Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du lundi 18 janvier 2021 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Je répondrai très brièvement aux différentes interventions, car les amendements nous donneront l'occasion d'échanger sur chacun des sujets.

Je constate qu'à une ou deux exceptions près, tous les groupes représentés à l'Assemblée nationale estiment que ce texte pose des questions légitimes dans un contexte qui appelle une réponse politique forte de l'État. À la possible exception du groupe La France insoumise, bien que son représentant ne l'ait pas formalisé, aucun groupe n'a déclaré d'emblée qu'il voterait contre ce projet de loi. Il est intéressant de constater, alors que l'on annonçait une grande fracture, que ce texte ne suscite pas d'opposition de principe au début de la discussion – certains groupes ont annoncé qu'ils jugeraient en fonction du déroulement des débats. C'est assez rare pour être souligné, surtout s'agissant d'un texte aussi médiatique. J'en remercie chacune et chacun d'entre vous ; cela souligne le travail qui a été réalisé par le Gouvernement et par votre commission spéciale. Le Gouvernement aborde une question compliquée avec des idées simples, et il acceptera volontiers des amendements, d'où qu'ils viennent, avec l'intérêt général à l'esprit.

Certains ont reproché à ce texte de ne pas aborder l'immigration, le logement social, la mixité, la politique de la ville ou les conventions internationales de la France. Je concède bien volontiers qu'il ne s'agit pas d'une déclaration de politique générale : ce texte se rapporte à son intitulé et aux annonces du Président de la République. Le discours des Mureaux constitue un ensemble cohérent : le présent projet de loi en reprend une partie, certes importante, mais elle sera complétée. Il existe à coup sûr un lien entre les séparatismes et le fait d'avoir entassé – il n'y a pas d'autre mot – des populations. En tant que maire d'une commune qui connaît ces difficultés, j'ai constaté que la politique de peuplement, l'absence de mixité sociale, les difficultés économiques et l'urbanisme contribuent aux séparatismes. On peut aussi y voir un lien avec les difficultés internationales et les questions qui relèvent de l'immigration. Cependant, nous ne posons pas dans des termes d'égalité immigration et non-mixité sociale, et séparatisme. Les choses sont plus complexes, et ce texte ne résume pas la politique du Gouvernement. Selon un beau proverbe africain, il faut tout un village pour élever un enfant ; il faut sans doute toute une politique publique pour mettre fin à ces problèmes si importants et si longtemps éloignés du regard du grand public et du législateur.

Tandis que certains critiques estiment que ce texte est très urgent, d'autres demandent pourquoi nous l'étudions avec une telle précipitation. La vérité est sans doute au milieu : ni urgence absolue ni lenteur excessive. Nous nous hâtons lentement mais sûrement, sachant que nous touchons d'une main tremblante des libertés fondamentales particulièrement surveillées par nos concitoyens. Le bonheur de la démocratie est de combattre ceux qui l'attaquent avec ses propres armes, ce qui est plus difficile.

Quelques-uns ont déclaré que ce texte portait atteinte à des libertés fondamentales. J'ai exercé un mandat de député, je suis ministre depuis bientôt trois ans et demi : jamais je n'ai vu un avis du Conseil d'État souligner à ce point le travail réalisé par le Gouvernement, qui a corrigé sa copie sur presque tous les points soulevés. C'est à remarquer, le Gouvernement n'a pas été sourd aux remarques du Conseil d'État. Et je m'inscris en faux contre la remarque de la députée du groupe socialiste : l'étude d'impact, longue de 403 pages, est très complète. Je remercie tous ceux qui y ont longuement travaillé.

Je suivrai une grande partie des propositions des rapporteurs Laurence Vichnievsky et Sacha Houlié. Le Gouvernement est prêt à modifier un certain nombre de dispositions, en bonne intelligence avec la Haute Assemblée, avec laquelle nous avons eu des relations en amont de la présentation du texte. Je remercie son président pour son attitude extrêmement constructive, même s'il reste l'homme de conviction que nous connaissons.

Monsieur Diard, je ne partage pas votre avis selon lequel les hôpitaux et les prisons sont exclus de ce texte. Les services publics concernent tout le monde ; ce texte ne s'adresse pas à une religion, mais à tous les cultes, et il porte sur tous les services publics. Le délit de séparatisme s'appliquera à tous les agents publics. Quand un homme refusera de se faire soigner par une femme, il sera évidemment coupable du délit que nous créons. La neutralité s'applique dans tous les champs du service public, pas simplement en ce qui concerne les collectivités locales.

Vous avez beaucoup travaillé avec le député Poulliat sur le sujet extrêmement important de la radicalisation. Ce texte ne prévoit pas de mesures se rapportant au renseignement contre le terrorisme et la radicalisation. Nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir en séance publique avec le rapporteur général.

