Ma grand-mère, qui rêvait de devenir institutrice, en a été empêchée car ses parents, aux moyens modestes, considéraient qu'il valait mieux qu'elle fasse un bon mariage. Ma fille de 18 ans, quant à elle, est en deuxième année de médecine et engagée, en parallèle, dans un cursus « recherche et intelligence artificielle ». Une même famille, deux destins qui marquent l'évolution de la société – soixante‑dix ans séparent ces deux femmes – et qui rappellent que votre destinée dépend aussi de l'ambition que l'on vous autorise à avoir. C'est aussi l'histoire de ma grand-mère qui explique l'ambition que je veux donner à ma fille, et que je veux donner à toutes les filles, pour qu'elles réalisent pleinement leur potentiel. C'est un enjeu politique, économique et d'équité sociale.
Les femmes sont encore aujourd'hui largement sous-représentées dans l'industrie. Je vous citerai trois chiffres.
D'abord, 30 % : c'est la part des femmes au sein des salariés de l'industrie. Ce chiffre stagne depuis près de vingt ans. Le seul secteur industriel où les femmes sont surreprésentées – 80 % –, c'est celui de l'habillement, du cuir et de la chaussure. Il ne vous aura pas échappé qu'il s'agit d'une résultante des métiers genrés.
Moins de 20 % : c'est le pourcentage de femmes dans les comités exécutifs. Elles restent peu présentes dans les fonctions de direction : c'est le fameux « plafond de verre », auquel s'ajoutent des « parois de verre », qui rendent difficile l'accès des femmes à des fonctions de recherche et développement (R&D) ou opérationnelles – de directrice d'usine ou de division, par exemple.
Enfin, 10 % : c'est la différence de rémunération, à poste égal, entre les femmes et les hommes. Cet écart a certes tendance à se réduire, mais il existe toujours. Il est insupportable, car il est facteur d'inégalité et contredit les fondements mêmes de notre République.
Je peux, dans le périmètre de mon ministère, aborder la question de la parité économique entre les hommes et les femmes de façon très concrète, par trois angles d'approche.
D'abord, par la thématique du développement industriel. Aujourd'hui, il reste encore des dizaines de milliers de postes non pourvus dans l'industrie. La réindustrialisation de la France et la relance passent par le recrutement de plus de femmes, car ces dernières sont encore trop souvent laissées aux portes des usines, dont elles sont d'ailleurs les premières à sortir dès les premiers signes d'une crise.
Ensuite, par le prisme de la performance industrielle. Plus de femmes aux fonctions de direction, c'est plus de performance pour les entreprises. Ce lien a été démontré par un certain nombre d'études académiques et de cabinets de conseil. McKinsey a notamment établi que les entreprises dont le comité exécutif est mixte ont des revenus avant impôt supérieurs de 55 % aux autres, sont plus performantes et offrent plus d'emplois – directs et indirects – locaux et pérennes. Vous le voyez, nous ne sommes pas ici dans le symbolisme, mais bien dans l'optimisation et les performances.
Enfin, par l'impact social de l'industrie. Dans ce secteur, les emplois sont en moyenne plus pérennes et mieux rémunérés qu'ailleurs. Ils sont majoritairement à temps plein, avec une meilleure employabilité à la clé et des perspectives réelles de progression. Combien d'opérateurs sont devenus conducteurs de ligne ou personnels d'encadrement ? Combien de techniciens peuvent finir directeurs d'usine ? L'autonomie économique est pour les femmes le premier moyen de survie et de résistance ; elle leur donne la liberté de choisir leur parcours de vie.
La crise que nous traversons a aggravé la situation des femmes bien plus que celle des hommes. Les femmes ont été davantage en première ligne, et à ce titre plus exposées au risque sanitaire ; elles ont également plus souffert du confinement et subissent plus gravement les conséquences de la crise économique.
En effet, 64 % des actifs mobilisés en première ligne lors du premier confinement, essentiellement dans les métiers du soin et du lien, étaient des femmes : aides-soignantes, aides à domicile, caissières… Selon les chercheurs, les femmes ont consacré plus de temps à s'occuper du ménage et de leurs proches, au détriment de leur capacité de travail. Ce n'est donc pas un hasard si elles sont surreprésentées parmi les salariés en activité partielle.
Je rappellerai également l'exacerbation des violences domestiques, avec un bond de 30 % de signalements la première semaine du confinement.
