Madame Meynier-Millefert, j'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de votre rapport sur l'impact économique, résidentiel et environnemental des énergies renouvelables et la transparence de leur financement. Vous m'avez interrogé sur le sujet passionnant de l'énergie solaire en France. Peut-être avez-vous eu vent de l'intervention de M. Jean-Marc Jancovici devant le Sénat, reprenant des diagnostics que lui-même avait posés avec d'autres. Nous nourrissons tous l'idée, si ce n'est la certitude, que l'énergie solaire est, de toutes les énergies renouvelables, celle qui présente le plus grand potentiel. Nous ne captons en effet pour l'instant qu'une infime partie des photons qui, si je puis dire, nous éclaboussent. L'exploitation de ce potentiel se heurte toutefois à une série de difficultés.
J'estime comme vous qu'il est encore trop peu question de l'énergie solaire thermique, dont l'exploitation dans un cadre quotidien ne requiert cependant aucune performance technologique inédite. Un radiateur noir sur un toit suffit à chauffer une maison en toute saison, indépendamment de la température extérieure. Sans doute le solaire thermique est-il pour l'heure paradoxalement ignoré en raison de son faible coût.
Vous avez eu raison de souligner que 830 mégawatts de capteurs photovoltaïques ont été installés l'année dernière. La quasi-totalité de leurs cellules a hélas été produite en Chine. Leur fabrication implique de fondre du silicium, autrement dit, du sable, que l'on trouve en abondance sur la planète. Comme le montre le fonctionnement des torches à plasma, ce processus requiert une énergie considérable, en l'occurrence électrique. La question se pose de l'origine, carbonée ou non, de cette électricité. La production actuelle des cellules photovoltaïques en Chine repose entièrement sur la consommation de charbon, de pétrole ou de gaz naturel. M. Jancovici a montré que la durée de vie d'une telle cellule ne suffit pas à compenser les émissions carbone liées à sa conception. Autrement dit, elle présente un bilan carbone négatif.
Ceci nous interroge sur la naïveté de notre recours à l'énergie photovoltaïque par le biais de nos installations actuelles. Il en irait autrement si leur production mobilisait une électricité décarbonée. La seule de ce type dont nous disposions en France est d'origine nucléaire. Émerge dès lors une orientation stratégique majeure, d'autant qu'une nouvelle génération de cellules photoélectriques produites en France, à l'aide d'électricité nucléaire décarbonée, pourrait obtenir des rendements de 20 % supérieurs aux cellules chinoises, encore que la prudence reste de mise, au vu des renseignements parcellaires sur lesquels je m'appuie ici.
Des laboratoires de recherche, dont un, de pointe, d'ailleurs situé à Pau, étudient un modèle de cellules photovoltaïques, non plus au silicium mais dites « organiques ». Elles présentent l'inconvénient de produire à peu près trois fois moins d'électricité au mètre carré, mais l'avantage que leur bilan carbone s'équilibre au bout d'à peine sept jours de fonctionnement, contre un quart de siècle pour les cellules classiques. Elles captent en outre les photons, aussi bien sur une façade à l'ombre que sur un toit au soleil. Leur encapsulation dans une feuille transparente souple facilite leur usage.
L'immense extension de certains champs photovoltaïques en projet, couvrant jusqu'à 1 000 hectares, montre qu'on se heurte à une limite. Il faut en général un hectare pour produire un mégawatt. En découle un problème d'artificialisation des sols et d'acceptabilité. Des projets de champs photovoltaïques semblent adaptés à d'anciennes décharges ou à des friches industrielles qu'il coûterait trop cher de dépolluer, mais je ne crois pas à une généralisation de ces puissantes centrales, qui exigent d'importantes surfaces.
En revanche, je soutiendrai de toutes mes forces l'installation de cellules photovoltaïques sur les toits. Il existe peu de miracles en matière énergétique, hormis le vélo qui a multiplié par un facteur cinq la capacité à se déplacer dès son invention, voici cent ou cent vingt ans. Sans croire à un miracle, donc, des calculs ont montré qu'en installant des capteurs photovoltaïques sur la totalité des toits du pays, on disposerait d'une quantité d'énergie équivalente à deux fois et demie aux besoins de la France.
De grandes difficultés surgissent toutefois : la mise en réseau de l'électricité issue de capteurs solaires s'avère complexe, puisqu'elle implique de relier du courant continu basse tension à un réseau de courant alternatif à haute tension. Il apparaît donc préférable de cantonner l'énergie photovoltaïque à un usage domestique.
Une seconde difficulté provient de son stockage. Une maxime prévalait autrefois à Électricité de France (EDF) : « l'électricité, c'est comme les fraises de bois, ça ne se stocke pas plus que ça ne se transporte ». De maigres progrès ont été réalisés en matière de transport, mais ceux en termes de stockage demeurent insuffisants. Il faudrait soit fabriquer des cellules photovoltaïques assurant le stockage de l'électricité, soit recourir à l'hydrogène.
