Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du samedi 23 janvier 2021 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Gérald Darmanin, ministre :

La question des immeubles de rapport est extrêmement importante. De même que l'article 26 tend à créer des associations loi 1905 modernes, pour pousser celles relevant de la loi de 1901 à aller vers ce cadre, et ainsi respecter la philosophie de la loi de 1905, que nous allons renforcer par ailleurs, il est important de donner aux associations cultuelles des ressources, sans leur permettre, évidemment, de se constituer des empires immobiliers – je partage la réserve formulée par le rapporteur général et j'émettrai un avis favorable à l'amendement tendant à « caper » ou à borner le dispositif.

Que voulons-nous faire à l'heure actuelle ? Nous ne sommes plus en 1905 – je reviendrai plus tard sur les aspects historiques. Nous souhaitons que les cultes puissent continuer à vivre, et je pense que presque tout le monde sera d'accord sur ce point, sans financement public, car c'est l'équilibre de la loi de 1905, et sans ou avec de moins en moins de financements étrangers, afin qu'il n'y ait pas de dépendance – au sens où qui paie décide –, c'est-à-dire que l'on n'aille pas quémander auprès du Qatar, de l'Algérie, de la Turquie ou d'autres pays.

Si nous ne voulons pas qu'il y ait des financements publics – personne ne le souhaite ici – ou des financements étrangers – ou alors qu'ils soient réduits –, il faut accepter l'idée des ressources propres. Il y a le non-paiement de certaines choses – de la taxe foncière, par exemple –, les associations cultuelles peuvent aussi délivrer des reçus fiscaux – à cet égard, le texte ne prévoit ni d'augmenter le taux ni de créer des crédits d'impôts : M. Ravier a parlé des personnes qui ne sont pas imposables –, et à cela s'ajoute la question des immeubles de rapport.

Indépendamment de ce texte, le Président de la République a pris des décisions fondamentales pour l'islam de France, en vue d'assurer une non-ingérence de la part d'États étrangers et de mettre un terme à ce qu'on peut appeler l'islam consulaire, notamment par la fin des imams détachés, ce qui est une mesure très courageuse. De quoi s'agit-il ? Des centaines de ministres du culte sont payés par des États étrangers, comme le Maroc, l'Algérie et la Turquie, en toute légalité et dans un total respect de la volonté du législateur, car le Parlement s'est prononcé sur les conventions qui ont été conclues. Des fonctionnaires d'États étrangers, payés par eux et relevant de ministères des affaires religieuses – cela n'existe pas chez nous : vous n'avez qu'un ministre de l'intérieur (Sourires) – sont envoyés en France pour y être ministres du culte. Ce ne sont pas nécessairement des gens qui posent des problèmes d'ordre public – souvent, ce n'est pas le cas –, mais nous considérons qu'il est compliqué d'accepter l'idée que des fonctionnaires d'États étrangers, payés par eux, soient ministres du culte en France. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas d'interdire à des ministres du culte étrangers d'exercer en France. Seulement, ils ne doivent pas être rémunérés, en tant que fonctionnaires, par des États étrangers.

Si nous mettons un terme aux imams détachés – il n'y en aura plus un seul sur le sol de la République en 2024 – et si nous nous opposons, par ailleurs, aux financements étrangers, qui sont à l'heure actuelle la règle, vous le savez bien, pour une partie des cultes, notamment le culte musulman, alors qu'une partie des cultes « anciens » en France ont des aides, en raison de l'histoire, notamment du fait que les églises sont des bâtiments patrimoniaux et que ce n'est pas l'Église catholique, la plupart du temps, qui finance les travaux mais la puissance publique, par l'intermédiaire des collectivités locales, ce qui n'est pas le cas des mosquées, il faut le dire, cela conduira à une paupérisation, contraire à l'idée que la République reconnaît toutes les croyances, et à une islamisation, s'agissant du culte musulman. En effet, les moyens qui sont donnés permettent de former les ministres du culte, en l'occurrence les imams, même si le terme n'est pas tout à fait exact, et d'avoir des gens correspondant non pas à l' « islam des caves » mais à un « islam du juste milieu », comme le disent certains islamologues.

Je précise également qu'il est question d'immeubles cédés à titre gratuit, et non à titre onéreux – une demande des cultes, lors de certaines auditions, portait sur ce dernier point. Si quelqu'un a envie de céder un bien à sa mort, il faut que ce soit possible. La lecture que vous faites, monsieur Cormier-Bouligeon, est vraiment jusqu'au-boutiste – vous n'auriez pas été du côté de Briand en 1905. Ce que je dis est à peine une provocation… Vous voulez supprimer des dispositions qui figurent déjà dans la loi de 1905 et qui ne datent pas de celle de 2014. Nous proposons de les garder, en ajoutant certaines conditions – je pense au bornage que présentera le rapporteur général tout à l'heure et dont l'effet sera de limiter très fortement les possibilités. Il y aura, par ailleurs, un renforcement contrôlé des associations loi 1905 dans le cadre des dispositions que vous avez adoptées précédemment.

En application de la loi de 1901, on a le droit de posséder des immeubles de rapport. Il existe donc une iniquité. L'association cultuelle est avant tout une association. Si une association relève de la loi de 1901 et qu'elle est d'intérêt général, elle a le droit d'avoir des immeubles. Si elle est mixte, elle n'en a pas le droit. Il s'agit donc, aussi, de remédier à une iniquité qui n'a pas été vue en 2014, me semble-t-il, par le législateur et par le Gouvernement. Vous vous en souvenez sans doute : nous avions essayé de corriger les choses dans le texte dit du droit à l'erreur, mais une partie d'entre vous avaient dit que ce n'était pas le sujet et qu'on en traiterait quand on parlerait des cultes. Nous y voilà.

L'idée n'est pas de conclure un deal – on ne passe pas un contrat avec les religions – mais de respecter les croyances et de permettre à chaque culte d'avoir son autonomie. On ne peut dire, d'un côté, au culte musulman – notamment – qu'il doit être indépendant des États étrangers et ne pas lui donner, de l'autre côté, aucun moyen de l'être. Ce n'est pas possible.

La disposition que vous examinez est évidemment importante, et je ne sous-estime pas le débat la concernant. Elle doit évidemment être limitée – le rapporteur général a raison – et il faut qu'elle puisse être expliquée à nos concitoyens. Mais elle permettra, je le dis avec toute ma foi républicaine, de respecter les croyances, de les prendre au sérieux et de les contrôler – vous avez vu que nous prévoyons certains alourdissements en la matière.

Voilà ce qui fera de ce texte une loi équilibrée, permettant le développement des nouvelles religions, si je puis dire, sur le sol national tout en les contrôlant et en les prenant au sérieux, je le redis. Il s'agit d'accepter l'idée que pour lutter contre les influences étrangères, au sujet desquelles vous savez que l'argent est important, il faut donner des moyens de développement.

Tout cela est fidèle à la loi de 1905. Si la République ne salarie aucun culte, je rappelle qu'elle a nationalisé les biens de l'Église : elle lui a donné une charge supplémentaire, consistant à payer les ministres du culte, mais elle lui a retiré celle des travaux dans les édifices. Cette disposition, qui sera complétée par les conditions strictes que le rapporteur général veut introduire et auxquelles le Gouvernement donnera un avis favorable, est conforme à l'esprit de la loi de 1905.

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