Je suis très heureux d'avoir pu répondre à votre invitation pour évoquer avec vous ce sujet très important qu'est la place des femmes dans le secteur agricole et agroalimentaire. Je remercie l'ensemble de la Délégation et sa présidente pour son travail, car il convient de faire progresser la question de la place des femmes dans le monde agroalimentaire.
Le constat est clair : la population agricole est toujours majoritairement masculine. En 2016, les femmes représentaient environ 30 % des actifs permanents agricoles. Le dernier recensement agricole montre que les exploitations sont dirigées à 26 % par des femmes ‑ s'agissant des exploitations agricoles métropolitaines, en 2020. Ce chiffre est en léger recul, de 1 %, par rapport au précédent recensement, dix ans plus tôt.
La présence des femmes à la tête des exploitations s'est donc consolidée, mais pas améliorée, d'un point de vue statistique. La tendance est toutefois au renforcement puisque, en 1970, seulement 8 % des chefs d'exploitation étaient des femmes. D'ailleurs, les jeunes filles représentent 49 % des effectifs de l'enseignement agricole, contre 20 % en 1975.
Il nous faut agir avec détermination pour renforcer la place des femmes dans le monde agricole : même si la tendance de long terme est bien orientée, la stagnation des dix dernières années montre que du chemin reste à parcourir. L'objectif est assez simple : rendre ces métiers plus attractifs pour les femmes et lever les obstacles qui expliqueraient pourquoi elles ne sont pas plus nombreuses à la tête d'exploitations agricoles.
Cela soulève des considérations de trois ordres : d'abord sur le renouvellement des générations, la formation et l'installation ; ensuite sur la reconnaissance du travail des femmes qui passe par les mesures sociales évoquées par la présidente, par exemple relatives à la retraite – et de leur statut – beaucoup a été fait sur ce point ; et enfin, et c'est un sujet commun aux hommes, sur la rémunération et les équilibres de vie, ce qui pose de manière incidente la question de la pénibilité au travail.
S'agissant de la première question, il faut poursuivre et démultiplier les efforts que nous avons déjà entrepris. Des actions fortes de communication doivent être menées, pour faire progresser la considération même des métiers agricoles. C'est ce qui a été fait avec la grande campagne autour des « entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple », selon les termes que j'aime utiliser pour décrire les agricultrices et agriculteurs. Nous avons veillé à présenter ces métiers comme étant exercés non seulement par des hommes, mais aussi par des femmes ; chacun a pu le constater en voyant cette campagne, au printemps 2021 ou à l'automne.
L'enseignement agricole est une question cruciale. Que ce soit de la part du législateur ou de l'exécutif, les efforts ne manquent pas pour ouvrir les métiers du vivant aux jeunes filles et pour les appuyer dans ce choix de carrière professionnelle, qui les mène vers ces métiers magnifiques de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de l'enseignement supérieur agronomique, mais aussi de vétérinaire et de paysagiste. Ces derniers sont déjà très majoritairement féminins. Le taux de féminisation est de 63 % dans l'enseignement supérieur agronomique et même de 76 % dans les écoles vétérinaires. Au sein de l'enseignement technique agricole, la situation est plus équilibrée – 51 % de garçons et 49 % de filles – mais la répartition est inégale entre les spécialités Les formations liées aux services accueillent majoritairement des jeunes femmes tandis que les métiers de la production et même de la transformation accueillent davantage de garçons.
Nous portons nos efforts à des moments clés, lors de l'orientation en fin de troisième pour faire connaître l'enseignement agricole, puis pendant la formation pour choisir entre les différentes filières. Des actions très concrètes sont menées, notamment en partenariat avec des associations comme 100 000 entrepreneurs, et nous organisons des rencontres avec les différentes organisations professionnelles – syndicats agricoles ou organisations des différentes interprofessions. Ce sujet de l'orientation est absolument essentiel. L'enseignement agricole est une richesse pour notre pays et nous déployons beaucoup d'efforts pour maintenir sa singularité et faire connaître ses qualités, s'agissant tant des valeurs qu'il prône que de son caractère inclusif.
