Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réunion du mardi 26 janvier 2021 à 17h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.

La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes adopte le rapport d'information sur les conclusions du colloque relatif aux violences économiques dans le couple (Mme Marie-Pierre Rixain, rapporteure).

Elle auditionne ensuite Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie, dans le cadre de la mission d'information sur l'égalité économique et professionnelle (Mmes Marie‑Pierre Rixain et Laurence Trastour-Isnart, rapporteures).

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Madame la ministre déléguée, je vous remercie chaleureusement de votre présence à nos côtés pour échanger sur des sujets qui, je le sais, vous tiennent tout particulièrement à cœur et pour lesquels vous êtes force de proposition.

Vous le savez sans doute, Mme Laurence Trastour-Isnart et moi-même menons, pour le compte de la Délégation, une mission d'information intitulée « Travailler, entreprendre, gouverner : accélérer l'égalité économique et professionnelle ». Dans ce cadre, nous nous attachons à décomposer les mécanismes à l'œuvre derrière les inégalités économiques et professionnelles à travers trois grands axes : l'entreprenariat, l'accès au marché du travail et la gouvernance économique. Nous entendons dresser un panorama général assorti de propositions très concrètes, susceptibles de permettre à notre pays de franchir un nouveau cap en matière d'égalité économique et professionnelle, conformément aux objectifs énoncés par le Président de la République à l'occasion du G7 de Biarritz, en 2019.

Nous partageons le même constat : les femmes représentent moins de 30 % des salariés de l'industrie. Ce chiffre, qui stagne depuis dix ans, cache une autre réalité : les femmes occupent majoritairement des fonctions support et ne participent qu'à la marge à la conception et à la production industrielles. Cette donnée doit nous interpeller car elle recouvre non seulement des enjeux très forts d'égalité professionnelle, d'innovation, de performance et de développement économique pour notre pays, mais également des enjeux quant à la place des femmes dans notre société. L'industrie crée, forge, façonne les biens et les usages d'aujourd'hui, comme ceux de demain ; continuer d'en exclure les femmes, c'est s'assurer d'une certaine inertie de ce point de vue.

Lutter contre cette inertie, c'est la démarche que vous avez engagée, madame la ministre déléguée, en installant, en mars 2019, un Conseil de la mixité et de l'égalité professionnelle dans l'industrie, qui vise à répondre à la nécessité d'offrir aux femmes des carrières professionnelles attractives permettant de valoriser leur potentiel, ainsi qu'au souci d'élargir le vivier de compétences de notre industrie alors que plusieurs milliers d'emplois cherchent à être pourvus. Aussi, pourriez-vous revenir sur le plan d'action de ce conseil et sur l'avancée des objectifs qu'il s'est fixés ?

En matière de gouvernance économique, d'abord. Rappelons que nous sommes à la veille des dix ans de la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, dite Copé‑Zimmermann, qui constitue un succès incontestable en matière de féminisation des conseils d'administration, mais qui manque son effet de ruissellement sur les autres instances de décision au sein de l'entreprise. Dans l'industrie, les femmes ne représentent que 15 % des membres des comités exécutifs.

En matière d'accès au marché du travail, ensuite, car nous constatons la persistance de biais regrettables dans les choix de formation qui entraînent une sous-représentation des femmes dans les filières les plus rémunératrices ou d'avenir. À cet égard, la charte pour une représentation mixte des jouets et le guide de bonnes pratiques à destination des entreprises industrielles, édité par votre ministère, soulignent votre volonté remarquable d'obtenir des résultats concrets. Je salue d'ailleurs ici l'engagement de Céline Calvez sur la question de l'orientation des femmes vers les métiers scientifiques et technologiques. Peut-être pourrez-vous également nous dire quelques mots s'agissant de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au sein de ces milieux fortement masculins et parfois défavorables, voire hostiles, aux femmes – ce qui peut aussi expliquer le faible taux d'attractivité de ces milieux pour les jeunes femmes.

En matière d'entreprenariat, enfin, les femmes mènent moins souvent des projets de création d'entreprise – encore plus rarement d'entreprise industrielle – et reçoivent moins de financements. Quel constat faites-vous de votre côté, et quels moyens vous donnez-vous pour améliorer cet état de fait ?

Nous aimerions beaucoup savoir quel constat précis vous dressez de la situation dans les différentes filières – j'imagine qu'elle est hétérogène – et quelles solutions, notamment législatives, nous pourrions apporter pour répondre aux enjeux des secteurs dont vous êtes chargée.

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Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie

Ma grand-mère, qui rêvait de devenir institutrice, en a été empêchée car ses parents, aux moyens modestes, considéraient qu'il valait mieux qu'elle fasse un bon mariage. Ma fille de 18 ans, quant à elle, est en deuxième année de médecine et engagée, en parallèle, dans un cursus « recherche et intelligence artificielle ». Une même famille, deux destins qui marquent l'évolution de la société – soixante‑dix ans séparent ces deux femmes – et qui rappellent que votre destinée dépend aussi de l'ambition que l'on vous autorise à avoir. C'est aussi l'histoire de ma grand-mère qui explique l'ambition que je veux donner à ma fille, et que je veux donner à toutes les filles, pour qu'elles réalisent pleinement leur potentiel. C'est un enjeu politique, économique et d'équité sociale.

Les femmes sont encore aujourd'hui largement sous-représentées dans l'industrie. Je vous citerai trois chiffres.

D'abord, 30 % : c'est la part des femmes au sein des salariés de l'industrie. Ce chiffre stagne depuis près de vingt ans. Le seul secteur industriel où les femmes sont surreprésentées – 80 % –, c'est celui de l'habillement, du cuir et de la chaussure. Il ne vous aura pas échappé qu'il s'agit d'une résultante des métiers genrés.

