La réunion est ouverte à 16 h 50
Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.
La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes auditionne M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Monsieur le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, merci d'avoir accepté de vous rendre disponible pour cette audition, afin d'échanger avec nous sur le sujet fondamental de la situation des femmes dans le monde agricole. Ce secteur est éminemment stratégique pour notre souveraineté nationale, et nous savons à quel point la place des femmes y est décisive. Si notre Délégation s'est régulièrement saisie de la question de la situation des femmes agricultrices, c'est avant tout à l'occasion de différents travaux particuliers, par exemple relatifs au système de retraite ou aux dispositifs permettant de concilier vie familiale et professionnelle. Nous avons également mené des réflexions sur les stéréotypes de genre et sur les conditions d'orientation professionnelle des jeunes filles. Votre audition nous donne l'occasion d'évoquer l'égalité femmes-hommes dans le monde agricole d'une façon globale.
L'agriculture compte certainement parmi les secteurs ayant connu les plus profondes mutations au cours des soixante dernières années. Si les femmes ont toujours été au cœur de cette activité, elles sont longtemps demeurées dans l'ombre, à l'écart de la direction des exploitations et des prises de décision, mais également de certains droits. Elles n'ont que très progressivement gagné en visibilité et en autonomie. Il a fallu par exemple soixante ans entre l'apparition du terme d'« agricultrice » en 1961 et l'alignement de leurs droits au congé maternité sur ceux du régime général.
Nous souhaiterions vous entendre sur la situation générale des femmes agricultrices. Le monde des exploitants agricoles compte parmi ceux qui connaissent une dynamique de féminisation. La proportion de femmes cheffes d'exploitation agricole est passée de 8 % en 1970 à 27 % en 2016. Cette hausse s'explique notamment par la reconnaissance de la place des femmes dans les exploitations, mais est également due à l'automatisation de certaines tâches, qui rend la profession plus attractive. Néanmoins, on estime que 160 000 fermes, soit un tiers des fermes françaises, sont appelées à arrêter leur activité d'ici trois ans. Ce constat est inquiétant pour notre souveraineté alimentaire et doit nous amener à reconsidérer la place des femmes dans l'agriculture d'aujourd'hui comme dans celle de demain.
Mieux formées et plus diplômées que leurs homologues masculins, les agricultrices aspirent à un autre statut, non plus à côté, mais au centre de l'exploitation et donner une place aux femmes dans l'agriculture me semble de nature à y ajouter de la valeur.
Dans quelle mesure ce mouvement se poursuit-il et comment nous situons-nous par rapport à nos voisins européens ? Quels sont les leviers d'action disponibles pour encourager davantage encore les jeunes femmes à construire et diriger leur exploitation ? Pourriez-vous nous indiquer dans quelle mesure les aides à l'installation profitent aux femmes et nous détailler les dispositifs qui leur sont spécifiquement destinés ?
Le législateur s'est efforcé, par étapes, de combler les inégalités femmes-hommes dans ce secteur : un certain nombre d'avancées majeures ont sensiblement amélioré la situation des femmes. La création du statut de conjointe collaboratrice a permis de reconnaître le rôle de nombreuses épouses d'exploitants en leur conférant des droits autonomes de protection sociale. L'amélioration des petites retraites agricoles bénéficie avant tout aux femmes. La promesse, formulée en 2017, de réforme du congé maternité des agricultrices a été tenue, au travers d'une loi que j'ai eu le plaisir de défendre. Nous pouvons nous en réjouir. Notre Délégation a organisé un colloque consacré spécifiquement à ce sujet, et les associations sont unanimes pour se féliciter que les agricultrices bénéficient désormais d'un congé maternité d'une durée équivalente à celui du régime général. Toute la difficulté est celle du remplacement, qui se présente également en d'autres occasions, mais qui constitue l'une des clés pour que les agricultrices prennent effectivement leur congé maternité.
Peut-être pourriez-vous nous fournir des éléments statistiques montrant dans quelle mesure les femmes sollicitent et bénéficient du congé maternité, et de quelle façon il contribue à combler les écarts entre les femmes et les hommes ?
S'agissant des plus jeunes, il semble que les effectifs des lycées agricoles approchent de la parité, mais que des déséquilibres demeurent dans le choix des filières, les garçons étant surreprésentés dans les filières de production agricole et nettement minoritaires dans les filières des services à la personne et aux territoires. Nous nous en sommes rendu compte, monsieur le ministre, en visitant ensemble le lycée horticole de Marcoussis. Pourriez-vous nous préciser comment votre ministère agit pour favoriser la mixité des métiers agricoles et pour soutenir l'insertion professionnelle des jeunes ?
Par ailleurs, la profession se robotise et s'automatise – je pense ici au campus Hectar, qui pense un futur agricole durable, tant pour l'environnement que pour les hommes et les animaux, et dont la dirigeante, Audrey Bourolleau, a été identifiée par le collectif Sista comme l'une des dix femmes à suivre en 2022. Il convient de faire en sorte que les nouvelles technologies bénéficient également aux femmes et soient un facteur supplémentaire favorable à leur inclusion, tant dans le secteur du numérique que dans celui de l'agriculture.
Je suis très heureux d'avoir pu répondre à votre invitation pour évoquer avec vous ce sujet très important qu'est la place des femmes dans le secteur agricole et agroalimentaire. Je remercie l'ensemble de la Délégation et sa présidente pour son travail, car il convient de faire progresser la question de la place des femmes dans le monde agroalimentaire.
