La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a procédé à l'audition M. François Bayrou, Haut-Commissaire au plan.
Nul doute, monsieur le Haut-Commissaire au plan, que votre audition suscitera le plus grand intérêt auprès de mes collègues. Nous vivons une période de crises sanitaire, démographique, économique et environnementale concomitantes, marquée par une perte du sens collectif, des chocs sociaux et des tensions géopolitiques. Il apparaît nécessaire d'analyser la situation avant de définir les axes d'une politique à long terme. Telle est la raison d'être du Haut-Commissariat au plan que vous dirigez. Votre mission revêt à nos yeux un caractère essentiel. Nous sommes en effet engagés dans la discussion du projet de loi dit « climat et résilience », qui vise à décliner concrètement, par secteurs, la transition écologique et climatique. Ce processus s'inscrit, de par sa nature même, sur le long terme : il revient à s'engager résolument dans la décarbonation de notre économie afin de lutter contre le réchauffement climatique. Il s'agit en somme de transformer en profondeur les comportements et les activités.
Nous avons donc pris connaissance avec un vif intérêt de la toute récente note du Haut-Commissariat, que vous nous avez fait parvenir hier. Vous y livrez votre analyse du recours à l'électricité et des nombreux enjeux qu'il emporte. Je ne doute pas qu'elle contribuera, par les nombreuses questions qu'elle suscitera chez mes collègues, à nourrir notre réflexion.
Nous souhaitons vous entendre, Monsieur le Haut-Commissaire, sur la manière dont vous concevez votre mission, la méthode de travail que vous souhaitez appliquer, le calendrier de vos travaux et les relations que vous comptez établir avec les diverses institutions.
Je nourris, entre autres certitudes, celle qu'au sein de la société, notamment politique, française, de très nombreuses institutions produisent des analyses et des rapports approfondis et fouillés, d'une indéniable pertinence puisque commandés par les institutions elles-mêmes. Au nombre de celles-ci se comptent le Parlement et les commissions des assemblées, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dont j'avais fait un interlocuteur à une fréquence quasi hebdomadaire, mais aussi des think tanks et des associations. L'immense majorité de ces rapports demeure cependant lettre morte ou du moins ignorée. Ils s'entassent. Les lisent leurs auteurs ou leurs signataires. Ils donnent lieu à une communication mais, de leur abondance même, résulte leur rapide oubli. L'incapacité de notre société à coordonner les réflexions qu'ils portent pour en tirer des orientations stratégiques m'apparaît comme l'une de ses faiblesses majeures.
Je poursuis le but, d'ailleurs établi par la lettre de mission que nous a adressée le Président de la République, d'identifier les problèmes-clés pour l'avenir du pays et de proposer des démarches permettant au débat public de s'en saisir.
On croit que ce sont les gouvernants qui gouvernent. Il n'en est rien. C'est l'opinion publique qui gouverne les gouvernants. Par sa polarisation, elle impose ses sujets de préoccupation et ses points de vue. Le débat public constitue un élément essentiel de la décision publique et de la démocratie, telle que nous la pratiquons.
Les deux sujets dont vous vous occupez (développement durable et aménagement du territoire) m'intéressent naturellement. Ils doivent selon moi donner lieu à une réflexion de long terme, or trop souvent, ce type de réflexion est laissé de côté en France, ce qui ne manque d'ailleurs pas de me frapper. J'ai écrit dans plusieurs livres que la Chine, bien que je ne lui envie pas son régime, gouverne en ayant en tête un horizon de trente ans, alors que nous ne nous projetons pas au-delà, au mieux, de trente jours. On ne saurait pourtant se contenter d'une vision à court terme de sujets comme le développement durable.
Il requiert, au-delà d'une réflexion, des orientations et une planification sur le long terme. Traiter de l'électricité, sur laquelle portait la note que nous avons publiée hier, oblige à déterminer des évolutions sur de longues périodes, en termes d'orientation et d'investissements stratégiques, de choix législatifs, réglementaires et d'habitudes de la vie en commun. La remarque vaut aussi pour la mobilité comme pour les équipements permettant de respecter, en matière de transport, nos engagements et un meilleur équilibre des territoires dans notre pays.
Si nous voulons sortir des lieux communs sur le développement durable, nous devons examiner deux orientations majeures. D'abord, à partir du moment où l'on admet la place capitale des gaz à effet de serre parmi les causes anthropiques du réchauffement de la planète, la politique de la décarbonation doit s'imposer à notre société au sens large du terme, c'est-à-dire à notre économie, notre industrie, notre appareil productif et nos habitudes de vie. Il faut dès lors ordonner, non seulement au sens de « donner un ordre » mais aussi de « mettre en ordre », une politique cohérente, sur le long terme, de baisse drastique des émissions de ces gaz. La remarque s'applique évidemment à la production d'énergie mais aussi à la mobilité, au logement, à l'agriculture, à l'alimentation et à d'autres domaines encore, si nombreux d'ailleurs, qu'on ne saurait en dresser la liste exhaustive.
La protection de la biodiversité me paraît elle aussi passionnante, du fait de son profond lien avec l'humanité. J'entends par là l'espèce humaine, mais également ce qui fonde notre rapport à la nature et la vision, idéalisée ou non, que nous en nourrissons. La rupture de ce lien entraîne une perte de repères aussi bien moraux qu'affectifs, et déséquilibre notre relation au milieu environnant. Le thème de la biodiversité exige un traitement résolu et déterminé de la part de notre pays comme de notre nation.
Il en va de même pour l'aménagement du territoire. Le covid-19 nous a enseigné un certain nombre de choses. J'utilise, en tant que linguiste, la forme masculine, ne voyant pas de raison pour que le -d final, initiale de disease, neutre en anglais, devienne féminin dans notre langue, que je m'efforce de respecter, même si je défends sur ce point une position minoritaire, ce dont j'ai par ailleurs l'habitude. La maladie est due au corona virus qui, comme sa terminaison latine l'indique, est un terme masculin. Je me bats de mon mieux sur ce sujet de la grammaire.
Nous avons consacré la première note du nouveau Haut-Commissariat au plan à la question suivante : « Et si le covid durait ? ». Une autre note a suivi sur la rupture d'approvisionnement en produits vitaux, notamment pharmaceutiques, puis une autre encore, sur la « dette covid ». Ce virus nous a appris que les polarisations que nous pensions acquises, vers des agglomérations de plus en plus concentrées et densément peuplées, présentaient des risques, y compris pour la santé. Ces risques aujourd'hui manifestes suscitent nombre de commentaires et de débats.
Ceci nous laisse présager l'émergence, parmi nos concitoyens, d'un mouvement de relocalisation. Le processus de migration vers les agglomérations pourrait bien s'inverser en vue d'un nouvel enracinement dans des secteurs du territoire facilitant un habitat et un mode de vie plus respectueux de l'espace environnant. Ceci contraint à des réflexions et à des décisions concernant les équipements. Je songe à l'accès au numérique, dont beaucoup de collectivités locales s'occupent aujourd'hui. Le conseil général des Pyrénées-Atlantiques, la municipalité et l'agglomération de Pau ont décidé, voici vingt ans, de rendre le très haut débit accessible à l'ensemble des foyers de l'agglomération paloise grâce à des fonds publics, ce qui nous vaut aujourd'hui de récolter d'importants retours sur investissement. Des orientations politiques à long terme parviennent bien souvent à changer le visage d'une collectivité.
Le choix des objectifs que peut s'imposer la nation en matière d'aménagement du territoire appelle des réflexions collectives. Voilà pourquoi je tiens tant à dialoguer sur ce sujet avec votre commission, et pourquoi je n'ai abordé dans mon introduction aucun thème en particulier, attendant de préférence vos questions.