Moins de 20 % : c'est le pourcentage de femmes dans les comités exécutifs. Elles restent peu présentes dans les fonctions de direction : c'est le fameux « plafond de verre », auquel s'ajoutent des « parois de verre », qui rendent difficile l'accès des femmes à des fonctions de recherche et développement (R&D) ou opérationnelles – de directrice d'usine ou de division, par exemple.

Enfin, 10 % : c'est la différence de rémunération, à poste égal, entre les femmes et les hommes. Cet écart a certes tendance à se réduire, mais il existe toujours. Il est insupportable, car il est facteur d'inégalité et contredit les fondements mêmes de notre République.

Je peux, dans le périmètre de mon ministère, aborder la question de la parité économique entre les hommes et les femmes de façon très concrète, par trois angles d'approche.

D'abord, par la thématique du développement industriel. Aujourd'hui, il reste encore des dizaines de milliers de postes non pourvus dans l'industrie. La réindustrialisation de la France et la relance passent par le recrutement de plus de femmes, car ces dernières sont encore trop souvent laissées aux portes des usines, dont elles sont d'ailleurs les premières à sortir dès les premiers signes d'une crise.

Ensuite, par le prisme de la performance industrielle. Plus de femmes aux fonctions de direction, c'est plus de performance pour les entreprises. Ce lien a été démontré par un certain nombre d'études académiques et de cabinets de conseil. McKinsey a notamment établi que les entreprises dont le comité exécutif est mixte ont des revenus avant impôt supérieurs de 55 % aux autres, sont plus performantes et offrent plus d'emplois – directs et indirects – locaux et pérennes. Vous le voyez, nous ne sommes pas ici dans le symbolisme, mais bien dans l'optimisation et les performances.

Enfin, par l'impact social de l'industrie. Dans ce secteur, les emplois sont en moyenne plus pérennes et mieux rémunérés qu'ailleurs. Ils sont majoritairement à temps plein, avec une meilleure employabilité à la clé et des perspectives réelles de progression. Combien d'opérateurs sont devenus conducteurs de ligne ou personnels d'encadrement ? Combien de techniciens peuvent finir directeurs d'usine ? L'autonomie économique est pour les femmes le premier moyen de survie et de résistance ; elle leur donne la liberté de choisir leur parcours de vie.

La crise que nous traversons a aggravé la situation des femmes bien plus que celle des hommes. Les femmes ont été davantage en première ligne, et à ce titre plus exposées au risque sanitaire ; elles ont également plus souffert du confinement et subissent plus gravement les conséquences de la crise économique.

En effet, 64 % des actifs mobilisés en première ligne lors du premier confinement, essentiellement dans les métiers du soin et du lien, étaient des femmes : aides-soignantes, aides à domicile, caissières… Selon les chercheurs, les femmes ont consacré plus de temps à s'occuper du ménage et de leurs proches, au détriment de leur capacité de travail. Ce n'est donc pas un hasard si elles sont surreprésentées parmi les salariés en activité partielle.

Je rappellerai également l'exacerbation des violences domestiques, avec un bond de 30 % de signalements la première semaine du confinement.

Outre le fait que les femmes souffriraient plus des conséquences économiques de la crise – il serait important de l'établir de manière analytique –, elles sont plus touchées par le chômage partiel et plus facilement condamnées à l'inactivité. Les indépendantes sont particulièrement menacées : 54 % d'entre elles considèrent que leur entreprise est en situation de risque fort ou élevé de dépôt de bilan. C'est la conséquence de six mois passés à s'occuper de la maison et des études des enfants. Les travailleuses indépendantes dont les revenus sont de l'ordre de 1 500 euros mensuels sont en grande difficulté.

Les salariées femmes sont également surreprésentées dans les secteurs vulnérables, où les commerces ont été administrativement fermés. Dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les femmes représentent 62 % de la main-d'œuvre du commerce de détail ; elles sont 60 % dans l'hôtellerie.

Agir pour une meilleure égalité femmes-hommes dans notre économie, c'est agir pour plus de richesses dans nos territoires, plus de justice sociale et plus de performance économique.

Je me suis engagée, en tant que ministre, dans ce combat pour la parité économique et professionnelle dans l'industrie. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été réalisé au niveau macro-économique – le ministre de l'économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, a déjà détaillé cette partie de l'action gouvernementale. Je ne reviendrai pas non plus sur l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mis en place par Muriel Pénicaud, ou sur les mesures intégrées dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), s'agissant notamment du statut de conjoint collaborateur. Je voudrais en revanche rappeler ce que j'ai personnellement mis en place dans l'industrie.

Tout d'abord, nous avons amené cinquante patrons à signer une tribune sur l'égalité femmes-hommes, publiée par le Journal du dimanche, dans laquelle ils s'engageaient à publier les données et à retenir une femme et un homme dans la phase finale de recrutement de leurs cadres. Vous savez que cette mesure est prévue par la loi PACTE pour les cadres dirigeants – il serait d'ailleurs intéressant de vérifier qu'elle est bien appliquée, car il me semble qu'elle n'est pas encore complètement intégrée par les chasseurs de têtes et les dirigeants d'entreprise. Dans les strates inférieures – pour les cadres à haut potentiel, par exemple –, il conviendrait de se demander à chaque recrutement quel homme est le meilleur candidat et quelle femme est la meilleure candidate. Cette pratique permettrait d'établir de nouvelles politiques de ressources humaines, de prévoir des accompagnements, de repérer ce qui manque aux femmes pour obtenir certains postes et de mettre en place des plans de formation et de mise en situation professionnelle à des étapes intermédiaires de carrière.

