. Merci, madame la présidente, de votre invitation.
Je serai assez bref, car vous avez auditionné Laurent Mauriac, président du syndicat de la presse d'information indépendante en ligne (SPIIL). La position et l'expérience de Mediapart sur la question s'alignent sur celles du SPIIL, dont nous sommes membres fondateurs et membres du bureau.
Mediapart a été fondé en 2008 sur un modèle à l'époque totalement novateur et unique dans la presse française : un journal de qualité, par des journalistes professionnels et payant par abonnement ; un journal participatif avec, dans le cadre du numérique, un lien nouveau avec ses lecteurs. Mediapart a fait le choix de vivre exclusivement des abonnements, sans publicité ni subvention publique ou privée.
Ce choix n'est pas une position morale abstraite. Face à la crise qui continue de toucher le secteur de la presse de référence et de qualité et qui rejaillit sur la qualité du débat public et médiatique, nous souhaitions montrer que le journalisme pouvait créer de la valeur. Il s'agissait de créer des emplois et une entreprise rentable uniquement sur la base du lien de confiance entre un journal et son public. Mediapart est une entreprise de presse profitable depuis la fin de l'année 2010, avec un taux de rentabilité qu'envieraient nos concurrents.
Aujourd'hui, Mediapart compte plus de 200 000 abonnés pour une audience pouvant atteindre, en moyenne, jusqu'à 5 millions de visiteurs uniques mensuels. En effet, un contenu payant n'empêche pas la circulation et les partages d'articles. La partie « club » de Mediapart est en accès libre, de même que les chapeaux et vidéos.
Je m'exprime ici en tant qu'entrepreneur de presse et non en tant que journaliste. À nouveau, face à la crise de la presse, nous souhaitions montrer qu'il était possible de défendre un modèle vertueux reposant sur la qualité du travail journalistique. Ce propos m'amène aux positions du SPIIL que nous épousons et défendons.
S'agissant des droits voisins, nous avons sonné l'alerte dès le début des discussions avec la « presse traditionnelle » regroupée dans l'Alliance de la presse d'information générale (APIG). Par un communiqué du 8 février 2021, s'agissant des accords conclus, nous avons alerté sur une pratique qui nous semblait très opaque, très inéquitable et très nuisible à l'indépendance de la presse. Des discussions sont désormais en cours avec Google et pour la création d'un organisme de gestion collective.
Dans la constitution de cet organisme de gestion collective, pour parvenir à un accord conforme à l'esprit de la loi de 2019, l'essentiel est de sortir de la logique d'audience. Sauf à renier ce qu'est un journalisme de qualité, on ne peut pas se baser sur le critère de l'audience. En effet, la loi de 2019 voudrait réduire la dépendance à l'égard des GAFAM, mais le critère de l'audience l'augmenterait. Une logique d'audience impliquerait une hiérarchie de l'information, une formulation de l'information, dans l'objectif du plus grand nombre de clics et non de la qualité.
La logique d'audience est celle du divertissement. Lorsqu'elle gagne l'information, elle donne le spectacle désolant des chaînes d'information actuelles où règne l'opinion et non l'information. Si l'opinion doit engendrer de l'audience, la plus provocante, voire la plus scandaleuse en termes de respect des droits humains sera mise en avant.
Dans la constitution d'un organisme de gestion collective, nous défendons donc une logique de qualité éditoriale par différents critères : nombre de cartes de presse, qualification de presse d'information politique et générale (IPG), etc.
L'APIG a été créée, dans le cadre de la crise de notre profession, par « la presse traditionnelle » issue du modèle de la presse imprimée pour trouver des formes de béquilles plutôt que d'investir pour répondre à la crise et d'être dans une logique vertueuse de conquête du public, de fidélisation et de rentabilité. L'APIG ne participe pas à la construction de l'organisme de gestion collective et conclut actuellement des accords de gré à gré avec Google. In fine, les GAFAM subventionnent le recrutement des abonnés.
Au-delà de la distorsion de concurrence, il existe un problème de principe. Les accords sur les droits voisins sont issus d'une loi et ne relèvent donc pas du secret des affaires. Selon nous, il est tout à fait condamnable que le mode de calcul et le montant des subventions privées obtenues par des accords passés de gré à gré soient confidentiels. Ils devraient être rendus publics.
La publicité des aides publiques ou privées a été au cœur du combat de Mediapart puis du SPIIL. En 2008, des états généraux de la presse ont permis de défendre la neutralité du support avec un taux de TVA identique entre presse imprimée et numérique. Il était anormal, dans un secteur au cœur de la vie démocratique, que le montant des aides ne soit pas public. Le combat du SPIIL a abouti à la transparence sur les aides.
En tant qu'entrepreneur, je m'interroge sur un secteur qui, plutôt que d'affronter les questions, cherche des béquilles, dont l'une est notable : l'augmentation des aides. La part des aides dans le chiffre d'affaires de la presse est passée de 12,9 % en 2008 à 23,3 % en 2021. Mediapart s'honore de ne pas en percevoir, ce qui n'est pas le cas de tous les membres du SPIIL.
Paradoxalement, l'APIG a pour président l'actuel président-directeur général (PDG) du groupe Les Échos – Le Parisien qui a touché 24 % des aides versées en 2019. Celui-ci veille donc à des accords opaques constituant des compléments de recettes pour ses journaux. Ils sont pourtant la propriété de M. Bernard Arnault ayant les moyens d'investir dans leur développement et qui ne devrait pas parier sur des aides publiques ou des subventions privées, mais sur sa dynamique industrielle pour relancer ses journaux.
Enfin, je vous invite à consulter le rapport n° 3119 de la commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l'âge du numérique auquel j'avais participé dans le cadre de la XIVe législature. Il comporte de nombreuses propositions sur la manière de rénover l'écosystème de l'information dans notre pays.
À nouveau, Mediapart suit la position du SPIIL sur les droits voisins et participe à la constitution d'un organisme de gestion collective. Dans ce cadre, Mediapart n'a sollicité aucun accord de gré à gré avec l'un des GAFAM. Mediapart veille à son indépendance et refuse une logique d'audience détruisant la qualité de l'information.
Nous alertons à nouveau sur l'absence de transparence sur le montant et le mode de calcul des subventions privées portant sur un élément essentiel de la démocratie : l'information. Pour la qualité, l'indépendance et la loyauté de l'information, les chiffres doivent être rendus publics.