En préambule, je dénonce avec vigueur les conditions d'examen de ce projet de loi. Deux textes législatifs d'importance sont examinés en même temps à l'Assemblée, tous deux faisant l'objet d'une commission spéciale : le présent projet de loi, en commission, et le projet de loi relatif à la bioéthique, en séance.
Comment ne pas voir dans ce choix de calendrier une manœuvre transparente, à quinze jours d'une élection territoriale ? Monsieur le président de la commission spéciale, vous êtes tête de liste aux élections régionales. La concomitance est troublante, et ce d'autant que le texte sera examiné en séance non pas la semaine qui suit cette commission, comme c'est ordinairement l'usage, mais à la fin du mois. Il n'y avait donc aucune urgence législative, mais l'Assemblée nationale, bonne fille, s'incline, au mépris de son indépendance. Bon nombre des membres de la commission spéciale seront retenus en séance et ne pourront participer au vote des amendements et des articles. Sans doute traduirez-vous cela par l'apaisement d'un débat auquel, en réalité, peu d'entre nous auront pu participer.
Lors de la CMP, M. le rapporteur général a déclaré que des rapprochements avec le texte du Sénat étaient possibles, à l'exception de deux lignes rouges : la question du voile des accompagnatrices scolaires et celle de l'instruction en famille. Ces questions sont d'ailleurs des lignes rouges pour nous aussi. Quoi qu'il en soit, nous étions donc dans l'attente d'évolutions significatives pour le reste. Hélas, dès les premiers amendements des rapporteurs, le ton a été donné et les suppressions se sont enchaînées. La neutralité religieuse pour les personnes participant au service public de l'éducation ? Supprimée. La neutralité religieuse des accompagnatrices scolaires ? Supprimée. La neutralité religieuse dans les piscines ? Supprimée. L'interdiction de signes religieux ostensibles pour les mineurs ? Supprimée. L'interdiction des emblèmes religieux sur les affiches électorales ? Supprimée. Convenez qu'en matière de rapprochement des points de vue, il y a mieux.
Pourtant, l'actualité récente nous a offert bien des exemples montrant la nécessité d'une loi courageuse. D'ailleurs, cette actualité vous a contraint, monsieur le ministre de l'intérieur, à modifier votre texte au Sénat pour contrer des dispositions concernant, ici la construction d'une mosquée, là celle d'une école musulmane. On ne saurait échapper à la réalité, car elle se rappelle à nous.
Je pense à Mila et à son extraordinaire courage à l'ouverture du procès de certains auteurs des messages de haine qui la visaient – ce qui montre que ces personnes peuvent d'ores et déjà être poursuivies, sans que le texte y soit pour quoi que ce soit puisqu'il n'a pas encore été adopté.
Je pense à la présidente de l'UNEF, qui peut très tranquillement continuer à admettre la tenue de réunions non mixtes, interdites aux blancs. Mais vous refusez nos amendements sur la neutralité à l'université.
Je pense aussi à Chahinez, brûlée vive par son mari pour la punir d'avoir voulu se vêtir et vivre comme une Française. Mais vous refusez que l'on parle du voile. Les petites musulmanes voilées dès la prime enfance ne sont pas votre problème.
Que dire de l'enquête de l'Institut Montaigne, qui démontre l'inquiétante progression des conflits liés à l'islam rigoriste ou radical en entreprise ? Mais ce n'est pas votre sujet.
Alors oui, à la veille de cette nouvelle lecture à l'Assemblée, et alors que le projet de loi devrait donner des signes plus puissants encore de résistance à un séparatisme qui ne dit toujours pas son nom dans le texte, nous sommes inquiets – mais résolus à faire, comme toujours, des propositions utiles, contrairement aux propos de M. Houlié, qui s'est permis de qualifier de démagogiques et d'illibérales les propositions du Sénat. Les sénateurs apprécieront ! Ce n'est pas ainsi que nous avancerons.