Le constat est clair : la population agricole est toujours majoritairement masculine. En 2016, les femmes représentaient environ 30 % des actifs permanents agricoles. Le dernier recensement agricole montre que les exploitations sont dirigées à 26 % par des femmes ‑ s'agissant des exploitations agricoles métropolitaines, en 2020. Ce chiffre est en léger recul, de 1 %, par rapport au précédent recensement, dix ans plus tôt.
La présence des femmes à la tête des exploitations s'est donc consolidée, mais pas améliorée, d'un point de vue statistique. La tendance est toutefois au renforcement puisque, en 1970, seulement 8 % des chefs d'exploitation étaient des femmes. D'ailleurs, les jeunes filles représentent 49 % des effectifs de l'enseignement agricole, contre 20 % en 1975.
Il nous faut agir avec détermination pour renforcer la place des femmes dans le monde agricole : même si la tendance de long terme est bien orientée, la stagnation des dix dernières années montre que du chemin reste à parcourir. L'objectif est assez simple : rendre ces métiers plus attractifs pour les femmes et lever les obstacles qui expliqueraient pourquoi elles ne sont pas plus nombreuses à la tête d'exploitations agricoles.
Cela soulève des considérations de trois ordres : d'abord sur le renouvellement des générations, la formation et l'installation ; ensuite sur la reconnaissance du travail des femmes qui passe par les mesures sociales évoquées par la présidente, par exemple relatives à la retraite – et de leur statut – beaucoup a été fait sur ce point ; et enfin, et c'est un sujet commun aux hommes, sur la rémunération et les équilibres de vie, ce qui pose de manière incidente la question de la pénibilité au travail.
S'agissant de la première question, il faut poursuivre et démultiplier les efforts que nous avons déjà entrepris. Des actions fortes de communication doivent être menées, pour faire progresser la considération même des métiers agricoles. C'est ce qui a été fait avec la grande campagne autour des « entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple », selon les termes que j'aime utiliser pour décrire les agricultrices et agriculteurs. Nous avons veillé à présenter ces métiers comme étant exercés non seulement par des hommes, mais aussi par des femmes ; chacun a pu le constater en voyant cette campagne, au printemps 2021 ou à l'automne.
L'enseignement agricole est une question cruciale. Que ce soit de la part du législateur ou de l'exécutif, les efforts ne manquent pas pour ouvrir les métiers du vivant aux jeunes filles et pour les appuyer dans ce choix de carrière professionnelle, qui les mène vers ces métiers magnifiques de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de l'enseignement supérieur agronomique, mais aussi de vétérinaire et de paysagiste. Ces derniers sont déjà très majoritairement féminins. Le taux de féminisation est de 63 % dans l'enseignement supérieur agronomique et même de 76 % dans les écoles vétérinaires. Au sein de l'enseignement technique agricole, la situation est plus équilibrée – 51 % de garçons et 49 % de filles – mais la répartition est inégale entre les spécialités Les formations liées aux services accueillent majoritairement des jeunes femmes tandis que les métiers de la production et même de la transformation accueillent davantage de garçons.
Nous portons nos efforts à des moments clés, lors de l'orientation en fin de troisième pour faire connaître l'enseignement agricole, puis pendant la formation pour choisir entre les différentes filières. Des actions très concrètes sont menées, notamment en partenariat avec des associations comme 100 000 entrepreneurs, et nous organisons des rencontres avec les différentes organisations professionnelles – syndicats agricoles ou organisations des différentes interprofessions. Ce sujet de l'orientation est absolument essentiel. L'enseignement agricole est une richesse pour notre pays et nous déployons beaucoup d'efforts pour maintenir sa singularité et faire connaître ses qualités, s'agissant tant des valeurs qu'il prône que de son caractère inclusif.
Pour communiquer positivement en faveur des métiers du vivant, je revendique une position radicale face à l'agri- bashing : je pense qu'il ne faut pas en parler, et qu'il est une erreur de vouloir « basher l'agri- bashing ». Je refuse d'entrer dans le jeu de ceux qui s'y livrent, qui cherchent à provoquer la profession pour l'emporter sous son propre poids. Il faut au contraire être à l'offensive et communiquer positivement, quels que soient les dires de certains. Nous devons présenter le quotidien de ces métiers, leurs valeurs et leur sens, et les batailles que nous menons sur des sujets comme les rémunérations et les transitions. Nous devons insister sur la beauté qu'il y a à se lever le matin pour assurer cette noble mission de nourrir le peuple de France, sans ignorer aucun des défis face auxquels nous nous battons collectivement.
Enfin, la communication prend divers aspects. J'ai évoqué les grandes campagnes que nous menons, mais je salue également les très importantes communautés présentes sur les réseaux sociaux, qui parlent très directement du quotidien de ces métiers.
Deuxième volet d'action : reconnaître pleinement la valeur du travail des agricultrices – ce qu'a très bien fait le documentaire Nous paysans, diffusé il y a un peu moins de deux ans et qui a rencontré un franc succès. Ce film, qui retrace l'histoire de notre agriculture, montre bien le rôle essentiel qu'y jouent les femmes, y compris dans les moments les plus durs, pendant les conflits mondiaux mais également durant les transformations qui ont bouleversé le monde agricole depuis. La façon dont ce documentaire a mis en avant, et même en lumière les agricultrices, est une belle manière de leur rendre hommage et je tiens à m'associer au message qu'il véhicule.
Reconnaître pleinement la valeur du travail soulève évidemment la question de la rémunération. Des heures et des heures de débat ont été consacrées à cette question à l'Assemblée. Il s'agit évidemment de la mère des batailles, que nous menons collégialement. Nous y avons consacré différentes lois, notamment la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite EGALIM 2. Ma détermination à la faire appliquer est totale, même si c'est chose difficile, surtout dans le contexte inflationniste que nous connaissons. Nous ne lâcherons rien et le Gouvernement fera preuve d'une tolérance zéro vis-à-vis de celles et ceux qui essaieraient de ne pas l'appliquer.
