Je vous remercie de m'avoir convié à vos travaux afin d'examiner avec vous ce projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter au nom du Gouvernement.
Il s'inscrit dans le contexte si particulier de la maladie dite de la jaunisse de la betterave, causée par plusieurs types de virus colportés par des pucerons. Ces virus modifient le métabolisme de la plante, stoppent la photosynthèse et détruisent la chlorophylle, ce qui explique le jaunissement des feuilles. La plante ne peut dès lors plus assimiler de sucre ni l'emmagasiner dans le tubercule exploité ensuite par les sucreries pour en faire du sucre, du bioéthanol ou du gel hydroalcoolique – nous pouvons à ce propos rendre hommage à la filière pour sa mobilisation, notamment au début de la crise sanitaire de la covid-19.
Cette maladie, qui s'est massivement étendue du sud au nord – pour schématiser, du sud de l'Île-de-France au nord des Hauts-de-France –, entraîne des baisses importantes de rendement. Or, en ce moment même, les agriculteurs doivent décider des assolements et déterminer s'ils planteront des betteraves. Contrairement à ce que certains pourraient penser, les betteraviers ne pratiquent plus la monoculture, à la différence d'il y a quinze ou vingt ans. En raison de la crise de la jaunisse et du manque d'alternatives, ils hésitent – c'est un euphémisme – à en planter, à la différence, par exemple, des céréales.
Nous sommes confrontés à un immense défi de souveraineté et d'indépendance : si les agriculteurs décident de ne pas planter de betteraves à la fin de l'hiver et au début du printemps prochain, les sucreries risquent de fermer rapidement faute d'intrants et, in fine, de modèle économique. En deux saisons, une industrie peut être mise à mal, bien qu'elle soit un fleuron de l'agriculture française, notre pays comptant parmi les principaux producteurs mondiaux de betteraves et étant le premier producteur européen de betteraves sucrières.
Il est néanmoins évident que nos compatriotes continueront à consommer du sucre dans les deux prochaines années. Nos voisins européens, eux, continuent non seulement à bénéficier de dérogations pour l'usage des néonicotinoïdes mais à utiliser des produits parfois interdits dans notre pays au titre de la nécessaire transition agro-écologique. Si les agriculteurs ne plantent plus de betteraves, demain, les sucreries fermeront et, après-demain, nous devrons importer du sucre depuis la Pologne, la Belgique ou l'Allemagne, qui utilisent de telles dérogations.
Ce projet de loi vise donc à introduire la possibilité de déroger à l'interdiction des néonicotinoïdes, au même titre que le font onze pays européens, en utilisant l'article 53 du règlement européen encadrant, en cas de crise sanitaire, la possibilité de déroger aux interdictions.
Avant de proposer un tel dispositif, nous avons beaucoup réfléchi à la question des alternatives possibles, y compris depuis la loi de 2016.
Tout d'abord, l'alternative économique. La filière serait placée « sous perfusion » en attendant de trouver une solution comme la sélection des semences, le « bio-contrôle » avec l'utilisation d'auxiliaires comme des coccinelles ou d'autres insectes prédateurs des pucerons, ou encore des solutions dites « culturales » à travers la réduction des tailles de parcelles ou l'association d'autres cultures à la plantation de betteraves, comme cela a été fait dans l'Oise avec l'avoine. Aujourd'hui, aucune de ces alternatives ne marche.
L'alternative économique, plus précisément, se heurte au principe de base de l'ensemble des règles européennes régissant les soutiens économiques et interdisant de délivrer une aide couvrant 100 % d'une culture, le seuil étant de 65 %. Un agriculteur ne prendra pas le risque de devoir absorber une perte éventuelle de 35 %.
Ensuite, la sélection des semences, que j'ai rapidement évoquée. Des travaux de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) sont en cours, notamment dans le cadre du programme AKER, mais, à ce jour, aucune semence susceptible de contrer la modification du métabolisme induite par le virus de la jaunisse n'a été identifiée.
Enfin, des alternatives culturales ou agrobiologiques, mais les pistes dont nous disposons ne sont ni pérennes ni susceptibles de convaincre les agriculteurs de replanter des betteraves.
Nous vous proposons donc d'introduire dans la loi la possibilité de déroger à l'interdiction d'utiliser les néonicotinoïdes pendant les trois années à venir au maximum, comme nous les avons utilisés par le passé et comme les utilisent onze pays européens sur quatorze pays producteurs. Cela emporte évidemment des conséquences politiques – je suis le premier à en avoir pleinement conscience – mais aussi écologiques et agricoles.
J'ajoute que nous avons élaboré, dans le même temps, un plan de recherche très ambitieux, avec un financement de l'État à hauteur de 5 millions d'euros sur trois ans, l'État entrant ainsi dans la gouvernance de ces programmes publics – c'est une évidence – ou privés, comme avec l'Institut technique de la betterave (ITB).
Nous avons également élaboré un programme de prévention visant à limiter les conséquences écologiques de cette réintroduction. Des alternatives chimiques autorisées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) comme le Movento ou le Teppeki ont des incidences écologiques très importantes, en particulier lorsqu'ils sont utilisés au-delà des doses autorisées, ce qui est souvent le cas. Le plan de prévention vise donc à se prémunir de tels risques tout en aidant la filière à diminuer la dose de néonicotinoïdes de 25 % par rapport aux usages précédents et en accélérant la recherche agronomique afin de trouver des solutions culturales.
Ces plans de recherche et de prévention m'ont été remis ce matin, ils sont désormais public et font partie intégrante de l'ensemble du dispositif que nous avons proposé le 6 août dernier.
Ce projet de loi, pour des raisons légistiques, ne mentionnait pas le mot « betteraves » lorsque nous en avons discuté en conseil des ministres et lorsque le Conseil d'État a donné son avis, mais la ministre de la transition écologique Mme Barbara Pompili et moi-même, en tant qu'autorités qui signeront les arrêtés de dérogation, nous engageons très fermement à n'utiliser cette possibilité que pour la culture des betteraves sucrières. Nos débats permettront de nous assurer comment cet engagement, que je prends officiellement, qui sera inscrit au Journal officiel, pourra figurer dans le « dur » de la loi.