Cette réunion est la première à se dérouler au format dit « mixte » et je salue les collègues, notamment d'Outre-mer, qui se sont connectés à distance et qui pourront ainsi participer pleinement à nos travaux.
Madame Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, nous sommes très heureux de vous accueillir quasiment un an après votre première audition par notre Délégation. Dans la suite de la présentation de notre rapport d'activité la semaine dernière, cette rencontre nous permet d'ouvrir nos travaux pour la session 2021-2022 en revenant sur les principales thématiques abordées par la Délégation au cours de l'année écoulée et en abordant, naturellement, les grandes lignes du projet de loi de finances pour 2022 en ce qui concerne les ressources consacrées à l'égalité entre les femmes et les hommes.
Avant toute chose, en cette journée mondiale du droit à l'avortement, je tiens à rappeler que l'accès à l'interruption volontaire de grossesse demeure la pierre angulaire des droits des femmes. L'histoire nous montre que la libre disposition de son corps est la première condition de leur émancipation. Rendre aux femmes leurs corps, trop longtemps objet de domination, est l'essence même de l'interruption volontaire de grossesse, un droit fondamental encore en péril à travers le monde. Si l'on peut se réjouir des décisions récentes prises par le Mexique et Saint-Marin pour dépénaliser l'avortement, on ne peut que s'inquiéter du retour en arrière effectué par un État comme le Texas.
C'est dans cette ambiance régressive que s'est inscrite cet été la diffusion, en prime time sur la chaîne C8, du film militant et mensonger Unplanned. Cette diffusion ne tombe pas strictement sous le coup de la loi, mais doit malgré tout nous interroger quant à la tribune dont bénéficient les opposants à la liberté des femmes. Aussi, madame la ministre, au-delà de la condamnation morale, comment le Gouvernement entend-il contrecarrer ce discours ? Une campagne de communication autour du droit à l'avortement paraît-elle envisageable ?
Par ailleurs, comme nos collègues Cécile Muschotti et Marie-Noëlle Battistel l'ont montré dans leur rapport, si, dans notre pays, le droit à l'avortement est garanti, son effectivité n'est pas pleine et entière. Chaque année, entre trois et quatre mille femmes sont conduites à sortir du cadre légal français pour pratiquer un avortement à l'étranger, faute d'une prise en charge adaptée sur notre territoire. Les causes sont multiples, mais pouvons‑nous continuer de laisser à nos voisins européens le soin et la charge d'assurer la liberté de choix des Françaises ? Je ne le pense pas.
Outre ces cas, il y a toutes les histoires silencieuses de femmes à qui l'on a imposé un lieu, une méthode, un professionnel, ces femmes pour qui l'expérience restera douloureuse alors qu'il en aurait pu être autrement. J'insiste sur ce point parce que notre pays fait encore de l'avortement un acte à part, honteux et coupable. Aussi, madame la ministre, alors qu'une proposition de loi visant à rendre plus effectif le droit à l'avortement a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, qu'entend faire le Gouvernement à ce sujet ?
Ensuite, nous souhaiterions faire un point d'étape sur la mise en œuvre du Grenelle des violences conjugales, deux ans après cet exercice historique, dont le Livre blanc produit par la Délégation a décliné très précisément des modalités d'application de ses objectifs.
L'année dernière, vous nous aviez décrit l'état d'exécution des quarante‑six mesures retenues. Parmi celles-ci, dix-sept étaient réalisées et 50 % en cours de réalisation. Pourriez‑vous nous indiquer le degré de mise en œuvre du Grenelle à ce jour, et votre évaluation de l'efficacité de ces mesures ? Nous nous interrogeons notamment sur le déploiement des bracelets antirapprochement (BAR) ainsi que des téléphones grave danger, et souhaiterions vous entendre sur les conditions d'accueil et de soutien proposées aux victimes de violences conjugales auxquelles, en tant que parlementaires, nous sommes malheureusement confrontés régulièrement dans nos territoires.
Se pose également la question du suivi des plaintes déposées par les victimes. Je rappelle qu'un quart des femmes décédées sous les coups de leur conjoint en 2020 avaient déjà déposé plainte ou effectué un signalement contre ces derniers. C'est la raison pour laquelle le ministre de l'intérieur a annoncé que la priorité sera donnée par les forces de police et de gendarmerie au traitement des plaintes pour violences conjugales. Pourriez‑vous nous décrire la façon dont les commissariats et brigades de gendarmerie vont concrètement améliorer les conditions d'accueil des victimes et de suivi de leurs plaintes ?
Sur le plan international, vous partagez notre préoccupation quant aux nombreuses régressions en cours pour les droits des femmes, qu'illustre notamment la situation en Afghanistan. Elle donne d'autant plus de relief à l'avis rédigé par Guillaume Gouffier-Cha sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités. Vous le savez, notre Délégation s'est saisie de la préoccupation de nos collègues sur la situation des femmes afghanes par un courrier que nous avons transmis au Premier ministre et auquel il a apporté une réponse. Nous souhaiterions également vous entendre sur ce point.
