Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 15h00
Délégation aux outre-mer

Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer :

Je suis heureux de vous retrouver pour cette audition. Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir accepté par deux fois son report. Vous avez fait preuve de beaucoup de compréhension et je vous en suis reconnaissant. Cette audition a du sens après le vote des crédits de la mission « Outre-mer » à l'Assemblée nationale, la discussion se poursuivant au Sénat. M. le président était rapporteur budgétaire et le débat a été calme, riche et intéressant.

Je commencerai par la Nouvelle-Calédonie – je salue la présence du député Philippe Dunoyer. Mon déplacement s'est effectué au lendemain du deuxième référendum prévu par l'accord de Nouméa. J'ai écouté et passé du temps avec tous les acteurs politiques, mais aussi les acteurs économiques, coutumiers et ceux de la société civile.

L'accord de Nouméa est, schématiquement, un accord à trois, entre ceux qui souhaitent l'indépendance, ceux qui ne la souhaitent pas et l'État. Mon déplacement s'inscrivait dans ce cadre et dans la perspective de la tenue d'un éventuel troisième référendum. Ce cas de figure est prévu si le Congrès de Nouvelle-Calédonie le demande dans un délai de six mois. Ce serait donc l'ultime étape de l'accord de Nouméa et elle se déroulerait dans des circonstances économiques et sanitaires graves, mais également des circonstances institutionnelles plus lourdes de conséquences puisqu'après ce troisième référendum, quoi qu'il arrive, nous devrons imaginer quelque chose de nouveau.

Des initiatives politiques volontairement informelles et discrètes ont été prises. Au cours de l'histoire des accords de Matignon du 26 juin 1988 ou de l'accord de Nouméa de 1998, les négociations ont souvent avancé en toute discrétion, mais aussi en toute transparence vis-à-vis du Parlement. Ainsi, j'ai répondu il y a quelques jours aux questions de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle‑Calédonie, en présence de son président, Christian Jacob, et de sa rapporteure, Mme Braun‑Pivet, présidente de la commission des lois.

Nous allons poursuivre le dialogue au cours des cinq prochains mois et tenter de répondre à différentes questions : que veut dire le « oui » ? Que veut dire le « non » ? Qu'est‑ce qu'être Français en 2020 ? Quelles seront les relations entre la France et la Nouvelle-Calédonie à l'avenir, que le « oui » ou le « non » l'emporte ? Que signifient souveraineté et indépendance en 2020 ? Ces termes puisent leur source dans des processus de décolonisation anciens, datant des années 1980. L'accord vieillit et on mesure parfois mal ses effets en matière de rééquilibrage économique et social ainsi que sur le corps électoral.

Je répondrai volontiers à vos questions précises, car il est quasiment impossible de dresser l'état des lieux de la situation en Nouvelle-Calédonie en deux ou trois minutes. Le nickel semble à nouveau s'imposer dans le débat public calédonien, alors qu'il en a très peu été question pendant mes trois semaines de présence sur le Caillou. Peut-être que le député Dunoyer voudra y revenir.

La question calédonienne doit intéresser tous les parlementaires ultramarins, et plus largement tous les parlementaires. On aurait tort, en effet, de considérer que la Nouvelle‑Calédonie est un dossier à part : il pose la question de la présence de la France dans le Pacifique et intéresse donc très directement les parlementaires de Wallis-et-Futuna ou de Polynésie française.

C'est également un dossier institutionnel qui mobilise du temps et de l'énergie. Les parlementaires sont de bons connaisseurs en la matière, et j'aurai besoin d'eux sur des questions ayant trait à la citoyenneté, à la nationalité et à autant de sujets qui, quel que soit le résultat du processus institutionnel en Nouvelle Calédonie, intéressent le législateur. Au fil du temps, celui-ci est intervenu pour adapter la Constitution à la Nouvelle-Calédonie, pour adopter des lois organiques importantes, et il continue de le faire à travers les lois de finances. De même, j'ai trouve que nous avons eu un échange franc et utile dans le cadre de la mission d'information.

Venons-en à la crise sanitaire. Celle-ci concerne évidemment tous les territoires, mais le moment est curieux, car ce qui se passe dans l'Hexagone ne correspond en rien à ce qui peut se passer dans les différents territoires. Et pour cause, la circulation d'un virus est liée au contexte local. Pour ne parler que du climat et de la météo, les températures ne sont pas les mêmes dans la plupart de nos territoires d'outre-mer et à Paris !

Les cycles épidémiologiques sont distincts. En mars, la réaction face à l'urgence a consisté à confiner toute la nation française, mais cela n'a pas empêché la reprise épidémique à Mayotte et en Guyane, où un confinement adapté a ensuite été mis en place. Dans ces deux territoires, les taux d'incidence sont désormais très faibles. Parallèlement, la reprise épidémique est importante en Martinique, d'où la mise en œuvre de mesures de confinement au même moment que dans l'hexagone, alors qu'en Guadeloupe, la situation était inquiétante il y a un mois et demi et les taux sont aujourd'hui plus bas. Cela signifie qu'il ne saurait y avoir une gestion de l'épidémie globale pour l'outre-mer et que nous privilégions une approche territoriale. D'où l'importance de la transparence sur les statistiques et de leur déclinaison territoire par territoire. Sur cette base, je me fais fort de proposer des solutions au Président de la République et au Premier ministre, dans le cadre du conseil de défense et du conseil des ministres. Ensuite, c'est aux préfets, en lien avec les agences régionales de santé (ARS), de prendre des dispositions adaptées.

