Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du lundi 18 janvier 2021 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Jean-Michel Blanquer, ministre :

Sur certains points, nos interventions liminaires permettent de répondre aux questions soulevées.

Pour le reste, je commencerai par une remarque générale que m'inspire l'affirmation du président Lagarde, selon laquelle la laïcité n'existerait qu'en France. Je veux contrer factuellement et philosophiquement cette affirmation. S'agissant des faits, d'autres pays que le nôtre, fort heureusement, consacrent la laïcité, dont, jusqu'à une date récente, la Turquie, mais aussi l'Uruguay, notamment. Si je le rappelle, ce n'est pas seulement pour le plaisir d'un débat historique et géopolitique, mais pour souligner que nous devons avoir une vision offensive et fière de la laïcité. La laïcité n'est pas un concept à la française, désuet, en déshérence, comme beaucoup de forces à l'échelle internationale – et, parfois, nationale – tentent de nous le faire croire. Bien au contraire, c'est une clé pour le XXIe siècle, et ce pour beaucoup de sociétés, sinon pour toutes, que ce soit sous ce nom ou sous un autre, car peu importe ici la sémantique : ce qui compte, c'est le sens qu'on lui attribue, c'est-à-dire l'égalité des êtres humains sur cette planète et dans chaque société. C'est un aspect majeur de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ce n'est pas, je le répète, un petit sujet à la française, mais l'objet de grands combats philosophiques et politiques. Ne le perdons pas de vue lorsque nous débattons.

Sur ce point, l'approche du Gouvernement, que l'on perçoit dans le discours du Président aux Mureaux, est ainsi l'héritière de la philosophie des Lumières, ce dont nous sommes fiers. L'enjeu existe non seulement en France, mais aussi à l'échelle européenne, comme on l'a vu lors de l'assassinat du professeur Samuel Paty. J'ai, pour ma part, travaillé à ce que plusieurs pays d'Europe nous manifestent très clairement leur solidarité, notamment par des minutes de silence, et mes débats avec mes homologues européens confirment que le principe de laïcité, loin d'être une particularité française un peu bizarre, les intéresse tous parce que tous sont confrontés au communautarisme. Nous sommes adeptes non pas du système à l'américaine, mais du système républicain dont nous avons la chance d'être les héritiers.

Ce point est essentiel, car il se retrouve dans tout ce que nous avons à dire à ce sujet, qu'il s'agisse de l'école ou d'autres domaines.

Anne Brugnera a détaillé les évolutions qui lui semblent souhaitables à la lumière de la réflexion collective que le texte a suscitée. Sans entrer moi-même dans les détails, je répète que nous sommes ouverts à la plupart de ces propositions, parce que notre approche est équilibrée, contrairement à ce qu'ont estimé M. de Courson et M. Corbière et que le texte est le fruit d'un véritable dialogue. Il ne faudrait pas modifier le sens du discours des Mureaux ou l'élan initial que celui-ci traduisait à petites touches et qu'on finisse par perdre cet élan et par déséquilibrer vraiment l'ensemble.

Voici ce que cela signifie concernant les sujets relevant de ma compétence. Être équilibré, c'est équilibrer la dimension sociale et la dimension régalienne. Mais nous ne prétendons pas que le présent projet de loi soit l'alpha et l'oméga de ce qu'il y a à dire sur l'ensemble des sujets sociaux et sociétaux. Bien sûr, nous devons marcher sur deux jambes, tout le monde en est d'accord, mais le volet social ne figure pas nécessairement dans ce projet de loi et ne relève pas nécessairement du domaine législatif. Ainsi, le dédoublement des classes de CP et de CE1 en zone d'éducation prioritaire est une mesure sociale, qui conforte la République, dans l'esprit de ce que plusieurs d'entre vous, dont Mme Marie-George Buffet à l'instant, viennent de réclamer ; mais elle n'a pas attendu ce projet de loi pour exister. Au total, ce serait un peu facile de s'opposer au texte au motif qu'il ne résout pas tous nos problèmes sociaux. Nous devons travailler sur ces sujets, nous l'avons fait et nous continuerons à le faire, au niveau législatif ou infra-législatif. Il se trouve que la jambe que nous vous présentons, si je puis dire, est plutôt régalienne ; nous l'assumons.