En mars 2019, j'ai créé le Conseil de la mixité et de l'égalité professionnelle, sous l'égide du Conseil national de l'industrie (CNI). Il est présidé par Sylvie Leyre, ancienne directrice des ressources humaines (DRH) de Schneider Electric et initiatrice du travail sur l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et composé de différentes personnalités telles que Philippe Darmayan, président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), Philippe Portier, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), ainsi que d'une représentante de la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) travaillant à Sochaux, d'une patronne d'entreprise de taille intermédiaire et d'une dirigeante de L'Oréal qui s'est intéressée à l'accès des femmes aux carrières scientifique et qui défend aujourd'hui la diversité dans cette entreprise. Notre objectif est d'augmenter le nombre de femmes dans l'industrie et de faciliter leur accès à des fonctions de responsabilité. Nous avons élaboré un plan d'action qui s'articule autour de trois axes : l'éducation, l'orientation et l'évolution professionnelle.

S'agissant de l'éducation, nous avons rédigé une charte pour une représentation mixte des jouets, signée en septembre 2019. L'enjeu est de développer toutes les aptitudes de chaque enfant par le jeu plutôt que de plaquer des stéréotypes. Tous les engagements de 2019 ont été remplis, et une nouvelle charte rassemblant deux fois plus d'acteurs a été signée en septembre 2020. Vous n'imaginez pas à quel point des poupées ingénieures, cosmonautes, cheffes de chantier ou pilotes peuvent autoriser et susciter des vocations quand elles sont associées à l'imaginaire de jeu d'un enfant. Nous devons, dès le plus jeune âge, faire sauter ces verrous, dans l'environnement familial et le commerce, mais également à l'école.

Concernant l'orientation, nous avons demandé aux dirigeants des écoles d'ingénieurs Mines-Télécom, qui dépendent du ministère de l'économie, des finances et de la relance, d'établir des plans d'action pour attirer les jeunes filles dans les écoles d'ingénieurs et dénouer le goulet d'étranglement à l'entrée de l'industrie. Mais nous savons bien entendu qu'intervenir plus en amont serait plus efficace. C'était tout l'enjeu de la semaine de l'industrie qui devait se tenir à la fin du mois de mars 2020 et qui devait être très orientée vers les jeunes filles. En lien avec les régions, nous devons aussi mettre à profit les cinquante-quatre heures obligatoires consacrées à l'orientation en classes de quatrième, troisième, seconde et première. Nous avons d'ailleurs commencé à constituer un vivier d'intervenants ayant vocation à décentrer le regard des jeunes, en faisant le pari, par exemple, de choisir un infirmier pour présenter les métiers du soin et une cheffe de chantier pour présenter ceux du bâtiment et des travaux publics (BTP).

S'agissant de l'évolution professionnelle, nous avons publié, en juin dernier, un guide des bonnes pratiques innovantes en matière d'égalité femmes-hommes dans les entreprises. Il détaille trente bonnes pratiques autour de trois grands axes : attirer les femmes dans l'industrie, garder les talents féminins et permettre aux femmes d'évoluer dans ce secteur. L'idée est de valoriser les entreprises ainsi que les organisations syndicales et patronales qui ont de bonnes idées en la matière et qui les ont mises en œuvre concrètement. Ne nous limitons pas au shame : soyons aussi dans le celebrate ! Ce guide est distribué à l'ensemble des secteurs et a vocation à être actualisé régulièrement.

Pour répondre à ceux qui ne croient pas à l'existence d'un vivier de femmes industrielles pour alimenter leur processus de recrutement, nous avons créé le collectif IndustriElles, autour de réseaux de référence. Alors que notre objectif initial était de rassembler 1 000 femmes, ce réseau regroupe désormais près de 2 000 femmes de tous les âges, départements et secteurs de l'industrie, qui ont vocation à servir à la fois de modèles et d'ambassadrices.

Nous avons déjà élaboré une feuille de route pour les mois à venir, dont je vous présenterai certains éléments.

Tout d'abord, nous mobiliserons le CNI pour intégrer le sujet de la parité hommes‑femmes dans les nouveaux contrats stratégiques de filières. Sachez qu'à chaque fois que je signe un courrier annonçant à une entreprise qu'elle bénéficiera du plan de relance, la question de la parité hommes-femmes est citée comme l'un des éléments de la contrepartie que nous pouvons lui demander.

Ensuite, nous nous attellerons à l'élaboration d'une norme AFNOR – Association française de normalisation – sur l'égalité femmes-hommes, ainsi qu'à la rédaction d'une version internationale du guide des bonnes pratiques innovantes en matière d'égalité.

Enfin, nous organiserons des formations sur les biais de genre à destination des DRH, des dirigeants et des encadrants, à l'instar de ce qui se pratique déjà chez L'Oréal. À ce propos, on distingue deux types de biais. On observe, d'une part, une autocensure développée par les jeunes filles et les femmes au cours de leur carrière. Vous connaissez tous l'exemple de la négociation du salaire au premier poste : 80 % des jeunes femmes ne demandent pas plus que le salaire qui leur est proposé, considérant que c'est déjà formidable d'obtenir le poste, tandis que 50 % des jeunes hommes osent formuler cette demande. On constate, d'autre part, que le regard et les questions que posent les DRH, les encadrants et les dirigeants les amènent parfois à des conclusions faciles. Nous avons remarqué, par exemple, que les membres d'un comité d'investissement posent des questions différentes selon le genre de la personne interrogée : ils ont davantage tendance à évoquer les risques des projets proposés par les femmes entrepreneures, alors qu'ils interrogent plutôt les hommes sur les opportunités. Encore une fois, je cite le résultat d'études académiques, je ne suis pas dans le fantasme.

Nous souhaitons également mettre à jour la convention entre l'éducation nationale, France industrie et le ministère de l'économie, des finances et de la relance, sur un certain nombre de sujets, notamment sur les enjeux de la féminisation de l'industrie.

Notre arsenal législatif relatif à l'égalité femmes-hommes fait partie des plus performants au monde – nous devons le reconnaître et nous en prévaloir. Le récent allongement du congé paternité fait de la France l'un des pays les plus avancés en la matière – c'est à mes yeux un progrès considérable, tant pour les hommes que pour les femmes. Nous fêterons demain les dix ans de la loi Copé-Zimmermann, qui prévoit que la proportion des membres de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % au sein des conseils d'administration et des conseils de surveillance. En dix ans, grâce à cette loi, nous avons quadruplé la présence des femmes au sein de ces conseils. Là encore, nous sommes la nation la plus avancée sur cette question.