Outre le fait que les femmes souffriraient plus des conséquences économiques de la crise – il serait important de l'établir de manière analytique –, elles sont plus touchées par le chômage partiel et plus facilement condamnées à l'inactivité. Les indépendantes sont particulièrement menacées : 54 % d'entre elles considèrent que leur entreprise est en situation de risque fort ou élevé de dépôt de bilan. C'est la conséquence de six mois passés à s'occuper de la maison et des études des enfants. Les travailleuses indépendantes dont les revenus sont de l'ordre de 1 500 euros mensuels sont en grande difficulté.
Les salariées femmes sont également surreprésentées dans les secteurs vulnérables, où les commerces ont été administrativement fermés. Dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les femmes représentent 62 % de la main-d'œuvre du commerce de détail ; elles sont 60 % dans l'hôtellerie.
Agir pour une meilleure égalité femmes-hommes dans notre économie, c'est agir pour plus de richesses dans nos territoires, plus de justice sociale et plus de performance économique.
Je me suis engagée, en tant que ministre, dans ce combat pour la parité économique et professionnelle dans l'industrie. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été réalisé au niveau macro-économique – le ministre de l'économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, a déjà détaillé cette partie de l'action gouvernementale. Je ne reviendrai pas non plus sur l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mis en place par Muriel Pénicaud, ou sur les mesures intégrées dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), s'agissant notamment du statut de conjoint collaborateur. Je voudrais en revanche rappeler ce que j'ai personnellement mis en place dans l'industrie.
Tout d'abord, nous avons amené cinquante patrons à signer une tribune sur l'égalité femmes-hommes, publiée par le Journal du dimanche, dans laquelle ils s'engageaient à publier les données et à retenir une femme et un homme dans la phase finale de recrutement de leurs cadres. Vous savez que cette mesure est prévue par la loi PACTE pour les cadres dirigeants – il serait d'ailleurs intéressant de vérifier qu'elle est bien appliquée, car il me semble qu'elle n'est pas encore complètement intégrée par les chasseurs de têtes et les dirigeants d'entreprise. Dans les strates inférieures – pour les cadres à haut potentiel, par exemple –, il conviendrait de se demander à chaque recrutement quel homme est le meilleur candidat et quelle femme est la meilleure candidate. Cette pratique permettrait d'établir de nouvelles politiques de ressources humaines, de prévoir des accompagnements, de repérer ce qui manque aux femmes pour obtenir certains postes et de mettre en place des plans de formation et de mise en situation professionnelle à des étapes intermédiaires de carrière.
En mars 2019, j'ai créé le Conseil de la mixité et de l'égalité professionnelle, sous l'égide du Conseil national de l'industrie (CNI). Il est présidé par Sylvie Leyre, ancienne directrice des ressources humaines (DRH) de Schneider Electric et initiatrice du travail sur l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et composé de différentes personnalités telles que Philippe Darmayan, président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), Philippe Portier, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), ainsi que d'une représentante de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) travaillant à Sochaux, d'une patronne d'entreprise de taille intermédiaire et d'une dirigeante de L'Oréal qui s'est intéressée à l'accès des femmes aux carrières scientifique et qui défend aujourd'hui la diversité dans cette entreprise. Notre objectif est d'augmenter le nombre de femmes dans l'industrie et de faciliter leur accès à des fonctions de responsabilité. Nous avons élaboré un plan d'action qui s'articule autour de trois axes : l'éducation, l'orientation et l'évolution professionnelle.
S'agissant de l'éducation, nous avons rédigé une charte pour une représentation mixte des jouets, signée en septembre 2019. L'enjeu est de développer toutes les aptitudes de chaque enfant par le jeu plutôt que de plaquer des stéréotypes. Tous les engagements de 2019 ont été remplis, et une nouvelle charte rassemblant deux fois plus d'acteurs a été signée en septembre 2020. Vous n'imaginez pas à quel point des poupées ingénieures, cosmonautes, cheffes de chantier ou pilotes peuvent autoriser et susciter des vocations quand elles sont associées à l'imaginaire de jeu d'un enfant. Nous devons, dès le plus jeune âge, faire sauter ces verrous, dans l'environnement familial et le commerce, mais également à l'école.