Se pose également la question des mesures sociales. Nous devons œuvrer pour qu'après une vie de travail, les agricultrices, quel que soit leur statut, bénéficient d'une retraite digne, à la hauteur de leur engagement. Vous y avez contribué d'abord en limitant dans le temps le statut de conjoint collaborateur, plafonné à cinq ans par la loi du 17 décembre 2021, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles – la loi dite Chassaigne 2.
Vous l'avez fait ensuite, pour les retraitées actuelles, en revalorisant le montant des petites pensions. Ce fut l'objet des deux lois Chassaigne, la première, la loi du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, s'adressant aux chefs d'exploitation, alors que la seconde vient revaloriser la retraite des conjoints collaborateurs, qui sont à 75 % des collaboratrices. Des dizaines de milliers de conjointes collaboratrices en profiteront. Cette loi de décembre est entrée en vigueur le 1er janvier 2022 ; la première loi Chassaigne, quant à elle, était entrée en application en avance sur les prévisions. Cette bataille sur le montant des retraites est évidemment essentielle, et nous la menons collégialement avec beaucoup de détermination.
Je n'oublie pas les dispositions que vous avez votées dans le plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises ‑ la loi PACTE ‑, qui a permis de mieux lutter contre le phénomène des statuts manquants. Il importe que chacun puisse bénéficier d'un statut afin d'accéder à la protection sociale. Beaucoup a été fait ; c'est très important.
Le troisième volet d'action, enfin, concerne les équilibres de vie. Cette question concerne à la fois les femmes et les hommes. Ainsi, l'indemnisation des congés maternité et paternité a été améliorée pour tous les non-salariés agricoles. Ce congé n'est pas une nouveauté, puisque les agricultrices et agriculteurs peuvent en bénéficier depuis la fin des années 1970, avec une allocation de remplacement destinée à rémunérer une personne les remplaçant dans les travaux de l'exploitation à ce moment heureux de la vie. Pour autant, dans l'hypothèse où aucun remplaçant n'était disponible, il n'y avait aucune aide. Cela a changé avec l'instauration d'une indemnité journalière versée en cas d'impossibilité de se faire remplacer, votée en 2019 dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et entrée en application au 1er janvier 2020. Je suis très heureux que nous ayons pu accéder à cette demande formulée de très longue date. L'idée est que les agricultrices, qu'elles soient cheffe d'exploitation ou conjointe collaboratrice, puissent bénéficier d'un revenu même si elles s'arrêtent, pour protéger leur vie familiale.
Nous avons par ailleurs porté la durée minimale d'arrêt de deux à huit semaines au 1er janvier 2019, soit au minimum deux semaines de congé prénatal et six semaines de congé postnatal.
Enfin, dans le cadre de la crise de la covid-19, différentes mesures d'accompagnement social ont été prises, notamment en lien avec les services de la Mutualité sociale agricole (MSA), que je tiens à remercier pour son action allant de la garde d'enfants jusqu'à l'accompagnement en cas de difficultés de santé.
J'insisterai sur un quatrième point évoqué par Mme la présidente : celui de la pénibilité au travail, question d'autant plus importante que prospèrent encore un certain nombre d'idées reçues quant à la réalité du travail au sein des fermes et de la chaîne alimentaire. Nous avons renforcé différents dispositifs avec la MSA, comme l'aide au répit ou l'aide financière simplifiée. Le financement de ces mesures a été renforcé, les budgets passant de 3,5 à 5 millions d'euros pour la première et de 2,4 à 4,7 millions pour la seconde. Vous avez voté ces dispositions dans le PLFSS pour 2022, et je vous en remercie.
Au-delà de ces dispositifs pilotés par la MSA, le Gouvernement a décidé d'investir massivement dans les équipements liés à ce que j'appelle la troisième révolution agricole, qui permettent de faire face aux transitions et d'améliorer la compétitivité des exploitations, mais aussi les conditions de travail. En la matière, il faut beaucoup de courage et d'ouverture sur l'avenir. Cette troisième révolution agricole, celle du vivant et de la connaissance, concilie transition et capacités de production nourricière, compétitivité et amélioration des conditions de travail. C'est là encore d'une grande importance.
Pour conclure, j'insiste sur l'impérieuse nécessité de continuer à œuvrer avec force et détermination pour consolider et accentuer la place des femmes dans le monde agricole. Notre histoire a montré à quel point les agricultrices jouent, depuis toujours, un rôle fondamental. La République doit absolument continuer de les accompagner, et j'ai rappelé comment nous avions œuvré en ce sens. Il en est moins question que d'autres sujets, mais je suis très fier des mesures sociales qui ont été prises durant le quinquennat au profit du monde agricole, en travaillant d'ailleurs de manière transpartisane avec les oppositions. Nous avons su nous retrouver autour de la question des retraites, avec les propositions de loi du président du groupe communiste André Chassaigne, nous sommes parvenus à avancer sur les congés parentaux, sur les différents dispositifs d'accompagnement de la MSA et sur les statuts. Cette solidarité participe de l'ADN même du monde agricole.
Je tiens aussi à souligner l'importance de l'action des interprofessions, chambres d'agriculture et syndicats agricoles, quels qu'ils soient. De nombreux syndicats agricoles ont instauré des instances spécialisées dans la question des agricultrices. Le premier syndicat agricole de France est depuis longtemps très impliqué en la matière. Des femmes y ont été élues à la tête d'instances territoriales dès les années 1970, et il est aujourd'hui présidé par une femme. C'est un signal fort qu'envoient les organisations syndicales et je tiens à saluer leurs efforts, comme le travail collégial que mènent les parlementaires et l'exécutif et celui qu'accomplissent sur le terrain les professionnels. Je remercie votre Délégation de s'être saisie de ce dossier essentiel.
