Intervention de Cécile Untermaier

Réunion du lundi 7 juin 2021 à 16h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

Le texte a été très largement modifié par le Sénat. Avant que nous n'engagions son examen en commission spéciale article par article, je ferai quatre remarques sur le fond.

Je partage l'analyse du rapporteur général et de quelques-uns des autres rapporteurs : avec ce texte, nous passons d'une laïcité de dialogue à une laïcité de combat. Nous revisitons nos libertés fondamentales, à notre sens d'une manière dangereuse, en ouvrant le champ à la surenchère sécuritaire – ce que démontre le texte qui nous revient du Sénat. À la suite des effroyables attentats qui ont meurtri notre pays, nous combattons un fondamentalisme islamiste qui n'est pas la religion musulmane, qui n'est pas le fait de citoyens musulmans. Ces derniers font partie de notre République, ils font nation avec nous, car, tous ensemble, nous respectons l'État de droit.

Nous avons toujours affirmé, après ces attentats, qu'il fallait se prémunir contre de tels crimes. Depuis 2015 – et la semaine dernière encore –, nous avons voté à dessein, et sans hésitation, des textes de loi facilitant cette action. Mais ces tragédies ne sauraient avoir raison de notre mode de vie, de nos libertés et, en définitive, de notre relation aux religions. Nous chérissons la laïcité, cette liberté de croire ou de ne pas croire, et la séparation de l'État et des organisations religieuses. Plutôt que de s'engager dans la radicalisation de la laïcité, nous préférons créer les conditions du rassemblement, au travers duquel peuvent s'exprimer toutes les croyances.

Deuxième remarque : il faut continuer à combattre les intégrismes et radicalisations manipulant une religion à des fins funestes. Que l'on demande au culte musulman de s'organiser, comme d'autres cultes l'ont fait dans le passé, ne pose pas de problème ; c'est même une nécessité absolue. Mais tel n'est pas l'objet du texte. En revanche, est maintenu un vaste système de contraintes s'imposant au culte ab initio, ce qui constitue une ingérence inacceptable, y compris au regard de la laïcité, et nous semble inutilement outrageant. Un grand nombre d'articles renforcent l'aspect autoritaire de la laïcité. « Ce n'est pas le bon moyen », affirmait l'historien Jean Baubérot dès la première lecture. Que dirait-il à la lecture du texte issu du Sénat, qui, comme l'ont dit certains, tendrait presque à interdire le port des babouches ?

Troisième remarque : le respect des principes de la République ne saurait être négocié dans le cadre d'un contrat d'engagement républicain. On peut envisager une charte, mais pas une contractualisation avec la République. On nous dit que cela se limitera à une case à cocher dans une demande de subvention. Le problème est que toutes les associations, quelles qu'elles soient, seront sous contrôle. En réalité, nous avons tous les textes permettant d'agir contre le fléau de la radicalisation. Ce qui nous manque, ce sont les femmes, les hommes, les outils et les moyens permettant de surveiller celles et ceux qui doivent l'être. Ajouter un nouveau texte tous les matins ne fait pas avancer ce sujet majeur.

Quatrième remarque, et conclusion : le projet de loi comporte quelques bonnes mesures mais rate son objectif. On fait mal à ceux qui n'ont pas à recevoir des coups mais on n'est pas efficace avec les véritables ennemis. La difficulté est que nous avons construit notre propre séparatisme : par la ghettoïsation excessive, nous avons concentré la misère et les difficultés. C'est d'ailleurs ce que disait le Président de la République lui-même. S'ajoute à cela une carence béante dans le domaine de la psychiatrie et du suivi de certains individus qui sont au-delà du séparatisme et relèvent bel bien de la folie.

La tâche qui se présente à nous est immense. La solution ne saurait venir d'un texte de loi de cette nature. La République est aussi – et d'abord – une promesse qui se fonde sur des valeurs sociales et inclusives. Nous devons mener des politiques publiques ciblées pour susciter l'adhésion, tout en permettant à notre État de droit de s'occuper efficacement des égarés dangereux.

C'est à l'aune de ces remarques et du caractère proportionné et nécessaire des dispositions qui touchent à nos libertés fondamentales que nous examinerons ce texte en nouvelle lecture.

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