Concernant l'orientation, nous avons demandé aux dirigeants des écoles d'ingénieurs Mines-Télécom, qui dépendent du ministère de l'économie, des finances et de la relance, d'établir des plans d'action pour attirer les jeunes filles dans les écoles d'ingénieurs et dénouer le goulet d'étranglement à l'entrée de l'industrie. Mais nous savons bien entendu qu'intervenir plus en amont serait plus efficace. C'était tout l'enjeu de la semaine de l'industrie qui devait se tenir à la fin du mois de mars 2020 et qui devait être très orientée vers les jeunes filles. En lien avec les régions, nous devons aussi mettre à profit les cinquante-quatre heures obligatoires consacrées à l'orientation en classes de quatrième, troisième, seconde et première. Nous avons d'ailleurs commencé à constituer un vivier d'intervenants ayant vocation à décentrer le regard des jeunes, en faisant le pari, par exemple, de choisir un infirmier pour présenter les métiers du soin et une cheffe de chantier pour présenter ceux du bâtiment et des travaux publics (BTP).
S'agissant de l'évolution professionnelle, nous avons publié, en juin dernier, un guide des bonnes pratiques innovantes en matière d'égalité femmes-hommes dans les entreprises. Il détaille trente bonnes pratiques autour de trois grands axes : attirer les femmes dans l'industrie, garder les talents féminins et permettre aux femmes d'évoluer dans ce secteur. L'idée est de valoriser les entreprises ainsi que les organisations syndicales et patronales qui ont de bonnes idées en la matière et qui les ont mises en œuvre concrètement. Ne nous limitons pas au shame : soyons aussi dans le celebrate ! Ce guide est distribué à l'ensemble des secteurs et a vocation à être actualisé régulièrement.
Pour répondre à ceux qui ne croient pas à l'existence d'un vivier de femmes industrielles pour alimenter leur processus de recrutement, nous avons créé le collectif IndustriElles, autour de réseaux de référence. Alors que notre objectif initial était de rassembler 1 000 femmes, ce réseau regroupe désormais près de 2 000 femmes de tous les âges, départements et secteurs de l'industrie, qui ont vocation à servir à la fois de modèles et d'ambassadrices.
Nous avons déjà élaboré une feuille de route pour les mois à venir, dont je vous présenterai certains éléments.
Tout d'abord, nous mobiliserons le CNI pour intégrer le sujet de la parité hommes‑femmes dans les nouveaux contrats stratégiques de filières. Sachez qu'à chaque fois que je signe un courrier annonçant à une entreprise qu'elle bénéficiera du plan de relance, la question de la parité hommes-femmes est citée comme l'un des éléments de la contrepartie que nous pouvons lui demander.
Ensuite, nous nous attellerons à l'élaboration d'une norme AFNOR – Association française de normalisation – sur l'égalité femmes-hommes, ainsi qu'à la rédaction d'une version internationale du guide des bonnes pratiques innovantes en matière d'égalité.
Enfin, nous organiserons des formations sur les biais de genre à destination des DRH, des dirigeants et des encadrants, à l'instar de ce qui se pratique déjà chez L'Oréal. À ce propos, on distingue deux types de biais. On observe, d'une part, une autocensure développée par les jeunes filles et les femmes au cours de leur carrière. Vous connaissez tous l'exemple de la négociation du salaire au premier poste : 80 % des jeunes femmes ne demandent pas plus que le salaire qui leur est proposé, considérant que c'est déjà formidable d'obtenir le poste, tandis que 50 % des jeunes hommes osent formuler cette demande. On constate, d'autre part, que le regard et les questions que posent les DRH, les encadrants et les dirigeants les amènent parfois à des conclusions faciles. Nous avons remarqué, par exemple, que les membres d'un comité d'investissement posent des questions différentes selon le genre de la personne interrogée : ils ont davantage tendance à évoquer les risques des projets proposés par les femmes entrepreneures, alors qu'ils interrogent plutôt les hommes sur les opportunités. Encore une fois, je cite le résultat d'études académiques, je ne suis pas dans le fantasme.
Nous souhaitons également mettre à jour la convention entre l'éducation nationale, France industrie et le ministère de l'économie, des finances et de la relance, sur un certain nombre de sujets, notamment sur les enjeux de la féminisation de l'industrie.
Notre arsenal législatif relatif à l'égalité femmes-hommes fait partie des plus performants au monde – nous devons le reconnaître et nous en prévaloir. Le récent allongement du congé paternité fait de la France l'un des pays les plus avancés en la matière – c'est à mes yeux un progrès considérable, tant pour les hommes que pour les femmes. Nous fêterons demain les dix ans de la loi Copé-Zimmermann, qui prévoit que la proportion des membres de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % au sein des conseils d'administration et des conseils de surveillance. En dix ans, grâce à cette loi, nous avons quadruplé la présence des femmes au sein de ces conseils. Là encore, nous sommes la nation la plus avancée sur cette question.