C'est un bonheur de pouvoir arrêter la marche forcée du présent, emportant comme trop souvent la vie politique dans la succession des textes et des actualités, le temps de réfléchir avec vous sur les enjeux de l'avenir. Notre commission a beaucoup à dire à propos des sujets inscrits sur votre feuille de route : la vitalité et l'indépendance de la France, et une société fondée sur la justice. Le terme de développement durable désigne une réponse aux besoins du présent qui ne compromette pas la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Il repose à la fois sur un pilier environnemental, un autre social et un troisième économique. Nous recherchons, comme vous, par nos travaux, un développement économique qui améliore le quotidien de nos concitoyens et qui, fondé sur un usage des ressources en harmonie et en équilibre avec les autres pays du monde, nourrisse nos territoires en assurant leur développement juste et équitable.
Nous vivons une période riche du point de vue de l'évolution de nos textes environnementaux. La semaine dernière, nous votions le projet de loi « climat et résilience » en commission. Demain, le Conseil supérieur de l'énergie (CSE) examinera le texte sur la réglementation environnementale 2020. Hier, vous nous avez communiqué un document interrogeant notre capacité à répondre aux besoins en électricité sans recourir pour plus de moitié au nucléaire.
Dans ce contexte de construction de la transition écologique et énergétique, je voudrais vous interroger sur l'électricité solaire en France. Valorisée dans les discours, l'autoconsommation photovoltaïque s'avère fort peu encouragée dans la pratique. Quant à l'énergie solaire thermique, on l'oublie bien souvent. La fantastique opportunité industrielle de l'énergie solaire demeure en sommeil. Nos entreprises françaises, jadis leaders internationaux, se réduisent hélas trop souvent à l'ombre d'elles-mêmes.
Huit cent vingt-sept mégawatts de panneaux solaires ont été installés en France l'année dernière. Tous fabriqués en Chine à l'aide d'une électricité fortement carbonée, ils se composent de silicium, le deuxième élément le plus abondant dans la croûte terrestre, qui a pourtant été transporté d'un bout à l'autre de la planète. Leur production en France aurait un impact carbone bien moindre. Le nucléaire français pourrait-il se mettre au service de la décarbonation de la fabrication du silicium et de panneaux photovoltaïques, dans l'intérêt de la France mais aussi du reste du monde, qui mise principalement sur l'énergie solaire pour relever les défis de l'avenir ?
Il est grand temps, en pleine crise sanitaire et économique, de réagir aux défis qui se présentent à nous. Votre mission de planification à moyen et long terme doit renouer avec la vision qu'appelait de ses vœux le général De Gaulle à son époque. De nombreuses tentatives en ce sens se sont succédé au fil des décennies. La rédaction de rapports, de concertation ou d'expertise, n'a pas permis de déployer notre stratégie sur le moyen terme, ce qui n'a pas été sans conséquences sur le respect de la biodiversité et l'aménagement du territoire.
La faute en revient, au-delà du manque d'ambition de nos dirigeants, à la complexité croissante du fonctionnement administratif de notre pays. Texte symbole voté voici maintenant trois ans, la loi pour un État au service d'une société de confiance visait en théorie à simplifier les relations entre l'administration et les usagers. Où en sommes-nous à présent ? La confiance a pour ainsi dire disparu.
En 2018, lors de la promulgation de la loi, l'administration avait été présentée comme un acteur de cette société de confiance, résolu à accompagner les projets de développement et d'investissement de nos entreprises. Aujourd'hui, au temps du covid, les citoyens sont plutôt convaincus du contraire. Les conséquences des lourdeurs réglementaires actuelles, véritables freins à l'activité, pèsent sur l'économie nationale. En plus de son manque de compétitivité fiscale, les trop longs délais dans les démarches et son inertie administrative nuisent à l'image de la France auprès des investisseurs. Ne conviendrait-il pas d'abolir ces lourdeurs administratives afin que les entrepreneurs n'aient plus à s'occuper que de leurs investissements, plutôt que de se perdre dans un labyrinthe bureaucratique ? Quelles mesures envisagez-vous pour sortir de ces impasses ?
Vous avez dressé voici peu un premier bilan de la pandémie que nous subissons depuis maintenant un an. Vous estimez la crise sanitaire plutôt bien gérée. En revanche, vous exprimez votre inquiétude par rapport à la crise économique qui se profile. Vous critiquez notamment la préférence qu'accorde notre administration aux procédures au détriment des décisions. Vous préconisez, fort de soutiens sur ce point, une gestion de la dette covid décalée dans le temps. Vous proposez que son remboursement n'intervienne qu'en 2030, car la France ne doit selon vous pas tant accorder la priorité à son plan de relance qu'à la mise en place d'un plan Marshall de reconquête industrielle. Vous souhaitez en effet avant tout que l'espace économique français et européen acquière une puissance comparable à celle des États-Unis ou de la Chine.
Quelle méthode préconisez-vous pour parvenir à ce résultat ? Comment comptez-vous faire en sorte que ce grand plan Marshall de réindustrialisation prenne en compte une écologie qui ne se résume pas à des incantations mais apporte des solutions ?
Notre pays engagé dans un mix énergétique ambitionne de privilégier l'électricité dans les deux domaines les plus gourmands en énergie, le logement et la mobilité. Comment appréhendez-vous les conséquences d'une telle orientation ? Quels sont selon vous les pièges à éviter ? Ne faut-il pas, dans ce domaine, s'en tenir à une vision réaliste de ce qu'il est possible d'accomplir, ou pas, en mettant en place un calendrier qui prenne effectivement en compte les souhaits de nos concitoyens ?
Vous avez émis le souhait d'accorder la priorité aux petites lignes ferroviaires. Faut-il mettre fin à la construction de nouvelles lignes à grande vitesse ?
Je me réjouis de la réinstauration d'un Haut-Commissariat au plan. Jamais la France n'a eu autant besoin à la fois d'une vision et de l'art de la traduire dans les faits ; deux éléments que le Haut-Commissariat s'efforce de combiner.
J'attache, tout comme vous, une extrême importance à la biodiversité. Nos politiques publiques se focalisent aujourd'hui sur le climat et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, bien qu'elle ne corresponde qu'à un aspect parmi d'autres de la préservation de l'environnement. La biodiversité touche au quotidien des Français : à la lutte contre la pollution, ou encore à la renaturation, autant de sujets qui impactent nos concitoyens parfois plus que les décisions relatives aux gaz à effet de serre prises dans des Conférences des parties (COP) ou des États signataires.
Nous ne devons pas, par ailleurs, négliger de penser l'écologie. Les solutions pragmatiques doivent intervenir à l'issue d'une réflexion structurée sur notre approche de l'écologie. Face à nous se dressent des contre-projets extrêmement bien construits. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine. L'élaboration d'une colonne vertébrale intellectuelle de la transition écologique compte à mon sens parmi les missions du Haut-Commissariat au plan.
Ma question, assez simple et précise, portera sur le financement de la transition écologique et la territorialisation de celui-ci. La dernière fois que je l'ai soulevée en commission, il m'a été répondu qu'elle reviendrait sur la table dans une dizaine d'années. Vous m'apparaissez donc, monsieur le Haut-Commissaire, comme l'interlocuteur le mieux à même d'y répondre. Des objectifs ambitieux de préservation de la biodiversité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont été fixés aux entreprises. Cependant, il manque aux territoires aussi bien des financements suffisants pour soutenir des projets de transition écologique que des mécanismes de compensation efficaces.
Alors même que le marché du carbone se structure à l'échelle européenne, ni nos petites et moyennes entreprises (PME) ou nos entreprises de taille intermédiaire (ETI), ni nos collectivités ne disposent de mécanismes de financement de projets à fort impact sur nos territoires, à même de compenser leurs émissions de carbone dans l'attente de procéder aux transformations nécessaires de leur modèle économique. Le groupe Agir ensemble est pour cette raison porteur d'un projet expérimental de marché « vert ». J'aimerais connaître votre avis sur de tels mécanismes susceptibles d'enclencher un cercle vertueux sur nos territoires. Territorialiser le financement de la transition écologique apparaît comme un enjeu de taille pour que les citoyens perçoivent l'impact concret dans leur cadre de vie de ces efforts considérables que nous leur demandons aujourd'hui.