Il manque cependant une dernière brique : l'établissement de quotas de femmes dans tous les lieux de décision – les fédérations professionnelles, les syndicats représentatifs de salariés, les sociétés d'investissement, les comités d'investissement… Ces quotas doivent probablement être déterminés en partie par la loi, et en partie par la soft law. Étant très attachée aux valeurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, je craignais presque, lors du vote de la loi Copé-Zimmermann, que cette dernière n'affuble les femmes de l'étiquette de « femmes quotas » ; cependant, je constate aujourd'hui que la fixation de tels quotas est malheureusement la manière la plus efficace d'accélérer le changement et de faire émerger les talents. J'assume de dire que je suis, en politique, une « femme quota ». Soyons clairs : si nous n'avions pas cherché la parité au sein du Gouvernement, je n'aurais pas été nommée ministre. De même, certaines grandes dirigeantes allemandes telles qu'Ursula von der Leyen et Annegret Kramp-Karrenbauer affirment qu'elles sont des « femmes quotas », ce qui ne retire rien à leurs qualités professionnelles.

Pour établir des quotas dans les comités exécutifs, nous devons nous servir d'accroches juridiques, car nous n'avons plus le luxe du temps. Nous en trouvons dans le code du travail, pour les cadres dirigeants, mais aussi dans le code du commerce, avec la règle des 10 % de postes à plus forte responsabilité. On objecte souvent qu'il est difficile de définir un comité exécutif ; il suffit pourtant de considérer que c'est l'entreprise qui le définit. On nous rétorque aussi que les entreprises pourraient être tentées d'instituer ces quotas de manière fantaisiste ou cosmétique. Or je ne crois pas que les entreprises soient cyniques ; par ailleurs, celles qui agiraient de la sorte prendraient un vrai risque en termes d'image.

Au-delà de la loi, nous devons faire émerger une norme de place qui favoriserait l'égalité réelle au sein des entreprises. Je suis favorable à tous les dispositifs d'engagement des entreprises et des filières, ainsi qu'à la transparence sur les données de parité. On ne peut faire avancer que ce que l'on mesure. La réalité, c'est que la marque « employeur » est devenue un actif de l'entreprise et que les attentes des nouvelles générations vont nous aider à installer une pression sociale favorable à plus d'égalité. Les consommateurs cherchent aussi du sens. Je citerai pour exemples le site Glassdoor, ainsi que les labels RH « Great place to work » ou « Top employers » – nous pourrions demander à leurs responsables ce qu'ils comptent faire en matière de parité hommes-femmes, comment ils la mesurent et quelle est sa part dans l'attribution du label.

Par ailleurs, pour que la parité devienne une nouvelle frontière de l'engagement des entreprises, je crois à la pression des investisseurs. J'échange avec l'écosystème des investisseurs et des proxy advisors, et je les entends dire qu'ils commencent à évaluer les entreprises sur la question de la parité, non pas pour être politiquement corrects, mais parce que la parité est devenue pour eux un marqueur de la performance. Si nous lions étroitement financement et objectif de parité, nous disposons d'un levier éminemment puissant et complémentaire de la loi. Je veux saluer ici l'engagement de six grands investisseurs – Axa, Amundi, La Banque Postale Asset Management, Sycomore Asset Management, Mirova et Ostrum Asset Management – en faveur d'un minimum de 30 % de femmes dans les instances dirigeantes.

Je crois aussi à la soft law. Nous pouvons tous contribuer à l'élaboration de règles qui figureraient, par exemple, dans le code Afep-Medef et dans le code Middlenext, mais aussi dans le guide de vote en assemblée générale de grandes institutions de place telles que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou la Banque publique d'investissement. La parité doit devenir un objectif de place, et il vaut mieux prendre les devants que de nous faire imposer une vision anglo-saxonne du sujet. Cette dernière progresse. Il existe encore un proxy advisor dont l'actionnaire est français : utilisons-le !

Enfin, il convient d'inscrire cette nouvelle norme à la racine en organisant, à l'école et dans l'entreprise, des formations relatives à la lutte contre les biais inconscients. Là encore, la balle est dans notre camp. Comment former les professeurs, les proviseurs et les personnels chargés de l'orientation ? Comment accompagner les parents qui, même avec les meilleures intentions du monde, peuvent douter du cursus choisi par leur fille ? Comment déployer les dispositifs de mentoring dans les écoles et les entreprises, mais aussi dans l'administration et aux moments charnières de l'orientation des jeunes filles ?

Pour l'entreprenariat et l'investissement, c'est un peu la même chose : nous devons être transparents en matière d'objectifs et fixer des objectifs en soft law, notamment aux grands investisseurs de place. Je pense vraiment que nous pouvons entraîner un certain nombre d'investisseurs, à l'instar de ceux que j'ai cités. France Invest travaille sur ce sujet, sous l'égide de Dominique Gaillard. Il faut également féminiser les équipes d'investissement et celles qui instruisent les prêts bancaires, et publier des statistiques sur les entreprises soutenues. Il convient enfin de mettre en place des dispositifs de mentoring, d'accompagnement et de co‑développement, à l'instar de ce que pratiquent un certain nombre de réseaux tels que « Bouge ta Boîte », qui accompagne les femmes entrepreneurs dans les territoires.

Toutefois, nous devons reconnaître que l'égalité entre les femmes et les hommes ne pourra être réelle que si nous luttons contre la précarité. Réduire la précarité, c'est améliorer mécaniquement le sort des femmes. Il ne faut pas que l'arbre – les quotas dans les comités de direction ou parmi les cadres dirigeants – cache la forêt – la précarité d'un grand nombre de femmes. À ce propos, je rappelle que 70 % des personnes les plus vulnérables sont des femmes, ces dernières étant surreprésentées parmi les bas salaires et les statuts précaires.

