Intervention de Olivier Véran

Réunion du mardi 8 février 2022 à 17h00
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Olivier Véran, ministre :

Cela revient en effet à tenter de « scientiser » soixante ans de débats en prenant la question de travers. Je me suis passionné pour le « care » dans le champ sanitaire. Pour réaliser à Sciences Po un mémoire sur le sujet, j'avais travaillé sur deux ouvrages, l'un de Joan Tronto et l'autre de Carol Gilligan, auteur qui a fait partie de la première génération des gender studies américaines. J'ai beaucoup aimé le livre de Joan Pronto, qui rétablit toute la valeur du « care » et l'inscrit dans certains courants de pensée.

Selon certain postulat, les femmes seraient dotées d'une morale particulière qui les rendrait plus aptes à s'occuper des vieillards, des bébés et des malades. Quand elles ont revendiqué le légitime droit d'accès à la sphère professionnelle, les « insiders » ont dit aux femmes qu'elles devaient faire ce qu'elles savaient faire le mieux, c'est-à-dire s'occuper des vieillards, des enfants et des malades, en ajoutant : on vous permet déjà d'exercer des métiers féminisés, mais on ne va tout de même pas vous donner le même salaire ! Grâce au Ségur de la santé, 1,5 million de personnes, dont 85 % de femmes, a bénéficié des 10 milliards consacrés à la hausse de salaires. Nous avons ainsi rattrapé un écart salarial qui n'était justifié que par des théories infondées datant de cinquante ans et ce fut la plus forte réduction d'écart de salaires entre hommes et femmes dans l'histoire de notre pays. Rien, dans les circuits neuronaux, ne peut justifier une discrimination fondée sur une différence entre les hommes et les femmes.

Concernant la santé mentale des femmes, j'ai évoqué le cas spécifique du post‑partum. Vous l'avez dit, la charge mentale peut aussi être vécue différemment. Je n'ai pas parlé de la question des violences faites aux femmes alors que nous avons beaucoup travaillé pour organiser les centres de prise en charge et d'accueil et que nous avons déployé d'importants moyens budgétaires. J'avais reçu Élisabeth Moreno dès après sa nomination et elle m'avait fait part de la nécessité d'accélérer leur déploiement : nous avons multiplié les budgets, me semble‑t-il, par cinq. Une vingtaine de ces maisons est en cours de réalisation, ce qui permettra également d'accompagner ces femmes sur un plan psychologique.

Les troubles du comportement alimentaire sont en effet plus fréquents chez les jeunes femmes que chez les jeunes hommes. Ils sont parfois plus insidieux et prennent des formes différentes. J'ajoute qu'un autre trouble comportemental est de plus en plus fréquent chez les jeunes adolescentes : la scarification. Cette tendance à se faire du mal et à se blesser, comme pour « graver » une image de soi différente, inquiète beaucoup les pédopsychiatres. Nous renforçons donc la filière pédopsychiatrique, les « chèques psy » permettant de lever les obstacles financiers pour consulter un psychologue. Nous renforçons les centres médico‑psychologiques (CMP) infanto-juvéniles ; nous menons des campagnes de prévention et de promotion de la santé. Les jeunes utilisent beaucoup le numéro national de prévention du suicide puisque plusieurs dizaines de milliers d'appels ont lieu, certains étant suivis de déplacements qui ont sans doute permis d'éviter nombre de passages à l'acte.

Faut-il traiter spécifiquement la santé mentale chez les femmes ? Les réseaux ont plutôt tendance à se structurer en fonction des pathologies et des troubles psychiques, les troubles du comportement alimentaire, par exemple, concernant aussi les hommes : l'anorexie est souvent présentée comme une maladie féminine, or, 5 % à 10 % des hommes en souffrent. L'approche de l'anorexie est donc la même pour un garçon ou une fille. Lors des assises de la santé mentale, les experts n'ont pas souhaité de différenciation.