Ma question porte sur la garde d'enfants. Vous avez évoqué les fortes améliorations qui ont eu lieu et avez brossé un panorama très complet de l'ensemble des dispositifs visant les mères de famille et aussi les pères, mais comment améliorer la garde des enfants ? Je sais que des actions ont été déployées par la MSA, mais, en milieu rural, il n'y a pas de place en crèche, voire pas de crèche du tout, et les assistantes maternelles ne sont pas forcément proches des exploitations agricoles. Avez-vous envisagé d'autres pistes afin de permettre aux agriculteurs et agricultrices de faire garder plus facilement leurs enfants, surtout en bas âge ? C'est un métier difficile à concilier avec la vie familiale.
Monsieur le ministre, je dois peut-être rectifier le pourcentage que vous avez donné concernant la présence des femmes dans l'agriculture. Je constate depuis cinq ans en Bretagne que les femmes sont de plus en plus nombreuses à s'engager dans des métiers agricoles ou para-agricoles. Il s'agit à mon sens de quelque chose de positif pour l'avenir, même si, historiquement, leur place dans les fermes n'a jamais été confortable ni valorisée. Pour reprendre une formule issue d'un rapport du Sénat, « les agricultrices d'aujourd'hui sont les héritières d'une longue invisibilité ». Mais le cours des choses est en train de changer.
Je suis relativement optimiste en constatant que les femmes s'installent en tant que cheffes d'entreprises, souvent à l'issue d'une formation longue. Ma fille s'installe cette année, avec un bac + 5 et des formations extérieures. Demain, avec tout ce qu'elles ont intégré en termes de valeur ajoutée et de compétitivité au cours de leur parcours scolaire et universitaire, elles seront des vecteurs de développement importants. Ce qu'elles veulent, c'est gérer leur entreprise de A à Z tout en conservant un temps familial et un temps personnel, le tout dans l'acceptation sociétale. C'est un bouleversement qu'introduit l'arrivée de ces femmes dans l'agriculture.
Je suis très fière de cette évolution de la sociologie des fermes. Certes, des aspects du métier restent à améliorer. Comme l'a dit ma collègue, la vie familiale peut être un frein dans l'organisation du temps de travail. Peut-être les chambres d'agriculture pourraient-elles former les hommes et les femmes chefs d'entreprise à ménager un espace-temps consacré à la vie familiale, afin de renforcer la pérennité des exploitations. Dans le monde agricole, le modèle de chef d'entreprise appelle un investissement personnel, familial et social important, sans même parler des aspects financiers.
Les chambres d'agriculture pourraient également renforcer leurs formations pour réduire les tensions en matière de recrutement du personnel. Je le perçois moi-même dans ma structure : un savoir-être est nécessaire pour gérer une exploitation agricole, toutes productions confondues, et une formation aux ressources humaines est presque impérative. En outre, bien que l'agriculture se soit fortement mécanisée et que l'exploitation et la gestion fassent la part belle au numérique, ces compétences demandent à être renforcées en permanence. C'est presque une formation continue qu'il faudrait, s'agissant tant de la production technique que du suivi de l'entreprise.
Pour assurer la pérennité des exploitations existantes, surtout dans l'optique de défendre l'autonomie alimentaire du pays, à laquelle je vous sais attaché, monsieur le ministre, cette formation continue et un accompagnement plus pointu exercé par les chambres d'agriculture apparaissent souhaitables.
En attendant, je tiens à saluer toutes les avancées sociales que nous avons accomplies ensemble au cours de la législature, qui étaient réclamées depuis de nombreuses années. C'est un bond en avant qui a eu lieu, s'agissant du congé maternité – ce que j'ai vécu dans les années 1990 était tout autre –, du statut, des points de retraite ou enfin de l'indemnité journalière, en 2019. C'est une première étape qui est de nature à faire revenir à l'agriculture une population qui s'en était éloignée après les difficultés rencontrées par les générations précédentes.
Ma question va dans le même sens. Jusqu'ici, nous avons beaucoup travaillé, à raison, sur les principes d'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde agricole. Ne serait-il pas imaginable aujourd'hui de faire de la place des femmes dans l'agriculture le point de départ de nos réflexions sur notre souveraineté alimentaire et la perspective agricole du pays ? Peut-être la place des femmes dans notre monde agricole et dans l'agriculture de demain – car la fameuse « France de 2030 » sera aussi une France agricole – pourrait-elle être un point d'entrée pour faire avancer un certain nombre de problématiques du monde agricole et renforcer l'attractivité de ses métiers. On sait que le secteur du numérique peine également à attirer des jeunes filles, alors que leur présence serait un ajout de valeur déterminant. De la même manière, avoir plus de femmes dans le monde agricole ouvrirait peut-être de meilleures perspectives pour notre agriculture et notre souveraineté alimentaire à l'horizon de 2030. Avez-vous des éléments de prospective dans ce domaine ?
La question de la garde d'enfants, d'abord, est extrêmement importante dans le monde rural. Lorsque j'étais secrétaire d'État à la cohésion des territoires, avec mes collègues du pôle social du Gouvernement, nous avons beaucoup travaillé au déploiement des crèches et du service public de la petite enfance. Je tiens à saluer le travail accompli par le secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles Adrien Taquet, qui s'est saisi du sujet à bras-le-corps.