J'ai évoqué l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : il s'agit d'une note attribuée aux plus grandes entreprises, sur la base d'une auto-évaluation de quatre à cinq critères. C'est une avancée majeure, mais certains biais d'analyse ont été récemment mis en évidence, notamment par le think tank Terra Nova. Premièrement, nous mesurons la situation au niveau du top management, mais pas la part des femmes dans les bas salaires. Deuxièmement, les temps partiels ne sont pas pris en compte dans la mesure des écarts de rémunération ; or 85 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Troisièmement, l'indicateur relatif aux augmentations de salaires accordées aux hommes et aux femmes n'intègre pas leurs montants. Je ne suis pas pour changer une loi claire, efficace et récente. Je suis favorable à la stabilité et à l'inscription de ce dispositif dans la durée, mais nous savons qu'à un moment, des évolutions de l'index seront nécessaires.

De manière plus générale, je suis persuadée que la mère des batailles consiste à rendre visibles les invisibles. Nous devons nous poser la question de la part des femmes dans les bas salaires, dans les contrats précaires – contrats à durée déterminée (CDD) et contrats d'intérim – et parmi les salariés à horaires décalés ou fragmentés dans chaque entreprise. Nous devons également nous interroger sur les conditions de travail de ces femmes à horaires décalés – je pense notamment aux personnels des entreprises de nettoyage. Leurs conditions de travail menacent leur vie de famille. Les longues pauses entre deux plages de travail sont des moments d'inquiétude, car les femmes n'ont pas forcément la possibilité de rentrer chez elles. Ne pourrions-nous pas réfléchir à aménager ces horaires ? Une partie des tâches de ménage ne pourrait-elle pas être effectuée en présence des autres salariés ou selon des plannings mieux organisés ? Le simple fait de rendre visibles ces invisibles peut changer la donne. Dans le même esprit, ne pourrions-nous pas mieux accompagner les femmes, en créant des lieux de vie où elles pourraient se reposer ou se former quand elles n'ont pas la possibilité de rentrer chez elles ?

Je soutiens enfin le travail engagé en vue d'améliorer les conditions de travail et de renforcer l'attractivité des métiers du lien et du soin – cela doit commencer dès l'école. Le Grenelle de la santé a permis des avancées majeures, mais les revalorisations salariales ne font pas tout : il faut aussi se pencher davantage sur les conditions de travail. J'ai travaillé, il y a longtemps déjà, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), et j'ai des souvenirs assez précis des conditions de travail des aides-soignants, de leur charge de travail, en particulier quand il s'agit de porter ou d'accompagner les malades, et de la pression psychologique qu'ils subissent, notamment quand ils n'ont pas assez de temps à accorder aux patients.

Les défis sont immenses. Le chemin sera long, mais en tant que ministre et citoyenne française, ce sont des combats pour lesquels je continuerai à m'engager.

Nous devons nous battre pour toutes les femmes. Leur émancipation économique s'inscrit dans la droite ligne de notre combat pour les Lumières et les droits de l'homme. C'est le premier pas dans la prise en compte de l'altérité. Si nous ne savons pas traiter la question des femmes, comment traiterons-nous, par exemple, le sujet du multiculturalisme ?

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Je vous remercie, madame la ministre déléguée, pour cet état des lieux sans concession. C'est bien en regardant la réalité que nous pourrons progresser et nous fixer des objectifs à la fois réalistes et ambitieux.

Je vous remercie également d'avoir élargi votre intervention. En effet, il ne s'agit pas uniquement de la place des femmes cadres ou dirigeantes au sein des entreprises, mais bien de l'émancipation économique de l'ensemble des femmes de notre pays. Toutes ces problématiques sont au centre des réflexions de notre délégation.

Je partage vos positions, notamment en ce qui concerne la précarité des femmes dans le monde du travail. La définition des critères de pénibilité est une question qui revient régulièrement pour les métiers du care – Brigitte Grésy, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), l'a de nouveau évoquée ce matin à Bercy –, mais qui doit également se poser pour les métiers de l'industrie, en particulier dans les secteurs les plus féminisés. Certains critères de pénibilité pourraient-ils être revus ? Je pense à la vendeuse de chaussures qui passe sa journée le dos courbé pour aider les clients à essayer des chaussures : sa situation n'est pas forcément prise en compte, alors que les critères de pénibilité sont peut‑être plus étayés dans des secteurs moins féminisés comme celui de la métallurgie.

S'agissant des questions de gouvernance, notamment de la composition des comités exécutifs et comités de direction, votre position est très intéressante car vous intervenez dans un secteur peu féminisé. Un certain nombre de contradicteurs estiment que, sur ce point, la loi ne devrait pas être universelle mais sectorisée, c'est-à-dire non applicable dans les mêmes conditions à tous les secteurs. Estimez-vous que les exigences de parité doivent être les mêmes quel que soit le secteur, quitte à ce que les dates butoirs fixées soient un peu différentes pour laisser à certaines entreprises le temps d'élargir leur vivier ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous donner quelques précisions sur la norme AFNOR que vous avez évoquée ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