Je vous invite à emprunter à Pau la première ligne de transport en commun au monde assurée par des véhicules équipés d'un moteur à hydrogène. Cette ligne à haut niveau de service fonctionne parfaitement. Alstom travaille en ce moment sur un train à hydrogène. Le stockage de l'électricité sous forme d'hydrogène devrait permettre d'alimenter divers modes de transport lourd, éventuellement routier. L'hydrogène se stocke dans des batteries, dont le bilan carbone et écologique pose toutefois question. Un certain nombre d'entre elles sont aujourd'hui construites aux États-Unis à partir d'anciennes batteries de voiture. Il en faut une cinquantaine, voire une centaine, pour fabriquer une nouvelle batterie à hydrogène à usage domestique, de la taille d'un placard.
L'autonomie dans la consommation électrique domestique ne manque pas d'attrait. Elle soulève toutefois une question : qui financera les réseaux ? Ils relèvent d'une forme de mutualisation. Y participent autant les petits que les gros consommateurs d'électricité, puisque le prix du raccord y est constant sur tout le territoire. Les problèmes d'intégration au réseau sont d'autant plus difficiles à résoudre que les capteurs sont disséminés sur tout le territoire. Des pertes colossales en électricité en résulteraient.
Dans le mix énergétique, la production d'électricité décarbonée par des centrales apparaît comme la condition même du développement des énergies renouvelables. Leur intermittence nous impose de disposer par ailleurs d'une capacité de production d'énergies pilotables, encore que le nucléaire n'entre pas complètement dans cette dernière catégorie.
Monsieur Maquet, je suis d'accord avec vous. Une analyse des faiblesses de la France montre qu'on a trop souvent transformé l'État en administration et l'administration en bureaucratie. La totalité des foyers, entreprises et associations se heurtent à ce problème. Il provient de la propension de notre pays à se mettre des bâtons dans les roues, d'où résulte une inversion de la vocation théorique de l'État. L'administration devrait soutenir les initiatives de la société française, qu'elles émanent des habitants, des associations ou des entreprises, afin de faciliter leur cohérence avec de grandes orientations, dans l'idéal peu nombreuses.
J'avais jadis, lors d'une campagne présidentielle, défendu l'idée (elle avait prêté à sourire) que l'administration remplisse elle-même les papiers qu'elle demande aux usagers de compléter. Son contrôle ultérieur de leur conformité prouve qu'elle dispose des moyens d'obtenir par elle-même les renseignements qu'elle sollicite. Ma proposition de confier aux usagers le contrôle de papiers remplis par l'administration n'a malheureusement pas rencontré le succès qu'elle méritait.
J'ai visité hier l'école de cuisine de Thierry Marx qui, en huit semaines de cours et trois semaines de stage, assure une formation gratuite en boulangerie, cuisine ou service, à des personnes de tous âges et tous milieux, indépendamment de leur passé, à la seule condition qu'elles parlent français et respectent les règles en vigueur dans un restaurant ou une cuisine. Le personnel de l'école m'a détaillé, une heure durant, ses difficultés administratives incroyables face à l'État et aux organisations privées chargées d'une mission publique et détentrices des crédits dont dépend sa survie. C'est à s'arracher les cheveux ! D'autant que cette école réalise une œuvre unanimement considérée d'intérêt général.
Je partage donc votre sentiment, monsieur Maquet. Je suggère que l'administration, plutôt que de freiner les initiatives, fasse en sorte de les soutenir.
Monsieur Patrick Loiseau, vous avez fort justement insisté sur la différence que j'établis entre relance et reconquête. Le plan de reconquête, que j'estime nécessaire, ne se limite pas au plan de relance. Celui-ci vise des secteurs existants, encore forts voici peu, comme l'aéronautique. La suppression, justifiée, des impôts de production, correspondant à une perte de recettes de 20 milliards d'euros, bénéficiera aux secteurs déjà bien implantés en France. Or nous sommes aujourd'hui absents ou en retrait d'un grand nombre de secteurs de production, bien que nous soyons technologiquement capables d'y imposer notre présence. Le secteur des biens d'équipement est responsable d'un déficit du commerce extérieur de la France de 35 milliards d'euros, soit à peu près autant que l'énergie, c'est-à-dire le gaz et le pétrole que nous devons importer. Ces 35 milliards d'euros correspondent à la moitié du déficit du commerce extérieur de notre pays.
La France a par ailleurs prouvé sa capacité à fabriquer des fusées, des satellites et des sous-marins nucléaires. Ces sortes de tubes longs de cent mètres et plus abritent une ville, une base de lancement spatial, un arsenal nucléaire et une centrale nucléaire faisant fonctionner le tout, ce qui requiert une somme incroyable d'équipements électroniques. Notre aptitude à fabriquer des avions ou des automobiles nous assure une excellente position dans la partie haute de la pyramide technologique. Il n'en va pas de même dans sa partie basse. La remarque vaut en partie pour l'Europe.