La question est complexe, comme l'a particulièrement mis en lumière la crise de la covid-19. Lorsque nous sommes parvenus à trouver des solutions, cela a été le fait de l'agilité et de la bénévolence d'un certain nombre d'élus locaux, ou de professeurs par exemple. Le monde rural connaît bien cette solidarité qui permet de trouver des solutions. Ces métiers se pratiquent à l'extérieur, avec des machines peu compatibles avec la sécurité d'enfants en bas âge. La question de la garde d'enfants est donc une priorité du Gouvernement.
Nous avons déjà déployé différents dispositifs d'aide à la garde d'enfants avec la MSA, au-delà des dispositifs généraux de crèches, assistantes maternelles ou garde à domicile, mais il faut clairement aller plus loin. Les réponses ne seront pas forcément sectorielles, mais pourront concerner tout le milieu rural, voire l'ensemble de la société. En tant que ministre chargé de la ville, la création de places de crèche dans un certain nombre de territoires de notre belle République fut pour moi un cheval de bataille. Mais il faut conserver à l'esprit la singularité des métiers agricoles : s'il peut paraître simple, vu de l'extérieur, de prendre un enfant à côté de soi dans son tracteur, la réalité est que garder des enfants dans une cour de ferme est de nature à donner des sueurs froides à tous les parents.
Je partage complètement le constat de Mme Le Peih. Les chambres d'agriculture peuvent-elles aborder la question du temps personnel, des équilibres de vie et de la pénibilité au travail ? Oui. Elles le font d'ailleurs dans le cadre de leurs missions d'aide à l'installation. Nous travaillons avec elles sur ces sujets.
La formation, à l'évidence, a également un rôle à jouer. C'est un sujet que nous avons porté avec les jeunes agriculteurs à l'occasion de la réforme de la politique agricole commune. Nous avons accru les formations dans le cadre des installations, notamment en renforçant les compétences de gestion nécessaires pour être éligible à la dotation à l'installation. Car, comme vous l'avez souligné, le parcours d'installation appelle un fort accompagnement, notamment financier, et de solides acquis de formation.
Pour ce qui est de la gestion du temps, si, dans certaines professions, il est difficile de se dire maître de son temps, dans le métier d'agriculteur on dépend tout bonnement de la nature et du vivant. Il n'est pas possible de tout mettre en pause à 18 heures le soir en se disant que l'on reprendra le cours des choses le lendemain matin. Il n'y a ni week-ends, ni vacances, ni jours fériés. Les choses peuvent être un peu différentes selon les productions et les types de fermes, mais dans tous les cas, le temps que vous êtes censé gérer vous est imposé. Vous êtes tributaire de la météo, qui vous fait batailler toute la nuit pour lutter contre le gel ou vous interdit de faire ce que vous aviez prévu dans la journée parce qu'il y a trop de vent, et vous devez être disponible 24 heures sur 24 pour vos animaux si vous êtes éleveur.
Évidemment, l'humanité ne sera jamais maîtresse du temps du vivant. En revanche, on peut se servir des progrès technologiques pour regagner un peu de liberté dans certaines activités. Un exemple typique est celui du système de robotisation de la traite, qui a soulevé un certain nombre d'interrogations chez les éleveurs, craignant de perdre ce moment très particulier. Avec un robot, certes on ne peut plus détecter les chaleurs d'une vache rien qu'à voir son comportement à la traite, mais ceux qui en sont équipés trouvent d'autres repères et d'autres façons de conserver leur regard d'éleveur, tout en se libérant de contraintes très importantes – l'horaire de la traite est inamovible, et il tombe presque systématiquement, par exemple, en même temps que les réunions parents-profs !
La question de la gestion du temps est donc essentielle, et très compliquée. Je crois que toute source de progrès est bonne – science, savoir, robotisation, numérique – dès lors que l'on reste soucieux de conserver ce qui fait la spécificité de ces métiers – le regard, le toucher, l'appréhension. Le vivant ne peut être traité que par le vivant et un juste équilibre doit être trouvé. Cela nécessite d'investir, ce que nous faisons dans le cadre du plan France 2030, qui consacre 2,8 milliards à la troisième révolution agricole. Ces investissements sont essentiels, car ils dépassent les considérations liées aux transitions ou à la compétitivité pour améliorer les conditions de travail.
Enfin, Mme la présidente Rixain, oui, les agricultrices ont joué un rôle absolument essentiel dans toute l'histoire de l'agriculture, ce qui rend d'autant plus certain qu'il le restera dans l'avenir. Un seul chiffre pour prendre la mesure du défi : la moitié de nos agriculteurs sont âgés de plus de 50 ans. Les départs en retraite seront nombreux dans les cinq à dix prochaines années. Le dernier recensement décennal a mis en lumière cet immense défi démographique. Il a également montré que l'attractivité des métiers agricoles reste très forte puisque, si la part des plus de 50 ans a augmenté, la part des moins de 40 ans est demeurée identique.
Aujourd'hui, hors transmissions familiales, 14 000 jeunes agriculteurs s'installent chaque année. Ce chiffre a été stabilisé ces dernières années, ce qui est très positif, mais on sait qu'il doit être porté à 20 000. Voilà tout l'enjeu de ce que nous faisons pour l'enseignement, l'accompagnement, les rémunérations et la considération. Passer de 14 000 à 20 000 installations par an demande un effort considérable. Face à la grande question de la souveraineté alimentaire, qui est mon cheval de bataille, selon la vision politique exprimée par le Président de la République dès 2017 dans son discours de Rungis, ce sera le véritable juge de paix : le renouvellement des générations. Nous verrons en bout de course si nous sommes parvenus à relever le défi, qui passe par la rémunération, la considération, les conditions de travail, le social, l'investissement, les transitions… Ce défi est colossal.
