Intervention de Benoît Tabaka

Réunion du mercredi 15 décembre 2021 à 13h30
Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Benoît Tabaka, directeur des relations institutionnelles et politiques publiques de Google France :

Nous vous remercions pour cette nouvelle invitation : nous étions en effet présents il y a une quinzaine de jours, pour échanger sur les discussions en cours s'agissant de l'application de la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

Les échanges de Google avec la presse ne sont pas nouveaux : ils ont débuté il y a plus de dix ans. Les premières discussions se sont conclues par un accord sur la création du fonds Google pour l'innovation numérique de la presse. Loin de traiter des droits voisins, il visait à aider financièrement la presse à développer de nouveaux modèles d'innovation et, partant, de nouveaux modèles économiques, notamment pour recevoir des revenus complémentaires – abonnements ou autres types de monétisation. L'initiative a rencontré un grand intérêt en France, ainsi qu'auprès de nombreux éditeurs européens. Elle s'est muée en une structure européenne puis internationale, car le sujet de l'accompagnement de la presse en matière d'innovation est mondial. En France, Google dispose d'une équipe dédiée d'une vingtaine de personnes, qui discutent quotidiennement avec les éditeurs de presse, dans trois domaines.

Le premier est le métier historique de Google, la publicité. Nous offrons des solutions publicitaires aux éditeurs de presse pour les aider à développer la modélisation de leur inventaire.

Le deuxième est le déploiement de nouveaux modèles économiques, notamment autour des abonnements. Le premier acteur européen avec lequel nous avons travaillé a été Le Monde. Aujourd'hui, environ 40 % des nouveaux abonnés numériques du quotidien sont le fruit de cette collaboration.

Enfin, une équipe dédiée engage un travail avec les éditeurs pour signer des accords de licences de contenus. Depuis deux ans, elle est mobilisée sur l'application de la loi française relative au droit voisin.

Vous le savez, la France a été la première à transposer la directive sur le droit d'auteur, en juillet 2019. Nous avons été le premier acteur vers lequel les éditeurs de presse se sont tournés, le premier à devoir réfléchir avec eux sur la manière dont la loi devait être appliquée. Nous disposions pour cela de deux sources – les débats parlementaires au niveau européen et les débats législatifs, au niveau français –, afin de comprendre les interrogations et y répondre.

Les interrogations et la complexité étaient de trois ordres. Elles expliquent le temps qui a été nécessaire à ces avancées.

D'abord, s'est posée la question du périmètre en matière de contenus. La loi fait référence à des « courts extraits » d'une publication de presse qui ne dispensent pas de consulter le contenu ou d'accéder aux sites. Il faut déterminer ce qu'ils recouvrent, par exemple, un titre et une image qui apparaissent lors d'une recherche sur Google. Nous n'avons pas voulu entrer dans cette discussion, car personne, hormis le juge, ne pouvait nous apporter de réponse. L'interrogation subsiste, et votre mission d'information permettra peut-être d'apporter davantage de certitude sur ce sujet.

Le deuxième élément de complexité est le périmètre des bénéficiaires du droit voisin. La question peut paraître étonnante car la France a une longue tradition de définition juridique des éditeurs de presse. Elle dispose notamment d'agréments et de labellisation, en particulier les différentes catégories de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), comme l'information politique et générale (IPG). La loi française fait explicitement référence à ce concept. C'était un premier élément de certitude, sur lequel nous nous sommes appuyés : il fallait tenir compte de la contribution des publications à l'information politique et générale.

Nous avons donc d'abord travaillé autour de l'IPG, ce qui explique pourquoi le premier accord-cadre, conclu en janvier 2021, a été négocié avec l'association qui représente ces éditeurs, la fameuse Alliance de la presse d'information générale (APIG).

En discutant avec les éditeurs et l'Autorité de la concurrence, nous sommes toutefois parvenus à la conclusion que ce critère n'était pas le seul. La question qui se pose à présent est de définir la publication de presse, qui peut regrouper tous les titres qui ont fait l'objet d'une labellisation par la CPPAP, ou être d'un autre ordre. Or les définitions varient selon les interlocuteurs avec lesquels nous échangeons, ce qui fait que, dans certains cas, nous rencontrons une difficulté à avancer. Certains disent que le champ se limite à l'ensemble des éditeurs de la CPPAP, sans aller au-delà. D'autres, sans donner de définition claire et précise, estiment que la loi ne se limite pas à ce champ et que les périmètres ne se recoupent pas.