La distribution des protections menstruelles fait l'objet d'initiatives locales ; nous lui consacrons chaque année 5 millions alors que nous sommes partis de rien. En 2020-2021, nous avons expérimenté une mise à disposition gratuite dans soixante-quatre collèges et lycées de l'académie de Lille afin de promouvoir la santé des élèves et de lutter contre les disparités économiques ainsi que les stéréotypes ; 6 000 protections périodiques ont été distribuées, 30 % des établissements expérimentateurs ont fait appel à des personnels formés en éducation de la sexualité, 63 % aux référents « égalité filles-garçons », 54 % à un partenaire extérieur comme le Planning familial, 77 % des établissements ont proposé un projet éducatif sur la puberté, la vie affective et sexuelle, l'égalité entre les filles et les garçons. En 2021, nous avons souhaité étendre cette expérimentation aux Alpes-Maritimes, à la Seine-Saint-Denis, aux Ardennes, aux Landes et à La Réunion. Je n'ai aucun doute quant à sa généralisation.

Je ne ferai pas d'annonce ici mais, dans les prochaines semaines, vous aurez satisfaction à propos de la qualité des protections menstruelles.

Je ne rouvrirai pas le débat sur la liberté d'installation des médecins. Une obligation d'installation est possible lorsque le nombre de médecins est pléthorique ; en période de pénurie, celle-ci serait aggravée. Si trois ou quatre médecins s'installent dans un désert médical, les autres zones en difficulté, fussent-elles un peu moindres, en pâtiront. Si vous dites que plus aucun médecin ne pourra s'installer à Tarbes pendant cinq ans parce que la démographie médicale de ce territoire se situe un peu au-dessus de la moyenne, la population protestera, considérant qu'elle manque déjà de médecins traitants. Empêcher des médecins de s'installer à un endroit ne les contraindrait pas à s'installer où on le souhaiterait et risquerait de creuser les inégalités territoriales. De plus, le vieillissement de la population des médecins entraîne des évolutions rapides : une zone considérée comme surdotée peut rapidement devenir un désert médical. À Calvi, le nombre de médecins est ainsi passé de onze à quatre en dix mois !

Il n'en reste pas moins qu'il faut favoriser l'accès à la santé en milieu rural pour tous. C'est pourquoi nous déployons télémédecine, assistants médicaux et communautés professionnelles territoriales de santé. Je me bats d'ailleurs contre les corporatismes et pour que soient reconnues à des soignants non médicaux des compétences pleinement acquises par l'expérience : infirmières à pratique avancée, développement des compétences des auxiliaires de puériculture, infirmières de bloc opératoire – IBODE –, qui passent au niveau master. Dans tous ces métiers féminisés, non par nature mais par culture, il importe de valoriser les compétences et de reconnaître les qualifications par l'apprentissage afin de leur donner une nouvelle impulsion.

S'agissant de l'infertilité, le rapport qui me sera remis ce vendredi par Samir Hamamah et Salomé Berlioux – dont je connais déjà les « bonne feuilles » ! – montre que le rythme des naissances est inférieur à celui qui est nécessaire pour assurer le renouvellement de population. Beaucoup avanceront des raisons fiscales mais je n'en suis pas convaincu. Les aides, le quotient ou les allocations, sont indispensables pour ne pas freiner financièrement le projet parental de quiconque mais je ne crois pas que la modulation de quelques pourcents de l'un ou l'autre indicateurs soit motivante. La crise du covid a entraîné une baisse de la natalité – laquelle avait commencé avant –, ce qui incite à considérer la question de l'immigration sous un angle différent de celui dans lequel on voudrait nous enfermer. Nous aborderons également la question de l'infertilité à partir des facteurs de risques, ceux qui sont connus et ceux qui sont suspectés mais non démontrés, ainsi que les parcours de prise en charge.

Après deux ans, je regrette que le volet de la santé environnementale n'ait pas été suffisamment considéré car j'y crois beaucoup. La sortie de la crise du covid peut être l'occasion d'aller plus loin.

Nous avons beaucoup évolué sur la question de la conservation de gamètes grâce à la loi de bioéthique, dont j'aurais pu parler.

Enfin, dans le cadre du Ségur de la santé, des crédits ont été déployés pour les femmes dont la situation sanitaire est la plus précaire. Des équipes mobiles ont été organisées, notamment en Île-de-France. J'ai financé les premiers lits « halte soins de suite » destinés exclusivement aux femmes dont la situation sociale, après leur accouchement, est particulièrement précaire. J'ai été bouleversé par la vie de ces femmes, qui donnent envie de se battre pour changer l'humanité, des femmes qui ont traversé des continents, des mers et des océans, qui ont été violées, qui ont subi de nombreuses violences et qui veulent élever leur enfant. Sans doute faut-il faire beaucoup mieux mais je compte sur vous, dont je connais les engagements.

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