Je ferai trois observations au nom du groupe Socialistes et apparentés.
Une observation de forme, pour commencer : bien que ce texte touche à nos libertés fondamentales et aux droits garantis par la Constitution, son étude d'impact est très sommaire, ce qui complique considérablement l'analyse objective que nous devons faire de ses dispositions – le Conseil d'État l'a d'ailleurs noté. Et ce n'est pas le court exposé des motifs qui pourra éclairer le législateur. L'impression de précipitation est encore accrue par le choix de la procédure accélérée et du temps législatif programmé pour l'examen en séance publique. Plusieurs années ont été nécessaires à nos prédécesseurs pour construire les œuvres législatives que nous sommes appelés à revisiter. Ce projet de loi exige une grande attention et une grande prudence, afin de trouver les bons équilibres ; nous ne sommes pas convaincus que ce soit le cas, en particulier s'agissant de la liberté d'association et de la liberté de culte.
Une remarque de fond, ensuite : l'effroyable assassinat de Samuel Paty n'est pas, hélas ! le premier crime commis en France au nom du fondamentalisme islamiste. Celui-ci n'est pas la religion musulmane. Il s'inscrit dans un engrenage de barbarie, que nous combattons, notamment par le rappel constant que ces actes d'une violence insoutenable ne devront pas, ne pourront pas avoir raison de nos modes de vie et de nos libertés, qu'au contraire ils confortent. Ainsi, le respect des principes de la République ne se négocie pas ; il ne peut faire l'objet d'un contrat, au surplus limité dans le texte aux associations sollicitant une subvention publique. Respecter les principes de la République – puisque telle est l'ambition du texte –, c'est d'abord faire vivre une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, qui lutte contre les discriminations, organise la mixité sociale à l'école ainsi que dans l'habitat, et assure l'égal accès de tous aux soins et à la culture. Rien n'est dit, à ce sujet, dans le texte.
Troisième remarque, notre groupe soutiendra certaines dispositions du texte, mais nous avons de sérieux doutes, de façon générale, sur son efficacité et son utilité. Fallait-il modifier les lois du 1er juillet 1901, du 9 décembre 1905 et du 2 janvier 1907 ? Fallait-il y ajouter des incriminations pénales ? Peut-être. Dès lors, il s'agit de s'interroger, plutôt que sur le renforcement de l'arsenal pénal, sur l'efficacité de la sanction des infractions visées. Comment faire en sorte que le dépôt d'une plainte assure à la victime d'être rapidement protégée des violences ou des menaces qu'elle dénonce ? Dans son avis, le Conseil d'État préconise la prudence, ayant constaté que les libertés d'expression, d'opinion et de culte sont convoquées, et que les multiples contraintes nouvelles sont de nature à remettre en question l'équilibre législatif en la matière. Tel est notamment le cas de l'article 6, relatif au contrat d'engagement républicain, ainsi que des articles 27 et 33. Nous ne soutiendrons pas des contraintes inutiles, dès lors qu'elles sont sans effet sur l'idéologie mortifère que nous combattons et constituent finalement une intrusion dans une sphère de liberté.
Enfin, le texte est dépourvu de dispositions positives en miroir des dispositions de contrôle, lesquelles finissent par faire naître le soupçon et l'inquiétude. Trop d'amendements visant à corriger le texte en ce sens ont été rejetés, sur la base de l'article 45 de la Constitution. Nous pensons notamment à la formation à la citoyenneté, à la déradicalisation dans les prisons, à la mixité sociale dans l'habitat et à l'école. Notre demande d'un rapport à ce sujet a également été rejetée. Ce dont la République a le plus besoin, c'est d'une politique généreuse et constante pour faire vivre ses valeurs. C'est à l'aune de ces exigences que nous débattrons du texte.