Intervention de Jean-Baptiste Moreau

Réunion du mercredi 27 mai 2020 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Baptiste Moreau :

Cette proposition de loi est certes intéressante – elle traite de sujets primordiaux qui sont apparus pendant la crise – mais elle apporte, selon le groupe La République en Marche, de mauvaises solutions à des problématiques réelles. La crise du covid-19 a eu des conséquences économiques et sociales très dures pour les Français et pour tous les acteurs de la chaîne alimentaire : nos concitoyens ont vu leur budget alimentaire augmenter, notamment en raison de la fermeture des cantines et de la restauration collective ; les producteurs ont vu leurs commandes diminuer à cause de la fermeture des restaurants, et ils ont subi des pressions de la grande distribution pour réduire leurs prix, déjà au-dessous des coûts de production ; les artisans fromagers, les viticulteurs, les producteurs de pommes de terre et ceux des filières qualité – agriculture biologique, Label rouge, indications géographiques protégées (IGP) ou appellations d'origine protégée (AOP) – se sont trouvés sans débouchés car la grande distribution a préféré des produits bas de gamme, voire importés ; par ailleurs, les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) de l'agroalimentaire ont dû faire face à des problématiques de transport et de surcoûts dans la chaîne de production. Cette liste n'est, bien entendu, pas exhaustive.

Le confinement a fait craindre une pénurie alimentaire. Cette peur de manquer irrationnelle, pour le moment, rappelle la place que doit avoir l'alimentation dans nos vies, le rôle central des filières alimentaires et l'enjeu stratégique de la production agricole. L'épidémie de covid-19 pousse à s'interroger, une fois de plus, sur l'efficacité des outils de gestion des filières : malgré une évolution favorable de la consommation et une forte diminution des importations, les agriculteurs, en particulier les éleveurs, ont vu leurs prix de vente baisser et passer très majoritairement en deçà des coûts de production. L'épidémie a également souligné l'inefficacité de certaines interprofessions en matière de gestion des marchés et, plus encore, de crise – le risque relatif au revenu n'est absolument pas géré. Enfin, la situation actuelle met en exergue la précarité alimentaire qui touche encore trop de personnes.

Plusieurs mesures ont été décidées. Le ministère de la cohésion des territoires a mis en place, à partir du 1er avril, des chèques-services permettant aux personnes sans domicile de bénéficier de 7 euros par jour pour acheter des produits d'alimentation et d'hygiène pendant la crise sanitaire. Ce dispositif, qui a été mis en œuvre rapidement, a fait ses preuves. Près de 65 000 personnes ont été ciblées dans un premier temps. Afin de tenir compte des besoins exprimés au cours des premières semaines, le ministère a décidé de doubler le nombre de chèques-services pour les territoires les plus en tension – l'Ile-de-France et l'outre-mer. L'objectif est de venir en aide à plus de 90 000 personnes dans les prochains jours. Par ailleurs, le ministère des solidarités et de la santé a présenté en avril un plan de soutien à l'aide alimentaire d'un montant de 39 millions d'euros, ce qui représente un tiers du budget alloué chaque année par l'État aux associations.

L'idée du chèque alimentaire qui figure dans ce texte est intéressante. Néanmoins, je doute de son efficacité compte tenu des modalités prévues : vous voulez mettre en place des tickets de rationnement sans garde-fou ni cadre adapté à notre société. Les Français, y compris ceux qui sont le plus en difficulté, veulent manger des produits de qualité au meilleur prix, venant de France et respectueux de l'environnement. Les chèques alimentaires que vous proposez font l'impasse sur cette demande et stimuleront celle de produits bas de gamme, bien souvent importés.

Nous voulons substituer à ce dispositif, grâce à un amendement corédigé avec M.Stanislas Guerini, un chèque déconfinement ciblé et limité dans le temps, qui permettra aux populations les plus fragiles de faire face à des situations difficiles après le confinement. Les modalités seront renvoyées à un décret pour faire en sorte qu'elles soient négociées avec les acteurs de terrain et aussi efficaces que possible.

Je partage votre constat sur l'état de nos filières agricoles. Nous devons les encourager à se structurer et à peser dans les négociations commerciales. Votre proposition d'organiser chaque année une conférence publique dans le cadre des filières est louable, mais c'est déjà ce que prévoit la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 ». Nous proposerons d'encourager l'adhésion à une organisation ou à une association d'organisations de producteurs grâce à un dispositif d'aide qui obligerait ces structures à garantir une juste rémunération et à respecter une contractualisation avec les industriels et la grande distribution sur la base des indicateurs de coûts de production. Des sanctions seraient imposées aux acteurs de l'aval qui refuseraient d'entrer dans cette logique.

Nous devons penser de nouveaux dispositifs. Il faut répondre aux attentes des Français et aux besoins des citoyens les plus en difficulté tout en cheminant vers la souveraineté alimentaire. Il ne s'agit pas de réinventer la poudre en reprenant de vieilles propositions qui datent du temps de l'économie administrée – l'histoire nous a montré que cela ne marchait pas et qu'il pouvait en résulter des conséquences sociales et économiques terribles – mais de proposer une vision pour la société de l'après-crise que nous voulons, c'est-à-dire un modèle agricole garantissant l'autonomie alimentaire en Europe, afin d'arrêter de dépendre des produits importés, et une agriculture résiliente et durable qui permettra à tous les citoyens de manger à leur faim grâce à des produits de meilleure qualité.

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