Intervention de Olivier Véran

Réunion du mardi 8 février 2022 à 17h00
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

Je vous remercie de votre invitation. Le moment est en effet venu de faire le bilan de chantiers structurants en matière de santé et d'accès aux prestations sociales pour les femmes.

Depuis presque deux ans que je suis ministre, la crise sanitaire m'a considérablement mobilisé mais, malgré la tempête et la lutte de chaque instant contre l'épidémie, j'ai toujours tenu à défendre des convictions fortes et à me préoccuper des questions fondamentales, dont la santé des femmes. Nous avons fait avancer des causes, nous avons renforcé des droits et nous en avons consacré de nouveaux.

Parler de la santé des femmes, cela suppose de regarder en face des réalités difficiles et de lever certains tabous. Il y a quelques années, un ministre de la santé parlant de précarité menstruelle aurait suscité de la perplexité, voire de la gêne. Je le fais aujourd'hui devant des associations qui permettent aux femmes en situation de vulnérabilité d'accéder à des protections hygiéniques.

Il y a peu, ce sujet était donc encore tabou, comme si parler d'un phénomène biologique concernant un être sur deux sur la planète supposait toujours une fausse gêne ou une vraie pudibonderie ! Dans les publicités pour les protections hygiéniques, le liquide qui coule est bleu et les jeunes filles qui ont leurs premières règles dans un établissement scolaire sont l'objet de railleries de la part des garçons… Mais quel exemple montrent les adultes ? Ce tabou est imposé par la société et il ne tient qu'à nous de le faire tomber. Ce sujet n'est ni technique ni sémantique : c'est une question d'égalité entre les femmes et les hommes, grande cause du quinquennat.

La précarité menstruelle touche 1,7 million de femmes et concerne principalement trois publics. Le tabou est le même, les risques sont identiques mais les problématiques diffèrent.

Pour les adolescentes et les jeunes femmes – collégiennes, lycéennes ou étudiantes –, la clé est l'éducation à la sexualité. Je salue la remarquable prise en charge individuelle assurée par les infirmiers et la formation des personnels de l'éducation nationale. Je crois profondément à « l'intelligence du local ». Les universités, les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) et les collectivités ont trouvé d'excellentes solutions mais il faut aller plus loin en ouvrant davantage l'école et en revenant au principe : « une tête bien pleine dans un corps bien fait ». Les enfants doivent apprendre à lire, écrire et compter, or, nombre d'entre eux souffrent de plus en plus d'addiction aux écrans, de conflits sociaux – de plus en plus précocement – et de difficultés éducationnelles. Si l'on considérait la famille comme l'alpha et l'oméga de l'éducation des enfants, on ne déploierait pas des trésors d'ingéniosité pour encourager les collectivités à offrir des petits déjeuners gratuits à l'école. S'il est parfois difficile de faire comprendre qu'un enfant qui a le ventre vide ne peut pas apprendre correctement, il l'est encore plus d'aller sur d'autres terrains avec certaines familles. Il faut donc ouvrir l'école. L'intervention d'une association ou du Planning familial dans un établissement scolaire relève du seul chef d'établissement, de sorte que des inégalités peuvent se créer entre les territoires.

S'agissant des femmes incarcérées, nous avons des échanges réguliers avec le Garde des Sceaux et l'administration pénitentiaire s'est saisie de cette question.

Enfin, pour les femmes en situation de grande précarité, j'ai demandé à l'administration de travailler à un plan d'action afin de fournir des protections périodiques à celles qui sont accueillies dans les établissements spécialisés et par les services sociaux. Des avancées ont été réalisées et la précarité menstruelle a reculé sans avoir toutefois été éradiquée. Le travail n'est donc pas terminé.

J'en viens à l'endométriose. À l'école, une jeune femme ou une jeune fille qui a des douleurs pendant ses règles va à l'infirmerie et rate des cours. Pendant sept ans, en moyenne, elle s'entendra dire que c'est normal et que les règles peuvent être douloureuses. Or, si la présence de douleurs n'est pas toujours un signe d'endométriose, celle-ci peut provoquer des douleurs suraiguës dont il faut tenir compte afin d'inscrire les jeunes femmes et les jeunes filles dans des parcours diagnostiques parfois complexes, ce qui nécessite que les médecins eux‑mêmes connaissent bien les symptômes de cette maladie.