Pour communiquer positivement en faveur des métiers du vivant, je revendique une position radicale face à l'agri- bashing : je pense qu'il ne faut pas en parler, et qu'il est une erreur de vouloir « basher l'agri- bashing ». Je refuse d'entrer dans le jeu de ceux qui s'y livrent, qui cherchent à provoquer la profession pour l'emporter sous son propre poids. Il faut au contraire être à l'offensive et communiquer positivement, quels que soient les dires de certains. Nous devons présenter le quotidien de ces métiers, leurs valeurs et leur sens, et les batailles que nous menons sur des sujets comme les rémunérations et les transitions. Nous devons insister sur la beauté qu'il y a à se lever le matin pour assurer cette noble mission de nourrir le peuple de France, sans ignorer aucun des défis face auxquels nous nous battons collectivement.
Enfin, la communication prend divers aspects. J'ai évoqué les grandes campagnes que nous menons, mais je salue également les très importantes communautés présentes sur les réseaux sociaux, qui parlent très directement du quotidien de ces métiers.
Deuxième volet d'action : reconnaître pleinement la valeur du travail des agricultrices – ce qu'a très bien fait le documentaire Nous paysans, diffusé il y a un peu moins de deux ans et qui a rencontré un franc succès. Ce film, qui retrace l'histoire de notre agriculture, montre bien le rôle essentiel qu'y jouent les femmes, y compris dans les moments les plus durs, pendant les conflits mondiaux mais également durant les transformations qui ont bouleversé le monde agricole depuis. La façon dont ce documentaire a mis en avant, et même en lumière les agricultrices, est une belle manière de leur rendre hommage et je tiens à m'associer au message qu'il véhicule.
Reconnaître pleinement la valeur du travail soulève évidemment la question de la rémunération. Des heures et des heures de débat ont été consacrées à cette question à l'Assemblée. Il s'agit évidemment de la mère des batailles, que nous menons collégialement. Nous y avons consacré différentes lois, notamment la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite EGALIM 2. Ma détermination à la faire appliquer est totale, même si c'est chose difficile, surtout dans le contexte inflationniste que nous connaissons. Nous ne lâcherons rien et le Gouvernement fera preuve d'une tolérance zéro vis-à-vis de celles et ceux qui essaieraient de ne pas l'appliquer.
Se pose également la question des mesures sociales. Nous devons œuvrer pour qu'après une vie de travail, les agricultrices, quel que soit leur statut, bénéficient d'une retraite digne, à la hauteur de leur engagement. Vous y avez contribué d'abord en limitant dans le temps le statut de conjoint collaborateur, plafonné à cinq ans par la loi du 17 décembre 2021, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles – la loi dite Chassaigne 2.
Vous l'avez fait ensuite, pour les retraitées actuelles, en revalorisant le montant des petites pensions. Ce fut l'objet des deux lois Chassaigne, la première, la loi du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, s'adressant aux chefs d'exploitation, alors que la seconde vient revaloriser la retraite des conjoints collaborateurs, qui sont à 75 % des collaboratrices. Des dizaines de milliers de conjointes collaboratrices en profiteront. Cette loi de décembre est entrée en vigueur le 1er janvier 2022 ; la première loi Chassaigne, quant à elle, était entrée en application en avance sur les prévisions. Cette bataille sur le montant des retraites est évidemment essentielle, et nous la menons collégialement avec beaucoup de détermination.
Je n'oublie pas les dispositions que vous avez votées dans le plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises ‑ la loi PACTE ‑, qui a permis de mieux lutter contre le phénomène des statuts manquants. Il importe que chacun puisse bénéficier d'un statut afin d'accéder à la protection sociale. Beaucoup a été fait ; c'est très important.