S'agissant des critères de pénibilité, une négociation est en cours sous l'égide du Premier ministre, avec la ministre du travail et les syndicats. L'industrie est relativement en avance sur la question de l'ergonomie des postes de travail. Lorsque nous travaillons sur le concept d'industrie 4.0, nous procédons à des améliorations des conditions de travail tout à fait notables. Je pense notamment au déploiement des robots et des cobots, qui allègent les tâches des hommes et des femmes dans certains métiers de l'industrie et diminuent la nécessité d'avoir un potentiel physique important pour manœuvrer, par exemple, des lignes de production dans l'automobile. Nous devons encore augmenter les exigences en matière d'ergonomie des postes de travail et faire le lien avec les maladies professionnelles, les troubles musculo-squelettiques et l'absentéisme. Il y a là un coût caché, qui n'est pas toujours assumé par les entreprises. L'évolution des postes de travail permet de faire travailler les salariés plus longtemps à leur poste et de diminuer massivement le taux d'absentéisme. Ces observations ne se vérifient pas pour tous les métiers : dans le secteur de la métallurgie lourde, par exemple, les conditions de travail demeurent assez particulières compte tenu des process de production, mais une réflexion poussée sur les questions d'ergonomie devrait permettre de trouver des solutions. J'insiste sur le fait que ces améliorations ergonomiques permettent d'augmenter la productivité, de limiter tant l'absentéisme que la désorganisation des lignes de production, et de traiter le problème des séniors qui peinent à aller au bout de leur carrière.

En matière de gouvernance, il me semble que vous devez définir un objectif unique. Je rappelle que la fixation d'un quota de 30 % induit qu'un genre est deux fois plus représenté que l'autre ; ce n'est donc pas un objectif insurmontable. Bien évidemment, un temps d'adaptation doit être accordé. Un premier argument en faveur de l'établissement rapide de ces quotas est qu'il n'existe pas de renouvellement automatique des mandats. Par ailleurs, dans les plus petites entreprises, la question n'est pas de recruter des femmes, mais simplement de recruter. Certains patrons de PME m'ont dit qu'ils n'arrivaient pas à recruter et que si je leur proposais la candidature d'une femme, ils l'embaucheraient immédiatement ! Nous devons être conscients que, tant que nous n'aurons pas résolu le problème de l'attractivité des métiers de l'industrie, il ne sera pas possible d'exiger une réelle parité.

Nos travaux sur l'élaboration d'une norme AFNOR consistent à rédiger un document de référence définissant les bonnes pratiques permettant de faire progresser l'égalité femmes-hommes. Ces pratiques concernent l'éducation, la santé, la prévention et l'arrêt des violences, les droits des jeunes filles et l'autonomisation économique des femmes. Dans un paysage où se définissent des normes de responsabilité sociale et environnementale, il est essentiel de faire entendre une voix française et une voix européenne. En effet, les Anglo‑Saxons, qui ne s'intéressaient pas vraiment au sujet, sont en train de s'en emparer, avec des éléments qui vont probablement nous déstabiliser. Dans certains modèles américains, il est par exemple demandé aux patrons de démontrer la diversité de leurs employés en fournissant des statistiques ethniques. Ces statistiques étant interdites en France, les entreprises de notre pays sont forcément mal notées, quelles que soient d'ailleurs leurs pratiques en matière de diversité ; or cette note est prise en compte par les investisseurs potentiels. Tout cela est très dangereux. Olivia Grégoire s'occupe de cette question, je la laisserai donc vous en parler. Les travaux sur la norme AFNOR, placés sous le haut patronage du Président de la République, ont débuté et seront présentés en juin 2021, lors du forum Génération Égalité de l'Organisation des Nations unies (ONU) qui se déroulera à Paris.

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Je vous remercie, madame la ministre déléguée, pour vos propos toujours riches et motivants.

En vous écoutant, un souvenir m'est revenu, qui a marqué le début de ma carrière. Il y a plusieurs dizaines d'années, je devais évaluer une entreprise américaine d'encadrement de production alors que je n'avais pas vu tous les employés. Parmi eux, une femme avait reçu la note de zéro en termes d'augmentation annuelle, parce qu'elle avait pris un congé de maternité.

Hier, une éminence grise de la majorité m'a appelé pour me demander ce que je ferais dans un an. Je lui ai répondu que, pour l'instant, ce qui m'intéressait, c'est qu'il y ait potentiellement trois candidatures féminines à la prochaine élection. L'étonnement de mon interlocuteur a confirmé que nous avions encore du travail à réaliser sur les succession plannings, que ce soit en entreprise, en politique ou dans le domaine associatif.

J'ai été ravi de lire les résultats de la grande consultation lancée par le Gouvernement sur Make.org et intitulée « Agir ensemble pour l'égalité femmes-hommes dans l'économie ». Parmi les sujets plébiscités, juste après le congé parental, vient la question de la sensibilisation et de l'éducation. Or 80 % des participants à cette consultation ont moins de 34 ans. Vous avez déjà évoqué la charte pour une représentation mixte des jouets. Comment aller encore plus loin dans l'éducation dès le plus jeune âge ? Pourrions-nous créer un index de l'égalité à l'école ? Par exemple, 80 % des enseignants dans les écoles sont des maîtresses, alors que les directeurs sont plutôt des hommes. Quelle image renvoyons-nous à nos enfants ? Lorsque j'interviens dans des classes de CM2 dans le cadre du Parlement des enfants, je demande aux élèves s'ils observent des inégalités entre les garçons et les filles dans le périmètre de l'école : 80 % des enfants lèvent la main, ils sont donc bien conscients du monde dans lequel ils grandissent. Aussi, il serait intéressant de créer un index de l'égalité à l'école. Nous pourrions nous inspirer des cours d'empathie organisés au Canada depuis une trentaine d'années.

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Madame la ministre déléguée, je vous remercie de votre présence et de l'intérêt que vous portez à la question des droits des femmes.

Ma question porte sur la parité en politique, un sujet très important que La République en Marche a défendu aux élections législatives de 2017 en présentant plus de 50 % de femmes dans les circonscriptions gagnables, conformément aux engagements pris par Emmanuel Macron. Les Républicains, en revanche, ont préféré faire une croix sur 1,78 million d'euros plutôt que de respecter la loi. Par ailleurs, les dix-sept premières formations politiques françaises ont perdu 2,18 millions d'euros en 2018 pour ne pas avoir respecté la parité. Fin 2019, le Gouvernement a mené une consultation publique sur cette question et en a conclu qu'il conviendrait de multiplier les pénalités par cinq pour qu'elles soient vraiment dissuasives. Or il me semble que l'idée de pénaliser davantage les partis politiques qui ne respectent pas cette règle a disparu de la discussion. Quel est votre avis ?