J'ai été interpellée par des agriculteurs au sujet du congé paternité. Ils se réjouissent de son allongement et ont bien compris qu'une indemnité journalière leur serait versée s'ils ne trouvent pas de remplaçant, mais le fond du problème est bien là : ils ne trouvent pas de remplaçant et ne peuvent pas s'arrêter, y compris pour les sept jours de congé obligatoires juste après la naissance. Il faut trouver un mécanisme pour leur permettre, de manière exceptionnelle, de fractionner autrement ce congé et éventuellement de le reporter.
À La Réunion, environ 1 200 femmes travaillent dans le secteur de l'agriculture, soit 20 % de l'effectif global en 2021. Cela montre à quel point les femmes sont au cœur du nécessaire renouvellement générationnel. Elles représentent même 25 % des chefs d'exploitation. Pourtant, les témoignages sont encore alarmants : en 2021, les femmes restent victimes de sexisme au sein du monde agricole. Cela va des petites remarques dégradantes de ceux qui demandent « à parler au patron » à une division genrée du travail, où les femmes se retrouvent à effectuer les tâches accessoires ou administratives, mais pas les plus importantes et responsabilisantes. Les agricultrices ont d'ailleurs toujours des revenus plus faibles que leurs homologues masculins à poste égal.
La bande dessinée Il est où le patron ? Chroniques de paysannes, publiée récemment et réalisée à partir du témoignage de cinq agricultrices, met en lumière les injustices juridiques et économiques qui pèsent encore sur elles. Y est évoquée la précarité de leur statut juridique, avec des avancées légales insuffisantes et souvent non rétroactives, qui se traduit notamment par une faiblesse persistante des salaires et retraites. Les statistiques de la MSA montrent effectivement un écart des pensions de retraite entre hommes et femmes de 13,2 % pour les chefs d'exploitation et 17,4 % pour les salariés agricoles, même si des avancées importantes ont été rendues possibles par les lois Chassaigne.
Encore aujourd'hui, les femmes sont fortement sous-représentées dans les conseils d'administration des organismes professionnels agricoles, ce qui ne peut qu'obérer leur capacité à être reconnues et à défendre leurs droits. La proposition de loi relative à la valorisation des carrières des femmes dans l'agriculture déposée en avril 2021 par les membres de la majorité propose notamment d'instaurer un seuil minimal de 30 % de femmes au sein de ces instances, ce qui est également demandé par les associations d'agricultrices. Où en sommes-nous, puisque nous arriverons sans doute à la fin du quinquennat sans trouver le temps de discuter ce texte ?
Quelle politique entendez-vous mener dans le court temps qu'il vous reste pour que les préjugés sexistes puissent être combattus et traités à la racine par l'éducation ? C'est une égalité réelle qui doit se mettre en place, pour ce qui est du nombre de femmes dans le secteur agricole certes, mais également dans les postes à responsabilité.
Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, le rôle des femmes dans l'agriculture a toujours été très important et le demeure aujourd'hui. Ma question porte sur l'éducation dispensée tant dans les lycées agricoles dont vous avez la responsabilité que dans le système général, et sur l'image qu'elle renvoie de l'agriculture et de la place que les femmes y tiennent.
D'abord, quels rôles modèles féminins peut-on proposer aux jeunes dans les écoles, collèges ou lycées ? Nous en connaissons tous dans nos circonscriptions et je ne doute pas que vous viendrez à la rencontre de ces magnifiques agricultrices dans les semaines à venir, qu'il s'agisse de Mme Durand à Crevin, qui fait du très bon lait, de Roseline Mahé, productrice de bœuf à Saint-Senoux, qui vous fera déguster une terrine de vaches croisées salers et charolaises, ou encore de la maison Voland, qui livre du bœuf blond d'Aquitaine à tous les bons restaurants du secteur.
Au-delà, je pense qu'il est important que les agricultrices deviennent des rôles modèles de façon plus générale. Je milite pour que tous les enfants des écoles, dès avant le CM2, aient pu découvrir l'ensemble des filières animales comme végétales ; leur donner en prime un modèle féminin serait encore mieux. Je suis toujours inquiet de voir le lien de nos enfants avec la nature se distendre. Si nous pouvions mixer cette question avec celle de l'égalité, cela permettrait de renforcer l'attractivité des métiers agricoles.
Louise, une stagiaire de troisième, m'a glissé une autre question à l'oreille : comment entendez-vous rendre le métier plus attractif ? Vous avez présenté votre objectif de passer de 14 000 à 20 000 installations par an, quel est votre plan d'action ? Si la place des femmes peut du même coup être renforcée, nous le soutiendrons évidemment.
Enfin, comment accompagne-t-on les jeunes filles dans les lycées agricoles ? La Bretagne, région toujours avant-gardiste, est en train de déployer des distributeurs de protections menstruelles dans tous ses lycées. Adoptez-vous la même démarche dans les lycées agricoles ? Il importe que les jeunes filles bénéficient des meilleures conditions d'éducation. Trop souvent, elles s'empêchent d'aller aux toilettes dans les écoles, ce qui est inadmissible en France en 2021. Des plans d'action sont-ils prévus dans ce domaine ?
Nous ne pouvons qu'être heureux de tout ce qui a été fait pour le monde agricole, d'autant que ces avancées ont été souvent transpartisanes. Je pense notamment aux retraites : il a fallu tout un travail collectif pour parvenir à adopter les deux propositions de loi portées par André Chassaigne. Nous pouvons nous féliciter d'avoir fait aboutir sous le mandat d'Emmanuel Macron une question qui restait pendante depuis plusieurs législatures. À la suite de mon rapport sur le mal-être agricole, je peux témoigner que les femmes en sont tout aussi victimes que les hommes.
