Merci, président, et merci à notre invité M. Henri Peña-Ruiz que je connais, que je lis. L'exposé qu'il nous offre est très riche, mais je voudrais connaître son avis sur ce texte. Nous sommes ici en audition parlementaire. Nous avons un texte à examiner. Je sais que l'exercice est difficile pour un philosophe. Mais vous êtes aussi un acteur engagé dans la Cité et que vous vous exprimez sur des choses. Ce texte est-il bon ou non ? Pensez-vous qu'il faille demander à l'ensemble des associations un « contrat d'engagement républicain » ? Celui-ci me semble au mieux inutile, au pire préoccupant dans la mesure où le législateur ne connaît pas la nature de ce contrat d'engagement républicain. Je crois que c'est même une incompréhension de ce qu'est la laïcité. L'État doit respecter bien sûr la neutralité. Aller trop loin dans le mouvement associatif n'est-il pas une incompréhension de ce qu'est la laïcité ?
Vous vous êtes exprimé sur les biens immobiliers de rapport. Je marche dans vos pas. Je pense que c'est une incompréhension de la loi de 1905. C'est un paradoxe de la part de la majorité qui veut que les associations qui gèrent le culte cessent d'être mixtes comme elles le sont parfois, mais donne un autre rôle aux associations cultuelles de 1905 qui ont pour seules activités la gestion du culte et qui devront gérer des biens de rapport. Je n'y vois toujours pas clair sur le régime fiscal desdits biens de rapport qui pourront être cédés à des fondations, avec, pour le contribuable, une perte d'argent. Je suis farouchement contre, à la fois sur le fond et sur ce que cela entraînerait.
Vous l'avez dit : peut-on se prétendre défenseur de la laïcité quand on ne remet pas en cause le concordat d'Alsace-Moselle, qui coûte 60,5 millions d'euros chaque année et qui entraîne une injustice totale qui devrait choquer n'importe qui : le fait de salarier certains cultes. Le maintien de cette loi semble problématique. Il y a même des articles qui expliquent comment le maintenir.
N'est-il pas temps d'abroger la « loi Carle » ? La « loi Debré » de 1959 coûte 10 milliards d'euros d'argent public. Des exemples récents ont d'ailleurs montré que des propos nettement antirépublicains, homophobes étaient tenus dans ces écoles et que les contrôles étaient trop faibles. Ce texte n'aborde pas tout cela.
Pensez-vous utile que la République demande à des associations cultuelles, lorsqu'elles désignent le ministre du culte, qu'elles modifient leur statut ? N'y a-t-il pas là du point de vue intellectuel une incompréhension de ce que sont le rôle et les relations que la République doit avoir avec ces associations ? Nous n'avons pas à nous mêler de la façon dont elles s'organisent.
Que pensez-vous, du point de vue de la sémantique qui vous est si chère, du mot de « séparatisme » ? N'y a-t-il pas là un concept un peu trop « fourre-tout » ?
Enfin, cher M. Henri Peña-Ruiz, pour marquer quelque désaccord avec vous, vous dites : « Il n'y a pas de haine envers les musulmans en France. » J'entends que ce n'est pas institutionnel, mais la haine anti-musulmans en France existe. Des partis, des journaux prospèrent là-dessus. Cela fait partie hélas du débat public. Il y a de l'antisémitisme en France, il y a de la haine contre les musulmans en France. Cela existe. La question est de savoir à quel niveau elle se situe. Il s'agit de la combattre.
C'est là que les mots ont leur importance. Vous m'avez appris à être attaché aux mots. Ils ont aussi une histoire. Je n'utiliserai pas le mot de « judéophobe » pour dire qu'on a le droit d'être judéophobe parce que ce pays a connu la Shoah. Ce mot serait compris comme extrêmement blessant. Il faut être pédagogique sur le fait qu'on a le droit de critiquer les religions. On doit garder ce droit. C'est sacré. Mais il convient que les mots soient compris par tous. Dans tous les débats, y compris dans le débat législatif, il faudra faire attention à ce que l'on dit. Au-delà du texte lui-même, le texte se situe dans un contexte politique où l'objectif est de faire de ce sujet une conversation permanente. Or vous l'avez dit, la grande question reste la question sociale. C'est d'ailleurs la caisse de résonnance dans laquelle les fanatismes trouvent un écho particulier. Si l'on n'aborde pas la question sociale, totalement absente de ce texte, on fait de la politique politicienne.