vie qui doit être rigoureusement indépendante de la vie familiale. La laïcité scolaire est le vœu que Condorcet avait formulé dans ses mémoires sur l'instruction publique, le vœu que le lieu où l'enfant apprend ce qu'il ignore puisse un jour se passer de maître. J'apprends ce que j'ignore en tant qu'enfant, je deviens un élève, un être qui s'élève.

Il est important qu'il n'y ait pas, de la part des maîtres, de tentatives d'inculcation. Je peux m'enorgueillir qu'en 42 ans d'enseignement philosophique, mes élèves n'ont jamais su si je croyais en Dieu. Je ne répondais pas quand ils me posaient la question pour deux raisons. La première est qu'il s'agit de ma sphère privée. La deuxième est que la République ne me paie pas, en tant qu'enseignant, pour que je mette en avant ma conviction, mais que je vous élève à l'autonomie de jugement. Cela implique tout refus d'inculcation.

Telle est la grandeur de l'école laïque. Sa finalité est de faire advenir pour la République les citoyens incommodes, munis d'esprit critique dont elle a besoin. Par exemple, si l'on fait un cours sur le racisme, il convient d'expliquer que le concept de race n'est pas pertinent pour les êtres humains, qu'il ne l'est que pour les animaux. Il est très important de déconstruire à l'école. Ce faisant, nous ne sommes pas dans la neutralité. Jaurès avait raison de dire qu'il y a d'un côté, la neutralité laïque qui consiste à ne pas profiter de la position que l'on occupe en tant qu'enseignant pour faire valoir l'athéisme ou la religion, et que d'un autre côté il n'y a pas de neutralité. On ne va pas renvoyer dos à dos le racisme et l'antiracisme, on va expliquer pourquoi le racisme n'est pas pertinent. Il n'y a qu'une race humaine : l'homo sapiens. La différence de pigmentation de la peau n'intervient pas dans l'essentiel de ce qu'est l'être humain.

L'école doit être rigoureusement indépendante des groupes de pression de la société civile, qu'il s'agisse de groupes religieux, de groupes politiques, de groupes économiques. Cette question de l'école est décisive. L'école n'est pas un simple service public. On ne va pas à l'école comme on monte dans l'autobus. L'école est une institution organique de la République.

Je disais tout à l'heure en citant Montesquieu que la République a besoin de citoyens incommodes. C'est l'école qui fournit à la République les citoyens éclairés dont elle a besoin. Pour cela, elle doit être laïque, ce qui ne veut pas dire antireligieuse, mais séparée, distinguée de la religion. D'ailleurs, Victor Hugo avec sa célèbre formule : « Je veux l'Église chez elle et l'État chez lui » dans le discours du 20 janvier 1850 se révolte contre la loi Falloux qui organise le contrôle du clergé sur les écoles.

Soyons universalistes. Il faut que toutes les personnes, venues de tous les horizons, puissent bénéficier des droits conquis en France. Il faut offrir à toutes les personnes issues de l'immigration les droits qui ont été conquis sur notre sol. La laïcité n'est pas un particularisme. Il est insensé que certaines personnes osent dire que la laïcité, que la loi de 2004 est un racisme d'État. La loi de 2004 n'était pas une loi sur le voile. Les journalistes ont été peu rigoureux. Je me souviens d'une vive discussion avec Xavier Ternisien qui m'interviewait pour Le Monde, qui venait de titrer : « La loi sur le voile est adoptée ».

Je lui ai suggéré de se mettre à la place d'un citoyen de confession musulmane. Je ne dis jamais « un musulman ». Aucun être ne se réduit à son appartenance religieuse. Sa richesse ontologique déborde son appartenance. Quelle est la réaction du citoyen musulman qui passe devant le kiosque et qui voit en tabloïd « La loi sur le voile est votée. » ? Il dira « Que me veut-on encore ? » Les journalistes, par un défaut de rigueur, produisent la stigmatisation qu'ils reprochent ensuite à l'école. La loi issue des travaux de la commission Stasi disait clairement « les signes religieux, par exemple la croix, la kippa et le voile, sont interdits dans l'école ». C'est devenu pour les journalistes : « La loi sur le voile est votée. » Voilà un exemple qui produit la stigmatisation, là où la vérité de l'information ne la produirait pas.

Soyons rigoureux. Les politiques et les élus doivent être très rigoureux dans leur discours. S'ils utilisent l'universalisme, ils ne se tromperont pas. C'est une bonne boussole. La dame de Bagnolet m'a dit qu'on ne lui avait jamais expliqué la laïcité de cette façon. Elle m'a dit : « Je comprends. Vous avez raison. Je n'aimerais pas que mon enfant soit encadré par quelqu'un qui porterait un t-shirt "humaniste athée" ». Elle découvrait d'un seul coup que la neutralité exigible des encadrants scolaires n'est pas tournée contre l'islam, mais qu'elle est destinée à protéger les enfants de tout prosélytisme. Si une sortie scolaire n'est pas une sortie touristique, cela signifie selon le code de l'éducation, qu'elle a une finalité éducative, pédagogique ou les deux et que, par conséquent, on a beau sortir de l'école, il s'agit toujours d'une activité scolaire. La déontologie laïque doit régner.

La laïcité pâtit du fait que les frontières n'en soient pas respectées. Le fait qu'un maire de la Côte d'Azur, que je ne citerai pas, veuille empêcher une femme de se baigner dans la mer en burkini est absolument absurde. Il le fait au nom de la laïcité, alors qu'il salit l'idée de laïcité. En revanche, qu'une femme en burkini ou qu'un curé en soutane ne puisse pas se baigner dans une piscine, la question n'est pas la laïcité, mais l'hygiène. N'attribuons pas à la laïcité une interdiction qui relève d'autre chose. Il faut être extrêmement rigoureux.

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