La création de votre fonction nous apporte une grande satisfaction. La planification prospective fait figure de nécessité. Je me permets de rappeler qu'elle relevait d'ailleurs de mon domaine d'expertise, en matière logistique.
Vous avez déclaré qu'en France, on se projette à trente jours et en Chine, à trente ans. Une vision à long terme nous amènerait à prendre en considération qu'en 2050, notre pays comptera 70 à 71 millions d'habitants. Notre croissance démographique est de l'ordre de 200 000 nouveaux habitants par an, soit un million en l'espace d'un quinquennat. Ce chiffre, supérieur à la population de Marseille, a une répartition géographique déséquilibrée. Nous intégrons malgré tout rarement cette dynamique démographique dans nos travaux parlementaires. Le projet de loi « climat et résilience » ne fait nulle part mention de cet enjeu pourtant majeur dans la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Une approche des enjeux climatiques au travers des dynamiques démographiques nous permettrait de combattre les mobilités contraintes que subissent au quotidien nos concitoyens pour se rendre, entre autres, de leur domicile à leur lieu de travail. Elle nous aiderait aussi à lutter contre les mobilités désordonnées des marchandises. Les experts estiment à 60 milliards d'euros les pertes économiques qui en résultent. La France n'occupe que le seizième rang du classement mondial en matière de logistique. Pourtant, M. Emmanuel Macron, en tant que ministre, avait présenté en prospective, en mars 2016, la stratégie France Logistique 2025, depuis laissée de côté sous son propre quinquennat. Êtes-vous prêt à la reprendre ?
La Chine en est à son huitième plan d'économie circulaire depuis l'an 2000, non dans l'idée de recycler ses déchets mais d'asseoir sa souveraineté sur ses ressources. Nous en sommes encore loin. La loi « anti-gaspillage pour une économie circulaire » (AGEC) et le projet de loi « climat et résilience » se focalisent sur les déchets au détriment d'une logique des ressources pourtant inscrite dans l'article 74, dont nous n'avons plus le droit de parler, de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV).
Comment retrouver l'esprit de la planification en vue d'une souveraineté en énergie, en ressources, en préservation de la biodiversité, en résilience et en équilibre des territoires ? Il conviendrait de moderniser une telle planification par la confiance que nous pouvons et devons accorder aux territoires dans une véritable décentralisation accompagnée d'une différenciation de ceux-ci.
Votre Haut-Commissariat constitue une couche de plus dans le millefeuille déjà bien garni de l'administration. Quelle sera votre valeur ajoutée ? Comment espérer que vos rapports connaîtront un sort meilleur que les dizaines que rédige le Parlement ou le CESE, peu ou pas exploités ? Comment comptez-vous articuler vos travaux avec ceux de France stratégie, du Parlement ou du CESE ?
Qu'adviendra-t-il après le plan de relance, au-delà de 2022 ? Je songe ici à des dossiers qui nous sont particulièrement chers, tels que la rénovation de notre réseau ferroviaire, le développement des trains de proximité, la relance du fret, la fracture numérique ou l'avenir du service public, de plus en plus en déshérence au sein de nos territoires. Le rapport annuel de la Cour des comptes souligne que le groupe SNCF et l'État, en tant que son actionnaire, devront définir, au cours des mois à venir, une stratégie de relance du transport ferroviaire permettant de surmonter ses fragilités en s'appuyant sur les facteurs qui lui sont favorables.
Ce n'est pas un plan de relance qui réussira en deux ans à remettre à flot de manière pérenne les secteurs incontournables pour demain. Des investissements de long terme s'avèrent d'autant plus nécessaires aujourd'hui que nous allons devoir répondre aux attentes de plus en plus prégnantes de nos concitoyens face à la crise. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir quitter les grandes villes, travailler à distance ou près de leur domicile et réorganiser leur vie en revenant sur les territoires. Aussi faut-il de toute urgence permettre à ces territoires de les accueillir.
Comment analysez-vous ces nouvelles aspirations de nos concitoyens ? Comment votre Haut-Commissariat compte-t-il les intégrer à ses réflexions ?
J'ai vu sur votre site à la rubrique « les grands enjeux de demain » un onglet réservé aux contributions des internautes. En avez-vous reçu à ce jour ? En quelle quantité ? Pourquoi, le cas échéant, ne sont-elles pas rendues publiques ? En tiendrez-vous compte dans vos travaux ?
La crise sanitaire a donné un regain à la notion de planification, pourtant reniée des années durant, car renvoyant à un imaginaire soviétique, alors même que De Gaulle fut le premier à planifier sous la cinquième république. Nous avons quant à nous toujours prôné le rôle planificateur de l'État, y voyant une méthode pour organiser, dans le temps et l'espace, des moyens correspondant à des objectifs déterminés.
En matière écologique et climatique, la planification joue un rôle indispensable pour prévoir les bifurcations nécessaires, s'adapter, changer nos modes de production et d'organisation. La remarque vaut pour l'agriculture, le bâtiment et les travaux publics (BTP), les transports et l'énergie. La planification n'est autre que la reconquête du temps long face au temps court imposé par le capitalisme financiarisé. Notre société ne pourra mener aucune politique de développement durable si les intérêts privés et leur logique de profit à court terme la dominent.
La France s'est fixé des objectifs à long terme, comme celui de la neutralité carbone à l'horizon 2050, via la stratégie nationale bas-carbone. Pourtant, le Gouvernement continue à prendre des mesures dépourvues de vision, versant des milliards à des entreprises sans contrepartie, ni économique, ni écologique. Depuis sa création voici sept mois, le Haut-Commissariat au plan a produit très exactement trois notes de quelques pages chacune. Je m'apprêtais à vous féliciter pour cette sobriété de vos travaux flirtant avec la décroissance, quand j'ai lu dans la presse que vous veniez d'en rédiger une quatrième nous vantant le nucléaire comme filière énergétique d'avenir.
Pensez-vous que les arrêts de réacteurs nucléaires chaque été, faute d'eau pour les refroidir, ne constituent qu'un problème passager ? Croyez-vous en l'existence du réchauffement climatique ? Si oui, comment comptez-vous planifier la production énergétique du pays à l'aide d'un système qui s'y révèle vulnérable ?
Monsieur le Haut-Commissaire, vous proposez un plan de reconquête économique d'environ 250 milliards d'euros supplémentaires par rapport aux enveloppes déjà actées à court terme. Ce plan devrait bénéficier à des secteurs industriels stratégiques pour garantir l'indépendance de notre pays. Vous dénoncez une logique de laisser-faire durant ces dernières décennies, notre recours grandissant à l'importation, par exemple de machines-outils, voire des faiblesses préoccupantes dans des secteurs excédentaires tels que celui des produits pharmaceutiques. Vous concluez à l'inadaptation des dispositifs censés protéger notre pays des délocalisations et des pertes sèches d'activités stratégiques ; j'ajouterai même : « et de tout actif industriel structurant nos territoires ». Le groupe communiste peut tout à fait adhérer à ce diagnostic a minima.
Quelles pistes opérationnelles pourriez-vous esquisser pour inverser, au niveau d'un État stratège, cette trajectoire ? Outre les secteurs stratégiques facilement identifiables, d'autres filières (électronique, métallurgique, chimique) s'avèrent elles aussi essentielles. En somme, l'ensemble du champ industriel est ouvert à une nécessaire planification déclinée à l'échelle des territoires pour que la population se réapproprie une réalité industrielle plus respectueuse de l'environnement.
Dans le cadre de cette ambition que nous sommes prêts à partager, je souhaiterais vous entendre au sujet de l'effort sans précédent à entreprendre en matière de formation professionnelle et de remobilisation de nos savoir-faire industriels dans une perspective indispensable de sécurisation durable de l'emploi.