Il manque cependant une dernière brique : l'établissement de quotas de femmes dans tous les lieux de décision – les fédérations professionnelles, les syndicats représentatifs de salariés, les sociétés d'investissement, les comités d'investissement… Ces quotas doivent probablement être déterminés en partie par la loi, et en partie par la soft law. Étant très attachée aux valeurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, je craignais presque, lors du vote de la loi Copé-Zimmermann, que cette dernière n'affuble les femmes de l'étiquette de « femmes quotas » ; cependant, je constate aujourd'hui que la fixation de tels quotas est malheureusement la manière la plus efficace d'accélérer le changement et de faire émerger les talents. J'assume de dire que je suis, en politique, une « femme quota ». Soyons clairs : si nous n'avions pas cherché la parité au sein du Gouvernement, je n'aurais pas été nommée ministre. De même, certaines grandes dirigeantes allemandes telles qu'Ursula von der Leyen et Annegret Kramp-Karrenbauer affirment qu'elles sont des « femmes quotas », ce qui ne retire rien à leurs qualités professionnelles.
Pour établir des quotas dans les comités exécutifs, nous devons nous servir d'accroches juridiques, car nous n'avons plus le luxe du temps. Nous en trouvons dans le code du travail, pour les cadres dirigeants, mais aussi dans le code du commerce, avec la règle des 10 % de postes à plus forte responsabilité. On objecte souvent qu'il est difficile de définir un comité exécutif ; il suffit pourtant de considérer que c'est l'entreprise qui le définit. On nous rétorque aussi que les entreprises pourraient être tentées d'instituer ces quotas de manière fantaisiste ou cosmétique. Or je ne crois pas que les entreprises soient cyniques ; par ailleurs, celles qui agiraient de la sorte prendraient un vrai risque en termes d'image.
Au-delà de la loi, nous devons faire émerger une norme de place qui favoriserait l'égalité réelle au sein des entreprises. Je suis favorable à tous les dispositifs d'engagement des entreprises et des filières, ainsi qu'à la transparence sur les données de parité. On ne peut faire avancer que ce que l'on mesure. La réalité, c'est que la marque « employeur » est devenue un actif de l'entreprise et que les attentes des nouvelles générations vont nous aider à installer une pression sociale favorable à plus d'égalité. Les consommateurs cherchent aussi du sens. Je citerai pour exemples le site Glassdoor, ainsi que les labels RH « Great place to work » ou « Top employers » – nous pourrions demander à leurs responsables ce qu'ils comptent faire en matière de parité hommes-femmes, comment ils la mesurent et quelle est sa part dans l'attribution du label.
Par ailleurs, pour que la parité devienne une nouvelle frontière de l'engagement des entreprises, je crois à la pression des investisseurs. J'échange avec l'écosystème des investisseurs et des proxy advisors, et je les entends dire qu'ils commencent à évaluer les entreprises sur la question de la parité, non pas pour être politiquement corrects, mais parce que la parité est devenue pour eux un marqueur de la performance. Si nous lions étroitement financement et objectif de parité, nous disposons d'un levier éminemment puissant et complémentaire de la loi. Je veux saluer ici l'engagement de six grands investisseurs – Axa, Amundi, La Banque Postale Asset Management, Sycomore Asset Management, Mirova et Ostrum Asset Management – en faveur d'un minimum de 30 % de femmes dans les instances dirigeantes.
Je crois aussi à la soft law. Nous pouvons tous contribuer à l'élaboration de règles qui figureraient, par exemple, dans le code Afep-Medef et dans le code Middlenext, mais aussi dans le guide de vote en assemblée générale de grandes institutions de place telles que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou la Banque publique d'investissement. La parité doit devenir un objectif de place, et il vaut mieux prendre les devants que de nous faire imposer une vision anglo-saxonne du sujet. Cette dernière progresse. Il existe encore un proxy advisor dont l'actionnaire est français : utilisons-le !
Enfin, il convient d'inscrire cette nouvelle norme à la racine en organisant, à l'école et dans l'entreprise, des formations relatives à la lutte contre les biais inconscients. Là encore, la balle est dans notre camp. Comment former les professeurs, les proviseurs et les personnels chargés de l'orientation ? Comment accompagner les parents qui, même avec les meilleures intentions du monde, peuvent douter du cursus choisi par leur fille ? Comment déployer les dispositifs de mentoring dans les écoles et les entreprises, mais aussi dans l'administration et aux moments charnières de l'orientation des jeunes filles ?