En Martinique, le taux d'incidence reste élevé. Néanmoins, les effets du confinement sont visibles et ce taux diminue fortement, ce qui nous rend plus optimistes. Toutefois, lever trop rapidement les mesures de confinement pourrait réduire à néant nos efforts. Sans préjuger des annonces à venir, nous allons chercher à adapter les mesures de protection sanitaire à la réalité de la Martinique, sans forcément suivre ce qui sera mis en place à Paris. J'entends souvent dire que la Martinique va encore subir ce qui se passe dans l'hexagone. Ce n'est pas du tout le cas : les mesures de sortie de confinement seront progressives et précisées dans les prochains jours, afin de permettre à une partie de l'économie de redémarrer, tout en s'adaptant à la réalité sanitaire.

Je prends un autre exemple, celui de la Polynésie française : certaines situations sont difficiles, mais le territoire est aussi grand que l'Europe. Les taux d'incidence sont analysés par atoll ou archipel. En outre, la compétence sanitaire n'est pas exercée par le gouvernement de la République française, mais par celui de la Polynésie.

Dans les autres territoires d'outre-mer, la situation est meilleure que dans l'hexagone. En conséquence, nous n'avons pas pris de mesures de confinement.

Je m'arrête quelques instants sur la situation à La Réunion, où j'ai pu échanger avec les parlementaires qui m'ont accueilli lors de ma visite rapide de la semaine dernière, liée à l'incendie. L'île compte plus de 800 000 habitants et des communes de taille importante. J'ai demandé au préfet de région de prendre des mesures adaptées, commune par commune, car les taux d'incidence y sont particulièrement variables : une mesure générale concernant l'ensemble de l'île n'aurait pas de sens dès lors qu'il est possible d'isoler les zones concernées. Cette différenciation infraterritoriale est originale.

Je tiens à transmettre un message de reconnaissance à tous les personnels soignants des structures sanitaires, mais aussi aux forces de l'ordre qui doivent faire appliquer les mesures de confinement ou de port du masque dans les lieux publics. Ce n'est pas toujours évident… Ainsi, à La Réunion, il a fallu prendre des mesures de couvre-feu dans certaines communes où les règles n'étaient pas respectées. Je regrette d'avoir à souligner ce problème de citoyenneté.

Le système sanitaire tient bon même si, dans certains territoires, l'épidémie de dengue s'ajoute à celle du covid, diminuant d'autant les marges de manœuvre sanitaires et mettant en lumière la fragilité spécifique de certaines institutions, comme l'hôpital de La Trinité à la Martinique, sur lequel nous avons déjà échangé et qu'il faudra traiter le moment venu.

Le service de santé des armées est particulièrement engagé outre-mer : il a porté secours à Mayotte, puis en Guyane, en Guadeloupe et désormais en Polynésie. Les armées jouent pleinement leur rôle dans la solidarité nationale et en matière d'acheminement logistique des tests, comme ce fut le cas pour les masques dans la première partie de la crise.

En résumé, la situation est meilleure que dans l'hexagone et les mesures sont prises territoire par territoire, voire au niveau infraterritorial dans certains cas.

Même si je vois que M. Stéphane Claireaux est connecté, je n'évoque pas la situation des territoires de la République covid-free, en mauvais français, comme Saint‑Pierre‑et-Miquelon, la Nouvelle-Calédonie ou Wallis-et-Futuna. Dans le premier territoire, un dispositif de septaine a été mis en place, alors qu'une quatorzaine s'applique en Nouvelle-Calédonie.

Où en est-on de la crise économique et sociale ? Nous allons devoir quantifier les conséquences de la crise sanitaire, car tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne : certains ont repris leurs activités touristiques, d'autres pas, d'autres uniquement pour la clientèle locale ; certaines zones n'ont pas connu d'interruption de la commande publique pour le bâtiment et les travaux publics (BTP) alors que d'autres ont pris beaucoup de retards. Ainsi, à la Martinique, on est encore dans le soutien d'urgence à l'économie plus que dans la relance, puisque les commerces, les restaurants, les bars sont fermés. À l'inverse, dans d'autres territoires, on a commencé à bâtir une véritable relance. Je répondrai bien volontiers à vos questions sur le sujet.

Il faut bien différencier les outils de la sauvegarde économique tant que le virus continue de circuler, de ceux de la relance. Ainsi, dans le quartier de Saint-Gilles à La Réunion, nous avons pris des mesures d'accompagnement spécifiques du fait de la fermeture des activités. Les outils de la relance sont différents et il est complexe de faire cohabiter les deux. Si je peux rassurer les parlementaires d'outre-mer, les territoires ultramarins vont être en avance sur l'hexagone concernant la déclinaison du plan de relance, nos échanges avec les différentes collectivités le laissent présager. Je l'ai déjà dit publiquement et le répète ici.

Je suis donc assez optimiste, d'autant que notre budget est en hausse et traduit cette volonté et notre efficacité. L'enjeu, désormais, est d'être capable de dépenser rapidement l'argent, tout en réglant les difficultés d'ingénierie et en s'assurant que le calendrier électoral ne viendra pas perturber les efforts de relance du gouvernement et du Parlement.

Enfin, les compagnies aériennes font aussi l'objet d'un accompagnement sur mesure, car elles ne sont pas toutes dans la même situation et sont plus ou moins fragiles structurellement. Sur ce sujet, comme sur les autres, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions – sous réserve du respect du secret des affaires, des discussions étant en cours avec les différents actionnaires.

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