Vous avez indiqué être devenue ministre parce que vous étiez une femme. J'ai été élue députée en 2017 pour la même raison. Augmenter le nombre de femmes en politique, c'est agir pour une meilleure représentation de la société, car 50 % des électeurs sont des électrices. Je constate aussi que les femmes sont plus attentives aux politiques publiques menées en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes.

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Si la loi Copé-Zimmermann a été un succès, c'est surtout parce qu'elle ne laisse pas le choix aux entreprises : elle ne leur donne pas la possibilité de s'exonérer de leurs obligations en payant une amende. Les actes adoptés par les conseils de surveillance et les conseils d'administration non paritaires sont considérés comme nuls. Par ailleurs, cette loi a permis de trancher la question des quotas. Aujourd'hui, personne ne remet en cause la compétence des femmes, quand bien même elles seraient là du fait des quotas – je suis également une « femme quota ». La loi Copé-Zimmermann a montré son efficacité ; sans doute devrions-nous poursuivre le combat dans le domaine politique.

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Je vous remercie, madame la ministre déléguée, de votre engagement sur la question de la place des femmes dans l'économie, notamment dans l'industrie. Je vous remercie aussi pour votre volonté d'y sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge, qui s'est notamment traduite par l'élaboration d'une charte pour une représentation mixte des jouets – nous savons tous que les vocations peuvent se déclencher très tôt. Aujourd'hui, cependant, nous devons accompagner des jeunes femmes qui n'ont pas bénéficié de jouets non genrés et qui souhaitent suivre des études d'ingénieur ou intégrer une filière STEM – science, technology, engineering and mathematics – afin de mener des carrières dans des secteurs porteurs d'emplois et de solutions d'avenir.

Dans le cadre de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, nous avons prévu l'organisation d'une campagne nationale encourageant les enfants à s'orienter vers des filières STEM. Dans quelle mesure le ministère de l'économie, des finances et de la relance peut-il y contribuer ?

Par ailleurs, quel doit être notre niveau d'exigence à l'égard des écoles qui forment à ces métiers ? Nous pouvons soulever la question des quotas à l'entrée de ces écoles. Aujourd'hui, des bonifications sont accordées à certains candidats sur des critères sociaux ; or les responsables des écoles constatent malheureusement que ces bonifications entraînent l'admission d'élèves pour lesquels le niveau de la formation s'avère trop élevé. Il convient donc de renforcer l'accompagnement de ces étudiants. Seriez-vous favorable à l'établissement de quotas permettant d'augmenter le nombre de femmes dans les écoles d'ingénieur et les filières STEM ? Si oui, quelles sont les perspectives ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

S'agissant de l'index de l'égalité à l'école, je suis favorable, par principe, à tout ce qui se mesure et ajoute de la transparence. Cela permet de dégonfler les fantasmes et de construire des plans d'action. L'élaboration d'un tel index devra porter non seulement sur le corps enseignant, mais aussi sur les orientations des élèves, en particulier des jeunes filles. Il reste trop de stéréotypes. Nous devons également nous interroger sur les écarts observés entre les jeunes garçons et les jeunes filles, selon les disciplines, dans les études réalisées par le programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA). Je ne crois pas une minute au fait que ces inégalités soient innées. Selon que le système est exigeant ou non avec l'enfant, et suivant l'ambition que ce dernier projette sur une matière, ses résultats sont très différents. Aux États-Unis, des études sociologiques ont démontré qu'en attribuant des bonnes notes aux mauvais élèves et des notes plus basses aux bons élèves, le professeur pouvait inverser la tendance : les mauvais élèves reprenaient confiance en eux et se mettaient à travailler alors que les bons élèves doutaient. En somme, le regard porté par l'adulte et l'environnement de travail peuvent orienter une destinée. Il faudrait commencer par une phase de formation, car nous partons de très loin.

Monsieur Le Bohec, vous avez cité un exemple illustrant la perception par les entreprises des congés de maternité. J'ai moi aussi connu des entreprises où il était établi qu'une femme en congé de maternité ne devait pas bénéficier d'une augmentation, puisqu'elle ne travaillait pas ; cette pratique était tellement ancrée dans la culture des entreprises qu'elle ne suscitait pas d'interrogation. Nous devons rendre visibles ces biais de genre. Lorsque nous avons rédigé la charte pour une représentation mixte des jouets, nous nous attendions à une certaine résistance. Nous nous sommes en effet heurtés à une résistance culturelle et à un tombereau d'insultes sur les réseaux sociaux ; en revanche, les acteurs que nous avons réunis autour de la table ont adhéré à la démarche beaucoup plus rapidement que nous ne nous y attendions. Le changement des catalogues de jouets d'une année sur l'autre est assez saisissant.

Il y a donc une certaine attente. Le moment est plutôt favorable. Cependant, je le répète, nous devons d'abord nous concentrer sur la formation et rendre ces biais de genre visibles afin que les acteurs prennent conscience de l'importance du changement. Beaucoup de professeurs sont prêts à s'engager, et nous devons leur donner des outils ; ils perçoivent certaines choses mais n'ont pas forcément les bons réflexes ou n'adoptent pas naturellement les bonnes attitudes.

Plus généralement, il est important d'analyser les statistiques d'orientation en seconde, première et terminale, notamment pour les spécialités scientifiques, de veiller à ce que les conseils d'orientation ou les conseils de classe ne reproduisent pas certains stéréotypes, et de prendre le temps d'accompagner les jeunes filles dont les professeurs estiment qu'elles ont des aptitudes pour les métiers scientifiques.

