Ce texte a pour objectif de répondre à la situation d'urgence créée par la prolifération des plastiques et leur impact sur le vivant. Cette urgence est rappelée par tous les spécialistes, et le rapport de 2021 du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) constate que les politiques actuelles ne sont pas à la hauteur des enjeux et ne permettent pas de réduire significativement le volume des plastiques mis sur le marché.
La nouvelle modélisation mise au point par SYSTEMIQ et The Pew Charitable Trusts montre que, d'ici à 2040, dans l'hypothèse d'un statu quo, les déchets plastiques solides urbains vont doubler, la quantité de plastique rejetée dans les océans devrait presque tripler et celle présente dans les océans, quadrupler. Dans l'hypothèse prenant en compte les engagements pris par les gouvernements et les entreprises, le déversement des déchets plastiques en mer serait réduit de 7 % seulement.
L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), lors de son congrès à Marseille, en septembre 2021, a dressé le triste constat d'une mer Méditerranée poubelle, dans laquelle l'équivalent de plus de 500 containers de plastiques est déversé chaque jour. Pendant les quelque deux heures de discussion que nous aurons sur la présente proposition de loi, quarante containers de plastique, dont la durée de vie et de pollution est de plusieurs centaines d'années, y seront déversés.
Peut-être n'avons-nous pas suffisamment conscience de l'ampleur du désastre. En décembre 2020, dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), la sénatrice Mme Angèle Préville et notre collègue M. Philippe Bolo ont publié un rapport au titre inquiétant, mais sans doute prophétique : « Pollution plastique, une bombe à retardement ? ».
La lutte contre le plastique pèche en portant l'attention sur le plastique à usage unique, sur la taxation ou l'interdiction de certains produits et sur le recyclage, comme nous l'avons fait dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC). Or, pour réduire les déchets plastiques à la bonne échelle, nous devons tenir compte de toutes les sources de pollution plastique et mettre en œuvre une stratégie plus globale et plus volontariste. Pour résumer, il faudrait passer d'un modèle linéaire de production et de consommation à un modèle circulaire, enrayant la production des déchets dès la conception des produits et transformant les usages ainsi que les emplois.
Ce texte a aussi pour objectif de déconnecter le plastique du pétrole, d'en diminuer la production et l'impact climatique et environnemental et de contraindre l'économie du plastique à le transformer. Ce mois-ci, un rapport relatif aux neuf seuils d'équilibre de notre planète donne l'alerte sur le dépassement très net du cinquième seuil, celui des pollutions chimiques et plastiques. Tous les scientifiques le disent, le changement doit être systémique. Sans être remis en cause, les choix de la France et de l'Union européenne (UE) ne sont pas à la hauteur de l'urgence à laquelle nous sommes confrontés.
Ma proposition de loi est structurée en cinq articles.
L'article 1er interdirait, à partir de 2030, la fabrication, la mise en vente et la mise à disposition de plastiques issus en tout ou partie du pétrole ou de produits pétroliers. Il s'agit, en fermant le robinet du pétrole destiné aux plastiques, qui représente 6 % de la consommation du pétrole mondial – 15 % en 2050 si nous ne faisons rien –, de contraindre la production de plastiques et, dans le même temps, de réduire celle des gaz à effet de serre (GES). Inciter le système à produire un moindre volume de plastique, c'est ouvrir des débouchés de réemploi aux plastiques recyclés, en en faisant la principale source de matière première dans la fabrication des plastiques après 2030.
L'article 2 s'inscrit dans la même logique systémique. Il prévoit l'adoption, par voie réglementaire, d'une stratégie nationale « Zéro plastique pétrole » avant le 1er janvier 2023. Cette stratégie détermine les mesures sectorielles ou de portée générale nécessaires pour respecter l'interdiction prévue à l'article 1er de la présente proposition de loi.
L'article 3 prévoit l'élaboration d'un calendrier d'interdiction progressive des polymères fabriqués en tout ou partie à partir de pétrole ou de produits pétroliers.
L'article 4 tend à instituer la tenue d'un débat public, sous forme d'états généraux, conduit par le Conseil national de l'économie circulaire (CNEC), dont je salue la présidente, Mme Véronique Riotton. Il s'agira de fixer des objectifs à la trajectoire nationale de suivi et de réduction des emballages à usage unique.
L'article 5 concerne la création d'un établissement public à caractère administratif à compétence nationale : l'Agence nationale du plastique – car le sujet nous dépasse. Cette agence a vocation à réunir les diverses parties prenantes de la politique de gestion des matières plastiques, de leur fabrication à leur recyclage. Tous les acteurs y seront invités à réfléchir aux usages de cette matière et au développement de modes de fabrication et de gestion du plastique plus favorables à l'environnement.
La création de l'Agence nationale du plastique comme outil de régulation, de coordination, d'accompagnement des politiques publiques et de conseil scientifique a été très largement soutenue par la quasi-totalité des personnes auditionnées, à l'exception de deux d'entre elles – je donnerai leurs noms si on me les demande. Elle a été perçue comme à la hauteur des enjeux, comme susceptible de permettre une plus grande mobilisation des acteurs de la chaîne de production et du recyclage, ainsi que des administrations publiques. À l'heure actuelle, la mobilisation de l'État sur la question du plastique, d'un point de vue structurel, réside tout entière au sein de l'Agence de la transition écologique (ADEME), à hauteur de deux postes et demi. La France mobilise 2,5 équivalents temps plein (ETP) pour traiter les problèmes soulevés par l'usage du plastique.
L'Agence nationale du plastique servirait aussi à sensibiliser l'opinion publique et à instaurer un dialogue permanent au sujet du plastique, notamment de sa gestion et de ses usages. Elle pourrait, par exemple, définir les polymères qui sont autorisés et ceux qui ne le sont pas, la trajectoire à adopter, le calendrier de réduction de l'usage du plastique et de l'intensification de son recyclage.
Je considère que les objectifs définis par la proposition de loi peuvent être atteints en dix ans, à condition d'en avoir la volonté politique et de se doter des outils adéquats – l'Agence nationale du plastique, notamment, est très attendue. En tout état de cause, il s'agit d'ouvrir un débat et de s'inscrire dans une trajectoire qui n'a pas vocation à rester nationale, tout comme celle que nous avions votée pour la fin des véhicules thermiques en 2040 – de française, cette position était devenue européenne et plus ambitieuse puisque l'échéance avait été ramenée à 2035, certains pays envisageant même 2030. Ayons le courage de faire de même sur la question du plastique : envoyons un signal à partir de la France qui pourrait être repris au niveau européen et servir dans des négociations mondiales.
La proposition de loi entend montrer le chemin. Il y a urgence. Nous ne pouvons plus ignorer les conséquences catastrophiques pour la vie sur Terre de la pollution résultant des produits chimiques composant les plastiques, notamment en mer.