Mme Untermaier a distingué les points sur lesquels elle était d'accord de ceux qui soulèvent des questions au sein de son groupe. Nous tâcherons de la rassurer, mes collègues du Gouvernement et moi. Comme M. Lagarde et M. de Courson, elle estime que la cible est manquée. Nous pensons, au contraire, que les mesures prévues sont très efficaces. Si nos débats démontraient que ce n'est pas le cas, le Gouvernement les retirera.

Monsieur Corbière, c'est bien la première fois que vous appelez à entendre le MEDEF ! J'assume parfois de ne pas écouter le patronat : nous avons choisi de ne pas insérer de dispositions modifiant le code du travail. La jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d'État établit déjà que le règlement intérieur d'une entreprise peut imposer les principes de laïcité et de neutralité. Les représentants des entreprises et les syndicats nous ont fait savoir qu'ils n'avaient pas besoin de dispositions particulières ; nous les avons écoutés sur ce point. Nous ne considérons pas que le MEDEF a nécessairement son mot à dire sur l'organisation du service public et le statut de ses agents. Peut-être est-ce un point de différence entre nous.

Nous ne partageons pas votre volonté d'interdire le Concordat en Alsace-Moselle – vous auriez pu ajouter quelques territoires ultramarins. Nous respectons l'histoire de la République, ce qui ne veut pas dire que nous n'appliquons pas, dans les régimes concordataires, des dispositions qui relèvent de la police du culte. Mais nous les insérons dans le droit local, en parfait respect de l'histoire de France. Il suffit de se promener en Alsace-Moselle pour constater que le principe de laïcité, même s'il n'y est pas régi par les mêmes règles, est évidemment vécu de la même façon.

De manière intéressante, vous expliquez que nous nous en prenons trop aux cultes et vous proposez immédiatement après de supprimer l'exonération fiscale dont ils bénéficient. Certes, cette mesure rapporterait beaucoup d'argent aux pouvoirs publics, mais elle nous semble disproportionnée et serait sans doute contraire aux principes mêmes de la République – un avis du Conseil d'État est explicite à ce sujet. Mais cette position est conforme à celle que vous avez toujours adoptée. Je vous trouve moins cohérent quand vous demandez plus de moyens pour les services de renseignement : lorsque nous avons débattu du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, je n'ai pas eu l'impression que votre groupe était prêt à améliorer leurs ressources. Et dans les trois budgets que j'ai présentés, il n'a pas voté les crédits sur ce chapitre.

Je me permets de vous corriger lorsque vous citez la cheffe d'un service de renseignement – il y en a plusieurs – en disant que 96 % des lieux de culte musulman ne posent aucun problème. Ce chiffre est absolument faux. Dans les lieux de culte, et singulièrement ceux qui relèvent du culte musulman, l'intensité de la menace liée au terrorisme a beaucoup baissé, ainsi que le travail de l'islamisme. Mais baisser d'intensité ne signifie pas disparaître. L'islamisme politique s'insère dans la société par les associations, dans le secteur sportif, dans les écoles, par internet. Il existe aussi, malheureusement, dans les lieux de culte. Je ne sais pas si vous partagerez l'avis des dirigeants du culte musulman qui ont signé la charte des principes de l'islam de France ce matin. Ils condamnent très clairement le salafisme, les Frères musulmans et le tabligh. De nombreux lieux de culte se propagent – déclarés ou non – et sans relever directement du terrorisme, ils en constituent le terreau.

J'appelle votre attention sur l'article 44 du projet de loi, validé par le Conseil d'État, qui permettra d'ordonner, sous l'autorité du juge, la fermeture de lieux de culte sans se fonder sur les règles applicables aux établissements recevant du public ou en lien avec la lutte contre le terrorisme. En l'état du droit, en dehors de ces situations, le ministre de l'intérieur ne peut pas décider de la fermeture de lieux de culte qui constituent pourtant des lieux de radicalisation avérés. Cette disposition est évidemment nécessaire.

Tous les intervenants se disent attachés à l'équilibre trouvé en 1905. J'ai relu les débats parlementaires de l'époque : l'unanimité n'était pas de mise, y compris au sein de la société civile. La loi de 1905 fait suite au compromis trouvé en 1901 ; à peine votée – et difficilement, car très contestée –, elle a été modifiée dès 1906, et le Parlement s'est réuni pour voter ce qui deviendra la loi de 1907, qui fournit la base légale aux associations diocésaines. Il aura fallu attendre qu'Aristide Briand devienne ministre des cultes et Clemenceau ministre de l'intérieur pour qu'ils décident conjointement de ne pas appliquer des dispositions qu'ils avaient pourtant poussées, l'un au Sénat, l'autre à l'Assemblée. Il faut l'avoir à l'esprit lorsque l'on évoque l'unanimité à propos de la loi de 1905, qui a été modifiée vingt et une fois, dont deux fois sous cette législature. Nous pouvons en préserver l'esprit, les principes, les premiers articles, auxquels nous sommes extrêmement attachés et que nul ne souhaite modifier. Notre travail est de chercher la plus large majorité possible sans perdre la force de l'autorité et de l'intérêt général.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.