Intervention de Jean-Baptiste Gourdin

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 14h05
Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Jean-Baptiste Gourdin, directeur général des médias et des industries culturelles :

Le ministère de la culture a fortement contribué à la construction de ce cadre juridique, au niveau européen puis au niveau national, mais il n'a pas vocation à se substituer aux acteurs dans la mise en œuvre du droit voisin. C'est un droit exclusif, reconnu aux éditeurs et aux agences. Il revient à la négociation entre bénéficiaires et redevables de préciser les conditions de sa mise en œuvre. Pour autant, nous suivons de près ces discussions et nous sommes pleinement conscients des difficultés sur lesquelles buttent les éditeurs et les agences.

Je ne veux pas détailler la chronologie des négociations et des procédures contentieuses qui se sont développées depuis deux ans, puisque les acteurs eux-mêmes vous ont donné toutes les informations, mais je relève que deux ans après l'entrée en vigueur de la loi, très rares sont les éditeurs et les agences qui ont réussi à conclure des accords portant explicitement et spécifiquement sur la rémunération du droit voisin. L'accord-cadre conclu en novembre 2020 entre Google et l'Alliance de la presse d'information politique et générale (IPG) est une étape importante, mais il doit encore être décliné dans des accords avec chaque titre. Par ailleurs, il porte sur une partie du secteur de la presse et laisse de côté la presse qui n'est pas IPG et les agences. Enfin, il n'a été signé qu'avec Google qui n'est, malgré son poids, qu'un redevable parmi d'autres.

Je tiens à souligner le rôle décisif joué par l'Autorité de la concurrence depuis l'entrée en vigueur de la loi pour son application effective. Ce rôle témoigne de l'apport très précieux de l'application combinée des règles de la propriété intellectuelle et du droit de la concurrence. Les injonctions prononcées en avril 2020 et confirmées par la Cour d'appel de Paris, les sanctions en juillet 2021 pour le non-respect de ces injonctions ont permis de rappeler à Google qu'il n'était pas possible de s'asseoir sur les règles juridiques et sur la volonté politique exprimée clairement par le législateur européen puis par le législateur national. Ces décisions précisent la notion de négociation de bonne foi, le périmètre exact du droit voisin, ses bénéficiaires et les contenus protégés.

Google doit désormais accepter de négocier de bonne foi, en fournissant aux bénéficiaires du droit voisin toutes les informations indispensables à une évaluation précise et sérieuse de ce droit et en proposant un mécanisme de rémunération reflétant correctement, par son montant mais aussi par ses règles de calcul et de répartition, la valeur apportée par les contenus de presse. Nous sommes évidemment très attentifs à l'avancement de ces discussions mais aussi aux suggestions par certains acteurs, y compris lors des auditions que vous avez menées.

Sur la gestion collective, qui a été plusieurs fois évoquée dans vos auditions, je rappelle que le législateur a fait le choix en 2019 d'en prévoir la possibilité mais de ne pas l'imposer. Certains pensent qu'il aurait pu le faire sans violer le droit européen. Nous suivons avec attention et bienveillance les efforts d'une partie du secteur de la presse pour se regrouper et créer un organisme de gestion collective. En effet, face au poids d'un acteur comme Google, la presse a des raisons économiques évidentes de ne pas négocier en ordre dispersé. Notre bienveillance s'explique aussi par des raisons plus politiques. L'impératif constitutionnel de pluralisme serait mis à mal si, par des négociations individuelles et bilatérales, le bénéfice du droit voisin était réservé à quelques titres ou si elles aboutissaient à des discriminations injustifiées quant au montant des rémunérations perçues. L'union est non seulement le gage d'un rapport de force plus équilibré mais aussi le gage d'une équité de traitement entre tous les tous les titres de presse.

Sur les appels à compléter le cadre juridique, je rappelle que nous sommes allés très loin dans la transposition du cadre européen. Il n'est pas certain que nous disposions de marges pour aller encore plus loin. Comme l'a rappelé la ministre à l'occasion des débats sur le projet de loi relatif aux offres culturelles à l'ère numérique, il serait dangereux de modifier les règles du jeu alors même que les procédures sont encore en cours. Cette approche pourrait donner des armes à ceux qui essaient de s'exonérer du droit voisin en invoquant le flou supposé du cadre juridique.

Pour autant, nous pouvons continuer à réfléchir à des ajustements pour muscler ce cadre juridique, notamment sur les problématiques d'accès aux données pour corriger l'asymétrie d'information, sur la désignation d'un médiateur ou d'un tiers de confiance. En revanche, à titre personnel, je suis beaucoup plus sceptique sur les propositions tendant à confier à une commission administrative le soin d'adopter un barème. Cette approche nous éloignerait de la philosophie du droit voisin. Le droit voisin est un droit exclusif en gestion individuelle alors qu'un barème administratif nous rapprocherait de ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire une taxe ou un droit à rémunération en contrepartie d'une licence légale comme nous le connaissons dans d'autres sphères de la propriété intellectuelle, par exemple avec la musique en radio.

Enfin, je rappelle que la loi a prévu un principe de partage entre les éditeurs et les journalistes des fruits du droit voisin, ces derniers devant percevoir une part appropriée et équitable. À cette fin, une commission chargée de statuer sur les différends entre les éditeurs et les journalistes a été créée par décret. Son président a été désigné et sa composition sera rapidement finalisée. Elle n'a pas vocation à fixer une clé de partage mais à intervenir si les négociations n'ont pas permis d'aboutir à un accord sur le partage du droit voisin.

Notre priorité est que les discussions, qui n'ont que trop duré, entre éditeurs, agences et acteurs numériques aboutissement.

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