Le troisième volet d'action, enfin, concerne les équilibres de vie. Cette question concerne à la fois les femmes et les hommes. Ainsi, l'indemnisation des congés maternité et paternité a été améliorée pour tous les non-salariés agricoles. Ce congé n'est pas une nouveauté, puisque les agricultrices et agriculteurs peuvent en bénéficier depuis la fin des années 1970, avec une allocation de remplacement destinée à rémunérer une personne les remplaçant dans les travaux de l'exploitation à ce moment heureux de la vie. Pour autant, dans l'hypothèse où aucun remplaçant n'était disponible, il n'y avait aucune aide. Cela a changé avec l'instauration d'une indemnité journalière versée en cas d'impossibilité de se faire remplacer, votée en 2019 dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et entrée en application au 1er janvier 2020. Je suis très heureux que nous ayons pu accéder à cette demande formulée de très longue date. L'idée est que les agricultrices, qu'elles soient cheffe d'exploitation ou conjointe collaboratrice, puissent bénéficier d'un revenu même si elles s'arrêtent, pour protéger leur vie familiale.
Nous avons par ailleurs porté la durée minimale d'arrêt de deux à huit semaines au 1er janvier 2019, soit au minimum deux semaines de congé prénatal et six semaines de congé postnatal.
Enfin, dans le cadre de la crise de la covid-19, différentes mesures d'accompagnement social ont été prises, notamment en lien avec les services de la Mutualité sociale agricole (MSA), que je tiens à remercier pour son action allant de la garde d'enfants jusqu'à l'accompagnement en cas de difficultés de santé.
J'insisterai sur un quatrième point évoqué par Mme la présidente : celui de la pénibilité au travail, question d'autant plus importante que prospèrent encore un certain nombre d'idées reçues quant à la réalité du travail au sein des fermes et de la chaîne alimentaire. Nous avons renforcé différents dispositifs avec la MSA, comme l'aide au répit ou l'aide financière simplifiée. Le financement de ces mesures a été renforcé, les budgets passant de 3,5 à 5 millions d'euros pour la première et de 2,4 à 4,7 millions pour la seconde. Vous avez voté ces dispositions dans le PLFSS pour 2022, et je vous en remercie.
Au-delà de ces dispositifs pilotés par la MSA, le Gouvernement a décidé d'investir massivement dans les équipements liés à ce que j'appelle la troisième révolution agricole, qui permettent de faire face aux transitions et d'améliorer la compétitivité des exploitations, mais aussi les conditions de travail. En la matière, il faut beaucoup de courage et d'ouverture sur l'avenir. Cette troisième révolution agricole, celle du vivant et de la connaissance, concilie transition et capacités de production nourricière, compétitivité et amélioration des conditions de travail. C'est là encore d'une grande importance.
Pour conclure, j'insiste sur l'impérieuse nécessité de continuer à œuvrer avec force et détermination pour consolider et accentuer la place des femmes dans le monde agricole. Notre histoire a montré à quel point les agricultrices jouent, depuis toujours, un rôle fondamental. La République doit absolument continuer de les accompagner, et j'ai rappelé comment nous avions œuvré en ce sens. Il en est moins question que d'autres sujets, mais je suis très fier des mesures sociales qui ont été prises durant le quinquennat au profit du monde agricole, en travaillant d'ailleurs de manière transpartisane avec les oppositions. Nous avons su nous retrouver autour de la question des retraites, avec les propositions de loi du président du groupe communiste André Chassaigne, nous sommes parvenus à avancer sur les congés parentaux, sur les différents dispositifs d'accompagnement de la MSA et sur les statuts. Cette solidarité participe de l'ADN même du monde agricole.
Je tiens aussi à souligner l'importance de l'action des interprofessions, chambres d'agriculture et syndicats agricoles, quels qu'ils soient. De nombreux syndicats agricoles ont instauré des instances spécialisées dans la question des agricultrices. Le premier syndicat agricole de France est depuis longtemps très impliqué en la matière. Des femmes y ont été élues à la tête d'instances territoriales dès les années 1970, et il est aujourd'hui présidé par une femme. C'est un signal fort qu'envoient les organisations syndicales et je tiens à saluer leurs efforts, comme le travail collégial que mènent les parlementaires et l'exécutif et celui qu'accomplissent sur le terrain les professionnels. Je remercie votre Délégation de s'être saisie de ce dossier essentiel.