Lors de mes études de médecine, pas si lointaines, l'endométriose n'avait pas la place qu'elle aurait dû avoir alors que 10 % des femmes sont concernées. Il faut donc former les médecins, informer la population et développer les parcours diagnostiques – il est en particulier très difficile, dans la ruralité, de bénéficier de soins spécifiques. Même si nous ne savons pas comment guérir cette maladie, il est possible de soulager les patientes. Un traitement chirurgical est d'ailleurs envisageable lorsque des brides péritonéales se développent et que l'endométriose envahit d'autres organes. Première cause d'infertilité, elle est souvent diagnostiquée à l'occasion des bilans d'infertilité.

Il convient également de repenser la place de cette pathologie dans la société et sa prise en charge par la sécurité sociale : doit-elle être considérée comme une affection de longue durée – ALD 30 – c'est-à-dire comme une maladie chronique à vie, toute personne qui en est atteinte étant prise en charge à 100 %, ou comme une ALD 31 justifiant un traitement prolongé ? Les appréciations diffèrent entre experts et associations. Nous débattrons de ces questions, le Parlement ayant voté à l'unanimité une proposition de résolution en ce sens. J'ai quant à moi émis quelques réserves car, s'il faut offrir la protection la plus adaptée aux femmes, il ne serait pas de bonne politique de mettre du jour au lendemain 10 % d'entre elles en longue maladie. Le Président de la République s'est saisi de cette question à bras-le-corps. Il est intervenu le 11 janvier à ce propos et il m'a confié le pilotage d'un comité interministériel. Les travaux commenceront le 14 février à la suite de la remise du rapport de l'eurodéputée Chrysoula Zacharopoulou, qui a réalisé un excellent travail.

Par ailleurs, publiée le 1er décembre dernier, la feuille de route 2021-2024 de la stratégie nationale de santé sexuelle prévoit des actions concrètes pour renforcer la promotion, l'information, l'éducation à la santé sexuelle, telles que le lancement de la semaine de la santé sexuelle en 2022, la conception et la diffusion d'outils de promotion de la santé sexuelle accessibles aux publics en situation de handicap et le renforcement des connaissances en santé sexuelle des jeunes dans le cadre du service national universel. Elle réaffirme la nécessité d'une offre en santé sexuelle lisible, accessible, à proximité des lieux de vie et comporte une action consacrée au renforcement de l'accès à l'IVG tant nous devons conforter l'exercice effectif de ce droit partout sur le territoire. Il est également prévu d'inscrire l'IVG comme action prioritaire du développement professionnel continu (DPC) pour la période 2023-2025. Nous intégrerons une offre de dépistage gratuit des infections sexuellement transmissibles (IST) dans le forfait IVG ; nous actualiserons et renforcerons également le site ivg.gouv.fr et son référencement pour améliorer la visibilité de l'offre.

Les premières mesures concrètes ont été adoptées dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, notamment, l'extension de la consultation longue santé sexuelle à tous les jeunes jusqu'à 25 ans afin que celle-ci cesse d'être considérée comme la seule affaire des femmes, et l'accès gratuit à la contraception pour les femmes jusqu'à 25 ans révolus, depuis le 1er janvier dernier. Pour les hommes – cela se sait peu – l'achat de préservatifs est remboursé et pris en charge à 100 % sur prescription : la contraception masculine est en effet reconnue au titre des dispositifs de contraception efficaces et remboursables car les femmes peuvent également acheter des préservatifs masculins. La contraception masculine doit néanmoins se développer, même si cela ne relève pas de la compétence du ministre. Les laboratoires doivent investir plus massivement, ce qui suppose une demande accrue et, donc, une évolution de la société.

J'ai toujours défendu le renforcement de l'accès à l'IVG partout sur le territoire. Pendant la crise sanitaire, j'ai demandé en urgence l'allongement de cinq à sept semaines de l'avortement médicamenteux et la possibilité de le faire par télémédecine. Je me suis mis en effet à la place d'une jeune fille mineure, âgée de 16 à 17 ans qui, en plein confinement, n'avait pas envie de dire à ses parents qu'elle avait besoin de se rendre au Planning familial. Nous l'avons fait par arrêté, dans le cadre de l'urgence sanitaire, faute de quoi cela nous aurait peut‑être valu des années de débat au Parlement – nous avons d'ailleurs prolongé ce dispositif à votre demande et je m'étais engagé à faire entrer ces mesures dérogatoires dans le droit commun. Le décret d'application, en cours d'examen par le Conseil d'État, sera publié dans les prochaines semaines. Cette mesure sera pérennisée.