On nous dit aussi que nous manquerions la cible. Je ne le crois pas, mais c'est à vous de nous aider à ne pas le faire : à trop critiquer le texte, à trop vouloir l'édulcorer, c'est en effet le risque auquel on l'expose. Manquer la cible, cela signifie qu'il y aurait des balles perdues : les libertés de personnes non visées par la loi seraient atteintes. Ce n'est évidemment pas le but et je ne crois pas que ce soit le cas. Nos exigences en matière scolaire sont parfaitement proportionnées et permettent de mettre en œuvre les principes républicains. Il est normal de considérer que l'éducation n'est pas une question ordinaire et qu'elle n'autorise pas l'anarchie dans l'exercice de la liberté.

À cet égard, j'aimerais remercier Marie-George Buffet de ses propos, fidèles à ses principes et à son positionnement politique. L'enjeu de l'école républicaine a trait, depuis ses débuts, aux droits de l'enfant : faire ce que l'on veut en considérant que l'on est propriétaire des enfants, c'est violer les principes républicains. Cela vaut de l'islamisme radical, mais cela peut aussi valoir des sectes, citées à juste titre par M. Corbière. En la matière, le régime d'autorisation sera un progrès certain.

M. le président Lagarde nous reprochait de ne parler que de l'instruction en famille là où il faudrait se soucier davantage de l'enseignement hors contrat. En réalité, quatre problèmes se posent, tous abordés dans le travail législatif accompli au cours du quinquennat.

Premièrement, notre capacité à identifier les enfants sur un territoire donné. C'est un domaine dans lequel nous souhaitons progresser ; il n'est pas normal que des enfants passent sous les radars. On retrouve ici l'enjeu social : si l'on veut repérer les enfants, c'est pour leur appliquer à la fois des politiques sociales et des politiques éducatives. C'est donc dans l'intérêt des enfants que cela doit être fait.

Deuxièmement, le hors contrat. Comme vous l'avez souligné vous-même, monsieur Lagarde, nous n'avons pas été inactifs en la matière. Deux questions se posent : la régulation des ouvertures et les fermetures. Sur le premier point, la loi Gatel a eu d'excellents résultats, dont je suis l'agent quant à l'exécution. Nous sommes désormais beaucoup plus efficaces lorsqu'il s'agit d'empêcher l'ouverture d'écoles hors contrat dont le projet ne correspondrait pas aux valeurs de la République. Nous avons ainsi pu le faire lors des deux dernières rentrées scolaires. C'est un progrès.

Sur le second point, j'ai été le premier à considérer que la loi Gatel était insuffisante. Voilà pourquoi le présent texte inclut une très importante disposition relative à la fermeture des écoles hors contrat. Elle est sans doute occultée dans les débats, qui se focalisent sur l'instruction en famille ; ce n'est pas une raison pour la méconnaître. Désormais, nous pourrons distinguer le hors contrat « normal », qui a tout à fait droit de cité en France, pays de liberté, du hors contrat problématique, qui ne doit pas exister. On pouvait dire avant 2017 qu'il était plus facile d'ouvrir une école qu'un bar en France ; en 2022, ce ne sera plus vrai – cela l'est déjà beaucoup moins qu'auparavant depuis la loi Gatel.

Enfin, l'instruction en famille. Il est exact que nous raterions la cible en ne parlant que d'elle, mais ce que le projet de loi en dit ne fait que compléter les autres aspects que je viens d'énumérer.

Je le répète, tout n'est pas dans cette loi, soit que des dispositions aient déjà été prises avant elle, soit que certains éléments relèvent du niveau infra-législatif.

Ce que je peux dire du volet éducation, jeunesse et sports du projet de loi vaut également des autres domaines, comme le confirmeront certainement mes collègues : il s'agit d'un texte équilibré, complémentaire d'autres dispositions, recherchant l'efficacité face aux diagnostics que la plupart d'entre vous ont dressés et à propos desquels nous sommes d'accord.

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