Intervention de Bernard Rougier

Réunion du vendredi 15 janvier 2021 à 18h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Bernard Rougier, professeur en sociologie à l'Université Paris 3-Sorbonne-Nouvelle :

Oui, elle m'est malheureusement apparue comme un lieu d'influence pour les islamistes, avec des effets de proximité. Ainsi, lorsque certaines mosquées, certaines associations ou certains lieux sont proches de collèges ou de lycées, ceux-ci deviennent une cible et tel professeur, tel type d'enseignement sont volontairement contrecarrés. Les mosquées contrôlées par tel ou tel groupe font un travail de contre-acculturation et de contre-savoir, affirmant que le savoir républicain est un savoir laïc donc impur, que la vérité relève d'autres conceptions tirées de la religion et qu'il faut lutter contre certains enseignements. Je vois donc l'école comme une cible de ces discours islamistes, tout comme l'université. De par mon expérience personnelle, je me souviens d'une étudiante qui me répondait que la théorie de l'évolution était mon point de vue et qu'elle avait le droit de ne pas y adhérer. Cette étudiante voilée, qui portait le djelbab, adhérait à une autre conception.

Nous voyons bien ici que le rôle de l'école est absolument nécessaire pour briser ce discours. Toutefois, l'islamisme est aussi une épistémologie, et non seulement un programme politique et un contrôle moral. Il comprend une forme de production du savoir. Ainsi, beaucoup de musulmans, y compris non islamistes, adhèrent à l'idée que le Coran est un texte scientifique, avec des découvertes scientifiques. Or, lorsque ces conceptions sont sacralisées, elles sont extrêmement difficiles à récuser. Le savoir d'épistémologie devient un lieu commun, et le remettre en cause revient à remettre en cause le groupe et l'appartenance à l'islam. La situation revient très difficile pour l'école, dont le rôle est évidemment nécessaire.

Nous voyons bien ici que l'école est l'extension de la République. En effet, la démocratie française repose sur un versant libéral et un versant républicain ; ce dernier ne peut pas se contenter d'une laïcité-neutralité, qui consiste à dire « C'est votre conception, j'en ai pour ma part une autre ». La laïcité s'appuie en effet sur une positivité, un ensemble de conquêtes scientifiques qu'il faut expliquer à l'école.

L'école défend une épistémologie scientifique. Elle ne peut se contenter de la neutralité des croyances, elle doit casser non la croyance, mais la prétention de la croyance à s'emparer de la science. Or, un vrai problème se fait jour lorsque l'on parle avec les professeurs. Il leur est en effet extrêmement difficile de déconstruire un discours idéologique qui fait le lien entre la croyance et la science. Dans ces conditions, le rôle de l'école et des professeurs devient littéralement héroïque, car ceux-ci doivent défaire un préjugé scientifique justifié par la religion. Ils doivent en quelque sorte être relayés par des familles, des structures associatives qui feront que ce discours ne sera pas uniquement celui du professeur, mais un discours encouragé par d'autres lieux collectifs et d'autres liens.

Comme Stéphane Peu le sait probablement mieux que moi, le problème est que nous sommes passés d'un progressisme émancipateur, universaliste dans les quartiers communistes, à un progressisme racialiste et différentialiste. Là où l'un intégrait, l'autre désintègre. Or, la transition entre ces deux formes de progressisme a pris place en une vingtaine d'années ; pour des raisons le plus souvent électoralistes, les tenants de la première forme se sont convertis à la deuxième selon le jeu des circonstances.

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