Il faut savoir que les polycultures fonctionnent principalement en famille, alors que la monoculture et la biculture favorisent au contraire la mécanisation, et donc l'isolement et le travail individuel – pour les hommes comme pour les femmes. Favoriser la monoculture nous confrontera à cette problématique.
Nous ne nous sommes pas rendu compte que beaucoup d'agriculteurs n'ont pas été informés des innovations en matière de retraite. Les chambres d'agriculture auraient peut-être pu en faire plus sur ce point. La MSA en revanche a accompli un bon travail, il faut le reconnaître – et elle continue, car il reste beaucoup de régularisations à faire. Il faut veiller à faire mieux pour le congé maternité. Je me souviens avoir été interpellé par une agricultrice en pleine campagne législative, sur un marché : il pleuvait, elle était avec son bébé d'un mois et demi dans son berceau et elle me demandait comment je voulais que les agriculteurs aient des enfants dans de telles conditions. Je l'ai recroisée sur le même marché après le vote de la loi : elle était enceinte de nouveau, et très heureuse de ce qui avait été voté !
Restons donc dans une logique transpartisane, cela donne des avancées pour les femmes en agriculture. Ce qu'il faut améliorer maintenant, c'est le temps de répit, autrement dit l'accès au service de remplacement. De nombreuses agricultrices s'installent seules désormais, sans être forcément en couple. Comme pour tous les agriculteurs, et peut-être encore plus pour elles, se pose le problème du remplacement. Nous avons prévu le financement du dispositif, maintenant il faut trouver du personnel et créer des emplois dans ce domaine, ce qui pourra peut-être d'ailleurs déclencher des installations futures. Comment pourrait-on pousser ce service de remplacement, notamment pour les femmes ?
Je salue à mon tour les nombreuses avancées sociales qui ont profité aux agriculteurs et agricultrices. Je voudrais surtout savoir, et je pose la question à un ancien ministre chargé de la ville, ce qui est mis en œuvre pour favoriser l'agriculture en ville. Je compte dans ma circonscription un certain nombre de quartiers relevant de la politique de la ville, comme Argenteuil et Bezons. Argenteuil est forte d'une histoire et d'un riche patrimoine agricole – la figue, l'asperge, le fameux vin Piccolo. Aujourd'hui encore, des habitants se sont regroupés pour produire une bière locale qu'ils ont appelée la Figolette. Nous comptons une centaine d'hectares de terres agricoles peu ou pas exploitées. Comment faire revenir l'agriculture dans ces communes, sur les terres agricoles qui ont été abandonnées mais aussi au plus près des habitants, au pied des tours, par exemple avec le projet « Quartiers fertiles » ? Quel en est le bilan et quel avenir voyez-vous pour ce type de projets ?
S'agissant des congés paternité, il existe déjà des possibilités de fractionnement, mais j'entends bien la question de Mme Dubois et nous allons regarder de près si des progrès peuvent encore être accomplis.
Je partage tout ce qu'a dit Mme Lebon quant à la lutte contre les inégalités et les préjugés sexistes. J'en profite pour rendre hommage à la présidente Huguette Bello, qui a toujours fait de ces sujets le fer de lance de son action. Cette question nous concerne tous, tous partis politiques et tous secteurs économiques et sociaux confondus. Il faut se battre contre toutes ces entraves au pacte républicain et ces comportements inacceptables, avec une tolérance zéro. Cela passe notamment par la question de l'éducation, sur laquelle je reviendrai.
Pour ce qui est de la représentation des femmes dans les organisations professionnelles et dans les syndicats, j'ai bien en tête la proposition de loi que vous évoquiez, mais je ne suis pas maître de l'agenda parlementaire. Pardon de cette réponse, mais la séparation des pouvoirs est ce qu'elle est. En tout état de cause, je constate que des efforts ont été accomplis, qui doivent se prolonger. Je pense notamment à la représentativité dans les chambres d'agricultures. Je le disais, le premier syndicat de France, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) a élu une femme à sa tête, comme il le faisait au niveau régional depuis les années 1970. Dans ce syndicat ou dans d'autres existent depuis des décennies des cellules ou des organes dédiés à la question. Ayant été convié à intervenir devant la commission « agricultrices » de la FNSEA, en présence de sa présidente, j'ai pu prendre la mesure de toute la détermination syndicale sur ce sujet et je la salue : les acteurs de terrain sont parfois nettement en avance sur la loi, et je trouve cela positif.
Reste que le combat sur la représentativité doit se poursuivre partout, dans le monde agricole comme ailleurs. Il faut prendre des mesures, je n'ai à titre personnel aucune espèce de doute en la matière. Je sais que le sujet a été mis sur la table par un candidat à la présidence de la République, qui a tenu des propos extrêmes que je condamne très fermement.
Pour répondre à Gaël Le Bohec, oui, les agricultrices ont un rôle évident à jouer comme rôles modèles. Ces dernières années ont été marquées de moments forts, comme lorsqu'en pleine crise sanitaire, alors que le Salon de l'agriculture ne pouvait pas se tenir, une grande chaîne du service public a diffusé le documentaire Nous paysans que j'ai évoqué tout à l'heure, mettant à l'honneur le monde agricole et en particulier les agricultrices. Il est certain que les métiers et les réalités de l'agriculture doivent être enseignés à nos enfants dans les écoles. C'est pour moi un sujet crucial, et il en va de même de la nutrition. Nous avons déjà fait des choses en la matière avec Jean-Michel Blanquer, mais il faut encore aller plus loin. Jean-Michel Blanquer reste un appui indéfectible, et vous pouvez compter sur moi pour continuer à travailler sur ce sujet.