Par ailleurs, les IVG instrumentales en centre de santé peuvent désormais être appliquées, le décret qui en précise les conditions ayant été publié en avril dernier.

Le décret et l'arrêté d'application relatifs à l'expérimentation de la réalisation d'IVG instrumentales par les sages-femmes en établissement de santé ont été publiés le 31 décembre 2021. Je n'ignore pas que la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement en prévoit la généralisation mais, comme un bon « tiens vaut mieux que deux tu l'auras », j'ai préféré que les textes ouvrant la voie à l'expérimentation soient publiés tant on ignore de quoi l'avenir sera fait… Une cinquantaine d'équipes sera sélectionnée et les premiers projets commenceront à la mi-2022. C'est une étape importante pour jeter les bases d'une pratique qui, sans nul doute, facilitera l'organisation des équipes hospitalières pour répondre aux demandes d'IVG et donnera aux femmes un nouvel interlocuteur dans leurs parcours.

Depuis la LFSS pour 2021, le tiers payant intégral est dorénavant prévu pour toutes les femmes s'agissant des dépenses prises en charge par l'assurance maladie obligatoire, c'est-à-dire 100 % des frais liés à l'IVG. À ce tiers payant s'ajoute la garantie du respect du secret pour la prise en charge de ces frais pour toutes les femmes.

Une politique efficace de prévention primaire et de dépistage reste plus que jamais essentielle pour lutter contre la survenue des cancers. Il est primordial d'informer les femmes des facteurs de risque et de protection. Ces dernières années, les campagnes de prévention des cancers du sein et du col de l'utérus ont été intensifiées à travers des actions de communication de l'institut national du cancer (INCa). La vaccination est un moyen sinon d'éradiquer le cancer du col de l'utérus, du moins, de le faire quasiment disparaître. Elle est possible mais peu effective, tant pour les jeunes femmes que pour les jeunes hommes qui, quant à eux, peuvent développer des cancers de la marge anale ou de la sphère oro-pharyngée. La question de la vaccination obligatoire contre le HPV – human papilloma virus – se posera. Le vaccin est une chance et il est intolérable que sept-cents jeunes femmes décèdent du cancer du col de l'utérus chaque année alors qu'il est évitable ou que l'on considère qu'il est difficile de vacciner des jeunes filles contre une maladie sexuellement transmissible. Certains pays comme le Mexique et le Costa Rica, me semble-t-il, ont rendu cette vaccination obligatoire mais c'est assez peu le cas en Europe. J'ajoute que nous constatons une augmentation des cancers du poumon et du larynx chez les femmes parce qu'elles fument davantage.

Il est essentiel de développer la participation des femmes aux programmes de dépistage des cancers du sein et du col de l'utérus. Plusieurs actions de communication ont été menées depuis 2017 pour les soutenir et leur apporter toutes les informations nécessaires à la compréhension des enjeux, notamment à travers des campagnes de publicité de proximité ou lors des mois de sensibilisation et de mobilisation, ainsi qu'à travers la diffusion régulière de communiqués et de dossiers de presse. Nous avons tous porté le petit sigle contre le cancer du sein.

Depuis 2021, l'institut national du cancer a mis en ligne la rubrique leseclairages.e-cancers.fr, afin de lutter contre les fausses informations et de donner au grand public une information scientifiquement robuste, notamment sur la vaccination contre le HPV et le dépistage du cancer du sein.

Plusieurs actions ont été menées pour améliorer la qualité des programmes de dépistage. S'agissant du cancer du sein, l'amélioration constante de la qualité des installations a conduit à ne plus autoriser, depuis 2019, les mammographes analogiques et à expérimenter la dématérialisation des mammographies afin de faciliter la seconde lecture des clichés. S'agissant du cancer du col de l'utérus, plusieurs actions ont permis depuis 2018 d'améliorer la qualité du programme, dont la mise en place du test HPV pour les femmes entre 30 et 65 ans. Un référentiel sur l'auto-prélèvement vaginal est en cours d'élaboration.