Dans ses décisions relatives à cette question et à notre entreprise, l'Autorité de la concurrence a insisté sur la nécessité de s'assurer que des critères non discriminatoires et objectifs sont utilisés. On ne peut pas décider arbitrairement d'inclure ou de ne pas inclure un acteur dans le périmètre de la discussion sur le droit voisin. C'est pourquoi nous nous sommes toujours attachés à recourir à des éléments juridiques, notamment aux définitions que nous connaissons.

La dernière difficulté porte sur les agences de presse, auxquelles la loi fait explicitement référence. La directive les évoque également, ainsi que les débats parlementaires français. Une question pratique se pose alors, celle de savoir à qui va la rémunération si un éditeur de presse réutilise une dépêche rédigée par une agence – Agence France-Presse (AFP), Reuters, Associated Press (AP), entre autres acteurs présents sur le marché français –, indexée par le moteur de recherche et dont le contenu apparaît dans ses résultats. La rémunération va-t-elle à l'éditeur, qui devra retraiter avec l'agence ou les agences qui ont fourni le contenu pour rédiger l'article ? Devons-nous contractualiser directement avec les différentes agences ? Le débat juridique reste ouvert, mais nous avons posé la question dans le cadre des discussions devant la cour d'appel. Dans le cas d'agences B to B, de professionnel à professionnel, doit-on contractualiser avec l'agence, avec l'éditeur ou avec les deux ?

Nous avons fait le choix d'avancer, et avons abouti au récent accord avec l'AFP.

Ainsi, nous avons franchi plusieurs étapes : d'abord, la conclusion de l'accord-cadre avec l'APIG, qui prévoyait à la fois le paiement de licences au titre du droit voisin et des nouveaux usages que nous souhaitons développer avec Google News Showcase, qui existe dans plusieurs pays européens. L'accord-cadre a ensuite été décliné en accords individuels avec certains des éditeurs que vous avez pu recevoir.

Au cours de l'été, l'Autorité de la concurrence nous a demandé d'apporter des précisions et des changements à l'accord-cadre, qui a été suspendu pour être réajusté. Les discussions sont toujours en cours avec l'APIG sur ce sujet. Elles sont d'ailleurs bien avancées.

La deuxième étape est l'accord avec l'AFP, qui couvre le droit voisin sur l'ensemble des pays de l'Union européenne. L'AFP a une dimension internationale ; elle est présente dans de nombreux pays européens. Au travers d'un accord sur un montant forfaitaire c'est-à-dire une évaluation, que permet aujourd'hui la loi, nous avons fait le choix de couvrir le paiement de l'ensemble des droits voisins, pour une durée initiale de cinq ans.

Les autres discussions, principalement avec le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), progressent. La question du périmètre des bénéficiaires subsiste, puisque, aujourd'hui, seule une cinquantaine de membres du SEPM est labellisée par la CPPAP, ce qui représente une part relativement faible du syndicat. En parallèle, nous poursuivons les discussions avec l'ensemble des acteurs qui nous contactent, qu'il s'agisse de la Fédération française des agences de presse (FFAP), du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL), la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée (FNPS), ou de certains éditeurs, qui souhaitent avoir une discussion directe avec nous.

Après cette phase de complexité et de compréhension mutuelle avec les éditeurs, nous essayons d'avancer. Le flou subsiste sur certains éléments, mais nous tentons de trouver des solutions, au travers de discussions avec des acteurs extérieurs. C'est le sens des engagements que nous avons proposés à l'Autorité de la concurrence – leur publication, aujourd'hui, est un hasard : l'Autorité décide seule de son calendrier.

Nos engagements sont destinés à pérenniser les injonctions que l'Autorité nous a adressées, notamment pour bien séparer la question du droit voisin des autres types de licences ; pour communiquer certaines données – l'Autorité en donne le détail –, et pour apporter des garanties additionnelles aux éditeurs et aux agences de presse, à travers un mécanisme d'arbitrage, dans les discussions et les problèmes qui peuvent apparaître entre nous et les éditeurs, et un mécanisme de supervision, par un mandataire, du respect par Google de ses engagements envers les éditeurs et les agences de presse.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.