Madame Meynier-Millefert, j'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de votre rapport sur l'impact économique, résidentiel et environnemental des énergies renouvelables et la transparence de leur financement. Vous m'avez interrogé sur le sujet passionnant de l'énergie solaire en France. Peut-être avez-vous eu vent de l'intervention de M. Jean-Marc Jancovici devant le Sénat, reprenant des diagnostics que lui-même avait posés avec d'autres. Nous nourrissons tous l'idée, si ce n'est la certitude, que l'énergie solaire est, de toutes les énergies renouvelables, celle qui présente le plus grand potentiel. Nous ne captons en effet pour l'instant qu'une infime partie des photons qui, si je puis dire, nous éclaboussent. L'exploitation de ce potentiel se heurte toutefois à une série de difficultés.
J'estime comme vous qu'il est encore trop peu question de l'énergie solaire thermique, dont l'exploitation dans un cadre quotidien ne requiert cependant aucune performance technologique inédite. Un radiateur noir sur un toit suffit à chauffer une maison en toute saison, indépendamment de la température extérieure. Sans doute le solaire thermique est-il pour l'heure paradoxalement ignoré en raison de son faible coût.
Vous avez eu raison de souligner que 830 mégawatts de capteurs photovoltaïques ont été installés l'année dernière. La quasi-totalité de leurs cellules a hélas été produite en Chine. Leur fabrication implique de fondre du silicium, autrement dit, du sable, que l'on trouve en abondance sur la planète. Comme le montre le fonctionnement des torches à plasma, ce processus requiert une énergie considérable, en l'occurrence électrique. La question se pose de l'origine, carbonée ou non, de cette électricité. La production actuelle des cellules photovoltaïques en Chine repose entièrement sur la consommation de charbon, de pétrole ou de gaz naturel. M. Jancovici a montré que la durée de vie d'une telle cellule ne suffit pas à compenser les émissions carbone liées à sa conception. Autrement dit, elle présente un bilan carbone négatif.
Ceci nous interroge sur la naïveté de notre recours à l'énergie photovoltaïque par le biais de nos installations actuelles. Il en irait autrement si leur production mobilisait une électricité décarbonée. La seule de ce type dont nous disposions en France est d'origine nucléaire. Émerge dès lors une orientation stratégique majeure, d'autant qu'une nouvelle génération de cellules photoélectriques produites en France, à l'aide d'électricité nucléaire décarbonée, pourrait obtenir des rendements de 20 % supérieurs aux cellules chinoises, encore que la prudence reste de mise, au vu des renseignements parcellaires sur lesquels je m'appuie ici.
Des laboratoires de recherche, dont un, de pointe, d'ailleurs situé à Pau, étudient un modèle de cellules photovoltaïques, non plus au silicium mais dites « organiques ». Elles présentent l'inconvénient de produire à peu près trois fois moins d'électricité au mètre carré, mais l'avantage que leur bilan carbone s'équilibre au bout d'à peine sept jours de fonctionnement, contre un quart de siècle pour les cellules classiques. Elles captent en outre les photons, aussi bien sur une façade à l'ombre que sur un toit au soleil. Leur encapsulation dans une feuille transparente souple facilite leur usage.
L'immense extension de certains champs photovoltaïques en projet, couvrant jusqu'à 1 000 hectares, montre qu'on se heurte à une limite. Il faut en général un hectare pour produire un mégawatt. En découle un problème d'artificialisation des sols et d'acceptabilité. Des projets de champs photovoltaïques semblent adaptés à d'anciennes décharges ou à des friches industrielles qu'il coûterait trop cher de dépolluer, mais je ne crois pas à une généralisation de ces puissantes centrales, qui exigent d'importantes surfaces.
En revanche, je soutiendrai de toutes mes forces l'installation de cellules photovoltaïques sur les toits. Il existe peu de miracles en matière énergétique, hormis le vélo qui a multiplié par un facteur cinq la capacité à se déplacer dès son invention, voici cent ou cent vingt ans. Sans croire à un miracle, donc, des calculs ont montré qu'en installant des capteurs photovoltaïques sur la totalité des toits du pays, on disposerait d'une quantité d'énergie équivalente à deux fois et demie aux besoins de la France.
De grandes difficultés surgissent toutefois : la mise en réseau de l'électricité issue de capteurs solaires s'avère complexe, puisqu'elle implique de relier du courant continu basse tension à un réseau de courant alternatif à haute tension. Il apparaît donc préférable de cantonner l'énergie photovoltaïque à un usage domestique.
Une seconde difficulté provient de son stockage. Une maxime prévalait autrefois à Électricité de France (EDF) : « l'électricité, c'est comme les fraises de bois, ça ne se stocke pas plus que ça ne se transporte ». De maigres progrès ont été réalisés en matière de transport, mais ceux en termes de stockage demeurent insuffisants. Il faudrait soit fabriquer des cellules photovoltaïques assurant le stockage de l'électricité, soit recourir à l'hydrogène.
Je vous invite à emprunter à Pau la première ligne de transport en commun au monde assurée par des véhicules équipés d'un moteur à hydrogène. Cette ligne à haut niveau de service fonctionne parfaitement. Alstom travaille en ce moment sur un train à hydrogène. Le stockage de l'électricité sous forme d'hydrogène devrait permettre d'alimenter divers modes de transport lourd, éventuellement routier. L'hydrogène se stocke dans des batteries, dont le bilan carbone et écologique pose toutefois question. Un certain nombre d'entre elles sont aujourd'hui construites aux États-Unis à partir d'anciennes batteries de voiture. Il en faut une cinquantaine, voire une centaine, pour fabriquer une nouvelle batterie à hydrogène à usage domestique, de la taille d'un placard.
L'autonomie dans la consommation électrique domestique ne manque pas d'attrait. Elle soulève toutefois une question : qui financera les réseaux ? Ils relèvent d'une forme de mutualisation. Y participent autant les petits que les gros consommateurs d'électricité, puisque le prix du raccord y est constant sur tout le territoire. Les problèmes d'intégration au réseau sont d'autant plus difficiles à résoudre que les capteurs sont disséminés sur tout le territoire. Des pertes colossales en électricité en résulteraient.
Dans le mix énergétique, la production d'électricité décarbonée par des centrales apparaît comme la condition même du développement des énergies renouvelables. Leur intermittence nous impose de disposer par ailleurs d'une capacité de production d'énergies pilotables, encore que le nucléaire n'entre pas complètement dans cette dernière catégorie.
Monsieur Maquet, je suis d'accord avec vous. Une analyse des faiblesses de la France montre qu'on a trop souvent transformé l'État en administration et l'administration en bureaucratie. La totalité des foyers, entreprises et associations se heurtent à ce problème. Il provient de la propension de notre pays à se mettre des bâtons dans les roues, d'où résulte une inversion de la vocation théorique de l'État. L'administration devrait soutenir les initiatives de la société française, qu'elles émanent des habitants, des associations ou des entreprises, afin de faciliter leur cohérence avec de grandes orientations, dans l'idéal peu nombreuses.
J'avais jadis, lors d'une campagne présidentielle, défendu l'idée (elle avait prêté à sourire) que l'administration remplisse elle-même les papiers qu'elle demande aux usagers de compléter. Son contrôle ultérieur de leur conformité prouve qu'elle dispose des moyens d'obtenir par elle-même les renseignements qu'elle sollicite. Ma proposition de confier aux usagers le contrôle de papiers remplis par l'administration n'a malheureusement pas rencontré le succès qu'elle méritait.
J'ai visité hier l'école de cuisine de Thierry Marx qui, en huit semaines de cours et trois semaines de stage, assure une formation gratuite en boulangerie, cuisine ou service, à des personnes de tous âges et tous milieux, indépendamment de leur passé, à la seule condition qu'elles parlent français et respectent les règles en vigueur dans un restaurant ou une cuisine. Le personnel de l'école m'a détaillé, une heure durant, ses difficultés administratives incroyables face à l'État et aux organisations privées chargées d'une mission publique et détentrices des crédits dont dépend sa survie. C'est à s'arracher les cheveux ! D'autant que cette école réalise une œuvre unanimement considérée d'intérêt général.
