Intervention de Henri Peña-Ruiz

Réunion du vendredi 15 janvier 2021 à 15h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Henri Peña-Ruiz :

D'abord, je suis entré trop vite dans mon préliminaire philosophique. Je voudrais dire que je suis content qu'on mette un terme au déni. On ne voulait pas nommer les choses. Or il faut les nommer et les nommer correctement. Le terrorisme islamiste existe et il n'a rien à avoir avec l'immense communauté musulmane. Nous ne confondons pas la communauté musulmane de personnes qui vivent en paix avec la République et qui pratiquent leur religion de façon paisible et parfaitement compatible avec les principes républicains, avec les terroristes islamistes qui sont une infime minorité.

C'est rendre un mauvais service que de dire que la laïcité est devenue le déguisement de la haine des musulmans. Je trouve ce propos inacceptable. Cela présuppose qu'il y aurait une haine des musulmans en France. Je ne le pense pas. Sans doute que certains ont une haine des musulmans, mais je ne vois pas ce qui permet de dire qu'ils seraient très nombreux. En revanche, il y a une détestation du fascisme islamiste. Et pour cause ! Les trois fidèles tués à Notre-Dame de Nice, notre collègue Samuel Paty décapité, ce n'est pas rien. À un moment donné, certains, de peur de stigmatiser une communauté, ne disaient pas les choses. Il faut les dire.

Après, il faut concevoir une politique adéquate au système. Je pense que le projet de loi compte de très bonnes choses, mais aussi de mauvaises. Les bonnes choses sont de dire stop à la polygamie, stop aux certificats de virginité, comme nous avons dit stop à l'excision du clitoris. Il faut rappeler que dans un état de droit, avec une boussole laïque, universaliste, une femme a le droit à son intégrité physique. Si l'on condamne l'excision du clitoris, ce n'est pas parce que l'on est un affreux colonialiste.

J'ai exprimé tout à l'heure ma réticence à la modification de la loi de 1905 avec la question des immeubles de rapport. Je rappelle pour M. le président que ce qui me pose problème est qu'il est dit dans la loi de 1905 que la finalité constitutive des cultuels est le culte et uniquement le culte. Ce n'est pas une finalité lucrative. L'interdiction du financement public direct ou indirect par des défiscalisations se justifie me semble-t-il, par le fait que l'argent public doit toujours avoir une destination homogène à son origine. Quelle est l'origine de l'argent public ? L'impôt payé par tous les contribuables. L'origine est donc universelle. Quelle doit être sa destination ? Elle doit être universelle : les services publics, l'intérêt général. C'est clair. Mais ce principe n'est plus respecté en France. Parce qu'on applique cette maudite politique de la réduction de la dépense publique sur ordre du néolibéralisme. On voit à quoi nous a conduits cette réduction de la dépense publique, malgré la vaillance des médecins et des soignants et des infirmières face à l'épidémie. Je suis obligé de faire de la politique et de parler du social. Il ne faut pas invoquer le social comme une excuse. Il n'y a pas d'excuse à l'assassinat. Karl Marx le disait déjà à propos du lumpenprolétariat. Il n'y a pas d'excuse à assassiner parce qu'on serait opprimé. D'ailleurs je ne suis pas sûr que ce soit des opprimés qui commettent les assassinats. Ce sont des personnes venues de l'extérieur avec de l'argent pour leurs armes, leurs voyages, etc. Il faut arrêter avec cette histoire.

Vous me demandez comment définir le communautarisme. C'est très simple. C'est le fait que l'individu n'existe plus dans la communauté. Fadela Amara dit : « Je ne veux pas porter le voile. Nous sommes des femmes ni putes, ni soumises. Nous aurons les cheveux au vent, à l'air, mais ce n'est pas pour autant que nous sommes des putes qui veulent séduire. » D'ailleurs, une femme a le droit de vouloir séduire. Il faut arrêter aussi avec ce politiquement correct. Lorsque Tariq Ramadan lui répond : « Tu trahis ta communauté. », il marque là que le mode d'existence de l'individu par rapport à la communauté devrait être celui d'une soumission intégrale. Or lorsque l'on milite pour la liberté, on doit dire que tout individu doit avoir le droit d'être différent. La seule chose qui s'impose à lui, c'est le respect de l'ordre public, du droit commun. Celui-ci est d'autant plus respectable qu'il est fondé sur des droits humains.

