Plusieurs points de cette proposition d'article additionnel fort long posent problème.
Le secrétaire d'État a mentionné le Digital Services Act et j'ai bien entendu la notion d'accélérateur de contenu. Néanmoins, il me semble y avoir une dichotomie profonde entre l'objectif de lutter contre toute forme de haine sur internet et le dispositif visant les propos haineux proférés sur des sites dont l'activité sur le territoire français dépasse un nombre de connexions déterminé. Quid des autres sites internet, dont l'activité est moindre ? Les propos haineux sont-ils plus graves proférés sur Facebook que sur une petite plateforme moins fréquentée ? Le nombre de visiteurs rend-il le propos plus haineux qu'un autre ? C'est, en tout cas, ce que laissent entendre les amendements identiques.
Il serait absurde que la gravité du propos haineux dépende non seulement de son contenu mais également du site où il a été exprimé. C'est le propos en lui-même qui doit être condamné. Les circonstances de sa publication n'ont rien à voir avec sa gravité. Ces amendements sont donc empreints d'un subjectivisme qui n'est pas opportun, et crée une rupture d'égalité.
Par le biais de ces amendements, vous remettez sur la scène une grande partie des articles de la loi Avia, revenant par la petite porte au péché originel. En fait, vous demandez au loup comment garder la bergerie. À nouveau, vous accordez un pouvoir exorbitant aux plateformes et aux GAFA, ainsi qu'au CSA, qui pourront décider ce que l'on peut dire ou non sur l'internet. Il n'y aura pas de difficulté lorsqu'il s'agira de propos qui font l'apologie du terrorisme ou qui incitent à la violence, mais les mêmes problèmes se poseront pour la fameuse zone grise dont nous avions tant parlé. M. le ministre de l'intérieur l'a dit, les islamistes dont on cherche à réprimer les propos sont souvent très intelligents et trouvent rapidement les failles, parce qu'il en existe.
Par ailleurs, confier la tâche de régulation au CSA, dont on connaît la prétendue impartialité, à près d'un an de l'élection présidentielle, a de quoi interroger.
Le même CSA sera doté de pouvoirs exorbitants, alors qu'aucune étude d'impact n'a été menée pour savoir si une telle fonction ne dépasserait pas les limites de sa compétence. Il n'est pas souhaitable de donner toujours plus de pouvoir à une instance, dont le président est directement nommé par le Président de la République. Cela est d'autant plus regrettable que la raison d'être du CSA a objectivement disparu. Il avait été créé dans un monde hertzien, où les ondes constituaient un domaine public rare et où il fallait réguler les détenteurs de fréquences. Aujourd'hui, si l'État peut organiser la surveillance du service public, il n'a pas à régir le service privé.
S'agissant des condamnations prononcées à l'encontre des plateformes, elles doivent être proportionnées : 1 % du chiffre d'affaires annuel mondial de l'exercice précédent pourrait représenter pour certaines des millions d'euros. Cela paraît disproportionné pour un refus de communiquer une information.
Enfin, vous prévoyez d'arrêter l'application de l'article 31 décembre 2023 sous prétexte que le Digital Services Act aura été voté. On voudrait donc aller plus vite que le Parlement européen, et faire entrer en vigueur une loi sans savoir à quoi ressemblera la législation que l'Union européenne votera. Les plateformes en ligne adopteront donc un système pour deux ans, avant de devoir à nouveau s'adapter à un autre dispositif. Le caractère précipité de cet article pose, lui aussi, question, au regard des échéances électorales majeures qui doivent se dérouler à cette période.