Je partage donc votre sentiment, monsieur Maquet. Je suggère que l'administration, plutôt que de freiner les initiatives, fasse en sorte de les soutenir.
Monsieur Patrick Loiseau, vous avez fort justement insisté sur la différence que j'établis entre relance et reconquête. Le plan de reconquête, que j'estime nécessaire, ne se limite pas au plan de relance. Celui-ci vise des secteurs existants, encore forts voici peu, comme l'aéronautique. La suppression, justifiée, des impôts de production, correspondant à une perte de recettes de 20 milliards d'euros, bénéficiera aux secteurs déjà bien implantés en France. Or nous sommes aujourd'hui absents ou en retrait d'un grand nombre de secteurs de production, bien que nous soyons technologiquement capables d'y imposer notre présence. Le secteur des biens d'équipement est responsable d'un déficit du commerce extérieur de la France de 35 milliards d'euros, soit à peu près autant que l'énergie, c'est-à-dire le gaz et le pétrole que nous devons importer. Ces 35 milliards d'euros correspondent à la moitié du déficit du commerce extérieur de notre pays.
La France a par ailleurs prouvé sa capacité à fabriquer des fusées, des satellites et des sous-marins nucléaires. Ces sortes de tubes longs de cent mètres et plus abritent une ville, une base de lancement spatial, un arsenal nucléaire et une centrale nucléaire faisant fonctionner le tout, ce qui requiert une somme incroyable d'équipements électroniques. Notre aptitude à fabriquer des avions ou des automobiles nous assure une excellente position dans la partie haute de la pyramide technologique. Il n'en va pas de même dans sa partie basse. La remarque vaut en partie pour l'Europe.
L'Allemagne et les Pays-Bas nous ont dépassés dans les domaines de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Notre commerce extérieur accuse des centaines de millions d'euros de déficit dans de multiples secteurs. Je citerai un exemple qui fera sourire : nous exportons nos pommes de terre, mais importons les produits finis qui en dérivent (chips ou flocons de purée). Notre économie offre de ce point de vue le type même d'une économie de pays en voie de développement, pour ne pas dire sous-développé : on nous achète des matières premières, puis on nous renvoie les produits finis. La remarque s'applique au bois aussi. Nous ne devons pas nous considérer comme battus d'avance dans ces secteurs. Il faudra énormément investir, mais ce ne sera pas à fonds perdus. La réussite d'un plan de l'ampleur de celui que je propose bénéficierait à toute la nation en termes de fiscalité, de ressources sociales et d'emploi.
Ne croyant qu'à la réalité, dont les chiffres sont là pour rendre compte, je vous ferai remarquer que les États-Unis ont décidé, sous l'administration de Trump et plus encore de Biden, un plan de dépense publique de 5 500 milliards de dollars, soit le quart de leur produit intérieur brut (PIB). Si elle avait suivi leur exemple, la France aurait consenti à 550 milliards d'euros de dépenses publiques pour soutenir l'activité du pays.
Nous avons à construire une politique vitale, qui nécessite la mobilisation d'un État capable de fédérer l'action publique et les initiatives privées, et notamment des grandes entreprises. On a très longtemps considéré, bien que je ne me sois moi-même jamais rallié à cette option idéologique, pourtant dominante, qu'il revenait aux entreprises de se prononcer sur les orientations majeures. J'ai toujours estimé les entreprises qualifiées pour se prononcer sur des choix les concernant. En revanche, des choix impactant une nation entière relèvent de la responsabilité d'un État, à la fois stratège et fédérateur. Des décennies de laisser-faire nous ont amenés à la situation présente, à mes yeux désespérante, d'un pays capable des réalisations les plus exigeantes, mais ayant renoncé à fabriquer le nécessaire à la vie de tous les jours, et qui en meurt du point de vue de ses équilibres financier, commercial et d'emploi.
Je propose de remettre à un autre jour la discussion sur les lignes ferroviaires. Je n'ai jamais prononcé la phrase que m'a attribuée M. Loiseau sur la nécessité de se concentrer d'abord sur les lignes secondaires. Il me semble nécessaire de mener au préalable des travaux d'analyse de ces lignes, prenant en compte l'évolution du matériel.
Madame Petit, vous m'avez interrogé sur le financement de la transition écologique. Je considère cette question sous l'angle d'un plan de reconquête. Nous ne saurions en effet envisager la reconquête de la production sans avoir à l'esprit l'exigence écologique d'aujourd'hui. Nous touchons là entre autres à la question de l'électricité. L'énergie joue un rôle-clé dans l'étude des capacités de production de notre pays.
L'Allemagne achète du courant, soit aux centrales nucléaires françaises, soit aux centrales thermiques polonaises. Dans la mesure où nous produisons une énergie décarbonée à un prix concurrentiel par rapport à nos voisins ayant choisi sans l'avouer de retourner au thermique, je suis d'accord pour réfléchir à des mécanismes de compensation. Il me semble que la taxe carbone progresse. L'industrie l'accepte en tout cas de mieux en mieux.
Je suis également d'accord avec tout ce qu'implique le développement de votre idée de marché vert. Nous avons mis en place, dans l'agglomération que je préside, une ceinture verte, par l'achat de foncier confié à de jeunes producteurs acceptant de se plier à des normes bio et locales exigeantes contre la garantie de prix établis et d'un débouché dans les cuisines communautaires, qui servent 12 000 repas par jour. Ce que je vais dire choquera les tenants d'un libéralisme poussé, mais nous ne pouvons pas nous contenter de laisser faire.
Je crois aux vertus du marché, mais encore faut-il y accéder. Je crois aux bienfaits de la concurrence, mais encore faut-il demeurer en vie pour prendre part à la compétition. Il y a là un choix à faire, qui relève d'un choix d'action. Je reste persuadé que nous pouvons demeurer compétitifs en termes de prix. Raccourcir le circuit entre le producteur et le consommateur permet de réaliser, sur les marges, des gains qui modifient les rapports de force.
Monsieur Lambert, vous avez entièrement raison de poser la question de la stratégie logistique de la France. Le déficit de notre commerce extérieur, en termes de valeur marchande, oscille entre 65 et 70 milliards d'euros : un chiffre des plus choquants. En y ajoutant les charges logistiques, il atteint les 80 à 85 milliards d'euros. Vous m'apprenez l'abandon de France logistique 2025, don j'ignore la raison.
J'ai présidé la commission nationale logistique. La question doit être posée au gouvernement.
Tout le problème vient de ce qu'elle dépend à la fois des ministères du Transport et de l'Économie.
Quoi qu'il en soit, se pose là une question de souveraineté. J'ai assisté à une réunion fort intéressante organisée par Jimmy Pahun avec des armateurs. Nous avons heureusement pu sauver une capacité française dans la partie maritime de la logistique. Des progrès considérables restent possibles dans ce secteur, gros émetteur de gaz à effet de serre. Il suffirait par exemple, pour diviser par cinq ou six les émissions du transport maritime, de diminuer d'un nœud seulement la vitesse maximale autorisée pour les bateaux transportant des conteneurs. Pour progresser, encore faut-il se fixer des objectifs et s'appuyer sur un plan. D'où l'importance d'une réflexion prospective à même de fédérer les énergies.
Monsieur Bricout, je veux vous mettre au contact de la réalité. Le Haut-Commissariat au plan emploie sept équivalents temps plein (ETP). Si vous pouvez me citer une administration, parmi les couches que vous évoquez, aussi frugale que j'ai voulu que nous le soyons, je vous achèterai des caramels mous. Je n'ai justement pas voulu une couche supplémentaire. Vous me demandez comment je compte m'y prendre pour que mes rapports ne sombrent pas comme tant d'autres dans l'oubli. J'ai âprement défendu par le passé, avant d'en débattre avec le Président de la République, la conviction, que vous avez peut-être d'ailleurs défendue à mes côtés, que pour réhabiliter l'effort voulu par le plan Monnet, il fallait le confier à un responsable politique capable de s'adresser directement à l'opinion et de susciter des débats sur des sujets que tout le monde voudrait ignorer.