J'ajouterai que la Délégation examinera prochainement deux rapports. Le premier porte sur les stéréotypes de genre et est rédigé par nos collègues Gaël Le Bohec et Karine Lebon. Vous avez rappelé l'acuité de cette question lors de votre déplacement à Creil. Le second, dont Laurence Trastour-Isnart et moi-même sommes rapporteures, aura trait à l'égalité économique et professionnelle. Je vous remercie du soutien que vous avez apporté à la proposition de loi sur l'égalité économique et professionnelle qui, à sa manière, traduit l'engagement des groupes composant notre Délégation.
Notre rendez-vous de rentrée est, bien évidemment, l'occasion d'échanger sur le projet de loi de finances pour 2022. Nous nous réjouissons particulièrement de l'annonce d'un budget en hausse de 25 %. Les crédits du programme 137 poursuivent ainsi leur croissance afin de permettre, entre autres, au tissu associatif féministe de renforcer son action. Peut‑être pourriez‑vous détailler les grandes lignes de votre projet de budget pour 2022 et nous indiquer les actions supplémentaires que cette hausse permettra de financer ?
J'aimerais également évoquer avec vous la question du 3919, numéro national d'écoute téléphonique et d'orientation à destination des femmes victimes de violences. À l'occasion du Grenelle, sa transformation a été décidée afin de renforcer l'offre de service, de l'étendre 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et d'en faciliter l'accès aux personnes en situation de handicap. La Délégation aux droits des femmes s'était mobilisée l'an dernier contre un appel à projet envisagé pour conduire la modernisation du service. Nous vous remercions d'avoir soutenu nos propositions et nous serions très heureux de vous entendre sur l'élargissement du service opéré ces derniers mois.
Le PLF pour 2021 avait également vu un travail de notre Délégation sur le financement des mesures de sortie de la prostitution. Nous plaidons pour l'accroissement de la part des ressources de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), versée pour le financement de cette politique conformément au dispositif adopté par le législateur dans la loi du 13 avril 2016. Lors d'auditions précédentes, nous avions déjà évoqué ce sujet, qui nous est particulièrement précieux tant nous constatons, dans nos territoires, que ces fonds ne sont pas suffisamment dévolus à la prise en charge des victimes ce qui limite le nombre de personnes – de femmes notamment – qui pourraient bénéficier d'un parcours de sortie de prostitution.
Mme Isabelle Rauch, notre rapporteure sur le PLF, aura certainement des questions complémentaires à vous poser à son sujet.
Enfin, je souhaite appeler votre attention sur les travaux que nous comptons engager à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances sur la question de la solidarité fiscale dans le couple.
Nous avons reçu de nombreux témoignages de situations dramatiques dans lesquelles, à la suite d'une séparation, le conjoint – dans 90 % des cas, l'ex-épouse – se retrouve redevable de lourdes sommes au titre d'activités ou de revenus qu'il ou elle ignorait. Les ex‑époux divorcés demeurant solidaires des sommes dues pendant leur union, certaines circonstances peuvent faire peser injustement une dette fiscale – je précise bien « fiscale », et non sociale – sur l'un des deux, le plus généralement sur l'épouse, bien après la fin de la vie commune : décès de l'ex-conjoint, réintégration par le fisc de revenus qui peuvent avoir été dissimulés au titre des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), insolvabilité organisée de l'ex-conjoint. Pour faire face à ces nombreuses situations, la loi de finances pour 2008 avait complété l'article 1691 bis du code général des impôts afin d'instaurer un droit à la décharge en responsabilité solidaire en matière fiscale. Malheureusement, la pratique a mis en lumière une lecture bien trop restrictive de ces dispositions par l'administration fiscale, la conduisant souvent à examiner la capacité de remboursement sur des durées particulièrement longues, pouvant atteindre dix ans.
Cette situation ne correspond pas à l'esprit des dispositions législatives. Elle provoque des situations de grande détresse, du contentieux et pèse plus particulièrement sur les conjointes exerçant une activité professionnelle et sur l'ensemble de la famille. Dans la mesure où il s'agit le plus souvent de femmes en situation de monoparentalité, cela vient encore alourdir la charge familiale qui pèse sur elles. À mon sens, nous devons revoir ces dispositions. Je serai heureuse de connaître votre point de vue sur cette question.
Cette réflexion s'intègre plus largement dans le cadre de la mission d'information sur l'égalité économique et professionnelle. Un déplacement effectué la semaine dernière en Suède m'a d'ailleurs confortée dans l'idée que ce sujet est lié à l'individualisation de la fiscalité, essentiel pour faire des femmes de véritables sujets économiques autonomes. Nous avons une réflexion collective à mener en la matière, sans opposer les solidarités et mécanismes d'allocation et la question de l'autonomisation économique des femmes.