Dans l'enseignement supérieur, un travail a été mené, à la demande de Frédérique Vidal, sur la question de la diversité. Il serait intéressant de se pencher sur la composition des jurys et de produire certaines statistiques – combien de candidats et de candidates participent au concours, combien réussissent l'écrit, combien réussissent l'oral… On observe parfois qu'un grand nombre de candidates passent la barre de l'écrit mais échouent à l'oral ; or nous avons du mal à penser que les filles sont à ce point meilleures à l'écrit qu'à l'oral. Il est important de donner de la visibilité à tous ces sujets afin de créer une habitude de travail.

Nous devons susciter chez les jeunes filles l'envie de s'orienter vers des filières scientifiques. Il s'agit d'un sujet auquel Jean-Michel Blanquer est très attaché : il est important de proposer aux élèves des orientations qui ouvrent le maximum de perspectives et de leur offrir un accompagnement par les professeurs, qui sont des prescripteurs.

S'agissant de la parité en politique, nous avons vu, aux dernières élections législatives, qu'il était possible de faire émerger une génération de femmes politiques. Dans une vie antérieure, j'étais membre de la commission nationale d'investiture de La République en marche : nous nous efforcions de faire remonter des CV des femmes, mais une fois que nous en disposions, nous pouvions procéder à un choix ouvert et non par défaut. Par ailleurs – mais il s'agit là d'une opinion personnelle –, il serait certes intéressant de durcir les sanctions financières prononcées à l'encontre des partis politiques, mais nous devrions aussi dénoncer, en toute transparence, ceux qui ne respectent pas la parité. Le name and shame est également un levier d'action très efficace.

Je rappelle que la sanction prévue par la loi Copé-Zimmermann était la perte des jetons de présence pour le dernier rentré au conseil d'administration qui ne respectait pas la parité. Cette sanction relativement mesurée a été modifiée par la loi PACTE : désormais, le non-respect des règles peut entraîner la nullité des délibérations du conseil d'administration. Jusqu'en 2019, le respect de la parité a été garanti par une logique réputationnelle : pour de nombreuses entreprises publiant un rapport d'activité, il était difficilement acceptable de montrer à l'Autorité des marchés financiers (AMF) et au grand public qu'elles n'avançaient pas au rythme de la loi Copé-Zimmermann. La parité est alors devenue une règle de place : les entreprises se sont adaptées, ont cherché des femmes et se sont aperçues qu'il y en avait plein ! Cela a d'ailleurs permis de rajeunir les conseils d'administration, de les ouvrir à l'international et à des profils différents.

Concernant les filières STEM, nous travaillons, par exemple, avec l'UIMM sur le sujet de l'accès des femmes aux carrières scientifiques, en présentant des modèles de jeunes femmes ayant réussi et en utilisant notre réseau d'écoles. Nous avons la chance de disposer des écoles du réseau Mines-Télécom, réparties sur l'ensemble du territoire et orientées vers la transformation numérique ; ces écoles d'excellence, reconnues à l'international, fournissent des contingents importants d'ingénieurs. Utilisons d'abord ce levier, plutôt que de nous attaquer d'emblée à l'ensemble de l'enseignement supérieur, ce qui demanderait beaucoup d'énergie et d'accompagnement. J'ai fixé à Odile Gauthier, la nouvelle directrice générale de l'Institut Mines-Télécom – première femme nommée à ce poste –, et au patron de Télécom Paris, qui est étranger, des objectifs en la matière. Nous pourrions ainsi fixer de tels objectifs à tous les directeurs d'école, comme nous pourrions d'ailleurs en fixer à tous les niveaux de responsabilité. Aujourd'hui, près de 37 % des dirigeants du STOXX Europe 600 poursuivent des objectifs de parité au sein de leur conseil d'administration. Vous n'êtes pas forcément obligés d'inscrire ces principes dans la loi : s'ils sont rappelés dans le code Afep-Medef ou dans des codes équivalents, ou si vous faites en sorte que le respect de ces règles soit exigé par les grands investisseurs pour approuver une nomination ou une rémunération, l'effet est assuré : le marché ne mettra que deux ans à s'adapter.

S'agissant du niveau d'exigence des écoles et des quotas, l'accompagnement des élèves, quel que soit leur profil, doit être une priorité. Lorsque j'ai passé le concours d'entrée à l'École nationale d'administration (ENA), les candidats qui se présentaient au concours interne bénéficiaient d'une année de préparation, pendant laquelle ils étaient accompagnés par leur administration. Ils pouvaient suivre des cours de grande qualité et consacrer un temps substantiel à la préparation du concours tout en étant rémunérés. Des dispositifs de cette nature pourraient être envisagés – mais je ne veux pas m'avancer, car il faudrait évaluer leur coût. C'est, toutes proportions gardées, ce que propose Jean-Michel Blanquer avec l'opération « vacances apprenantes ».

Albert Camus a eu un parcours d'excellence grâce à son instituteur qui l'a fait travailler tous les soirs. C'est ce cadeau que nous devons offrir aux jeunes filles et, plus généralement, à tous les jeunes qui n'ont pas les mêmes chances que d'autres. En revanche, je ne recommande pas de baisser le niveau d'exigence. Regardez ce qui s'est passé pour le baccalauréat !

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Le même niveau d'exigence pour toutes et tous – y compris, donc, pour les femmes, qui se fixent déjà un niveau d'exigence élevé ! Aujourd'hui, les différents acteurs doivent prendre toute leur part dans ce combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes, que le Président de la République a qualifié de grande cause du quinquennat.

Je vous remercie encore, madame la ministre déléguée, pour la précision de vos réponses. Vous nous avez présenté un état des lieux très complet ainsi que les actions très concrètes que vous menez dans votre champ de compétence.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l'Assemblée à l'adresse suivante :

http://assnat.fr/OPxK60

La réunion s'achève à 18 heures 45.

Membres présents ou excusés

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.