Ma note sur l'électricité occupe une place de choix dans Le Figaro de ce matin. Il en ira de même à la radio et à la télévision. Toutes les administrations ne se valent pas. C'est la capacité à mobiliser l'opinion qui permet aux idées de passer. D'autres Hauts-Commissaires au plan me succéderont. J'espère qu'ils témoigneront d'une frugalité égale à la nôtre en termes de moyens et qu'ils sauront en appeler directement à l'opinion pour créer ces espaces de débats où se décident véritablement les orientations politiques.
Nous avons reçu plusieurs centaines de contributions d'internautes, que nous avons transmises au conseil économique, social et environnemental, car il s'est doté de la capacité à analyser de telles contributions. En tant qu'assemblée de la société civile organisée, il fait en effet figure de chaînon manquant entre citoyens et décideurs politiques.
Monsieur Prud'homme, ma position par rapport au réchauffement climatique diffère de celle de Jean-Luc Mélenchon, que je connais par ailleurs très bien. Je ne crois pas une seconde que nous pourrions, comme il l'affirme, supprimer le nucléaire d'ici huit ans. Le moindre débat avec des ingénieurs spécialisés prouve qu'un tel objectif relève d'une impossibilité matérielle, et non idéologique.
La société gestionnaire du Réseau de Transport d'Électricité (RTE) estime nécessaire que quatre conditions cumulatives soient remplies pour ne plus consommer en 2050 que de l'énergie renouvelable. Pour l'heure, nous ne sommes encore capables d'en remplir aucune. Nous plier à la troisième (« construire des centrales thermiques en guise d'amortisseurs aux désordres nés de l'intermittence des énergies solaire ou éolienne ») nous conduirait droit à la catastrophe en termes d'émission de gaz à effet de serre. D'abord, la moindre centrale thermique vaut entre un milliard et demi et deux milliards d'euros. Ensuite, il apparaît techniquement difficile de leur faire assumer un rôle de relais d'autres énergies. Surtout, il faudrait les alimenter par des hydrocarbures, en renonçant ainsi à notre objectif de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Mon complet désaccord avec M. Mélenchon sur ce point n'est donc pas idéologique. Il provient simplement d'une impossibilité matérielle.
L'augmentation de la température due au réchauffement climatique réduirait par ailleurs l'efficacité des cellules photovoltaïques. Les rêves de produire au Sahara de l'électricité photovoltaïque resteront donc à l'état de rêves.
Monsieur Wulfranc, je suis convaincu de la nécessité d'analyser finement notre commerce extérieur et les productions stratégiques auxquelles nous avons renoncé en France et même en Europe. Il faut s'atteler de nouveau à la tâche et hisser une fois de plus le rocher de Sisyphe au sommet de la montagne. Nous ne pouvons pas accepter notre relégation en deuxième division.
Deux sujets m'interpellent. Le premier n'est autre que la relève des générations, et la baisse de la natalité, qui s'est accentuée pendant la crise sanitaire en France. J'ai hâte de découvrir vos prochains travaux sur la dynamique démographique de notre pays.
J'insiste, depuis le début de mon mandat, sur l'importance des villes périphériques. La tendance actuelle au recul de la métropolisation au bénéfice des villes moyennes, qualifiée par la presse de victoire ou de revanche, confirme l'importance de ces dernières, ce qui ne va pas sans conséquences sur l'aménagement du territoire.
Vous affirmez à juste titre que l'action publique se bâtit sur le court, le moyen et le long termes. J'attire toutefois votre attention sur les difficultés des petites et moyennes villes pour mettre en œuvre le plan de relance, s'approprier les dispositifs existants, suivre la cadence de son déploiement et monter des projets structurants dans le respect de délais souvent contraints.
Le récent renouvellement des équipes exécutives locales (municipales et intercommunales) complique encore la tâche. Comment comptez-vous prendre en compte les spécificités de ces villes périphériques dans vos propositions ?
Je vous sais sensible, monsieur le Haut-Commissaire, aux questions agricoles, et en particulier à celle des ressources en eau. Je préside le comité de bassin Rhône-Méditerranée et connais la situation du bassin Adour-Garonne. Sans eau, il n'y a pas d'activité ni de développement économique possible. Il est hors de question pour un territoire manquant d'eau d'accueillir des habitants ou même des touristes. Je formule, pour l'avenir de notre pays, le vœu que vous puissiez nous aider à faire de l'eau, en tant que ressource, une priorité de la nation au cours des décennies à venir.
La planification et la prospective de grands projets, longs à réaliser, nécessitent de lourds investissements, souvent cofinancés par l'État, les régions, les départements, etc. Il arrive à l'État d'abandonner certains projets en cours, pourtant en partie subventionnés par les collectivités, au travers par exemple de la contribution aux infrastructures. Comment éviter ces écueils pour que les collectivités à l'origine de tels investissements n'en pâtissent pas ? Ne pourrait-on pas prévoir une clause de revoyure dans les projets d'envergure pour s'assurer que les collectivités n'assumeront pas des financements sans avenir ?
Je me réjouis, au nom de mon groupe Socialistes et apparentés, de la renaissance d'une stratégie planifiée. Vos réponses à propos du développement des modes de transport ferroviaire et fluvial m'ont laissé sur ma faim. Ils nécessitent un lourd investissement et une planification soignée. Pourriez-vous nous en dire plus sur les engagements ou, du moins, les ambitions que vous pourriez mettre en avant, notamment en matière de fret ?
Vous avez été ministre de l'Éducation nationale. Il faut absolument accompagner nos concitoyens dans des formations de transition vers les métiers d'aujourd'hui et de demain. Pourriez-vous esquisser dans ses grandes lignes votre ambition à ce propos ?
Qu'êtes-vous en mesure d'entreprendre pour accélérer la mise en œuvre du plan de développement de l'hydrogène ? Seuls 2 des 7 milliards d'euros prévus ont pour l'heure été débloqués.
Veolia et Suez poursuivent, à propos d'une offre publique d'achat, leur discussion, qui achoppe toutefois du fait de Veolia. Par quel moyen l'État peut-il intervenir ?
En septembre dernier, vous établissiez le dynamisme économique et la protection de l'environnement parmi vos priorités d'action. Notre regard doit, selon vous, se porter à la fois sur un présent, anxiogène au vu du contexte de crise sanitaire, économique et sociale, et sur un horizon de vingt à trente ans. La communauté maritime manifeste dans notre pays sa volonté de tracer une nouvelle voie, qui préserve nos océans en contribuant à un développement harmonieux de notre économie bleue. La crise nous a montré la nature stratégique de ce secteur pour la France. Des investissements futurs devraient émerger un modèle économique plus résilient, plus protecteur, plus souverain et, surtout, créateur de plus d'emplois. Nos régions de métropole et d'outre-mer ont une carte éminente à jouer pour contribuer au succès maritime de la France. Que recommandez-vous aux chefs de l'État et du gouvernement pour mener à sa réussite l'ambition maritime française de ce vingt et unième siècle ?
En naviguant à 11 nœuds plutôt qu'à 12, les bateaux réduiraient leur consommation de carburant de 18 %. Ils produiraient dès lors moins de gaz à effet de serre. La baisse de leur vitesse relève d'une mesure internationale que prévoit l'Organisation maritime internationale (OMI) à l'échéance de 2050. Nos armateurs et nos ports travaillent, eux, dès aujourd'hui à la mise en place de la transition énergétique à l'aide du gaz naturel liquéfié (GNL), des bornes à quai, de l'hydrogène, etc.
La part modale du fret ferroviaire a reculé en France, de 18 % voici vingt ans à 9 % aujourd'hui. Pour ne pas être le maillon faible de l'Europe ferroviaire et avancer vers une logistique multimodale verte et européenne, nous devons impérativement renforcer la part du chemin de fer dans les transports.