Mais il n'y a pas que l'éducation : il faut aussi se soucier de marketing. Les publicités des grandes marques alimentaires, lorsqu'elles représentent une laitière, montrent une agricultrice du début du XXe siècle qui ne doit pas ressembler beaucoup à Mme Durand, l'éleveuse que vous évoquiez, que je ne connais pas mais que je salue et que je remercie pour ce qu'elle fait. Il y a matière à évolution. L'image de l'agriculture qu'on conçoit en allant faire ses courses dans les grandes surfaces est à des années-lumière de ce que sont ces métiers profondément innovants, qui doivent résoudre des questions incroyablement complexes et qui s'apprennent à la fois par la transmission du savoir-faire et par des formations sur les nouveaux défis et les nouvelles technologies. Tant dans l'éducation que dans le marketing, il faut donner à voir cette agriculture-là.
Pour répondre à Louise, que je salue, je dirai d'abord que la question pour moi essentielle est celle de l'orientation, qui se joue en classe de troisième. À mon arrivée au ministère, j'ai commandé à mes services une étude sur la perception de l'enseignement agricole par le public. Il apparaît que les Français le considèrent comme un très bon enseignement, mais qui ne permet de devenir qu'agriculteur. Cela en écarte de nombreux élèves de troisième, qui ne souhaitent pas devenir agriculteurs.
Mais l'enseignement agricole mène à bien d'autres métiers ! Il assure plus de 200 formations. Nous n'en parlons pas assez : l'enseignement agricole est l'enseignement du vivant, de la terre, de l'environnement, de la production alimentaire. Il forme des agriculteurs, mais aussi des spécialistes des données ou de la météo, des vétérinaires, des botanistes spécialisés dans la protection de l'environnement ou des data scientists. C'est vrai tant pour l'enseignement technique que pour l'enseignement supérieur. S'il est bon que nos concitoyens connaissent la qualité de notre enseignement agricole, il faut maintenant les informer sur toutes les possibilités qu'il ouvre. C'est fondamental. Nous avons beaucoup travaillé avec Jean-Michel Blanquer à renforcer l'information en troisième sur ce point.
Je dois aussi dire à Louise que ce travail sur la perception des métiers de l'agriculture et de l'alimentation ne doit pas se faire qu'au moment de l'orientation. La réalité de ces métiers doit être présentée à tous les autres stades du parcours éducatif. Tous les jours, je reçois des messages qui s'indignent de la manière dont a été présentée l'agriculture en telle ou telle occasion. Cela démontre en creux que le reste du temps, tout se passe bien, mais cela pousse quand même à mieux représenter la réalité du monde agricole. C'est un défi pour les programmes scolaires, que nous avons saisi à bras-le-corps avec Jean-Michel Blanquer. Nous devrons continuer à avancer sur ces sujets.
J'en viens à la question de M. Damaisin. C'est sur la base de son excellent rapport que nous avons établi notre feuille de route sur la lutte contre les détresses agricoles. L'aide au répit en est un des éléments forts. Nous avons proposé des financements supplémentaires, que vous avez votés. Reste la question cruciale du recrutement des personnes assurant le service de remplacement, qui est posée dans le rapport et qui figure sur cette feuille de route que nous mettrons en œuvre collégialement.
Enfin, s'agissant de la ville, je pense qu'il ne faut pas nier les clivages ou en tout cas la distance qui peuvent se créer dans notre société entre le monde urbain et le monde rural, voire parfois entre le monde néorural et le monde rural. Cela en devient ubuesque : certains ont été traduits en justice pour avoir possédé un coq qui chantait un peu trop tôt le matin, au sens de leurs voisins… Mais enfin, faire taire un coq au lever du soleil, ce n'est possible que dans les livres pour enfants ! Quoi qu'il en soit, c'est une réalité, qui a mené le Parlement à légiférer pour éviter ce genre de cas – ce qui en dit long en soi sur la société. Cela ramène encore à ce que nous disions sur l'éducation et l'acceptation sociétale de la réalité de nos territoires – de ce qui en fait la beauté et l'identité.
Plus nous introduirons l'agriculture urbaine en ville, plus nous participerons à ce renforcement. En tant que ministre de la ville, n'abandonnant jamais mes amours pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, j'ai lancé un grand plan très ambitieux sur l'agriculture en ville. Avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, nous avions lancé de nombreux projets de fermes urbaines et d'agriculture en ville – des initiatives allant de l'espace de maraîchage sur le toit d'un supermarché jusqu'à la création d'une chèvrerie dans un quartier. Cela permet de renforcer la présence du végétal en ville, mais aussi le lien social – notamment grâce aux jardins partagés, sur lesquels nous avons beaucoup échangé. Surtout, cela renforce le parcours éducatif, car beaucoup de ces projets se prêtent à accueillir des sorties scolaires. Ce projet a été encore renforcé par ma collègue Nadia Hai. J'ai profité aussi du plan France relance pour financer, de mémoire, plus de 100 projets de fermes urbaines et plus de 1 000 projets de jardins partagés. J'y crois beaucoup, et nous ne relâcherons pas nos efforts en la matière.
Merci pour toutes ces réponses, qui nous font mesurer votre engagement en faveur de notre agriculture et de la place que les femmes y tiennent.
La réunion s'achève à 18 h 10
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Fiona Lazaar, M. Gaël Le Bohec, Mme Karine Lebon, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Bénédicte Taurine, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Viry.
Assistaient également à la réunion. - M. Olivier Damaisin, Mme Jacqueline Dubois