Je crois que nous sommes d'accord sur le fait que nous ne souhaitons pas que l'article 6 mette fin aux subventions à des associations confessionnelles. Je n'ai entendu personne dire qu'il fallait arrêter de subventionner les scouts en raison de leur engagement religieux. Nous sommes donc à peu près d'accord sur la finalité.
Si la laïcité ne figure pas dans la devise de la République, c'est parce qu'elle n'est pas tout à fait sur le même plan que la liberté, l'égalité et la fraternité. Nous devons nous mettre d'accord sur sa définition, ce qui n'est pas facile. Nous avons élaboré le présent texte en nous fondant sur la définition de la loi de séparation des Églises et de l'État. Cette loi, qui entérine la séparation de l'État d'avec l'Église catholique, ne vise pas le catholicisme dans son titre. Tout comme en 1905, nous faisons une loi générale : le texte que nous vous soumettons ne cible pas l'islam.
La laïcité, telle qu'elle a été définie par le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel et le législateur, repose sur trois éléments : la pluralité religieuse, la liberté de culte et la neutralité de l'État et de ses agents. Dans l'article 1er de la Constitution, c'est la République qui est laïque. Le terme « laïque » s'applique à l'organisation des pouvoirs publics, et non à des personnes, même s'il peut y avoir des « laïcs », c'est-à-dire des personnes qui ne sont pas ministres du culte, au sein de l'Église.
La difficulté vient de ce que nous avons chacun notre propre définition de la laïcité. Du reste, les ministres de l'intérieur ont longtemps parlé de « laïcité positive », « laïcité ouverte » ou « laïcité fermée ». C'est une notion difficile à définir. Le Gouvernement a choisi de suivre la position du Conseil d'État, lequel écrit dans son avis : « S'agissant des expressions retenues, le Conseil d'État relève que celle de “ principes de la République ” est juridiquement définie puisqu'elle fait référence à des principes de droit interne, relevant du droit positif, quels que soient les termes dans lesquels ils sont reconnus ou consacrés par les textes ou la jurisprudence. Mais il observe que ces principes, nombreux, ne sont pas tous susceptibles d'être retenus dans le cadre de l'engagement républicain. Ainsi en va-t-il par exemple du principe de laïcité qui ne s'impose qu'aux agents publics. » Les différentes définitions de la laïcité sont toutes respectables, mais nous nous en tenons à celle du droit français.
Par ailleurs, madame Le Pen, je ne pense pas que vous souhaitiez interdire aux scouts de recevoir des subventions. Si l'on impose la laïcité aux associations, comment peut-on justifier de verser des subventions à une association qui écrirait dans ses statuts que tous ses membres doivent être de confession catholique, rejetant ainsi le principe de pluralité religieuse ?
Le projet de loi n'est pas entièrement consacré à la laïcité ; son titre ne porte pas sur le renforcement de laïcité, et tous ses articles ne portent pas sur ce thème. De plus, on oublie un peu vite à quoi sert l'article 6 : les associations peuvent déjà être condamnées si elles mettent en place des règles contraires à la loi. Le journal Le Parisien a ainsi révélé le scandale d'une association de jiu-jitsu de Savigny-le-Temple ayant touché 2 000 euros de subventions de la collectivité, alors que les hommes devaient se doucher habillés, qu'il y avait des prières obligatoires et que des propos antisémites étaient tenus sur le groupe WhatsApp du club. Lorsque le préfet a eu connaissance de cette activité associative – cela ne figurait pas dans les statuts de l'association, bien évidemment –, il a pu faire cesser le versement de la subvention. Le préfet s'est fondé sur un faisceau d'indices, le seul fait que des hommes récitent des prières n'étant peut-être pas suffisant pour motiver cette décision. L'intérêt de l'article 6, c'est qu'il permet de récupérer les sommes. Il n'existe pas actuellement de dispositions permettant au ministre de l'intérieur de s'opposer, par l'intermédiaire des préfets, au versement de subventions à des associations subversives et de récupérer les sommes. L'article 6 est donc aussi une modalité d'action.
Enfin, et c'est un point extrêmement important, il n'est pas possible de contrôler la totalité des subventions versées par les autorités administratives à des associations. Toutefois, il n'est pas nécessaire de contrôler 100 % des gens pour imposer une règle – un service d'urbanisme ne vérifie pas toutes les déclarations de travaux reçues pour la création d'une nouvelle porte ou d'une nouvelle fenêtre. Mais lorsqu'un habitant pose un certain nombre de problèmes, lorsque vous considérez que vous devez intervenir pour mettre fin à une difficulté, vous utilisez le droit pour remettre en ordre un certain nombre de choses, par exemple en vérifiant si cette personne a bien fait sa déclaration de travaux. Tous les contrevenants ne se font pas systématiquement attraper par la patrouille, mais le jour où vous vous intéressez à telle ou telle association, il est toujours intéressant de disposer des armes du droit pour faire cesser les subventions ou pour en réclamer le remboursement.
L'article 6 ne fait donc pas que définir nos valeurs, il propose aussi un modèle pratique de récupération de l'argent public. Il ne retient pas la laïcité au nombre de ces principes, car elle n'a pas à être mise à toutes les sauces. Même les dispositions relatives au culte, que nous examinerons un peu plus tard, ne font pas état de la laïcité. Enfin, si nous adoptions de tels amendements, cela obligerait les associations à modifier leurs statuts, même si elles existent depuis longtemps, faute de quoi elles seraient privées de subventions.