Comme prévu, nous devrions bientôt connaître la stratégie de la France en matière de développement du fret ferroviaire. Avez-vous participé aux travaux à l'origine de son élaboration ? Si oui, vous satisfait-elle, et en quoi ? Fournira-t-elle aux transporteurs de marchandises une feuille de route visant par des moyens concrets l'augmentation des volumes ferroviaires par filière ?
Dans la négative, avez-vous, de votre côté, identifié un objectif de croissance pour le fret ferroviaire dans les transports combinés en vue d'une multimodalité plus équilibrée ?
La dette publique en France s'élève à plus de 2 674 milliards d'euros, un montant qui nous place hélas en tête du classement des pays les plus endettés de la zone euro. Vous proposez dans votre rapport de février dernier un plan d'action en trois temps, à savoir : définir la dette, différer l'amortissement et fixer une durée de remboursement.
Vous plaidez également en faveur d'un plan Marshall national et d'un investissement de 200 à 250 milliards d'euros pour relancer l'économie, ce qui impliquerait, soit une augmentation sensible des impôts, soit une baisse de la dépense publique. L'un et l'autre choix entraîneraient des conséquences sociales non négligeables, notamment pour les jeunes générations.
D'autres voix s'élèvent pour réclamer une annulation pure et simple de la dette. La Banque centrale européenne (BCE) pourrait ainsi renoncer à une partie de la dette publique qu'elle détient contre l'engagement de l'État à investir la somme correspondante dans des secteurs d'avenir prioritaires, en particulier les projets de transition écologique.
Pouvez-vous nous préciser si des négociations suivent leur cours avec la BCE ? Une opportunité historique ne se présente-t-elle pas à la France, à quelques mois d'assumer la présidence de l'Union européenne (UE), d'incarner un leadership européen en vue d'un modèle de relance plus juste, plus durable et fiscalement soutenable ?
Pouvez-vous nous indiquer où en sont et dans quelle direction s'orientent les travaux portant aussi bien sur la sécurisation de nos secteurs stratégiques, en particulier la chaîne d'approvisionnement en matériaux critiques, que sur notre souveraineté énergétique ?
Ma question portera sur la transition écologique dans le transport routier de marchandises, un enjeu majeur quoique complexe. Les poids lourds sont à eux seuls responsables de 22 % des émissions de gaz à effet de serre par le secteur du transport, alors qu'ils ne représentent que 6 % des véhicules en circulation. Quelle que soit la façon dont se développeront les autres modes de transport, des camions continueront de circuler dans trente ou cinquante ans. Aujourd'hui se développent, pour rendre plus « vert » le transport routier de marchandises, plusieurs technologies plus ou moins onéreuses ou efficaces, telles que l'électrique, l'hydrogène ou le Gaz naturel propre (GNP), de plus en plus décarboné.
Je m'interroge sur l'inscription de la stratégie de transition écologique du transport routier de marchandises, qui nous occupe, dans une réflexion plus large sur l'ensemble du fret, dépassant la logique de silo qui prévaut encore aujourd'hui. Les réflexions sur le ferroviaire, le routier et le fluvial ne prennent pas assez en compte leur complémentarité. Le cadre strictement national de ces réflexions me semble par ailleurs trop étroit à l'heure où la France s'inscrit au cœur du marché européen et international. Je souhaiterais votre sentiment sur ce sujet. J'aimerais aussi connaître les prémices des recommandations en la matière du Haut-Commissariat au plan.
Monsieur le Haut-Commissaire, vous avez été pionnier dans l'utilisation des bus à hydrogène. À Tarbes, ville voisine de la vôtre, est implantée une usine Alstom de fabrication de chaînes de traction à hydrogène. Le port de Bordeaux se lance à son tour dans l'hydrogène. Je vais recevoir dans une demi-heure un groupe d'étude sur le sujet que j'ai l'honneur de présider à l'Assemblée nationale.
Il faut toutefois aller plus loin pour faire baisser le prix de l'électricité verte produite par des énergies renouvelables. Celles que nous utilisons en France (aussi bien solaire, éolienne ou géothermique qu'hydroélectrique) posent pour l'instant des problèmes de massification. Ne pensez-vous pas que l'on pourrait déjà réhabiliter l'hydroélectrique à travers les barrages ?
Concernant le solaire, ne faudrait-il pas conclure des accords internationaux avec des pays du Sud (Espagne et Portugal, voire les pays francophones du Maghreb) pour y implanter des fermes solaires géantes produisant de l'hydrogène à bon marché ? Le principal intérêt de l'hydrogène réside dans son rôle de vecteur énergétique dans les infrastructures de transport (comme les pipelines) et de stockage (telles les cavités salines). La solution ne consisterait-elle pas en la levée de certains freins que vous avez évoqués concernant les raccords aux réseaux ?
J'aimerais vous interroger, monsieur le Haut-Commissaire, sur votre position par rapport à l'important patrimoine que représentent les moulins à eau, aujourd'hui menacés par la loi sur l'eau et le décret de 2020 exigeant la destruction des seuils. Ces moulins à eau pourraient jouer un rôle important dans la production d'hydroélectricité. Ils assument déjà un rôle dans le cycle de l'eau et la préservation des zones humides. Ils constituent en outre des zones refuges en cas de sécheresse, sans parler de leur importance pour l'écosystème, en tant que viviers de la faune aquatique. Comptez-vous les défendre ?
Je suis ravie de discuter avec vous de planification. Nous disposons aujourd'hui d'un recul de quarante ans sur la décentralisation. J'aimerais vous parler d'un programme qui symbolise selon moi les enjeux actuels d'un aménagement du territoire obéissant à une vision nationale, comme le veut votre mission mais, dans ce cas précis, « venu du bas ».
Je m'explique : la Plate-forme d'observation des projets et stratégies urbaines, baptisée POPSU, puisque c'est à elle que je songe, en tant que programme de recherche et d'action cofinancé par l'État, permet de partir du terrain dans l'idée d'apprendre des territoires, des collectivités et des élus, en tandem avec des chercheurs, afin de repenser l'aménagement du territoire de demain. L'État y joue le rôle que j'aime lui voir jouer, d'accompagnateur et de révélateur des dynamiques. Une telle vision de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) « par le bas » m'apparaît essentielle. On ne peut plus, aujourd'hui, définir des politiques de planification par le haut. Des collègues ont évoqué De Gaulle. Ce genre de référence n'est plus adapté à la société d'aujourd'hui. Je vous invite, en tant que marraine du programme POPSU, à discuter avec nous des enjeux de la vie dans un bourg médiéval, ou encore de la réussite de Vitré et de son faible taux de chômage.
Si je disposais des réponses à toutes les questions que vous m'avez adressées, alors je mériterais d'occuper d'autres fonctions ; celles de Pape, plus encore que de Président de la République. Je tenterai malgré tout d'y répondre.
Monsieur Haury, j'estime tout autant que vous la question démographique d'une importance vitale, au sens biologique du terme, pour notre pays. La France s'est formée autour d'un contrat social qui ne saurait perdurer sans un équilibre démographique permettant, par exemple, que les actifs soient en nombre suffisant pour payer les retraites dans le cadre de notre régime par répartition. Je comprends qu'un pays comme l'Allemagne ayant adopté un régime de retraite par capitalisation se moque de ces équilibres démographiques. Son déclin démographique est d'ailleurs tel qu'il lui a fallu laisser entrer sur son territoire un million de réfugiés en l'espace d'une année. Faute de prendre à bras-le-corps cette question, nous allons, en France, nous retrouver au bord d'un gouffre et y sombrer.
Notre démographie est en fléchissement, pour des motifs principalement sociaux et psychologiques, tels que l'appréhension à l'idée de fonder une famille, du fait du malaise suscité par l'avenir. Les politiques publiques jouent de ce point de vue un rôle capital. Un certain nombre d'entre elles, en matière de soutien et d'aide à la parentalité, ont changé. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'effondrement se soit accentué. Je compte produire, dans les semaines à venir, une note sur la question démographique.