L'Allemagne et les Pays-Bas nous ont dépassés dans les domaines de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Notre commerce extérieur accuse des centaines de millions d'euros de déficit dans de multiples secteurs. Je citerai un exemple qui fera sourire : nous exportons nos pommes de terre, mais importons les produits finis qui en dérivent (chips ou flocons de purée). Notre économie offre de ce point de vue le type même d'une économie de pays en voie de développement, pour ne pas dire sous-développé : on nous achète des matières premières, puis on nous renvoie les produits finis. La remarque s'applique au bois aussi. Nous ne devons pas nous considérer comme battus d'avance dans ces secteurs. Il faudra énormément investir, mais ce ne sera pas à fonds perdus. La réussite d'un plan de l'ampleur de celui que je propose bénéficierait à toute la nation en termes de fiscalité, de ressources sociales et d'emploi.
Ne croyant qu'à la réalité, dont les chiffres sont là pour rendre compte, je vous ferai remarquer que les États-Unis ont décidé, sous l'administration de Trump et plus encore de Biden, un plan de dépense publique de 5 500 milliards de dollars, soit le quart de leur produit intérieur brut (PIB). Si elle avait suivi leur exemple, la France aurait consenti à 550 milliards d'euros de dépenses publiques pour soutenir l'activité du pays.
Nous avons à construire une politique vitale, qui nécessite la mobilisation d'un État capable de fédérer l'action publique et les initiatives privées, et notamment des grandes entreprises. On a très longtemps considéré, bien que je ne me sois moi-même jamais rallié à cette option idéologique, pourtant dominante, qu'il revenait aux entreprises de se prononcer sur les orientations majeures. J'ai toujours estimé les entreprises qualifiées pour se prononcer sur des choix les concernant. En revanche, des choix impactant une nation entière relèvent de la responsabilité d'un État, à la fois stratège et fédérateur. Des décennies de laisser-faire nous ont amenés à la situation présente, à mes yeux désespérante, d'un pays capable des réalisations les plus exigeantes, mais ayant renoncé à fabriquer le nécessaire à la vie de tous les jours, et qui en meurt du point de vue de ses équilibres financier, commercial et d'emploi.
Je propose de remettre à un autre jour la discussion sur les lignes ferroviaires. Je n'ai jamais prononcé la phrase que m'a attribuée M. Loiseau sur la nécessité de se concentrer d'abord sur les lignes secondaires. Il me semble nécessaire de mener au préalable des travaux d'analyse de ces lignes, prenant en compte l'évolution du matériel.
Madame Petit, vous m'avez interrogé sur le financement de la transition écologique. Je considère cette question sous l'angle d'un plan de reconquête. Nous ne saurions en effet envisager la reconquête de la production sans avoir à l'esprit l'exigence écologique d'aujourd'hui. Nous touchons là entre autres à la question de l'électricité. L'énergie joue un rôle-clé dans l'étude des capacités de production de notre pays.
L'Allemagne achète du courant, soit aux centrales nucléaires françaises, soit aux centrales thermiques polonaises. Dans la mesure où nous produisons une énergie décarbonée à un prix concurrentiel par rapport à nos voisins ayant choisi sans l'avouer de retourner au thermique, je suis d'accord pour réfléchir à des mécanismes de compensation. Il me semble que la taxe carbone progresse. L'industrie l'accepte en tout cas de mieux en mieux.
Je suis également d'accord avec tout ce qu'implique le développement de votre idée de marché vert. Nous avons mis en place, dans l'agglomération que je préside, une ceinture verte, par l'achat de foncier confié à de jeunes producteurs acceptant de se plier à des normes bio et locales exigeantes contre la garantie de prix établis et d'un débouché dans les cuisines communautaires, qui servent 12 000 repas par jour. Ce que je vais dire choquera les tenants d'un libéralisme poussé, mais nous ne pouvons pas nous contenter de laisser faire.
Je crois aux vertus du marché, mais encore faut-il y accéder. Je crois aux bienfaits de la concurrence, mais encore faut-il demeurer en vie pour prendre part à la compétition. Il y a là un choix à faire, qui relève d'un choix d'action. Je reste persuadé que nous pouvons demeurer compétitifs en termes de prix. Raccourcir le circuit entre le producteur et le consommateur permet de réaliser, sur les marges, des gains qui modifient les rapports de force.
Monsieur Lambert, vous avez entièrement raison de poser la question de la stratégie logistique de la France. Le déficit de notre commerce extérieur, en termes de valeur marchande, oscille entre 65 et 70 milliards d'euros : un chiffre des plus choquants. En y ajoutant les charges logistiques, il atteint les 80 à 85 milliards d'euros. Vous m'apprenez l'abandon de France logistique 2025, don j'ignore la raison.