Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du lundi 18 janvier 2021 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, ministre de la justice :

Je suis ravi et fier d'être ici pour vous présenter le projet de loi. Notre présence à quatre aujourd'hui, à cinq demain, signe et témoigne de notre volonté de traiter du sujet du séparatisme dans sa globalité : d'abord, par la transmission des valeurs républicaines à l'école ; ensuite, par la prévention des infractions à visée séparatiste ; enfin, par la sanction pénale. Je voudrais vous exposer très brièvement les dispositions portées au nom du ministère de la justice.

L'article 3, sur lequel nous avons travaillé avec Gérald Darmanin, concerne le fameux fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infraction terroriste, dit FIJAIT. Il nous semble nécessaire qu'y soient inclus les noms, non seulement des personnes ayant été condamnées pour des infractions en lien avec des activités terroristes, mais aussi de celles qui l'ont été pour apologie du terrorisme. Ce fichier est notamment utile lorsque les services de l'État souhaitent recruter une personne, pour qu'ils puissent vérifier que le loup n'entre pas dans la bergerie.

L'article 4 renforce la protection des personnes exerçant des missions de service public contre ceux qui, par des comportements violents ou menaçants, souhaitent porter atteinte aux valeurs de la République. Bien sûr, les menaces existent déjà dans le code pénal. Mais menacer un gardien de piscine municipale pour obtenir de lui des choses qui n'ont rien à voir avec les valeurs de la République, notamment l'égalité entre les femmes et les hommes, c'est une infraction qui doit être spécifique et, partant, spécifiquement condamnée. Il faut savoir de quoi l'on parle et ce que l'on veut.

Concernant la haine en ligne, le ministère de la justice s'est directement inspiré de la malheureuse affaire du professeur Samuel Paty. Nous avons regardé comment il aurait été possible de judiciariser plus vite. Il y avait un trou dans la raquette, comme disent les sportifs – une expression que je déteste mais qui est très explicite. Toute une bulle mortifère s'est mise en place qui a abouti à l'assassinat du professeur. C'est cela que nous voulons judiciariser. Ce texte aura – nous le verrons dans nos débats, dont je ne doute pas un instant de la richesse – une véritable utilité.

Le but de cette nouvelle infraction est de sanctionner celui ou celle qui mettrait en danger une personne en diffusant des informations d'identification tenant à sa vie privée, quand bien même cette diffusion ne serait pas suivie de conséquences – c'est l'élément intentionnel qui nous a mobilisés. Je suis d'ailleurs favorable à l'amendement que Laetitia Avia défendra sur ce point : il importe de préciser qu'il s'agit d'un risque que « l'auteur ne pouvait ignorer ». Le parquet de Paris, entre autres, a indiqué que cela pourrait présenter des difficultés sur le terrain probatoire. Certes, mais la même réalité vaut pour toutes les infractions : c'est au ministère public de rapporter la preuve. C'est très bien ainsi et, de ce point de vue, rien ne doit changer.

L'article 19 traite de ce qu'il convient d'appeler les sites miroirs. Notre collègue Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, le défendra devant vous. La question comporte une dimension nationale, mais aussi internationale, particulièrement européenne.

Enfin, l'article 20 permet d'attraire, en comparution immédiate, devant la juridiction correctionnelle les haineux du quotidien qui se lovent dans la loi de 1881. Celle-ci a pour objet de protéger les journalistes et, d'une façon très large, la presse, certainement pas ceux qui utilisent les réseaux sociaux pour y répandre la haine. Après avoir consulté longuement les journalistes, les patrons de presse, les syndicats et les avocats spécialisés dans ce domaine, nous avons décidé de ne pas toucher à la loi de 1881, qui est totémique et consensuelle, mais de créer des dispositions dans le code de procédure pénale, tout en précisant que les journalistes ne pourraient en aucune façon être jugés sur leur fondement, car les responsables en cascade sont exclus du champ de l'article. Le Conseil d'État a confirmé que la rédaction proposée exonérait les journalistes et les patrons de presse.

Ce texte, mes collègues l'ont dit, est une loi de liberté, un mot qui, par les temps qui courent, tend à voir son sens complètement dévoyé. Ainsi l'obligation de port du masque deviendrait-elle « liberticide », comme d'autres mesures au gré desquelles l'on voit surgir tous azimuts des spécialistes de la question. Moi, j'affirme, et j'aurai l'honneur de vous le démontrer, que c'est une loi de liberté, et une loi importante. D'ailleurs, à chaque fois que l'on rappelle les valeurs de la République, on rappelle les valeurs de la liberté.

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