Intervention de Julien Denormandie

Réunion du mercredi 19 janvier 2022 à 16h45
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Julien Denormandie, ministre :

La question de la garde d'enfants, d'abord, est extrêmement importante dans le monde rural. Lorsque j'étais secrétaire d'État à la cohésion des territoires, avec mes collègues du pôle social du Gouvernement, nous avons beaucoup travaillé au déploiement des crèches et du service public de la petite enfance. Je tiens à saluer le travail accompli par le secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles Adrien Taquet, qui s'est saisi du sujet à bras-le-corps.

La question est complexe, comme l'a particulièrement mis en lumière la crise de la covid-19. Lorsque nous sommes parvenus à trouver des solutions, cela a été le fait de l'agilité et de la bénévolence d'un certain nombre d'élus locaux, ou de professeurs par exemple. Le monde rural connaît bien cette solidarité qui permet de trouver des solutions. Ces métiers se pratiquent à l'extérieur, avec des machines peu compatibles avec la sécurité d'enfants en bas âge. La question de la garde d'enfants est donc une priorité du Gouvernement.

Nous avons déjà déployé différents dispositifs d'aide à la garde d'enfants avec la MSA, au-delà des dispositifs généraux de crèches, assistantes maternelles ou garde à domicile, mais il faut clairement aller plus loin. Les réponses ne seront pas forcément sectorielles, mais pourront concerner tout le milieu rural, voire l'ensemble de la société. En tant que ministre chargé de la ville, la création de places de crèche dans un certain nombre de territoires de notre belle République fut pour moi un cheval de bataille. Mais il faut conserver à l'esprit la singularité des métiers agricoles : s'il peut paraître simple, vu de l'extérieur, de prendre un enfant à côté de soi dans son tracteur, la réalité est que garder des enfants dans une cour de ferme est de nature à donner des sueurs froides à tous les parents.

Je partage complètement le constat de Mme Le Peih. Les chambres d'agriculture peuvent-elles aborder la question du temps personnel, des équilibres de vie et de la pénibilité au travail ? Oui. Elles le font d'ailleurs dans le cadre de leurs missions d'aide à l'installation. Nous travaillons avec elles sur ces sujets.

La formation, à l'évidence, a également un rôle à jouer. C'est un sujet que nous avons porté avec les jeunes agriculteurs à l'occasion de la réforme de la politique agricole commune. Nous avons accru les formations dans le cadre des installations, notamment en renforçant les compétences de gestion nécessaires pour être éligible à la dotation à l'installation. Car, comme vous l'avez souligné, le parcours d'installation appelle un fort accompagnement, notamment financier, et de solides acquis de formation.

Pour ce qui est de la gestion du temps, si, dans certaines professions, il est difficile de se dire maître de son temps, dans le métier d'agriculteur on dépend tout bonnement de la nature et du vivant. Il n'est pas possible de tout mettre en pause à 18 heures le soir en se disant que l'on reprendra le cours des choses le lendemain matin. Il n'y a ni week-ends, ni vacances, ni jours fériés. Les choses peuvent être un peu différentes selon les productions et les types de fermes, mais dans tous les cas, le temps que vous êtes censé gérer vous est imposé. Vous êtes tributaire de la météo, qui vous fait batailler toute la nuit pour lutter contre le gel ou vous interdit de faire ce que vous aviez prévu dans la journée parce qu'il y a trop de vent, et vous devez être disponible 24 heures sur 24 pour vos animaux si vous êtes éleveur.

Évidemment, l'humanité ne sera jamais maîtresse du temps du vivant. En revanche, on peut se servir des progrès technologiques pour regagner un peu de liberté dans certaines activités. Un exemple typique est celui du système de robotisation de la traite, qui a soulevé un certain nombre d'interrogations chez les éleveurs, craignant de perdre ce moment très particulier. Avec un robot, certes on ne peut plus détecter les chaleurs d'une vache rien qu'à voir son comportement à la traite, mais ceux qui en sont équipés trouvent d'autres repères et d'autres façons de conserver leur regard d'éleveur, tout en se libérant de contraintes très importantes – l'horaire de la traite est inamovible, et il tombe presque systématiquement, par exemple, en même temps que les réunions parents-profs !

La question de la gestion du temps est donc essentielle, et très compliquée. Je crois que toute source de progrès est bonne – science, savoir, robotisation, numérique – dès lors que l'on reste soucieux de conserver ce qui fait la spécificité de ces métiers – le regard, le toucher, l'appréhension. Le vivant ne peut être traité que par le vivant et un juste équilibre doit être trouvé. Cela nécessite d'investir, ce que nous faisons dans le cadre du plan France 2030, qui consacre 2,8 milliards à la troisième révolution agricole. Ces investissements sont essentiels, car ils dépassent les considérations liées aux transitions ou à la compétitivité pour améliorer les conditions de travail.

Enfin, Mme la présidente Rixain, oui, les agricultrices ont joué un rôle absolument essentiel dans toute l'histoire de l'agriculture, ce qui rend d'autant plus certain qu'il le restera dans l'avenir. Un seul chiffre pour prendre la mesure du défi : la moitié de nos agriculteurs sont âgés de plus de 50 ans. Les départs en retraite seront nombreux dans les cinq à dix prochaines années. Le dernier recensement décennal a mis en lumière cet immense défi démographique. Il a également montré que l'attractivité des métiers agricoles reste très forte puisque, si la part des plus de 50 ans a augmenté, la part des moins de 40 ans est demeurée identique.

Aujourd'hui, hors transmissions familiales, 14 000 jeunes agriculteurs s'installent chaque année. Ce chiffre a été stabilisé ces dernières années, ce qui est très positif, mais on sait qu'il doit être porté à 20 000. Voilà tout l'enjeu de ce que nous faisons pour l'enseignement, l'accompagnement, les rémunérations et la considération. Passer de 14 000 à 20 000 installations par an demande un effort considérable. Face à la grande question de la souveraineté alimentaire, qui est mon cheval de bataille, selon la vision politique exprimée par le Président de la République dès 2017 dans son discours de Rungis, ce sera le véritable juge de paix : le renouvellement des générations. Nous verrons en bout de course si nous sommes parvenus à relever le défi, qui passe par la rémunération, la considération, les conditions de travail, le social, l'investissement, les transitions… Ce défi est colossal.

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