Hier, Mytraffic, une société d'analyse de la circulation dans la totalité des centres-villes en Europe, a étudié les 180 villes de 20 000 à 100 000 habitants en France. Pau s'est hissée à la troisième place de son classement, non par hasard mais en conséquence d'une politique menée sur plusieurs années. Voilà qui prouve la possibilité de faire advenir des changements. Il n'existe pas de fatalité, ni locale, ni nationale.
Ces villes d'équilibre, capitales de régions petites ou moyennes, ont un rôle unanimement identifié à jouer dans les équilibres de population, en vue d'une meilleure écologie humaine dont bénéficierait tout le pays. C'est dans ce sens que je voudrais avancer.
Monsieur Saddier, j'adhère à vos remarques sur les ressources en eau. Le traitement que réserve notre société aux travaux sur les ressources en eau me surprend toujours. Les civilisations se forment, depuis des millénaires, autour de la gestion de l'eau. L'Égypte ne serait jamais devenue ce qu'elle a été sans un travail colossal de creusement de canaux reliés au Nil pour irriguer les récoltes. Nous travaillons à une note sur le sujet qui, je l'espère, recevra autant d'échos que celle publiée ce matin.
Il convient avant toute chose de différencier ce qui, dans la gestion de l'eau, nuit à la préservation de sa pureté, de ce qui la favorise. J'estime ainsi inacceptable de puiser de l'eau dans des nappes en altérant leur équilibre chimique, au risque d'ailleurs de les épuiser. En revanche, gérer l'eau de ruissellement pour en limiter les dégâts dans un objectif de compensation au fil des saisons me paraît éminemment écologique et vertueux. Cette différenciation indispensable reste cependant encore à établir. Nous en sommes toujours à exploiter des fantasmes. La liberté de pensée et de parole d'un Haut-Commissariat au plan doit s'appliquer à ces sujets et je veillerai de toutes mes forces à ce qu'elle s'exprime également dans le domaine de l'eau.
Madame Luquet, je suis tout à fait prêt à relayer votre proposition d'instaurer une clause de revoyure régulière et obligatoire autour des grands projets. Cela me frappe que le lancement de plans s'accompagne de grands effets d'annonce alors qu'il n'en est plus question ensuite.
Monsieur Leseul, la question de l'hydrogène recoupe celle de l'électricité verte, qui nous ramène au commencement de notre discussion. Produire de l'hydrogène à partir d'une électricité, non pas verte mais carbonée, s'apparenterait à une déperdition d'énergie. Le bilan énergétique de la production d'hydrogène laisse en effet à désirer. La présence du gaz dans un mix énergétique de transition m'apparaît comme une bonne chose. Ce plan hydrogène n'est pas aisé à mettre en place pour la simple raison qu'il est ardu de produire de l'électricité verte. Il n'en doit pas moins bénéficier d'un soutien sur le long terme.
Je n'entrerai pas dans le débat, à couteaux tirés, et à fleurets non mouchetés, entre Veolia et Suez. Ses tenants et ses aboutissants sont trop d'actualité pour entrer dans les préoccupations du Haut-Commissariat au plan, du moins publiquement.
J'estime moi aussi impératif de mettre en place des formations de transition. J'évoquais Thierry Marx, qui forme des cuisiniers en onze semaines, en suivant les mêmes objectifs et en délivrant le même nombre d'heures de cours que dans le cadre d'un Certificat d'aptitude professionnelle (CAP) s'étendant sur plusieurs années. Des formations courtes et efficaces pourraient sans nul doute être proposées dans de multiples domaines comme le bâtiment, la transition énergétique, l'isolation ou encore la plâtrerie. Un important travail reste à fournir. Je demeure persuadé qu'il est possible d'y parvenir.
Madame Panonacle, vous avez raison de défendre la transition dans le secteur du transport maritime, que je crois essentielle.
Madame Essayan, je n'ai pas participé aux travaux d'élaboration de la stratégie ferroviaire. Je les lirai avec intérêt. Je me félicite que le gouvernement et l'entreprise s'en chargent, et que le Haut-Commissariat au plan, déjà fort occupé, n'ait pas à se pencher sur la question.
Madame Silin, notre note à propos de la dette Covid, qui a fait couler beaucoup d'encre, proposait une stratégie que n'a pas démentie la mission Arthuis devant laquelle je l'avais exposée. Elle n'implique pas d'augmenter les impôts pendant la période de transition. Je m'oppose à l'idée d'annuler la dette, car ceci nous placerait aussitôt dans l'impossibilité d'emprunter le moindre euro. La générosité a ses limites. On ne prête que lorsqu'on a des chances raisonnables d'obtenir le remboursement des sommes avancées. Il ne me semble pas que des négociations aient lieu avec la BCE quant à une éventuelle annulation de la dette, dont la seule perspective entraînerait une explosion des taux d'intérêt, alors que nous avons justement besoin qu'ils baissent.
Madame Kerbarh, je n'ai pas saisi votre question.
J'ai pris connaissance de l'ensemble de vos notes sur les secteurs stratégiques et autres, mais n'ai compris ni ses objectifs ni la déclinaison concrète de vos réflexions sur la notion de stratégie industrielle, alimentaire ou sanitaire, ou encore l'approvisionnement en métaux critiques.
Je vous propose de venir rencontrer mes collaborateurs, qui vous expliqueront, sujet par sujet, notre préoccupation, en réalité très simple. La France se croyait un grand pays d'industrie pharmaceutique, or nous nous sommes découverts avec stupéfaction en rupture d'approvisionnement de médicaments essentiels. Notre objectif est que la France prenne les décisions nécessaires pour ne plus se trouver menacée de rupture d'approvisionnement de produits essentiels à sa souveraineté.
Monsieur Millienne, le transport lourd doit en effet trouver des solutions qui consistent en un nouveau mix énergétique. Vous avez parlé du GNL, de moins en moins carboné pour peu que l'on produise des biocarburants adaptés. Ceux-ci apparaissent d'ailleurs comme l'une des rares solutions mobilisables pour le transport aérien. Quant à l'électricité, les chercheurs tiennent aujourd'hui l'hydrogène pour la solution la plus accessible au transport lourd. Je suis moi aussi persuadé que l'on ne saurait laisser croire à la disparition future des camions. Il faut donc que ces camions s'adaptent à la transition écologique.
Monsieur Delpon, le potentiel de l'hydroélectrique ne me semble pas exploité, ce qui répond par ailleurs à la question de Mme Brulebois sur les moulins. Nous nous battons en ce moment pour la construction de nouvelles digues sur le Gave à Pau. L'autorisation d'installer des hydroliennes, des turbines préservant la faune piscicole, dans des digues existantes, sans porter atteinte, ni au paysage, ni aux conditions de déplacement de l'eau, permettrait d'exploiter une partie de ce potentiel. L'hydroélectrique compte actuellement pour près de 10 % de la production d'électricité en France. Des problèmes vont se poser, d'attribution des licences, ce qui suscite une considérable émotion dans les Pyrénées où nous avons pris l'habitude de travailler avec un certain nombre de délégataires du service public sur ces sujets.
Je ne crois pas à l'implantation de grandes fermes solaires dans le Sahara ou certaines régions désertiques de l'Espagne, qui présentent un tel aspect, justement en raison de la température excessive qui y règne. La chaleur ne convient pas plus aux êtres humains qu'aux cellules photovoltaïques. Le rendement de celles-ci décroît en effet en fonction de la température. Rien ne garantit, à en croire les scientifiques, que le Sahara puisse un jour alimenter l'Europe en hydrogène.
Madame Marsaud, je n'avais jamais entendu parler du POPSU, mais sa tentative d'évaluation à partir du terrain et non du centre me semble une excellente idée. Je serai ravi de rencontrer ses promoteurs et promotrices. La démarche qui le sous-tend ressemble à la France que j'appelle de mes vœux.
Informations relatives à la commission
La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a nommé Mme Mathilde Panot, rapporteure sur le projet de nomination, en application de l'article 13 de la Constitution, de M. Jean-Christophe Niel aux fonctions de directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).