Pour l'entreprenariat et l'investissement, c'est un peu la même chose : nous devons être transparents en matière d'objectifs et fixer des objectifs en soft law, notamment aux grands investisseurs de place. Je pense vraiment que nous pouvons entraîner un certain nombre d'investisseurs, à l'instar de ceux que j'ai cités. France Invest travaille sur ce sujet, sous l'égide de Dominique Gaillard. Il faut également féminiser les équipes d'investissement et celles qui instruisent les prêts bancaires, et publier des statistiques sur les entreprises soutenues. Il convient enfin de mettre en place des dispositifs de mentoring, d'accompagnement et de co‑développement, à l'instar de ce que pratiquent un certain nombre de réseaux tels que « Bouge ta Boîte », qui accompagne les femmes entrepreneurs dans les territoires.
Toutefois, nous devons reconnaître que l'égalité entre les femmes et les hommes ne pourra être réelle que si nous luttons contre la précarité. Réduire la précarité, c'est améliorer mécaniquement le sort des femmes. Il ne faut pas que l'arbre – les quotas dans les comités de direction ou parmi les cadres dirigeants – cache la forêt – la précarité d'un grand nombre de femmes. À ce propos, je rappelle que 70 % des personnes les plus vulnérables sont des femmes, ces dernières étant surreprésentées parmi les bas salaires et les statuts précaires.
J'ai évoqué l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : il s'agit d'une note attribuée aux plus grandes entreprises, sur la base d'une auto-évaluation de quatre à cinq critères. C'est une avancée majeure, mais certains biais d'analyse ont été récemment mis en évidence, notamment par le think tank Terra Nova. Premièrement, nous mesurons la situation au niveau du top management, mais pas la part des femmes dans les bas salaires. Deuxièmement, les temps partiels ne sont pas pris en compte dans la mesure des écarts de rémunération ; or 85 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Troisièmement, l'indicateur relatif aux augmentations de salaires accordées aux hommes et aux femmes n'intègre pas leurs montants. Je ne suis pas pour changer une loi claire, efficace et récente. Je suis favorable à la stabilité et à l'inscription de ce dispositif dans la durée, mais nous savons qu'à un moment, des évolutions de l'index seront nécessaires.
De manière plus générale, je suis persuadée que la mère des batailles consiste à rendre visibles les invisibles. Nous devons nous poser la question de la part des femmes dans les bas salaires, dans les contrats précaires – contrats à durée déterminée (CDD) et contrats d'intérim – et parmi les salariés à horaires décalés ou fragmentés dans chaque entreprise. Nous devons également nous interroger sur les conditions de travail de ces femmes à horaires décalés – je pense notamment aux personnels des entreprises de nettoyage. Leurs conditions de travail menacent leur vie de famille. Les longues pauses entre deux plages de travail sont des moments d'inquiétude, car les femmes n'ont pas forcément la possibilité de rentrer chez elles. Ne pourrions-nous pas réfléchir à aménager ces horaires ? Une partie des tâches de ménage ne pourrait-elle pas être effectuée en présence des autres salariés ou selon des plannings mieux organisés ? Le simple fait de rendre visibles ces invisibles peut changer la donne. Dans le même esprit, ne pourrions-nous pas mieux accompagner les femmes, en créant des lieux de vie où elles pourraient se reposer ou se former quand elles n'ont pas la possibilité de rentrer chez elles ?
Je soutiens enfin le travail engagé en vue d'améliorer les conditions de travail et de renforcer l'attractivité des métiers du lien et du soin – cela doit commencer dès l'école. Le Grenelle de la santé a permis des avancées majeures, mais les revalorisations salariales ne font pas tout : il faut aussi se pencher davantage sur les conditions de travail. J'ai travaillé, il y a longtemps déjà, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), et j'ai des souvenirs assez précis des conditions de travail des aides-soignants, de leur charge de travail, en particulier quand il s'agit de porter ou d'accompagner les malades, et de la pression psychologique qu'ils subissent, notamment quand ils n'ont pas assez de temps à accorder aux patients.
Les défis sont immenses. Le chemin sera long, mais en tant que ministre et citoyenne française, ce sont des combats pour lesquels je continuerai à m'engager.
Nous devons nous battre pour toutes les femmes. Leur émancipation économique s'inscrit dans la droite ligne de notre combat pour les Lumières et les droits de l'homme. C'est le premier pas dans la prise en compte de l'altérité. Si nous ne savons pas traiter la question des femmes, comment traiterons-nous, par exemple, le sujet du multiculturalisme ?