J'ai beaucoup insisté sur la mutation de la conception de la nation avec la Révolution française. Ernest Renan dans Qu'est-ce qu'une nation ?, la conférence qu'il donne en Sorbonne après l'annexion de l'Alsace-Moselle, dit admirablement les choses : « l'existence d'une nation est un plébiscite de tous les jours ». Le mot « plébiscite » n'est peut-être pas très bien choisi. Cela signifie que l'on fait nation lorsque l'on veut vivre selon des principes que l'on se donne à soi-même. Rousseau disait que la démocratie était le fait que le peuple se donnait à lui-même ses lois au lieu de les recevoir d'en haut.

Dans le communautarisme, il y a une négation de la liberté de l'individu de se définir autrement que dans la soumission à sa différence supposée. Oui, une femme a le droit de ne pas porter le voile. C'est pourquoi nous ne voulons plus qu'il y ait à l'école une imposition du voile par les chefs religieux. On parle de la liberté de qui ? La liberté de la personne de résister à la pression communautariste. Je n'ai rien contre le terme communautariste, même s'il peut être ambigu. Nous ne sommes pas des robinsons vivant sur une île. Nous vivons dans une communauté. J'aime le sens du commun. J'aime le mot « commun ». L'oubli du commun est catastrophique. Nous en voyons le résultat : la déshérence des services publics, la solitude des individus ramenés au rapport de force. Cette notion de communautarisme reste valide à condition de la définir.

Enfin, vous m'interrogez sur la différence entre assimilation et intégration. C'est un grand débat. Je travaille sur le concept d'immigration. À un moment donné, « assimilation » a pu vouloir dire que l'on imposait aux personnes d'être exactement les mêmes ( simile en latin signifie devenir le même ). Or il ne s'agit pas de devenir les mêmes, mais de vivre sa différence, sa singularité dans le respect de la loi commune, qui n'impose pas n'importe quoi, de s'habiller d'une façon déterminée. Elle impose de respecter le droit commun. Une femme en burkini a le droit de se baigner dans la mer, mais elle n'a pas le droit de se baigner dans une piscine parce que tous les règlements de piscine imposent le port d'un maillot de bain moulant pour des questions d'hygiène. Il convient de distinguer la frontière entre la règle légitime qui relève de l'ordre public et la règle illégitime qui relève d'une incitation à se soumettre à des mœurs relatives. Les mœurs sont relatives. Chez nous, le noir signifie le deuil. Dans d'autres pays, c'est le violet, dans d'autres, c'est le blanc. On ne va pas imposer à des personnes sur notre sol de se plier à des mœurs relatives et qui n'ont pas d'incidences sur les libertés. En revanche, tout ce qui a une incidence sur les libertés, sur l'intégrité de la personne doit être soumis à l'ordre commun.

Le modèle multiculturaliste qu'on oppose à l'intégration républicaine pose problème. Je suis allé trois fois au Québec. Là-bas, au nom du multiculturalisme, si une communauté revendique la supériorité de ses lois particulières, de ses us et coutumes sur la loi fédérale générale, cela peut poser problème. En général, on est soumis à des us et coutumes, alors que la loi fédérale peut être émancipatrice par rapport à cette soumission. C'est peut-être pour cela que l'on a abandonné le terme « assimilation » pour lui substituer le terme « intégration ». Tous les termes peuvent avoir des inconvénients. Les immigrés en France depuis trois générations n'ont pas besoin de s'intégrer. Je suis d'origine espagnole. Mes grands-parents se sont intégrés. Il faut être précis sur les termes que l'on utilise.

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