Je souhaite également évoquer la santé des femmes dans la période périnatale, moment de bouleversements personnels. La grossesse est en effet une période délicate. Dès 2019, nous avons généralisé l'entretien prénatal précoce pour répondre à l'enjeu de la bientraitance obstétricale. Dans la grande majorité des cas, au-delà des situations extrêmes et condamnables, se posait un problème de communication et de dialogue faute d'un temps sanctuarisé. L'enquête nationale périnatale de 2016 ayant révélé une sous-utilisation de l'entretien, celui-ci est désormais obligatoire depuis le 1er mai 2020.

La parentalité se prépare. C'est une période charnière pour se construire et assurer le développement harmonieux de l'enfant. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, s'est engagé à travers le plan « 1 000 premiers jours de l'enfant ». De nombreuses mesures ont déjà été prises, dont l'entretien postnatal, disposition que vous avez votée et qui sera effective à partir du mois de juillet. Il aura lieu entre quatre et huit semaines après la naissance pour faire le point, vérifier que tout se passe bien, dépister et détecter les symptômes de la dépression post-partum, laquelle touche 10 % à 20 % des femmes et est sous‑diagnostiquée alors que nous pouvons prévenir ou accompagner les femmes en intervenant suffisamment tôt.

Je citerai aussi le développement des visites à domicile après l'accouchement, en lien avec les centres de protection maternelle et infantile, notamment dans les situations de vulnérabilité. Afin d'accompagner au plus près les femmes, de la grossesse au post-partum, l'expérimentation d'un référent parcours périnatalité pour dix-huit mois a été engagée dans quatre territoires.

Concernant l'accès au congé de maternité pour les travailleuses indépendantes, la LFSS pour 2019 a favorisé, sur la base de vos propositions, une grande avancée sociale. En tant que rapporteur, je vous avais soutenus. Comme les salariées, elles bénéficient désormais de 112 jours d'indemnisation, conformément à l'engagement présidentiel. En outre, vous avez adopté dans la LFSS pour 2022 le principe du maintien des droits des travailleuses indépendantes anciennement salariées, lequel a fait rapidement l'objet d'un décret. Nous allons nous assurer que cette disposition soit opérationnelle partout, même s'il existe toujours des « bugs » ou des retards à l'allumage.

L'amélioration de la qualité de vie dans les EHPAD est essentielle.

Je l'ai moi-même vécu professionnellement : quand, la nuit, on est deux, un auxiliaire de soins et un aide-soignant, pour cent personnes âgées, dont une bonne cinquantaine très dépendante et une bonne trentaine souffrant de troubles psychogériatriques, il est très difficile de répondre à toutes les demandes en temps et en heure. C'est une question éminemment complexe. Plutôt que d'opposer modèle privé et public – j'ai travaillé dans le secteur public où nous étions aussi deux la nuit –, mieux vaudrait envisager la construction d'EHPAD à taille plus humaine.

Tout d'abord, il importe de prioriser le domicile : les Français veulent vivre chez eux le plus longtemps possible. Ensuite, quand la dépendance est trop forte, quand l'autonomie disparaît, quand, malgré les congés, la famille ne peut plus assurer le quotidien et qu'une admission en EHPAD est nécessaire, il faut envisager un autre modèle. Des moyens supplémentaires ont été déployés : nous avons recruté 40 000 personnes dans l'urgence, pendant la crise, 10 000 personnes l'ont été de façon structurelle et nous en cherchons 10 000 supplémentaires. Les budgets et la feuille de route, qu'il convient maintenant de décliner, me semblent à la hauteur.

En ce qui concerne le droit de visite, des directives ont été adressées depuis plusieurs mois. Comme dans l'éducation nationale, c'est en l'occurrence le directeur qui peut adapter le protocole en fonction de son établissement. D'un point de vue légal, sauf situations extrêmes, rien ne peut empêcher les visites. J'ajoute que l'isolement peut parfois s'expliquer par la situation géographique.

Dans le cadre du Ségur de la santé, nous avons consacré 700 millions à l'équipement numérique des EHPAD pour 700 000 résidents, soit 1 000 euros par résident. Le petit papi ou la petite mamie en perte d'autonomie dispose d'un écran et d'une télécommande à plusieurs touches, l'une pour appeler son fils ou sa fille en visioconférence, une autre pour allumer la télévision et une autre pour appeler à l'aide. Tout cela est financé et en cours de déploiement partout afin d'améliorer le confort de personnes qui en ont bien besoin.

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