Mes chers collègues, je me réjouis de vous retrouver pour cette nouvelle audition organisée dans le cadre de notre mission d'information « Travailler, entreprendre, gouverner : accélérer l'égalité économique et professionnelle ». Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Mme Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publiques, que je remercie vivement pour sa disponibilité.
Madame la ministre, notre mission d'information s'attache à déconstruire les mécanismes à l'œuvre derrière les inégalités économiques et professionnelles, à partir de trois grands axes : l'accès au marché du travail, la gouvernance économique et l'entreprenariat.
Dans le contexte actuel, nous avons également souhaité nous intéresser à l'incidence de la crise sanitaire et économique sur la situation professionnelle des femmes.
Notre mission entend dresser un panorama général, assorti de propositions très concrètes, de nature à permettre à notre pays de franchir un nouveau cap en matière d'égalité économique, sujet qui mobilise les membres de notre Délégation et que nous avons à cœur d'explorer.
Vous le savez, nous avons consacré notre traditionnel colloque du 25 novembre au thème des violences économiques dans le couple. Les violences conjugales ont un effet direct sur la situation professionnelle des femmes, affectant bien souvent leur productivité et leurs perspectives de carrière. Nous avons, par ailleurs, échangé sur le rôle des employeurs, y compris des employeurs publics, dans l'identification des situations de violences conjugales dont leurs agents pourraient être victimes, et les moyens de les accompagner. J'en profite pour rappeler qu'au 1er mai, toutes les administrations ont dû instaurer un dispositif de recueil des signalements des agents qui s'estiment victimes d'un acte de violence, de discrimination, de harcèlement moral, sexuel ou d'agissements sexistes.
Votre audition, Madame la ministre, intervient dans la première phase de nos travaux. Elle va nous permettre d'échanger sur la place des femmes dans les fonctions publiques, sur le bilan des dispositions votées par le législateur ces dix dernières années, sur celui des actions conduites par votre ministère, mais également d'évoquer les grands axes de votre politique en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, que je sais volontaire et déterminée.
Depuis 2012, le cadre législatif et réglementaire en faveur d'une meilleure égalité dans la fonction publique a été considérablement renforcé. La loi du 12 mars 2012, dite loi Sauvadet, et la loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les hommes et les femmes ont permis des avancées incontestables, notamment grâce à la définition d'une proportion minimale de personnalités de chaque sexe, fixée à 40 %, dans les conseils d'administration et de surveillance des établissements publics, dans les instances consultatives de la fonction publique ou encore dans les commissions administratives paritaires. Le législateur a également prévu un quota similaire de 40 % dans les nominations aux emplois de direction de l'État, des régions, départements, communes et EPCI de plus de 80 000 habitants, ainsi que dans la fonction publique hospitalière, mesure que nous avons corrigée en 2019 en dispensant de pénalités les employeurs qui nomment trop d'hommes ou de femmes si cela n'aboutit pas à un déséquilibre parmi les emplois concernés. La Ville de Paris, qui doit s'acquitter d'une amende au titre de 2018, n'en aura donc plus à payer, rassurons-nous.
Le ministère des armées, comme l'a montré le travail de nos collègues Bérangère Couillard et Bénédicte Taurine, grâce à ces obligations, a vu son taux de primo-nominations pour les postes de haut encadrement s'élever à 42 % en 2017. Un très bon chiffre qui cache pourtant, comme le soulignait la ministre des armées, un problème de vivier, puisque trop peu de femmes sont en mesure d'être promues.
Je le disais, en 2019, nous adoptions la loi de transformation de la fonction publique transposant les dispositions de l'accord du 30 novembre 2018 relatif à l'égalité professionnelle dans la fonction publique. L'État, ses établissements publics administratifs, les hôpitaux publics, les collectivités locales et les EPCI de plus de 20 000 habitants doivent élaborer, d'ici au 31 décembre 2020, un plan d'action pluriannuel pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce plan doit comporter au moins des mesures visant à : évaluer, prévenir et traiter les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes ; garantir leur égal accès aux corps, cadres d'emplois, grades et emplois de la fonction publique ; favoriser l'articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale ; prévenir et traiter les discriminations, les actes de violence, de harcèlement moral ou sexuel, ainsi que les agissements sexistes. Sans doute pourrez-vous nous en dire quelques mots ?
De même, nous sommes preneurs d'éléments concernant l'application des autres dispositifs prévus par la loi de 2019. Je rappelle que notre Délégation, grâce au travail de notre collègue Laurence Gayte, avait fait adopter des dispositifs cruciaux lors de l'examen du texte. Je citerai l'amélioration du dispositif de signalement des violences, la précision du cahier des charges des plans d'actions, l'évolution et la publication systématique des rapports de situation comparée (RSC).
Si nous ne pouvons que nous féliciter de ces avancées, elles doivent encore être complétées. La place des femmes dans le haut de la pyramide est sans rapport avec leur nombre dans les effectifs de la fonction publique, puisqu'on compte 17 % de préfètes et 24 % d'ambassadrices. La répartition des femmes dans la fonction publique reste très liée aux stéréotypes de genre : 83 % des professeurs des écoles sont des femmes, tandis qu'elles ne représentent que 29 % des agents du ministère de l'intérieur. De même, nous observons un écart de rémunération persistant – 2 400 euros dans la fonction publique d'État en moyenne, contre 2 800 euros pour les hommes –, qui traduit une surreprésentation des femmes dans les emplois les plus précaires.
Le dispositif relatif aux primo-nominations a permis des avancées, et les derniers chiffres sont à saluer, mais ne doit-il pas être complété par une approche de moyen terme ? En se limitant aux premières nominations, on occulte les enjeux de construction de carrière. Il ne faut pas se concentrer sur les échelons précédant immédiatement les emplois supérieurs mais bien agir sur l'ensemble des parcours, comme l'avaient montré nos collègues Bérangère Couillard et Bénédicte Taurine dans leur rapport sur les femmes et les forces armées, pointant les dispositifs favorisant l'évolution de carrière, mis en place par le ministère. Je pense à l'évolution des limites d'âge pour l'accès à l'école de guerre, qui avait permis aux femmes en situation de maternité de passer le concours d'entrée et prétendre à des emplois supérieurs. À ce titre, ne convient-il pas d'introduire une seconde obligation portant, au-delà du flux de nominations équilibrées, c'est-à-dire les primo-nominations, sur la mixité des fonctions en stock ? De même, quelles actions de formation entendez-vous conduire pour mieux accompagner les femmes durant l'ensemble de leur parcours professionnel, même si, à titre personnel, je me demande pourquoi les femmes auraient davantage besoin d'être accompagnées que les hommes ?
Madame la ministre, quel regard portez-vous sur ce constat ? Quels sont les points communs et les divergences entre les trois fonctions publiques ? Quels sont les actions et les objectifs du Gouvernement d'ici à 2022 ? Comment favoriser le développement des carrières des femmes et leur permettre de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle, notamment au regard de la maternité ?
Avant de vous entendre, je cède la parole à Mme Laurence Trastour-Isnart, corapporteure de notre mission d'information.