Intervention de Bernard Rougier

Réunion du vendredi 15 janvier 2021 à 18h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Bernard Rougier, professeur en sociologie à l'Université Paris 3-Sorbonne-Nouvelle :

Vous avez raison : il n'existe pas de vote musulman en tant que tel, et il faut s'en réjouir. Heureusement, nos compatriotes d'ascendance musulmane ont encore une identification partisane ou des préférences qui peuvent passer par tous les partis de l'arc républicain, pour reprendre vos termes. J'ai toutefois observé aussi bien à gauche qu'à droite que lors des élections municipales, les listes comprennent des candidats placés là car on estime qu'ils recueilleront « les voix de la mosquée ». J'ai rencontré cela dans de nombreuses communes, pas seulement en Seine-Saint-Denis, mais également dans les Yvelines ou ailleurs. En ce sens, il s'agit d'une forme de communautarisme subtil, qui ne s'affiche pas en tant que tel en se présentant comme liste musulmane, mais qui va donner des avantages à un acteur communautaire influencé souvent par l'islamisme dans ses prédications. Ces mouvements distribuent très habilement les rôles et attribueront le rapport aux élus à quelqu'un de très urbain, tandis que la prédication, les cours de religion seront confiés à d'autres personnalités, beaucoup moins urbaines, avec un autre lexique et un autre vocabulaire.

Dans les transactions locales, la ressource supplémentaire tirée du vote fera qu'une partie des habitants comprendra très vite que pour obtenir un logement, un poste municipal, l'attribution d'un marché ou un rôle important dans le marché local, elle a intérêt à se rapprocher du réseau associatif religieux. Si nous pensons la citoyenneté comme un sentiment à la fois d'appartenance et d'engagement, c'est au niveau local qu'une forme de citoyenneté combinant un engagement et une appartenance islamique forts vis-à-vis du réseau religieux, de causes « musulmanes » (Rohingyas, Ouïgours, etc.) peut se construire, le niveau national étant relégué au deuxième ou au troisième plan. Ce phénomène est inquiétant : la consolidation de certains réseaux associatifs, la pression qu'ils sont en mesure d'exercer sur une partie des habitants, ainsi que l'intériorisation par ceux-ci de la puissance électorale du réseau. Si je vote et que je me rapproche du réseau associatif, j'aurais plus facilement accès à un logement, à des avantages ou à des ressources publiques. Nous avons rencontré ce phénomène et de nombreuses personnes nous l'ont évoqué – je n'ose pas citer les communes en question. Nombre de personnes nous ont dit : « J'ai remarqué que le logement était attribué rapidement à tel ou tel, parce qu'il est proche du président de l'association, qui lui-même a des transactions avec l'équipe municipale élue ».

Ce phénomène passe, à gauche et à droite, par des listes électorales qui sont de moins en moins cohérentes idéologiquement et politiquement, qui visent à permettre aux différents candidats de récolter autant de voix que possible, sur fond d'une abstention électorale souvent massive que vous connaissez mieux que moi. Dans ce contexte, les élections se décident à 50, 100 ou 200 voix, et les élus le sont avec 3 000 à 4 000 voix dans des communes de plus de 30 000 habitants. Nous constatons des différentiels très faibles de nombre de voix et la mise en place d'un lobby électoral et communautaire qui se renforce dans les élections municipales, qui exerce une force d'influence et de contrôle sur la population. Or, dans ce contexte, la citoyenneté s'arrête.

Donc, vous avez tout à fait raison : il n'existe pas de « vote musulman » caricatural, mais de l'associatif musulman, parfois islamiste, qui s'introduit à l'échelon électoral lors des élections municipales.

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